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Cet ouvrage est le résultat de nombreux échanges que les auteurs ont entretenus, depuis 2004, au sujet de l’insertion professionnelle des jeunes au Québec et en France. Le défi de proposer des contributions s’attaquant de manière croisée à ces réalités fort différentes est de taille, comme le soulignent d’ailleurs, dans l’introduction, Christian Papinot et Mircea Vultur. Les directeurs de ce collectif posent d’abord les jalons de ce qu’est, aujourd’hui, la jeunesse au travail, en relevant notamment son allongement et la désynchronisation des seuils d’entrée dans la vie adulte. Les jalons sont aussi posés quant à la vision des jeunes adoptée dans l’ouvrage : d’une part, ils sont considérés comme des acteurs de leur destinée, mais des acteurs dont la liberté est sujette à des contraintes imposées par le contexte socioéconomique; d’autre part, la catégorie « jeunesse » varie selon la société et le moment historique. Ceci porte les auteurs à proposer une analyse des effets sociétaux qui différencient les jeunesses au Québec et en France, ce qui constitue un bon point d’ancrage pour les 12 chapitres du livre. La structure de l’ouvrage est très logique : il est composé de six parties, chacune proposant deux chapitres sur un même thème, le premier du point de vue de la France, le deuxième du point de vue du Québec.
La première partie questionne de manière générale la problématique de l’insertion professionnelle des jeunes. Dans un texte particulièrement éclairant, José Rose nous renseigne sur les principaux effets de l’émergence de nouveaux statuts d’emploi et sur l’essor du travail précaire. L’auteur illustre aussi le rôle des partenaires de l’insertion dans ce processus, bien qu’une de ces logiques d’acteurs (celle du jeune) ne soit pas très approfondie. Il propose également des réflexions sur l’évolution souhaitable des politiques de formation et sur la nécessité d’appréhender la catégorie « jeunesse » en termes de génération. Il en découle une définition de l’insertion professionnelle centrée sur la question des changements « d’état [de scolaire à actif], d’espace social [de l’école à l’entreprise], et de pratiques [de la formation à l’activité productive] » (p. 38). Dans le deuxième chapitre, Richard Legris, Guylaine Baril et Catherine Ouellet présentent une vue d’ensemble de la situation des 15-29 ans au Québec. On constate notamment une présence croissante des jeunes sur le marché du travail, des taux de chômage sensibles à la conjoncture, des salaires inférieurs à la moyenne et une augmentation de la fréquentation scolaire et du travail à temps partiel. Ce chapitre comporte des analyses moins poussées que le premier, ce qui invite à la prudence face aux conclusions proposées. La prise en considération d’autres variables, comme le statut socioéconomique et l’origine des jeunes, aurait vraisemblablement fait émerger un portrait moins positif.
Dans la deuxième partie sont abordés les phénomènes de l’allongement des études et de la surqualification. La situation française est décrite dans le chapitre 3 où Pierre Merle fait état de l’existence d’un lien entre diplôme, accès à l’emploi et qualité de l’insertion, mais aussi de variations de ce lien suivant, entre autres, la rareté du diplôme et la conjoncture. Ces constatations sont d’ailleurs révélatrices d’une tendance à l’affaiblissement relatif du rendement du diplôme pour l’insertion. La remise en question de la théorie du capital humain et la mise en évidence de déterminismes sociaux dans l’accès à l’emploi constituent la force de ce texte, en dépit d’un langage parfois trop technique. Dans le quatrième chapitre, Mircea Vultur aborde ce même phénomène, cette fois-ci au Québec. Il en vient à constater des tendances somme toute comparables à la France, montrant que le diplôme est aujourd’hui une condition nécessaire mais pas suffisante pour une insertion sans entraves. On serait, par ailleurs, en présence d’un cercle vicieux, l’engouement des jeunes pour le diplôme entrainant sa dépréciation progressive. Bien qu’à certains endroits moins clairement argumentés (notamment lors des réflexions sur le décrochage scolaire), ce chapitre illustre bien la complexité de l’articulation entre scolarisation et insertion professionnelle.
La troisième partie s’attaque à la formation professionnelle. Dans le chapitre 5, Gilles Moreau propose une mise en contexte historique très instructive de ce système de formation en France, ce qui l’amène à constater que la formation professionnelle semble aujourd’hui en péril, tout en conservant certains atouts. Le péril est occasionné par la déprofessionnalisation du système de formation, mais aussi par la concurrence d’autres mesures de « formation » comme les stages d’insertion ou la validation des acquis de l’expérience. Quant aux atouts, Moreau rappelle que la formation professionnelle permet aux jeunes « moins en phase avec les normes scolaires » (p. 147) de redonner un sens à l’école, garantit tant bien que mal des bonnes perspectives d’insertion et possède une vertu de cohésion sociale. Le chapitre 5 propose une analyse historique et politique éclairante des formations professionnelle et technique au Québec. Pierre Doray montre, par exemple, que les efforts de valorisation de la formation professionnelle, mis en place depuis 20 ans, sont loin d’avoir porté leurs fruits. Cet échec serait dû à l’existence d’une norme politique en contradiction avec ces intentions, visant la facilitation de l’accès aux études post-secondaires. Si cette vue d’ensemble permet une bonne mise en correspondance avec le chapitre précédent, d’autres informations auraient pu compléter ce portrait, par exemple, concernant l’influence du milieu social ou les significations sociologiques de ces tendances, abordées rapidement dans le dernier paragraphe.
Les dispositifs mis en place pour faciliter l’insertion des jeunes sont analysés dans la quatrième partie du livre. Pour ce qui a trait à la France, Florence Lefresne propose, dans le chapitre 7, une évaluation de l’évolution et des effets des politiques de l’emploi. Elle met notamment en évidence la tendance à l’institutionnalisation d’un nouvel espace entre formation et emploi et fait part d’un certain scepticisme quant aux effets de ces mesures. Dans une conclusion inspirée, l’auteure invite à réfléchir à de nouvelles modalités de protection sociale permettant aux jeunes d’être mobiles et de se former de manière continue tout en étant couverts contre les différents risques que ces parcours peuvent engendrer. Dans le huitième chapitre, Léa Lima présente une analyse extrêmement fine des dispositifs d’insertion des jeunes au Québec. En quelques lignes, l’auteure parvient à décortiquer les différentes visions des jeunes qui les sous-entendent et à mettre en évidence les similarités et les différences entre la France et le Québec. En termes de différences, il est intéressant de constater, au Québec, un glissement vers une conception libérale des jeunes bénéficiaires de l’aide sociale, considérés aujourd’hui comme capables de choisir et donc moralement responsables de leurs difficultés d’insertion.
La cinquième partie aborde l’insertion professionnelle en termes de trajectoires. Dans leur contribution portant sur l’enquête Génération 1998 en 2005 du CÉREQ, Henri Eckert et Virginie Mora mettent en évidence, au chapitre 9, les trajectoires des jeunes en phase d’insertion en France. Parmi les éléments intéressants de ce chapitre, soulignons la mise en évidence de l’existence de deux nouveaux régimes d’insertion, appelés insertion « retardée » et insertion « paradoxale » (jeunes insérés de manière stable bien que cumulant des emplois à courte durée). Une fois de plus, une analyse considérant le rôle de variables telles que la nationalité et le milieu social aurait permis d’en savoir plus sur les facteurs qui influencent la répartition des jeunes dans ces régimes. Dans cette même lignée, Mircea Vultur et Claude Trottier mettent en évidence, dans le chapitre 10, l’hétérogénéité des processus d’insertion, cette fois, par des analyses qualitatives sur un échantillon de jeunes sortant de l’école secondaire québécoise. Bien que les procédures d’analyse ne soient pas explicitées, ce texte présente plusieurs points d’intérêt dont la mise en évidence de l’existence de plusieurs types de parcours d’insertion et du rôle protecteur que peuvent jouer l’obtention d’un diplôme et la fréquentation d’une formation professionnelle.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, deux textes s’attaquent à la question des nouvelles formes d’emploi. Par une analyse de témoignages de jeunes intérimaires, Christian Papinot propose, dans le chapitre 11, une étude de cas illustrative des caractéristiques et conséquences d’une de ces modalités d’insertion. Bien qu’il porte sur une seule de ces nouvelles formes d’emploi, ce texte développe des idées intéressantes quant à la manière dont celles-ci peuvent affecter le rapport au travail des jeunes. Nous pensons notamment aux répercussions négatives de l’intérim sur les autres sphères de vie, ainsi qu’aux tensions que cette forme de travail comporte du point de vue de l’intégration dans l’entreprise. Le livre se conclut avec un chapitre dans lequel Diane-Gabrielle Tremblay croise les aspirations et les situations d’insécurité des jeunes travailleurs au Québec. Au-delà d’un certain manque de clarté dans ses formulations et dans sa structure, un aspect intéressant de ce texte consiste en la mise en garde contre l’amalgame entre les notions de carrière nomade et de parcours précaire, invitant à distinguer entre le travail flexible choisi par l’individu et celui imposé par le contexte. Une deuxième distinction importante est celle entre sécurité du revenu et sécurité de l’emploi, cette dernière garantissant non seulement un salaire, mais aussi une intégration sociale.
À l’issue de la lecture de cet ouvrage, se pose la question de l’impression d’ensemble que celui-ci donne des jeunesses québécoise et française et de leurs rapports avec le travail. Si cela émerge spontanément dans certaines parties (la quatrième en particulier, mais aussi la deuxième et la troisième), le croisement des regards est moins facile dans d’autres parties (dans la première et la sixième, mais aussi dans la cinquième) du fait que les textes se situent à des niveaux d’analyse différents. Bien que les directeurs de l’ouvrage spécifient d’emblée que celui-ci ne vise pas une comparaison systématique, mais plutôt des croisements implicites, il nous semble qu’une synthèse, en termes de similarités et de spécificités régionales concernant les liens entre jeunesse et travail aurait constitué un atout supplémentaire de ce livre. Toujours est-il que, de par son caractère inédit, l’ouvrage constitue, sans aucun doute, une référence incontournable pour tout chercheur désirant mettre en perspective les réalités québécoise et française de l’insertion professionnelle des jeunes.