Notes critiques

Sociologie du Canada françaisGilles Paquet, Tableau d’avancement. Petite ethnographie interprétative d’un certain Canada français, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2008, 231 p. (Gouvernance.)Joseph Yvon Thériault, Faire société. Société civile et espaces francophones, Sudbury, Prise de parole, 2007, 386 p. (Agora.)Joseph Yvon Thériault, Anne Gilbert et Linda Cardinal (dirs), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada. Nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, Montréal, Fides, 2009, 562 p.[Notice]

  • Simon Langlois

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Jusqu’à la Révolution tranquille, l’espace national et symbolique du Canada français s’étendait bien au-delà des frontières de son foyer principal – la province de Québec, comme on la désignait alors – incluant même les paroisses canadiennes-françaises de la Nouvelle-Angleterre au début du XXe siècle. L’Acadie occupait une place à part et ce, depuis le début de la colonisation comme le montrent les récits de voyages des XVIe et XVIIe siècles qui présentent le Canada et l’Acadie comme étant deux entités différentes. De la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu des années 1960, on parlait de diaspora pour décrire ces paroisses et villages peuplés de Canadiens français, qui sont devenus par la suite des francophones hors Québec lorsque la référence nationale québécoise s’est imposée. Ces Canadiens français se sont sentis « orphelins de leur nation » (Marcel Martel) et ont eu le net sentiment que le Québec les avait abandonnés à leur sort lors de la modernisation de ses institutions et lors de l’avènement de l’État-providence moderne. S’il est juste de parler de désintérêt et même d’abandon, il faut tout de suite ajouter que cette partie de l’ancien Canada français a connu sa propre révolution tranquille et sa propre mutation endogène et que les contours nouveaux qu’elle a pris dans le dernier tiers du XXe siècle sont le résultat d’un profond travail de refondation et de reconstruction des identités et des institutions qui est parallèle à celui qui a eu cours au Québec. Autrement dit, cette portion du Canada français ancien située en dehors des frontières québécoises s’est elle-même refondée sur de nouvelles bases. Les trois ouvrages examinés dans cette note critique en examinent les contours nouveaux. Il faut rappeler que ce travail de redéfinition avait d’abord commencé en Nouvelle-Angleterre dans la première moitié du XXe siècle avec l’abandon du rêve d’y construire un prolongement du Canada français. Les Canadiens français des États-Unis y sont devenus des Franco-Américains, puis des Américains d’origine canadienne-française, et même, pour plusieurs, des Américains d’origine française tout court, une identité plus prestigieuse qui les relie à Champlain et à Lafayette – deux figures historiques importantes aux États-Unis – plutôt qu’aux pauvres cultivateurs de la vallée du Saint-Laurent ayant fui la misère. Minoritaires au sein du Canada anglais, inférieurs en nombre à bien d’autres groupements issus de l’immigration internationale, il était inévitable que les Franco-Canadiens aient eu eux aussi à se redéfinir collectivement compte tenu de leur situation propre, non sans exprimer quelques aigreurs vis-à-vis les Québécois, comme on l’a vu notamment lors du premier Référendum sur la souveraineté (1980) et lors de l’échec de l’Accord du Lac Meech (1992). Avec le recul, nous voyons mieux maintenant que la refondation et la refonte des institutions, bien que rendues nécessaires par les mutations de l’ancienne nation canadienne-française, étaient aussi appelées par le statut de minoritaires des Franco-Canadiens dans le Canada multiculturel et par la montée de l’État-providence qui instaurait de nouveaux appareils institutionnels. On a alors parlé de fractionnement identitaire et de cassure des liens entre les Québécois de langue française et les Franco-Canadiens, mais la question est plus complexe, comme on le verra. Où en sont les Franco-Canadiens à l’aube d’un nouveau siècle ? Les trois ouvrages analysés dans cette note critique offrent des perspectives diversifiées sur le travail de refondation qui a eu cours depuis quarante ans au sein du Canada français, bien à distance de ce qui s’est passé dans la diaspora américaine. Gilles Paquet et Joseph Yvon Thériault tiennent pour acquise la fracture au sein de l’ancien Canada français – entre le Québec et ce que Paquet appelle …