Comptes rendus

Licia Soares de Souza, Utopies américaines au Québec et au Brésil, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2004, 142 p.[Notice]

  • Patrick Imbert

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  • Patrick Imbert
    Département des lettres françaises,
    Université d’Ottawa.

Le but de l’ouvrage est d’entamer une réflexion comparative sur les questions touchant les utopies dans les Amériques dans le contexte de l’étude des mythes. Un des éléments de base de ces mythes touche les transformations, l’invention du nouveau et la capacité à ne pas résoudre ce qui pourrait être perçu comme contradictions mais qui est expression du multiple et de l’hybride. Gérard Bouchard, dans le cadre de son projet Érasme, propose de cerner cette problématique dans les Amériques de la manière suivante : « Je définis le mythe comme une représentation ou un système de représentations données pour vraies, dont la propriété est d’imputer une signification d’une façon durable. » Cette définition, dans le livre de Licia Soares de Souza, va dans le même sens que celle de Louis Marin qui parle du récit utopique comme de la mise en scène d’oppositions et de contradictions qui ne se résolvent pas nécessairement dans un système idéologique achevé. Dans ce contexte, Licia Soares de Souza propose des analyses comparatives de romans québécois et brésiliens qu’elle assemble par paires reposant sur des similitudes mythico-thématiques et sur des simultanéités temporelles. En effet, ils ont presque tous été produits dans les années 1930. Pourquoi ces années ? Au Brésil, c’est l’époque du passage du mouvement moderniste représenté, entre autres, par Oswald de Andrade, vers un retour à un cycle terrien. Au Québec, est bien ancrée l’idéologie de la terre ancestrale menacée toutefois par les avancées du capitalisme et de la présence des étrangers. Les romans retenus sont Mar Morto de Jorge Amado (1936) comparé à Menaud maître-draveur de Félix-Antoine Savard (1937), Les terres du bout du monde de Jorge Amado (1942) comparé à Trente Arpents de Ringuet (1938), et finalement, Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon (1933) et Sao Bernardo de Graciliano Ramos (1934). Tous ces ouvrages vont permettre une analyse fine des dynamiques des Amériques à partir de trois éléments qui mettent en scène le nouveau : le multiculturalisme du continent, les rapports des différentes cultures à la culture centralisatrice et l’histoire générale du continent et de ses éléments culturels. Cela signifie que Licia Soares de Souza, comme d’autres auteurs qui se consacrent aux Amériques (Zila Bernd, Gérard Bouchard, Amaryl Chanady, Patrick Imbert, Yvan Lamonde, Winfried Siemerling, etc.), ne se sent pas obligée de passer par les codes européens pour comparer. Par les notions de collectivités neuves et de rencontres hybrides reliées aux approches de Gérard Bouchard, et aussi d’anthropophagie que l’auteure reprend au Manifeste anthropophage de Oswald de Andrade (1928), Utopies américaines au Québec et au Brésil propose une lecture de figures utopiques et mythiques renouvelant nos lectures. L’anthropophagie est un concept clé qui agit dans l’ouvrage. Elle peut être définie comme le désir d’inventer l’hybride en rejetant la copie des codes et canons européens. Cela signifie que les écrivains du Nouveau Monde devront dévorer les sources utiles et s’en servir en les recontextualisant tout en rejetant ce qui est inadéquat, en particulier toute forme de monolithique qui réduirait les diversités des Amériques et leurs multiples cultures et discours, au marginal sinon au barbare. De ce point de vue, on se serait attendu à ce que l’auteure fasse mention de l’Argentin Sarmiento, auteur de Facundo, qui a diffusé au XIXe siècle, le paradigme barbarie / civilisation sur tout le continent. C’est de ce paradigme qui valorise la civilisation européenne par rapport à la « barbarie » du continent et de ses cultures non européennes, que se détachent non seulement Oswald de Andrade, mais tout théoricien contemporain qui se consacre aux Amériques sans passer par des références européennes. Donc, …