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La ville et la nature font-elles bon ménage ? La défense de la nature a pris naissance à la fin du XIXe siècle autour des idées de préservation des espaces naturels d’intérêt écologique et géologique et de conservation des ressources. La ville a-t-elle pour autant été oubliée ? Pas du tout, car il a fallu, avec l’urbanisation accélérée, réagir aux pollutions de l’air et de l’eau en ville. Mais, depuis la flambée environnementaliste des années 1960 et 1970, les objets de revendication se sont multipliés, notamment lorsque la santé humaine est menacée. L’environnement, contrairement à une peau de chagrin, est un champ d’une extraordinaire étendue.
Les textes réunis par Boisvert et Negron-Poblete se proposent de montrer comment la ville est un enjeu environnemental à plusieurs visages. Comme c’est souvent le cas dans les collections, il n’y a pas d’idée directrice qui unisse les textes, bien que l’évaluation environnementale puisse agir comme thème intégrant plusieurs chapitres. Les directeurs de la publication ont écrit une introduction très détaillée, qui dispense les recenseurs de résumer chaque texte, leur laissant le loisir d’être plus sélectifs.
Les textes sont regroupés sous trois grands thèmes, que l’on peut succinctement nommer : risques, impacts et paysages. L’enjeu environnemental urbain le plus général est le développement durable. La Commission mondiale sur l’environnement et le développement, à qui l’on doit la définition la plus utilisée de développement durable, a consacré un chapitre à la ville, étant consciente que l’urbanisation mondiale s’accélérait et que, d’ici peu, une majorité d’êtres humains vivrait dans des villes. Comment savoir si les villes sont sur la voie du développement durable ou s’en éloignent ? Barcelo, dans un texte voué à aider la prise de décision publique, propose d’utiliser une variété d’indicateurs de développement durable urbain. Les indicateurs d’étalement urbain, qui ont servi de référence jusqu’ici, ne mesurent qu’un aspect, si important soit-il, de la « soutenabilité » urbaine. Barcelo suggère une palette plus large d’indicateurs, qu’il distingue en indicateurs d’état, de pression et de réaction. Plusieurs villes ont déjà adopté une nomenclature similaire. Elles peuvent ainsi évaluer les progrès, pointer du doigt les problèmes, se centrer sur les défis.
Les sols contaminés et la « forêt » urbaine sont l’objet de grandes préoccupations et d’études de plus en plus nombreuses. La gestion des sols contaminés s’est modifiée, passant d’une gestion par critères fixes et universels à une démarche axée sur la gestion des risques. Le risque est une notion relative : relative à l’expérience vécue et relative aussi à l’utilisation que l’on peut faire d’un objet ou d’une situation, comme un sol contaminé. Alors que l’on aurait pu penser que la première approche est la plus rigoureuse, Rouisse et Trépanier, s’appuyant sur des pratiques de plus en plus courantes, croient au contraire que la seconde est plus féconde, moins rigide et plus flexible, et qu’elle permet d’adapter la méthode à l’objectif visé et non le contraire. Sénécal et Saint-Laurent plaident en faveur de la protection et de la restauration des boisés urbains, souvent menacés. Ils se penchent aussi sur de nouvelles pratiques qui visent à créer des continuités spatiales entre les espaces verts, boisés urbains, parcs et jardins dans des couloirs continus de « nature » en ville. Selon eux, une forêt urbaine mieux protégée et aménagée peut contribuer à l’amélioration de la qualité de vie urbaine, esthétique, récréative et écologique, et même faire sa part (maigre, j’ajouterais), à titre de puits de carbone, à la réduction des gaz à effet de serre.
La gouvernance environnementale a-t-elle été mise à mal par la tempête de verglas de 1998 dans le sud du Québec et l’est de l’Ontario ? Il s’agissait certes d’un événement rare, voire unique, mais la sécurité civile et l’administration publique ont été très fortement sollicitées. Florence Paulhiac examine comment les pouvoirs publics ont réagi à ce sinistre. Elle se penche sur l’efficacité des interventions gouvernementales, qui n’ont pas si mal réussi, mais s’interroge à savoir si une véritable culture de sécurité face aux accidents techno-environnementaux et aux catastrophes naturelles a pénétré les instances décisionnelles. S’appuyant sur les textes juridiques et réglementaires, elle y voit des efforts de préparation et de coordination, mais aussi de grandes lacunes. Elle se prononce en faveur d’un renforcement des règles, des directives et des plans d’intervention, au risque, je crois, de nuire à l’initiative individuelle, publique, locale et spontanée qui peut souvent très bien servir les populations touchées. Il y a danger à tout remettre dans les mains de l’État, car les gens et les instances locales peuvent se sentir trop dépendants des actions d’en haut. Le juste équilibre entre l’action publique centrale et les initiatives individuelles et locales demeure une question importante qui ne comporte pas de réponse universelle et définitive.
L’évaluation environnementale et les études d’impact font l’objet de quatre textes fort différents les uns des autres. Deux affichent des positions assez opposées. Pierre-Yves Guay déplore le caractère presque exclusivement technicien (technocratique dans ses termes), expert et quantitatif des études d’impact, qui gomment ou passent sous silence les dimensions normatives (axiologiques dans ses termes), subjectives et personnelles. L’évaluation environnementale est monopolisée par des experts, qui souvent accordent peu ou moins d’importance aux aspects perceptifs et vécus et, de manière générale, aux impacts sociaux et culturels. Guay s’en prend au discours d’expert, qui masque ses propres choix de valeurs. Si on peut de plus en plus arriver à faire des études sur les impacts sociaux qui se fondent sur une méthodologie quantitative, elles resteront toujours limitées si elles ne permettent pas une évaluation et une discussion au sujet des valeurs.
Le texte de Tellier et de Wotto est une réponse aux propos de Guay. Les auteurs défendent la technicité des études d’impact qui permettent, grâce aux données quantitatives, de mieux apprécier la complexité des situations, la variété des effets des projets et la diversité des réactions des milieux physiques et humains. À cette fin, ils présentent une gamme de méthodes qui ont fait leurs preuves, même si elles ne répondent pas tout à fait adéquatement aux critiques de Guay. Les autres textes sont centrés sur des cas et des problèmes particuliers : les chevauchements dans l’évaluation environnementale entre le gouvernement fédéral et le gouvernement québécois, chevauchements qui ne sont pas si nombreux, mais qui irritent quand ils se produisent ; la pratique de l’évaluation stratégique en France, qui élargit l’évaluation des impacts aux politiques et programmes, ne se limitant plus aux seuls projets.
La troisième partie s’intéresse aux régions, urbaines aussi, et aux paysages ; elle puise ses exemples en France et au Canada. La France a fait une large place, à la suite de nouveautés conceptuelles et de changements juridiques et réglementaires, à une appréciation plus grande des paysages, considérés comme un tout, une entité englobante qui comprend des aspects écologiques, humains, techniques, politiques. Si on a longtemps pensé le paysage comme un patrimoine ancien et historique, construit ou naturel, la loi française laisse une large place à des conceptions plus actuelles qui doivent être en grande partie négociées par les acteurs concernés.
La ville de Vancouver a pris, comme le rappelle Régis Guillaume, le virage du développement durable et de la qualité de vie dès le milieu des années 1970. Elle n’a pas depuis douté de son choix et a maintenu le cap. Vancouver s’insère, toutefois, dans un environnement urbain beaucoup plus large. La région abrite la moitié de la population de la province et, étant donné la forte immigration, internationale comme nationale, elle subit de grandes pressions sur le sol, la qualité de l’environnement et les équipements, dont les routes et les autoroutes urbaines. L’administration métropolitaine a adopté une politique d’orientation et de contrôle de l’urbanisation visant une urbanisation plus compacte ; elle a pu la faire valoir aux élus et aux municipalités de banlieue, mais ne peut la leur imposer. Guillaume met en évidence l’harmonie de finalités qui marquent la ville centre et ses banlieues, alors que d’autres sont plus sensibles aux contradictions et aux difficultés de coordonner les actions municipales. Si Vancouver se vante de son urbanisme de la « verticalité » dans un contexte nord-américain qui, sauf quelques rares cas, y est farouchement opposé pour des fins résidentielles, il reste que ce « modèle de Vancouver » ne s’applique qu’à la ville centre et exclut presque complètement les banlieues qui ressemblent à s’y méprendre à ce qui se fait de plus étalé au Canada.
Dans les régions économiquement fragilisées par les changements économiques et la mondialisation, comment se posent les enjeux environnementaux lorsqu’on doit décider d’un projet industriel d’envergure prévoyant de grandes retombées économiques ? Serait-on tenté, se demande Marie-José Fortin, de taire les préoccupations environnementales de peur de perdre le projet ? En se penchant sur les paysages, construits comme naturels, Fortin montre que les participants aux consultations tentent de ménager la chèvre et le chou. Si on veut du projet à cause des bénéfices économiques qu’il rapportera, on est aussi sensible à la préservation de la qualité de vie et de la valeur environnementale du milieu qu’on habite. Le texte de Fortin s’appuie sur des études de cas régionales, dont j’aurais souhaité en savoir plus, et prend fortement position pour une prise en compte plus grande des paysages dans l’évaluation environnementale. On sait que l’idée de paysage a évolué et que l’apparition de l’expression de paysage urbain est assez récente (texte de Frédéric Pousin). Le paysage est un tout très englobant qui peut être évalué objectivement et subjectivement. Certains préféreraient mettre, dans l’évaluation environnementale, le paysage de côté, car il est trop entaché de subjectivité. Or, comme pour les études de perception des risques, qui n’ont plus à faire leurs preuves, il existe des méthodes d’enquête qui peuvent cerner de manière plus quantitative les appréciations subjectives des paysages. Par des enquêtes statistiques, on peut appuyer de manière plus quantitative et représentative d’une population les témoignages sur les bienfaits et les raisons de protéger les paysages que Fortin a décelés dans les mémoires de consultation qu’elle a étudiés.
Ce livre contient plusieurs textes de qualité. Il lui manque cependant un fil conducteur. Le titre est en partie trompeur, puisque plusieurs textes, tout en traitant de l’environnement, de paysages et d’évaluation environnementale, ne portent pas ou très peu sur le milieu urbain. De plus, l’ouvrage ne présente pas de bonnes études de cas qui pourraient constituer une référence obligée sur le sujet. Il comprend de bonnes discussions théoriques et méthodologiques, des textes critiques, mais les applications des idées exposées et débattues à des cas précis sont rares ou partielles.