Dans son ouvrage intitulé Femmes libres, hommes libres, Camille Paglia recense plusieurs de ses prises de parole de 1990 à 2018 : articles, critiques, extraits de conférences ou d’entrevues, etc. Férocement attachée à la liberté de pensée et d’expression, Paglia annonce en introduction que l’ouvrage reconduit plusieurs propos subversifs maintes fois critiqués. Abordant rapidement son histoire personnelle relativement à l’identité de genre, elle introduit également les interactions entre recherches universitaires et culture populaire, qui sont aux fondements de sa pensée. Le premier chapitre – l’un des plus substantiels – est tiré de son premier ouvrage : Sexual Personae (1990). Paglia jette ainsi les bases quant à ses positions sur l’interaction entre sexe et genre, entre nature et culture. Pour la chercheuse, les femmes, comme la lune ou les saisons, sont éminemment cycliques : en réponse à cette supposée supériorité biologique féminine, les hommes auraient inventé la culture pour masquer leur impuissance. Par ailleurs, l’humain ne serait pas un être empli de bonnes intentions que la société pervertit, comme l’a avancé Rousseau. Se rapprochant davantage de Sade, l’autrice avance que les comportements agressifs seraient innés et que la société est plutôt le garde-fou contre les dérives. Cette idée est approfondie plus loin dans un chapitre consacré à la culture du viol (chapitre 5), où Paglia se penche sur la dynamique entre violences sexuelles et société. Les chapitres 2, 3 et 4 abordent trois figures de femmes et permettent à Paglia d’explorer le rapprochement presque mystique qu’elle dresse entre femmes et nature. La Vénus de Willendorf (chapitre 2), sculpture paléolithique, aurait été conçue alors que l’art ne poursuivait pas encore une visée esthétique. La figurine, tout en rondeurs, exemplifierait pour Paglia la femme-nature : sans bras ni jambes, elle ne peut se mouvoir et ne peut qu’être gravie comme une montagne. Le célèbre buste de Néfertiti (chapitre 3), daté de l’Égypte ancienne, représenterait la femme-culture : alors que la Vénus était tout corps, Néfertiti est tout tête, et ses traits longilignes témoignent de l’influence certaine de la culture sur les oeuvres d’art. Beaucoup plus tard dans l’histoire, la figure sexualisée et abondamment critiquée de Madonna (chapitre 4) mettrait à jour le puritanisme que Paglia reproche à plusieurs militantes américaines. La chanteuse pop convoque une vision du sexe ambiguë : elle incarne autant les plaisirs charnels et la beauté féminine que l’ambition traditionnellement associée aux hommes. Les chapitres 6 à 16 réunissent plusieurs articles de 1991 à 1997 s’attaquant à la manière dont ont été bâtis les programmes d’études féministes dans les universités américaines, ainsi qu’aux mesures internes adoptées pour contrer les violences sexuelles faites aux femmes. Ainsi, Paglia déplore dans les études féministes des années 90 (chapitres 6, 7 et 9) l’omniprésence de Lacan au détriment de Freud. En effet, l’autrice avance que, quoiqu’elles soient critiquables, les théories du père de la psychanalyse demeurent indispensables à une compréhension approfondie du sexe et du genre. Paglia s’en prend au passage à de grands noms des études féministes du xxe siècle qui, selon elle, ont sciemment négligé d’inclure à leurs théories des assises biologiques, historiques et psychologiques (chapitres 11 et 12). Pour elle, tout ce qui a été produit, hormis Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir et les travaux de Freud, est incomplet et nuisible à la lutte pour l’égalité des sexes. Paglia aborde aussi avec véhémence la délicate question du viol et du harcèlement sexuel (chapitre 8) : à son avis, créer des mesures particulières pour protéger les femmes est infantilisant, puisqu’on risque d’envisager ces dernières comme étant plus fragiles et vulnérables. Bien qu’il faille, selon Paglia sensibiliser les étudiantes …
Camille Paglia, Femmes libres, hommes libres. Sexe, genre, féminisme, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, 421 p.[Notice]
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Anne-Sophie Gravel
Université Laval