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Par le présent article[1], nous voulons jeter les bases d’une étude inédite au Québec concernant la migration des animatrices télé, ou « personnalités télévisuelles » (Bennett 2008 et 2011), vers les nouveaux services francophones de télévision par contournement (TPC), à savoir les plateformes numériques de vidéo à la demande qui se multiplient actuellement sur le Web. Dans une perspective critique au croisement de la communication, des Cultural Studies et des études télévisuelles féministes (Spigel 1992; Brunsdon 2000; Wood 2009; Brunsdon et Spigel 2008; Lécossais 2016; Moseley, Wheatley et Wood 2017), nous proposons de mettre en lumière la manière dont les configurations du média télévisuel à l’ère numérique modulent la figure de l’animatrice et, par le fait même, (re)produisent le genre. Pour ce faire, nous analyserons quelques émissions produites pour Véro.tv, section de la plateforme ICI TOU.TV (3 fois parjour (2017-2018), On change d’air (2019-), Une étape à la fois (2018-2019), Rétroviseur (2018-), Sois (2017-2018), Passion poussière (2019-)). L’analyse révélera comment ces nouvelles émissions (re)produisent et naturalisent certaines normes concernant la féminité, telles que l’émotivité, le soin (care), l’empathie, la préoccupation pour l’apparence physique et la mode, sans oublier la maternité. Une approche intersectionnelle permettra en outre de voir que, sous couvert d’une apparente « diversité » des animatrices, se cachent les traces de représentations restrictives de la féminité associée à la femme blanche, hétérosexuelle, professionnelle et mère. L’analyse amènera à constater que les transformations récentes du média télévisuel, marquées par une tendance à la plateformisation et à l’accroissement des contenus distribués en ligne (Lotz 2017), s’accompagnent d’une redéfinition ambivalente de la représentation des femmes qui s’actualise en intégrant des valeurs néolibérales et entrepreneuriales, ainsi que par les fonctions communicationnelles endossées par les animatrices télé.

Une nouvelle ère télévisuelle : les services de télévision par contournement au Québec

Le prolongement de l’industrie télévisuelle sur le Web et l’implantation de services de TPC depuis 2010 au Canada ont favorisé l’adoption de nouvelles pratiques de production, de diffusion et de réception (Lotz 2017 : 6). Le développement de services de TPC sur le Web entraîne en effet une délinéarisation des modes de distribution et de réception associés à la télévision, puisque les contenus ne sont plus diffusés selon les contraintes d’une grille-horaire. Or, la mise en ligne de tels services augmente par le fait même les besoins en matière de contenus : il faut en effet proposer un catalogue de productions audiovisuelles suffisamment vaste et exclusif pour assurer la popularité et la viabilité d’une plateforme, d’autant plus que la plupart misent sur les abonnements en ce qui concerne leur financement. Un tel contexte a une incidence sur les stratégies de production adoptées au sein de l’industrie, et donc potentiellement sur les contenus et les représentations proposés. Ce moment charnière de l’histoire de l’industrie télévisuelle (Lotz 2017 : 2) nous fournit donc l’occasion d’observer si les bouleversements en question contribuent à diversifier les constructions de genre et à briser les créneaux traditionnels et genrés de la télévision linéaire.

Au Québec comme à l’international, la majorité de l’offre sur les services de TPC est constituée de fictions. Or, sur la plateforme ICI TOU.TV, lancée en 2010 par la Société Radio-Canada, une part importante des contenus « originaux[2] » sont non fictionnels (magazines, émissions de métamorphoses (makeovers), émissions d’affaires publiques, séries documentaires, etc.). Produites à moindre coût, ces émissions s’appuient sur le crédit des animatrices et des animateurs (Benhamou 2002 : 91). Leur rôle consiste donc à être l’intermédiaire entre la production et la réception, tout en étant à la fois le produit et le moteur de cette industrie (Morin 1957; Heinich 2011; Chalvon-Demersay et Pasquier 1990). Pour cette raison, il nous apparaît pertinent de renouveler l’étude des personnalités télévisuelles portant un regard sur les discours et les formes d’intermédiation que celles-ci endossent ou représentent à l’ère de la télévision en ligne (Johnson 2019).

Depuis le début du xxe siècle, et particulièrement depuis l’institutionnalisation de la télévision durant la seconde moitié, la population consomme les célébrités, et ces dernières la font consommer (Heinich 2011 : 17); par le fait même, les constructions complexes de valeurs et d’identités comprennent les dynamiques de consommation liées aux vedettes et aux célébrités. Or, au Québec, aucune étude ne s’est penchée sur les animatrices et les animateurs vedettes de la télévision afin de comprendre le maillage de valeurs populaires et médiatiques qui contribuent à la construction des rapports sociaux de genre. Au sein de l’industrie télévisuelle, ces vedettes sont devenues des figures centrales au courant des années 80, dans un contexte où l’audience, comme mode de gestion et logique de programmation, gagnait du terrain, et que celles et ceux qui animent une émission ont été mis à profit compte tenu de leur capacité à rallier sous leur seul nom un large public.

La fonction de production est venue ajouter au capital de notoriété des animatrices au cours des années 90. En effet, les animatrices-productrices s’affirmant à la télévision québécoise durant cette décennie (Marie-France Bazzo, Julie Snyder, France Beaudoin et Véronique Cloutier) assument une fonction de personnalité publique. Chacune offre un modèle de personnalité publique, une forme de pouvoir et de prise de parole au féminin, une certaine combinaison de succès économique et de succès d’estime. Chacune actualise les liens que la télévision a pu tisser entre le genre (en tant qu’identité sexuée), les genres télévisuels et les publics au Québec, à un moment où s’y consolide une culture médiatique au féminin (Rannaud 2018).

Dans le contexte actuel de la TPC, c’est encore par un recours à des animatrices ou à des animateurs vedettes que la volonté de Radio-Canada de fédérer et de fidéliser un nouveau public se concrétise. Dans l’idée d’accroître l’offre de contenus audiovisuels sur sa plateforme ICI TOU.TV, Radio-Canada a signé un contrat d’exclusivité avec Véronique Cloutier afin de lui confier la tâche de concevoir une programmation pour une nouvelle section du site : Véro.tv. Offerte depuis 2017, la plateforme Véro.tv est donc hébergée sur ICI TOU.TV et accessible à toute personne abonnée à l’Extra[3]. Véro.tv mise ainsi sur l’image de marque de la vedette québécoise, celle-ci endossant le rôle d’animatrice pour certaines émissions offertes, mais aussi plus largement la fonction de curation des contenus offerts sur la plateforme. Comme l’explique la principale intéressée dans une vidéo promotionnelle, « Véro TV, c’est donc […] une section dans laquelle je vous propose des émissions que j’aime, des émissions dans lesquelles je suis, mais d’autres sans moi également » (ICI TOU.TV 2017). La création de Véro.tv a été pensée de manière à favoriser la migration vers le Web de téléspectatrices et de téléspectateurs encore attachés à la télévision linéaire, « des publics plus vieux, qui ont une façon plus traditionnelle de consommer la télévision ou qui oscillent entre les deux » (Véronique Cloutier, citée dans Philippe Papineau (2017)). Le choix des contenus pour la section Véro.tv révèle par ailleurs un biais genré, puisque celle-ci se donne pour mandat d’offrir des thèmes d’émissions très près des créneaux télévisuels historiquement considérés – et construits – comme féminins et portant sur « des sujets tels que la famille, les amis, le couple, le mieux-être, la beauté, les tendances, la déco, bref la vie » (ICI Radio-Canada Télé 2017).

La consolidation de la marque Véro

Révélée à MusiquePlus au cours des années 80, l’animatrice-productrice vedette Véronique Cloutier s’est installée dans le tableau du vedettariat (star system) québécois jusqu’à en devenir un élément clé. Elle a su développer un lien intime avec le public québécois à travers l’animation de diverses émissions (radio et télévision) ainsi que par l’entremise d’une couverture médiatique soutenue de sa vie personnelle et familiale. En lançant la collection de vêtements « Véro » (2012), le docu-réalité Véro inc., puis le magazine Véro (2013), elle s’affirme comme femme d’affaires avec une stratégie de construction d’image de marque (branding) qui fait mouche dans les industries culturelles. Elle devient alors son propre produit, la marque Véro (Véro brand), qui se décline sur de multiples plateformes et supports médiatiques. Cette stratégie lui permet de consolider sa célébrité, mais aussi de faire converger son image personnelle de vedette-entrepreneure et ses productions culturelles avec les valeurs (et les marchés) du soin (care), du style de vie (lifestyle), de la famille et de la maternité. La création de la section Véro.tv apparaît ainsi comme une nouvelle pièce importante de cet édifice stratégique de mise en visibilité et de mise en valeur de la célébrité, en même temps que la plateforme devient une occasion de production de valeur pour et par la célébrité.

Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant ce mécanisme de marketing au coeur de la marque Véro que ses liens avec l’instauration d’un (post)féminisme dans la culture médiatique télévisuelle québécoise contemporaine. À ce titre, l’entreprise de convergence transmédiatique de Véro est aussi une affaire de construction de sens à travers laquelle la vedette (re)produit la citoyenne néolibérale, de même qu’elle contribue à l’affirmation d’une classe moyenne, de la maternité hégémonique (Lécossais 2016) et de l’esthétisation du quotidien. D’une part, en tant que vedette, Véro est emblématique de ce qui caractérise les vedettes du petit écran, à savoir leur « extraordinaire » manière d’apparaître « très ordinaire » et de cultiver ce que Bennett (2008 : 32) nomme l’« aura du familier ». Au fil des ans, par une stratégie multi- et trans-médiatique misant sur la familiarité et la visibilité, Véro est devenue une populaire conseillère des Québécoises en matière de famille, de maternité, de style de vie et de style vestimentaire. Les affinités entre les thèmes traditionnellement associés aux cultures médiatiques dites féminines sont au coeur de la marque Véro. Comme notre analyse d’émissions sur Véro.tv le souligne, ces thèmes sont indissociables d’une promotion de la figure de l’entrepreneure. L’entrepreneuriat et – ce qui en est le corollaire – l’autonomie financière des femmes font incontestablement partie des valeurs mises en avant dans la programmation de la plateforme Véro.tv, autant par les contenus que par les animatrices sélectionnées.

La section rose tendre de Véro.tv

C’est tout de rose vêtue et sous une bannière rose tendre que Véro accueillait le public sur la plateforme Véro.tv[4], suggérant jusque dans la couleur de l’interface une association à la culture féminine traditionnelle. Tout en évitant de viser explicitement les femmes dans ses discours promotionnels, Véro.tv propose néanmoins un catalogue tirant profit des créneaux genrés déjà bien établis à la télévision linéaire, notamment sur les chaînes spécialisées. La construction de la marque Véro fait le pari de la (re)production de recettes éprouvées de l’industrie télévisuelle aux fins de capitalisation (économique et symbolique).

La programmation originale non fictionnelle de Véro.tv est ainsi constituée en majorité de magazines (Sois, Une étape à la fois et Passion poussière), d’émissions d’alimentation (3 fois par jour et K pour Katrine), d’entrevues (Rétroviseur et Ma génération), de docu-réalités (On change d’air, Karaoké) et d’une série documentaire biographique (Marie-Mai : ma façon d’exister). Cela fait écho à la logique de programmation des chaînes spécialisées de la télévision linéaire (pensons à Canal Vie, Casa, Zeste, Moi & cie) qui accorde davantage de place aux femmes (tant à la production qu’à l’animation), mais dans une revalorisation de thèmes et de postures traditionnels. La figure de l’animatrice y est définitivement mise à profit. Ainsi, sur les dix émissions originales non fictionnelles consultables sur la plateforme (au moment de notre recherche), les femmes se retrouvent à l’animation de toutes les productions, à l’exception d’une seule (Ma génération) et de deux coanimations (Karaoké et On change d’air).

Véro.tv et la célébration de l’art de vivre au féminin

Analyser les émissions de Véro.tv nous permet de constater la tendance à reproduire et à naturaliser certaines normes de genre concernant la femme, telles que l’émotivité, le soin (care), l’empathie, la simplicité, la gentillesse, la préoccupation pour l’apparence physique et la mode, sans oublier la maternité (Milestone et Meyer 2012). On observe notamment une valorisation de la « beauté » en tant que sujet d’intérêt prioritaire pour les femmes, qu’il s’agisse des soins du corps, de la mode ou encore de la décoration, ici appréhendée en tant qu’« extension physique, objectivée [du corps] dans l’espace public » (Barrette 2010).

Le magazine Sois, qui allie des chroniques sur la couture, le maquillage, la mode vestimentaire et les confidences de vedettes, entérine une telle vision des femmes préoccupées par l’entretien de leur corps et la recherche du « beau », dans tous les aspects de leur vie. Certaines capsules intitulées « Sois pratique » fournissent d’ailleurs trucs et conseils aux femmes afin de leur permettre de diversifier et d’enjoliver leur garde-robe sans être trop dépensières. D’autres capsules maquillage ont pour objectif de guider les femmes vers les choix et les techniques cosmétiques les plus appropriés. Les questions adressées aux vedettes féminines lors des entrevues ou du segment intitulé « Face à soi » confirment cette insistance (s01e01)[5] : « Quand te trouves-tu belle? », « Te trouves-tu belle? », « À quel moment tu te sens le plus libre, la plus belle? » Les modes de représentation et d’expression de soi par la beauté, de même que cette singularisation de soi, analogue à ce que l’on trouve dans les rubriques du magazine Véro (Rannaud 2018), se doublent ainsi d’un mode d’animation empruntant une posture intime, d’amie ou de confidente. Les formes d’adresse et les thématiques abordées rappellent en ce sens les magazines du matin à la télévision linéaire, lesquels étaient destinés aux femmes et avaient pour objectif de les outiller dans leur fonction de ménagère et d’épouse (Spigel 1992). À la différence toutefois des émissions de la télévision linéaire, la distribution de l’émission Sois, sous un mode délinéarisé, permet aux téléspectatrices de la regarder au moment de leur choix, s’adaptant ainsi au mode de vie de femmes qui ne sont plus définies prioritairement comme des ménagères, mais bien à titre de professionnelles. Le fait que l’émission soit accessible « sur demande » et découpée en capsules contribue aussi à la rhétorique du libre choix promue par l’émission, malgré la ténacité de normes de genre. Comme le souligne Adrian Rannaud (2018 : 213), l’imposition de normes de beauté, présentée en tant que liberté individuelle de choisir et expression de soi, révèle des stratégies exprimant « la mise en place d’une culture moyenne (middle brow culture) reposant en partie sur la participation des femmes » au Québec et ailleurs en Occident. Dans le même esprit, Elspeth Probyn (1990 : 152) notait au sujet de la télévision linéaire américaine que « class and gender are articulated in a new age of ‘ choiceoisie ’ which is part of a wider postfeminist landscape » (voir aussi Probyn 1993).

L’émission Une étape à la fois met également l’accent sur la recherche de la beauté par les femmes. Ce magazine animé par Marilou, ex-chanteuse et entrepreneure-vedette du site 3 fois par jour, propose à ceux et celles qui l’écoutent d’assister à l’ensemble du processus de rénovation de sa maison, documentant ses joies et ses moments de découragement devant l’ampleur des travaux à réaliser. Or, durant l’émission, les propos de l’animatrice mettent fréquemment l’accent sur l’importance de la beauté, de la recherche du « beau » dans toutes les sphères de la vie (s01e02) :

Moi, j’ai un vilain problème : je veux toujours ça plus beau que pratique. [Rires.] Comme je dis souvent, là, la première fois que tu vois quelque chose, c’est... là que ça se passe. « Facque » c’est pour ça que je choisis vite parce que... je veux pas réfléchir, tu peux pas réfléchir du beau. Dans le fond, ce que tu trouves beau, tu le trouves beau. Pis quand tu te mets à réfléchir, c’est comme ça que tu te dis : « Aaah! » « Facque » j’essaie de pas trop réfléchir.

Certes, les émissions de Véro.tv évitent habilement de formuler des discours explicitement normatifs. Toutefois, la valorisation de la beauté physique et de la décoration comme prolongement de soi est toujours présentée comme une source « naturelle » de plaisir pour les femmes, à l’image d’un choix personnel et authentique. En ce sens, les émissions s’inscrivent dans un contexte postféministe au sein duquel plusieurs « plaisirs de la féminité traditionnelle » se voient revalorisés (Gill 2007 : 162), à la différence que ceux-ci ne sont plus décrits comme des sources d’oppression patriarcales, mais bien à titre de choix librement consentis par les animatrices et les participantes des émissions. Par exemple, le premier épisode du magazine Sois propose une expérience à trois participantes. Intitulée « Les journées Matilda », cette expérience s’inspire de l’initiative d’une designer new-yorkaise qui avait décidé de porter des pantalons noirs et un haut blanc plusieurs jours par semaine afin de diminuer le temps consacré à ses choix vestimentaires. Les trois participantes de l’émission sont ainsi invitées à reproduire l’expérience, durant une période de trois semaines, à la suite desquelles une animatrice recueillera leurs impressions. En commentaire d’ouverture, Véronique Cloutier laisse entendre que le choix de réaliser cette expérience vise à aborder de manière critique la pression chronophage liée à l’habillement et au paraître qui pèse sur les femmes : « D’après une étude britannique, une femme passerait 10-12 minutes par jour à choisir ses vêtements. Si on additionne tous ces p’tits quarts d’heure, à 70 ans, vous aurez perdu un an de votre vie. Oui, oui, un an! Vu comme ça, ça vaut la peine d’en parler 5 minutes, hein? » Or, à l’issue de l’expérience, les trois participantes discréditent en choeur les « journées Matilda ». Elles affirment avoir souffert puisque l’expression de leur identité et de leur créativité s’est trouvée brimée par l’imposition d’un habillement sobre et répétitif :

  • Participante 1 : « Je réalise vraiment, là, que ma personnalité se définit par ce que je porte. »

  • Participante 2 : « J’ai senti que j’avais plus de personnalité, là, je me retrouvais pas. »

  • Participante 3 : « C’était difficile parce que moi, le matin, j’aime ça me lever pis lancer ma créativité [...]. »

Une telle expérience contribue ainsi à revaloriser, dans une logique proprement postféministe, la beauté et la mode en tant que caractéristiques identitaires centrales et « naturelles » des femmes, en montrant que ces centres d’intérêt sont librement choisis. La mode n’est donc pas présentée comme restrictive, ou alors le signe manifeste d’un double standard de genre concernant l’apparence physique : elle est envisagée au contraire telle une source inestimable de « créativité » et de plaisir pour les femmes.

Dépassant la thématique de la beauté, les thèmes de la maternité et de la famille apparaissent encore plus centraux au sein des émissions. En effet, malgré la diversité de parcours des animatrices associées à Véro.tv, on observe une tendance à valoriser leur statut de mères en tant qu’aspect primordial de leur vie, et de leur expertise. En harmonie avec l’image de marque de Véro, qui met elle-même souvent en avant son statut de mère lors d’entrevues[6], on fait souvent porter l’accent dans les émissions sur le statut de mère des animatrices ou des invitées (Rétroviseur, On change d’air, Une étape à la fois, K pour Katrine, 3 fois par jour), relevant ainsi la fonction reproductrice des femmes, tout en rendant manifestes les attendus sociaux concernant leur capacité de gestion des responsabilités familiales et des liens socioaffectifs. Les émissions de cuisine offertes sur la plateforme font aussi la promotion des animatrices-mères qui expriment une grande préoccupation pour l’alimentation de leur(s) enfant(s), tant du point de vue de la santé que du développement du plaisir de manger, soulignant ainsi la propension au soin (care) de ces femmes. Il est souvent question, dans l’émission 3 fois par jour, de la jeune fille de Marilou et des pensées de l’animatrice pour des recettes santé qui plairont aux enfants; un épisode se voit d’ailleurs consacré à l’organisation d’une fête pour les jeunes (s01e08). La seconde émission de cuisine, K pour Katrine, met en scène un duo mère-fille qui apprête différents mets adaptés aux personnes souffrant d’intolérance alimentaire. L’émission met notamment en lumière les efforts d’une mère (Katrine) afin de concevoir des recettes adaptées aux multiples allergies et à l’intolérance au gluten de sa fille Margaux.

Plus généralement, une tendance à orienter davantage les questions d’entrevue adressées à des femmes autour de la maternité et de la conciliation travail-famille traverse les contenus de la plateforme. Dans l’émission Rétroviseur, Véronique Cloutier s’entretient avec des vedettes québécoises en revenant sur plusieurs extraits d’entrevues accordées dans le passé. L’épisode consacré à Pauline Marois, première femme élue première ministre au Québec, adopte ainsi principalement l’angle thématique de la maternité. Dans le premier segment d’entrevue, l’animatrice questionne Marois sur son accouchement, sur le sentiment de culpabilité d’une mère qui a une profession accaparante, et sur le choix judicieux d’une gardienne. Menant elle-même l’entrevue, Véronique Cloutier souligne d’ailleurs en ouverture que, derrière la politicienne, se cache d’abord et avant tout une mère (s01e05) : « Mon invitée a toujours refusé le titre de “ super woman ”, même si elle a vécu deux grossesses au cours de sa carrière politique ». De même, dans l’émission Ma génération, animée par Pierre-Yves Lord et proposant une série d’entrevues avec des personnalités publiques dans la quarantaine, l’auteure Mai Duong, la mairesse de Montréal Valérie Plante et la hockeyeuse Caroline Ouellette se voient davantage interpellées par l’entremise de leur vie familiale, leur rôle parental et la nécessaire « conciliation travail-famille », que le sont les hommes invités à cette émission. Dans la même veine, les émissions Sois, K pour Katrine, On change d’air et 3 fois par jour s’adressent aux femmes d’abord et avant tout en tant que mères.

Ce positionnement idéologique s’exprime même parfois par une revalorisation explicite de rôles traditionnels de genre. Ainsi, dans l’émission de docu-réalité On change d’air, Patricia Paquin raconte en plusieurs épisodes le retour à la terre de sa famille. Le couple représenté à l’écran est composé de deux personnalités médiatiques bien connues du public québécois (Patricia Paquin et Louis-François Marcotte), et l’émission devient ainsi prétexte à mettre en avant la division des rôles genrés à la campagne et la réhabilitation d’une identité masculine traditionnelle, axée sur le travail manuel. Lors d’une scène particulièrement probante, Patricia Paquin encense son mari en tâtant son biceps en signe d’admiration, puisqu’il coupe lui-même le bois nécessaire à leur maison (s01e05) : « R’garde si yé sexy, ça, c’t’un homme, hein! Moi, là, quand j’étais p’tite, je trippais sur euh... Charles Ingalls dans La petite maison dans la prairie, là. Je le trouvais beau! J’étais p’tite, là, pis c’était mon genre d’homme. Ben r’garde, cé ça, finalement, j’ai mon Charles Ingalls ». Sabine Chalvon-Demersay et Dominique Pasquier (1990 : 46) ont ainsi constaté, dans leur étude des animateurs télé en France, cette tendance des personnalités télévisuelles à revaloriser un modèle traditionnel et genré de la famille :

[Les] lieux communs habituels concernant la place, le rôle ou l’avenir de la famille dans la société sont souvent tendus entre ces deux pôles contrastés – un diagnostic général pessimiste qui tranche avec un constat personnel euphorique. Le tout généralement validé par une évocation archaïque, nostalgique et mythique de la famille d’antan. Ce procédé a pour résultat, sinon pour vocation, de donner à la simple observation de la règle statistique le caractère insolite d’une fabuleuse exception. Ainsi recomposé, ainsi reconverti, l’ordinaire fait l’objet d’une métamorphose.

Une telle stratégie consistant à véhiculer une vision traditionnelle de la famille et de la maternité comme s’il s’agissait d’une réponse contre-hégémonique aux normes sociales actuelles, plutôt que leur reproduction, est mobilisée par plusieurs animatrices de la plateforme Véro.tv. Ces stratégies reprennent à leur compte la rhétorique postféministe, laquelle, comme l’ont montré Yvonne Tasker et Diane Negra (2005 : 108; notre traduction), tente simultanément de reconnaître que l’égalité des genres est acquise et souhaitable, tout en « associant de façon répétée cette égalité à une perte », à laquelle il serait possible de remédier par un retour « libre » et « égalitaire » aux rôles de genre traditionnels. Dans les émissions de Véro.tv, cette impression que la domination patriarcale est bel et bien chose du passé est portée par la centralité des femmes dans les contenus et s’offre dans une logique proprement postféministe.

Plus encore, une approche intersectionnelle participe à mettre en lumière que, sous le couvert de la « diversité » des nouvelles animatrices de la plateforme Véro.tv, se trame une représentation restrictive de la féminité, associée à la femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, professionnelle, mère, mince et de classe moyenne, éludant dès lors tout enjeu de racialisation. Une telle construction de la figure de l’animatrice rejoint directement le concept de maternité hégémonique proposé par Sarah Lécossais (2016), à savoir la tendance des médias à véhiculer une vision normative de la féminité et de la maternité qui est presque invariablement le fait de femmes « blanches, de classe moyenne et supérieure, hétérosexuelles » (paragr. 3) et animées par des « impératifs de disponibilité, d’inquiétude ou encore de care » (paragr. 5).

Le traditionnalisme et l’entrepreneuriat : les socles de la plateforme Véro.tv et du postféminisme

Les célébrités, à l’instar de certaines animatrices télé, relèvent d’une construction discursive, visuelle et symbolique, et peuvent être mobilisées comme moyen de créer de nouvelles visions d’une communauté et des rapports sociaux (Turner 2014 : 6). Concrètement, à la télévision, cela passe par la réappropriation de valeurs normatives par les animatrices ou les animateurs, dans un contexte de familiarité et de sentiment de proximité avec le public (ton intime, confidences, dévoilement de faiblesses, etc.). Ce sentiment entre les personnalités télévisuelles et leurs publics, consolidé au cours des 70 ans de vie de la télévision, opère ici comme agent facilitateur pour la réception positive des valeurs et des normes portées par les discours et les représentations. Dans ces circonstances, « their apparently ordinary televisual image negotiates complex meanings surrounding gender and national identity » (Bennett 2008 : 33-34).

Partant de cette logique, les plateformes de diffusion en continu (streaming) recèlent un grand potentiel de mise en valeur de personnalités télévisuelles qui se mutent en « célébrités entrepreneuriales » (Bennett 2011 : 109). En effet, la nécessité pour les services de TPC d’assurer leur visibilité et leur rentabilité au sein d’un marché audiovisuel saturé les amène à revaloriser la signature de contrats d’exclusivité avec les « personnalités de premier plan » (top personalities) de la télévision et du cinéma. Cette situation offre donc l’occasion à plusieurs personnalités télévisuelles d’associer leur image de marque à une plateforme précise afin de favoriser leur rentabilité multiplateforme. L’association récente d’Oprah Winfrey – reconnue pour être la reine des talk-shows, du divertissement et la grande patronne d’un empire de l’empathie aux États-Unis – à Apple TV+ s’inscrit dans la même optique de rentabilité et de visibilité profitant aux deux parties. Or, la nécessité pour les animatrices de corroborer une vision normative de la citoyenne « ordinaire » et « authentique », dans ce contexte où la rentabilité prime, peut mener à revaloriser une vision traditionnelle et restrictive des identités de genre. En ce sens, les nouveaux contenus produits pour le Web peuvent avoir tendance à reproduire une sensibilité postféministe (Gill 2007), laquelle promeut des identités et des rôles sociaux analogues à ceux du passé, mais en les individualisant, de manière à occulter toute réflexion collective ou politique, au profit d’une célébration des libertés individuelles. Le contexte multiplateforme est en pleine expansion et contribuera peut-être à une plus grande multiplicité et complexité des femmes représentées ou de la représentation des rapports sociaux de genre. Pour le moment, dans le contexte québécois de la TPC, une reconduction des recettes télévisuelles ayant fait leurs preuves en matière de succès d’audience, semble toutefois dominer les choix effectués en diminuant la prise de risque financière.

Dans presque toutes les émissions de la plateforme Véro.tv, la vision traditionnelle discutée plus haut s’entrelace avec celle de l’entrepreneuriat au féminin. Le premier épisode de 3 fois par jour propose, par exemple, un reportage qui documente l’ascension professionnelle de Marilou en tant qu’entrepreneure. De son côté, Passion poussière valorise le sens des affaires de la comédienne Sarah-Jeanne Labrosse qui rénove des maisons depuis huit ans afin de nourrir sa passion pour la décoration, tout en engrangeant des profits. Dans la même veine, plusieurs segments de Sois portant sur la mode et le maquillage s’adressent explicitement à la femme d’affaires, pensée comme la spectatrice cible, ce qui naturalise et individualise du coup cette injonction au paraître pour les femmes de carrière, et suggère qu’il y aurait une image du pouvoir au féminin.

Ainsi que l’ont souligné de nombreuses chercheuses, le postféminisme est notamment axé sur une valorisation de l’entrepreneuriat (McRobbie 2009; Banet-Weiser 2012 et 2018) comme voie d’accomplissement et de liberté pour les femmes au xxie siècle. Les projets d’émancipation politique et collective des mouvements féministes se voient ainsi remplacés, dans une logique proprement néolibérale (Gill 2007; McRobbie 2009; Banet-Weiser 2012 et 2018; Rottenberg 2014), par une promotion des valeurs de l’individualisme, du leadership professionnel et de l’accomplissement par les voies du consumérisme. Céline Morin (2017 : 83) présente en abrégé le sens du postféminisme selon Bonnie J. Dow (2009) et Angela McRobbie (2009) en écrivant que « l’adage de la deuxième vague féministe, “ le personnel est politique ”, a été dévoyé en un “ le politique est personnel ”, déplaçant les problèmes structurels rencontrés par les femmes dans l’univers privé » et, conséquemment, transformant les politiques féministes en identités féministes. C’est ce que résume également Sarah Banet-Weiser (2012 : 56) : « Postfeminism in practice is often individualized and constructed as personal choice rather than collective action; its ideal manifestation, in turn, is not struggle for social change but rather capacity for entrepreneurship. » Sans vouloir vider la notion de sa complexité et des débats afférents, de manière générale le postféminisme mobilisé ici se présente comme un ensemble de postures revendiquant la liberté et l’autonomie par un éventail de choix de vie. En ce sens, il se rapproche davantage d’une conception du postféminisme qui trahirait la dimension « politique » du féminisme au sens traditionnel (Morin 2017) et croise ce que Catherine Rottenberg (2014), entre autres, nomme le féminisme néolibéral, défini par l’individualisme et le primat du choix personnel.

Plus encore, la valorisation d’un (post)féminisme entrepreneurial (Banet-Weiser 2018) par l’entremise des contenus proposés sur la plateforme Véro.tv se restreint à la promotion d’entreprises liées à des champs d’intérêt traditionnellement décrits comme féminins (cuisine, maquillage, mode, coiffure, rénovation et décoration de maison, santé et bien-être). Se voit ainsi subtilement réaffirmée une conception essentialiste des champs d’intérêt et des professions « au féminin », alors qu’en filigrane plane l’idée d’un « de facto feminism » (Rexroat 2010), vision qui s’appuie sur la présence quantitative des femmes à l’écran, doublée de leur pouvoir de choisir, de leur indépendance économique et de leur autonomie professionnelle.

La reconnaissance et la légitimation de vécus féminins

Si les éléments d’analyse présentés mettent davantage en lumière les aspects partagés, la programmation n’est évidemment pas complètement homogène ni unidimensionnelle. Ainsi, sans aller à l’encontre de nos observations, les émissions de la plateforme Véro.tv contribuent aussi indéniablement à la reconnaissance, à la réhabilitation et donc à la légitimation de vécus féminins. Des émissions (Sois, Rétroviseur) laissent entrevoir une reconnaissance de certaines inégalités hommes-femmes, notamment les doubles standards concernant l’apparence physique, ou encore l’enjeu de la charge mentale persistante des femmes dans la sphère domestique. Or, lorsque de tels enjeux sont examinés, l’animatrice évite habituellement de politiser la discussion, d’employer le mot « féminisme » ou tout autre terme qui apparaîtrait politiquement chargé. En phase avec la vision postféministe précédemment décrite, les enjeux d’inégalité hommes-femmes et le sujet du féminisme sont abordés de manière plus explicite lorsqu’il est question d’événements ayant eu lieu dans le passé, ce qui permet de présenter le féminisme comme un mouvement révolu. À ce titre, lors d’entrevues avec France Castel et Pauline Marois durant l’émission Rétroviseur, des sujets tels que les interdits relativement à la sexualité des femmes, ou encore la contraception, sont mentionnés. Cependant, le fait que la discussion porte sur des événements passés (la grossesse de France Castel, le combat de Pauline Marois pour un meilleur accès des Québécoises à la contraception) agit comme élément facilitateur qui évite d’actualiser la réflexion concernant les enjeux féministes soulevés. Le vocabulaire employé valorise plutôt l’autonomie, la liberté, l’indépendance, la force, la capacité de choisir, soit tous les termes clés du postféminisme.

La post-télévision et le postféminisme

Tout comme le magazine Véro, la plateforme Véro.tv « sert de relais à la domination symbolique d’un visage censé incarner la femme moderne. Véritable outil de capitalisation de la visibilité, […] il cristallise les représentations du public et du féminin » (Rannaud 2018 : 235). Notre analyse a permis de mettre en lumière que, dans un contexte où la numérisation des contenus et des plateformes encourage une personnalisation des pratiques d’écoute, les animatrices de Véro.tv encouragent indéniablement une conception postféministe et « popféministe » (Banet-Weiser 2012 et 2018) des vécus et des champs d’intérêt des femmes. Les émissions véhiculent des solutions aux problématiques sociales, qui passent par l’accomplissement personnel, la revendication « libre » de champs d’intérêt typiquement « féminins », ainsi que l’entrepreneuriat. Les problèmes que vivent les femmes se voient donc naturalisés et présentés sous l’angle des enjeux individuels, apolitiques, comme en témoigne d’ailleurs la tendance fréquente des émissions à enjoindre aux téléspectatrices d’« oser » davantage et d’« assumer ». L’emploi de l’impératif dans les rubriques de l’émission Sois traduit cette tendance paradoxale et postféministe à individualiser et à dépolitiser les enjeux sociaux, tout en incitant fortement les femmes à suivre les conseils prodigués pour être enfin « elles-mêmes ».

Plusieurs émissions font la promotion de la simplicité, de l’autodérision (l’importance pour les femmes de ne pas se prendre trop au sérieux), de la gentillesse, de l’humilité et de la modestie. La réalisation des émissions met fréquemment l’accent sur les moments de « décrochage » des animatrices, leurs fous rires, leur attitude badine ou leurs malaises, servant ainsi l’idée d’une authenticité et d’un lâcher prise (Sois, Passion poussière, 3 fois par jour, Une étape à la fois). De cette façon, ces émissions mettent en avant une conception traditionnelle de la femme modeste, celle-ci devant exprimer une reconnaissance quant aux privilèges qui lui sont concédés[7]. Les émissions encouragent ainsi les femmes à prendre leur place sans bousculer les choses, voire à sourire davantage et à adopter des attitudes plaisantes qui sauront séduire : « Je me trouve plus belle quand je suis de bonne humeur. Mon chum aussi, d’ailleurs. Pas mal plus belle! », affirme ainsi avec candeur Véronique Cloutier en ouverture de l’émission Sois (s01e02). En somme, comme l’a résumé McRobbie (2009 : 22; notre traduction), la rhétorique postféministe place les femmes devant un parcours de vie extrêmement balisé, lequel exige d’elles « d’être indépendante[s], de gagner leur vie, de se mettre en scène contre les commentaires humiliants, de rester drôle[s] et de bonne humeur, sans être en colère ou trop critique[s] envers les hommes, sans renoncer à leur féminité, leurs désirs d’amour et de maternité, leur sens de l’humour et leur séduisante vulnérabilité ».

Les plateformes changent, les contenus restent!

La plateforme Véro.tv, élément de la marque Véro, offre des images du pouvoir au féminin qui se déclinent par l’intermédiaire de plusieurs facettes de représentation et de (re)production du genre à la télévision. L’offre d’émissions non fictionnelles de la section s’imbrique dans une stratégie de marketing et une stratégie professionnelle visant la longévité et la capitalisation (économique et symbolique). Conséquemment, les contenus, les thèmes et les animatrices mobilisées assurent une valorisation de la célébrité entrepreneuriale (Bennett 2011) au croisement d’une vision restrictive de la féminité.

L’incarnation postféministe fait l’objet d’une mise en abîme dans l’empire culturel médiatique que désigne la marque Véro au Québec. On la reconnaît dans les diverses expressions de la marque, de la plateforme, des contenus, des thèmes et des animatrices ainsi que dans les stratégies communicationnelles et représentationnelles choisies. L’émergence et la consolidation d’identités postféministes au croisement de l’entrepreneuriat, de la domesticité et de la féminité, telles que la plateforme Véro.tv les propulse dans l’optique de tirer profit de recettes éprouvées, nous permet de souligner une dynamique à l’oeuvre dans ce que la TPC offre comme constructions du genre. Au courant des années 2000, Joanne Hollows (2008 : 155) se questionnait déjà sur la capacité des personnalités télévisuelles à offrir de nouvelles réflexions identitaires pour les femmes :

In feminist cultural studies, there has been a concern with the new postfeminist identities that have emerged ‘between feminism and femininity’ […] However, such work has largely been concerned with youthful and/or non-domestic femininities. What remains less clear is what emerges between the feminist and the housewife.

En nous inspirant de Hollows (2008 : 171), nous nous interrogeons sur ce qui émerge et se construit sur la TPC au confluent du féminisme, de la domesticité et de l’entrepreneuriat. Les contenus télévisuels ne s’adressent plus à un public imaginé de femmes au foyer, bien que des traces de cette médiation historique construisant autant la télévision que les rapports sociaux se trouvent encore au coeur d’expressions télévisuelles qui assurent un rendement financier sans risque. Dans le cas de la plateforme Véro.tv, un conformisme provisoire (Macé 2003) postféministe comme pierre angulaire des choix de la programmation télévisuelle semble agir de manière à justifier l’offre de contenus non fictionnels. Ce conformisme provisoire se joue sur des représentations articulant valeurs traditionnelles de genre et valeurs entrepreneuriales pour proposer des postures de liberté et d’autonomie aux femmes. Il permet de rassembler une audience plus large et différenciée. Ainsi structuré, ce conformisme est forcément provisoire puisqu’il puise son efficience dans les valeurs et les tendances dominantes dans un contexte spatiotemporel et culturel spécifique. Conceptuellement et empiriquement, il est permis de considérer la possibilité d’une éventuelle transformation et diversification de la plateforme (comme le laisse présager, par exemple, la nouvelle émission Comment devenir une personne parfaite). Cela invite également à envisager les propositions d’autres plateformes (Open TV, voir Christian 2018) vers un portrait plus complet et complexe.

Cela dit, à partir de nos observations, la TPC, du moins telle qu’elle a pris forme jusqu’ici sur la plateforme Véro.tv, apparaît davantage comme un nouveau lieu de construction d’identités et de discours pour les femmes, selon la conception traditionnelle de la télévision, plutôt que tel un lieu proposant de nouvelles identités et des discours novateurs sur les femmes dans la culture médiatique québécoise.