Volume 12, numéro 3, 1971 Minorités francophones
Sommaire (20 articles)
Articles
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Variations et invariance de l'Acadie dans le néo-nationalisme acadien
Jean-Paul Hautecoeur
p. 259–270
RésuméFR :
On se représente trop souvent l'Acadie comme une société «monolithique», «unidimensionnelle», «non pluraliste», un peu comme la survivance d'un antique modèle de société hiérarchique où la transmission des traditions est rigoureusement contrôlée par des grands-prêtres ou des dignitaires initiés par la « patente », et méthodiquement rythmée par les rites et cérémonies du calendrier occulte. Une telle image constituée par analogie ressemble trop au type-idéal pour rendre compte de cette formation historique originale qu'est la société acadienne. Elle est aussi trop conforme, par certains côtés, aux canons d'une idéologie unitariste pour ne pas être soumise à la critique.
Cette première représentation à laquelle se rattachent de nombreuses variations est très optimiste dans le sens où elle constitue un objet fini, non contradictoire, non problématique : la société existe en soi, tel est son modèle.
Une deuxième représentation, moins « savante » que l'autre, consiste à définir l'Acadie comme un souvenir et à ne voir en l'Acadie actuelle qu'un terrain vague parsemé des débris d'une histoire malheureuse. Il resterait quelques ilôts acadiens au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Ecosse où on parle encore un français archaïque et où l'on continue à filer et à chanter, comme dans la chanson. Ce sont eux qui justifiaient que la province du Nouveau-Brunswick se déclare bilingue alors qu'elle était renommée pour son loyalisme à la couronne britannique... Cette image, trop pessimiste, à laquelle se rattachent aussi de nombreuses variations, a des relents de l'idéologie anglo-canadienne intégratrice qui nie à l'autre toute existence autonome pour, au mieux, en faire une originalité « culturelle » à préserver.
Acadie traditionnelle, Acadie folklorique : deux stéréotypes — on pourrait en trouver d'autres — dont on découvre vite l'étroite filiation avec des formations idéologiques connues et qui ont tous deux pour conséquence de surdéterminer au départ le terrain sémantique ou de brouiller momentanément le champ d'investigation au « regard prolongé » (celui du sociologue, journaliste, homme politique, etc.).
La société acadienne est en soi une certaine configuration de rapports sociaux dont il ne sera pas question dans cet article. Elle existe aussi pour soi dans les diverses théories qu'en ont les acteurs et groupements d'acteurs sociaux. Contrairement à la théorie ou idéologie dominante, j'emploie théories au pluriel et c'est précisément de l'aventure de l'idéologie contestataire de l'idéologie officielle qu'il sera question. L'existence même du discours discordant d'intellectuels et leaders étudiants détruit la théorie simplificatrice selon laquelle la société serait un consensus et ses leaders nationaux les « chefs naturels » incontestés. Il existe deux discours visant à définir les finalités et objectifs de la société globale qui ont en commun une grande cohérence et la même prétention à faire l'unanimité des consciences. La différence est que l'un vise à protéger et perpétuer une certaine lecture de la tradition et une certaine pratique de la culture, et comme tel il a la légitimité, alors que l'autre vise à changer lecture et pratique de la culture pour donner à la société un nouveau destin. Celui-ci n'a pas comme dans d'autres formations sociales la légitimité que pourrait lui conférer l'affiliation à un club, un parti, un syndicat ou tout autre groupement organisé et reconnu : il est tenu pour sauvage, quand il n'est pas tout simplement nié comme tel.
Mon propos est le suivant : observer et comprendre le rapport des jeunes idéologues au signe Acadie ou Acadien, en suivre l'itinéraire pour retracer la genèse du projet collectif tout neuf de l'annexion de « L'Acadie » au futur Québec indépendant. Le contenu proprement dit de ce projet m'importe peu ; m'intéresse sa genèse en rapport avec le signe d'identité collective. Mon hypothèse était la suivante : il fallait que les étudiants conservent le signe, qu'ils lui donnent un sens explicite et positif pour faire entrer leur discours dans l'histoire ou pour lui donner des chances objectives de devenir collectif. Mieux : afin que le discours gagne la cohérence nécessaire pour entrer en concurrence avec le discours traditionnel, il devait faire du signe Acadie son centre. Le symbole primordial devait assurer la liaison entre l'ancien et le nouveau : il devait continuer d'être le lieu de l'échange entre le caché et le manifeste, entre la langue et la parole, entre la culture et les traditions.
J'ai distingué, dans l'évolution du rapport des nouveaux idéologues au signe Acadie, trois moments qui reproduisent à peu de choses près trois étapes successives de la praxis collective des étudiants de l'Université de Moncton : le Ralliement de 1966, les «événements» de '67-'69, la «répression» de '70-'71. Je n'ai retenu pour ce travail que les exemples les plus significatifs, sélectionnés à partir d'un fichier systématique de la production idéologique acadienne de ces dernières années. Beaucoup de documents annexes ou connexes ne seront pas reproduits ici.
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Domination et développement au Nouveau-Brunswick
Alain Even
p. 271–318
RésuméFR :
Le « Territoire pilote » du Nouveau-Brunswick est cette région du Nord-Est de la province qui comprend les comtés de Restigouche et Gloucester, à majorité francophone, et qui fut choisie comme terrain d'expérience en aménagement dans le cadre de la mise en application de la loi ARDA (Aménagement rural et développement agricole). Le choix de cette région pour l'étude des blocages extra-économiques au développement est loin d'être arbitraire, dans la mesure où elle présente en outre l'intérêt d'être une zone de pauvreté au sein d'un pays dont le niveau de vie est l'un des plus hauts dans le monde. Enfin, la relative petite taille de la région et l'absence de grands centres lui donnent un caractère homogène qui en facilite l'étude.
L'étude des structures sociales de la société qui occupe le territoire à aménager et l'analyse sommaire de la culture acadienne doivent nous permettre d'estimer dans quelle mesure le développement économique peut être entravé par des blocages de type culturel. Il ne s'agit pas pour nous de faire une analyse sociologique fondamentale de cette société mais de mettre en évidence combien sont imbriqués les facteurs économiques et sociaux.
Pour comprendre les attitudes de la population face au développement, il nous faut savoir qui elle est, quelles sont ses valeurs, comment elle peut réagir dans sa confrontation avec la société industrielle, quelle est sa relation avec les autres groupes sociaux qui l'entourent. Or le fait que la population du Nord du Nouveau-Brunswick soit principalement une minorité linguistique doit nous amener à dégager ce qui la particularise : l'état de domination culturelle du groupe acadien, à notre avis cause explicative fondamentale des difficultés économiques de la région, est ce qui ressort de l'analyse du système d'éducation et des rapports ethniques.
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La population d'origine française de l'agglomération métropolitaine de Toronto. Une étude sur la participation et l'identité ethnique
Thomas R. Maxwell
p. 319–344
RésuméFR :
Dans toute agglomération polyethnique, l'impact de la participation sociale sur l'identité du groupe s'avère être un facteur critique dans la survivance d'une minorité ethnique. Puisque l'identité est formée et maintenue par un processus d'interaction, la participation sociale, qu'elle se situe à l'intérieur ou à l'extérieur des limites ethniques, peut favoriser la conservation ou la dissolution de l'identité ethnique. L'image du Soi est façonnée par ces personnes et ces groupes avec lesquels les membres d'une minorité ethnique « participent fréquemment et partagent d'étroites similitudes de comportement ». D'autres ont déjà appelé ce processus, « l'identification participationnelle ».
L'appartenance à un groupe qui s'identifie lui-même comme tel et qui est identifié de la même façon par les autres caractérise le groupe ethnique. Une telle identité ethnique comprend non seulement la conscience de la communauté d'origine, de tradition, de langue et de culture, mais aussi une conception de ce qu'on représente aux yeux de la population environnante.
Quoiqu’éprouvée d'une manière subjective, la conscience d'une identité ethnique ne se développe que par l'interaction sociale à l'intérieur des structures institutionnelles et des organisations communautaires de la société d'origine.
La conscience d'une identité commence au sein de la famille ; elle est ensuite renforcée par l'interaction sociale à l'intérieur du contexte plus vaste de la communauté et se maintient grâce à une participation soutenue dans les structures sociales communautaires. Les modèles de participation traduisent l'ensemble des croyances, des valeurs et des buts communs aux membres de la communauté ou de la société et se manifestent extérieurement dans les rôles et statuts sociaux qui constituent le genre de vie particulier de la société. Une telle participation est un phénomène social essentiel à la formation et au maintien de l'identité ethnique.
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Parenté et héritage du patrimoine dans un village français terre-neuvien
Nicole Lamarre
p. 345–359
RésuméFR :
Toute la côte ouest de Terre-Neuve — le « French Shore » — était au siècle dernier fréquentée par les Bretons qui y péchaient depuis le traité d'Utrecht de 1713, où ils avaient acquis des droits qu'ils finirent par considérer comme exclusifs. Les « maîtres de pêche », jaloux de leurs privilèges, ne permirent cependant à aucun pêcheur de s'établir sur la côte : contrairement aux autres postes qu'ils avaient occupés dans le golfe depuis Gaspé jusqu'au Labrador, à Terre-Neuve les Français ne firent que la pêche de bateau. Entre 1825 et 1850, la compagnie saint-pierraise Campion-Théroulde acquit un monopole exclusif sur l'île Rouge, à condition d'y transporter des Bretons et des Saint-Pierrais pour la pêche d'été. C'est à partir de cette époque que quelques pêcheurs réussirent à s'établir en permanence, depuis la Grand Terre jusqu'à La Barre (du sud au nord), puis du Cap à Port-au-Port à l'entrée de l'isthme, sur les côtes de la Baie Saint-Georges. Jusqu'alors on pratiquait la pêche à la morue, mais bientôt le développement de la pêche au homard et de la mise en conserve suscita l'intérêt de nombreux groupes : les pêcheurs de la Nouvelle-Ecosse commencèrent d'affluer, les Terre-Neuviens réclamèrent leur part. Les Français durent se retirer dans six postes de la côte qu'ils gardèrent jalousement : l'île Rouge, Cod Roy, L'Anse-au-Canard, Port-au-Choix, Petit-Havre, Port-au-Port. Seuls les engagés des maîtres de pêche pouvaient résider dans ces endroits.
L'immigration acadienne se développa parallèlement, entre 1830 et 1900, à partir des Îles-de-la-Madeleine, de la Nouvelle-Ecosse, de Magree et Chéticamp au Cap-Breton. Pour demeurer indépendants des Français, les pêcheurs acadiens se restreignirent à la pêche à la morue. Ceux qui voulaient s'établir durent cependant acheter les terres aux Français et leur vendre les produits de la pêche pour acquérir les provisions d'hiver. Quelques-uns louèrent leurs services aux marchands-maîtres de pêche — les Leroux, Grenier, Tajean, Chrétien, etc. — pour la prise ou la transformation du homard ; ce sont surtout les femmes qui furent affectées à cette dernière tâche.
Depuis 1888, les Français, chassés de la côte sud par le Bait Act du gouvernement terre-neuvien, songent, malgré l'opposition des Saint-Pierrais, à abandonner leurs droits sur la côte ouest ; 1904 marquera la fin de la pêche française sur les côtes de Terre-Neuve. Les habitants reprirent les postes de l'île Rouge pour la morue et le homard ; on pratiqua une pêche mixte sur la côte de la Baie Saint-Georges. On complétait la subsistance avec le produit de la chasse et quelque jardinage et cueillette. Le développement de la coupe forestière du côté de Corner Brook, à partir de 1910, sollicita grandement les habitants de la Baie Saint-Georges : on connut alors la pratique mixte de la pêche et des chantiers, ou bien de l'agriculture — qui s'était développée — et des chantiers.
L'émigration vers les États-Unis avait commencé dès les premières générations de peuplement français ; avant la fin du XIXe siècle, plusieurs jeunes hommes s'étaient dirigés vers Boston et les centres industriels pour y faire quelque fortune. Mais l'émigration ne devint un véritable courant qu'avec les guerres, surtout avec l'érection de la base militaire américaine de Stephenville, en 1940 ; plusieurs filles de la Baie épousèrent des G.I. et partirent à leur suite aux États-Unis. Les centres actuels d'attraction sont Corner Brook, Stephenville et le Nouveau-Brunswick.
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Sources statistiques pour l'étude de l'immigration et du peuplement canadien-français en Nouvelle-Angleterre au cours du XIXe siècle. Le recensement d'Odule Laplante
Ralph D. Vicero
p. 361–377
RésuméFR :
Au cours du XIXe siècle, le Canada a subi une lourde perte plus ou moins continue de sa population qui se dirigeait vers les États-Unis. Étant donné sa situation particulière au sein de la Fédération canadienne, cet exode avait des implications de grande portée pour le Canada français, plus spécialement pour le Québec. Bien que les Canadiens français se soient répartis à travers les États du nord, la Nouvelle-Angleterre devenait au cours du siècle le foyer grandissant de leur émigration. Entre 1850 et 1900, on estime que le nombre net d'immigrants canadiens-français pouvait se chiffrer à 340,000 pour cette seule région. II est aussi probable qu'au moins le même nombre ait déménagé de façon temporaire. En fait, il serait difficile de contester la thèse d'Albert Faucher, à savoir que l'émigration vers le sud ait été « l'événement majeur de l'histoire canadienne-française au XIXe siècle » .II est donc quelque peu étonnant que les chercheurs aient accordé si peu d'attention à ce mouvement migratoire et à la répartition de population canadienne-française aux États-Unis, qui devait en résulter.
On peut en partie expliquer cette situation par ce qu'on a cru être un manque d'information, surtout un manque de données statistiques facilement disponibles. Le fait que le service de recensement des États-Unis n'ait pas réussi avant 1890 à recenser séparément les anglais et les français parmi sa population d'origine canadienne constitue l'un des principaux obstacles qui devaient vouer à l'échec les efforts d'un grand nombre de chercheurs. Ce problème a été partiellement résolu en 1890 par le dénombrement séparé de la population canadienne-française de première et seconde génération. On a omis cependant le groupe remontant aux générations antérieures dont le nombre s'accroissait rapidement. Pour une analyse spatiale, les données perdent malheureusement beaucoup de leur valeur — en particulier pour la Nouvelle-Angleterre — puisqu'elles n'ont pas été publiées par division civile à l'échelle inférieure à celle du comté. Et même à ce niveau, les données ne s'appliquent qu'à la population canadienne-française née au Canada. II s'ensuit qu'une grande partie des écrits historiques, particulièrement ceux qui ont trait à l'immigration d'avant 1890, sont imprécis et même souvent de nature conjecturale ou trompeurs. Les obstacles sur lesquels ont si longtemps achoppé les historiens sont ceux que nous avons rencontrés dans nos recherches pour l'étude de l'immigration canadienne-française en Nouvelle-Angleterre avant 1900. Cependant nous avons été quelque peu étonnés de découvrir qu'il existait en fait une grande variété de sources. Une partie seulement de ces sources ont été utilisées par les chercheurs, d'autres n'ont reçu qu'un bref coup d'œil. Ce texte a pour but d'examiner brièvement ce matériel précieux, souvent obscur, et de suggérer comment, par l'utilisation de certaines sources manuscrites, on peut arriver à des résultats très significatifs dans l'étude de l'immigration et du peuplement canadien-français en Nouvelle-Angleterre et dans l'ensemble des États-Unis au cours du XIXe siècle.
Nous n'avons pas l'intention d'épuiser le sujet abordé ; le matériel généralement connu et facilement disponible sera simplement signalé. Nous mettrons plutôt l'accent sur les sources plus précieuses ayant trait à la Nouvelle-Angleterre, qui sont passées en général inaperçues et qui contiennent des données statistiques importantes.
Comptes rendus
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Heinz KLOSS, Les droits linguistiques des Franco-Américains aux États-Unis
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Marcel RIOUX et Yves MARTIN, (éd.), La société canadienne-française
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Pierre W. BÉLANGER et Guy ROCHER, (éd.), École et Société au Québec : éléments d'une sociologie de l'éducation
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Albert FAUCHER, Histoire économique et unité canadienne
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Jean-Luc MIGUÉ (éd.), Le Québec d'aujourd'hui. Regards d'universitaires
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Vincent LEMIEUX, Parenté et politique. L'organisation sociale dans l'Île d'Orléans
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Vincent LEMIEUX, (éd.), Quatre élections provinciales au Québec
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Maurice PINARD, The Rise of a Third Party. A Study in Crisis Politics
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Gérard DION et alii, Pouvoirs et pouvoir en relations de travail
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Paul STRYCKMAN, Les prêtres du Québec aujourd'hui
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Jean-Paul ROULEAU, Le prêtre vu par des étudiants de niveau collégial
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Hélène BERNIER, La fille aux mains coupées
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Catherine JOLICOEUR, Le vaisseau fantôme