Note critique

Les origines écossaises du nationalisme au QuébecPhilippe Reid, Le regard de l’autre. La naissance du nationalisme au Québec, Québec, L’instant même, 2008, 258 p.[Notice]

  • Marc Chevrier

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L’auteur a élaboré sa thèse « écossaise » à peu près comme ceci. Il reprend de l’historienne Anne-Marie Thiesse l’idée que la fabrication du nationalisme en Europe est une invention littéraire, dont la paternité reviendrait au Homère écossais, James MacPherson, alias Ossian, qui ressuscita des poèmes épiques du passé gaélique mythique de l’Écosse. À peu près toutes les nations européennes se composeront ainsi une histoire et une littérature nationales en se découvrant des coutumes et des traditions dans un peuple ancestral glorieux. Un autre Écossais, Walter Scott, va raffiner le processus de fabrication avec le roman historique, à une époque où les historiens n’écrivaient que des histoires de monarchie. Pour l’analyse de l’émergence du discours nationaliste au Québec, l’auteur élabore une approche constructiviste, qu’il compose par emprunt à Georges Balandier, Marx et Weber, par laquelle il prend ses distances d’avec l’approche fonctionnaliste d’un Guy Rocher. Si bien que pour étudier les représentations idéologiques qui façonnent une société, il faut s’arrêter aux groupes sociaux en concurrence dans un même espace social, lesquels groupes s’insèrent dans une structure sociale qui prescrit leurs rôles sur la base de valeurs sous-jacentes. Les groupes se font une image d’eux-mêmes comme de leurs concurrents, de telle sorte qu’il arrive que l’image négative que l’un se fait de l’autre soit reprise par ce dernier pour se définir lui-même. C’est ce processus d’intériorisation par l’autre que Reid croit observer au Bas-Canada, où il voit s’opposer une puissante élite marchande formée pour une bonne part d’Écossais issus de la région de Glasgow qui noyauta l’administration coloniale et une petite bourgeoisie professionnelle canadienne qui finira par détrôner les seigneurs et dominer la chambre d’assemblée. Son enquête a consisté à dépouiller les articles du Canadien, parus entre 1806 et 1842, et à renvoyer dos à dos les « images » que les groupes se font l’un de l’autre. L’un des constats de l’auteur est que les « Canadiens » ne se définirent pas d’emblée comme peuple ou nation face à leur vis-à-vis. Ce sont plutôt ces derniers qui les premiers virent dans la population canadienne une race distincte, un peuple agraire et inférieur, incarnant un morceau oublié et immuable de la France du XVIIe siècle. En dépit de la lutte qui les oppose à ce parti mercantiliste écossais qui a ses entrées auprès du gouverneur comme à Londres, les Benjamin Viger, Étienne Parent et François-Xavier Garneau finirent par adhérer eux-mêmes à l’idée que leur groupe forme une société française, catholique et rurale, à l’existence purement provinciale, séparée d’une société britannique en expansion destinée au commerce et à l’industrie. Cette même image de races rivales dans un même État, Lord Durham l’aurait reprise, selon Reid, des marchands écossais de Montréal dont Durham était proche. Si ces marchands et Durham justifient la domination britannique par la supériorité de la race « anglaise », les élites canadiennes tombèrent dans le même travers en se reconnaissant leur propre supériorité, dont l’Église catholique sous Ignace Bourget aurait magnifié la vocation spirituelle. Le discours de l’élite marchande montréalaise, au bout du compte, aura eu une influence déterminante, même chez les intellectuels québécois au XXe siècle, tels Fernand Ouellet, André J. Bélanger, Jean-Charles Falardeau, Hubert Guindon et Marcel Rioux qui adhérèrent, chacun à leur manière, à la vision traditionaliste et stationnaire de la société canadienne-française. Par sa démonstration, Reid prétend ainsi faire une sociologie rigoureuse, dont le seul souci est d’expliquer comment une certaine représentation de la société véhiculée par un groupe en vient à dominer l’ensemble de l’espace social, ce que n’auraient pas su faire ni Fernand Dumont, ni Gérard Bouchard son disciple, tous …