Comptes rendus

Guy Laforest, Pour la liberté d’une société distincte. Parcours d’un intellectuel engagé, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 352 p.[Notice]

  • Marc Chevrier

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  • Marc Chevrier
    Département de science politique,
    Université du Québec à Montréal.

Courage, lucidité, franchise, ce sont les trois mots qui viennent immédiatement à l’esprit à la lecture du dernier ouvrage de Guy Laforest qui y rassemble, dûment réécrites pour les lier les unes aux autres dans une même trame, ses analyses de l’avenir politique du Québec et du Canada publiées au cours des quelque quinze dernières années. Le sous-titre de l’ouvrage en dévoile la véritable nature : parcours d’un intellectuel engagé, d’un intellectuel qui n’a pas craint ni de tenter l’aventure de la politique active, ni d’en sortir, et qui nous livre, dans des essais proches du témoignage, ses inspirations, ses évolutions, ses paris, ses déceptions et ses espoirs. Nous sommes loin de l’analyse froide et dépassionnée qui embrasse la science en pensant tenir à distance la fureur et le tumulte de l’arène politique. Mais la qualité de la réflexion n’en souffre pas pour autant ; au contraire, elle s’augmente de ces doutes exprimés, de ces cartes si ouvertement jetées sur table. D’un tel ouvrage, on retient aussi bien le ton que le propos. Le livre est en fait habité d’une grande inquiétude : la présomption, qui confine à l’aveuglement, des intellectuels et de la classe politique au Canada sur leur capacité d’influer sur le cours des choses. Les premiers, enfermés dans le cocon de leur pensée souveraine, tendent à exagérer leur pouvoir à court terme sur les événements et à sous-estimer leur influence à long terme ; les acteurs politiques, tel que les élites québécoises souverainistes et trudeauistes, abusent de leur position dominante ou paient leurs illusions naïves de reculs politiques collectifs qu’ils n’osent s’avouer. La thèse centrale de l’auteur est que depuis la fin du XVIIe siècle, l’élargissement de la liberté politique du Québec, d’une part, et la quête de sécurité et de reconnaissance identitaire, d’autre part, ont rarement pu marcher de concert, si bien que les tentatives que le Québec a hasardées pour s’affranchir d’un coup de ses multiples tutelles impériales se sont souvent faites à son détriment. Il n’y a ni fatalisme, ni résignation dans cette lecture, que Laforest a voulue philosophique, de l’histoire politique du Québec. Cependant, il rappelle, tout au long de ses écrits, qu’une nation historiquement dominée et au surplus dirigée par une élite viscéralement divisée doit faire montre de prudence élémentaire quand elle ambitionne de secouer le joug qui l’étouffe. Un bond en avant raté se termine souvent par deux sauts en arrière. De même que l’échec des rébellions patriotes de 1837-1838 finit par dépouiller le Bas-Canada de sa liberté politique, de même les référendums de 1980 et 1995, que Laforest présente comme des rébellions démocratiques, ont précipité le durcissement de la tutelle que le régime canadien n’a jamais cessé d’exercer sur le Québec. Inlassablement, Laforest s’est employé à montrer que la manifestation la plus radicale de ce durcissement, le rapatriement unilatéral de 1982, a profondément altéré le pacte fédéral canadien, au point d’y inscrire une logique unitaire qui plie sous sa dynamique les institutions et les allégeances. Cette réforme, écrit Laforest, n’est rien de moins qu’une entreprise délibérée de soumettre le Québec à un ordre politique postulant l’existence d’un seul peuple, d’une seule nation, sur le territoire canadien. Ce fut en quelque sorte une seconde conquête du Québec, conduite en contravention avec les principes de consentement et de continuité, et contraire au droit de veto dont on a négligemment nié l’existence ; le fait que cette réforme ait été orchestrée par des Québécois ne change rien à la réalité du coup de force. Plus tragique encore fut l’abîme dont le Québec et le Canada ont approché les bords, au lendemain du …