Comptes rendus

Jocelyn Létourneau, Le Québec entre son passé et ses passages, Montréal, Fides, 2010, 250 p.[Notice]

  • Éric Bédard

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Dans ce recueil d’essais et d’études qui rappelle beaucoup Passer à l’avenir (Boréal, 2000), Jocelyn Létourneau revient sur les thèmes qui ont fait sa renommée dans le milieu des spécialistes de la question identitaire québécoise. À nouveau, il invite les historiens à sortir du récit de l’inachèvement national et à proposer de nouvelles interprétations d’événements comme la Conquête ou les Rébellions qui occuperaient toujours le centre de notre mémoire collective – comme en font foi les enquêtes qu’il mène auprès de ses étudiants de première année depuis longtemps (chap. 2). À nouveau, il se fait l’apôtre de la complexité du réel et soutient que seul « l’univers oxymorique » (p. 131) permettrait de saisir un tant soit peu la condition québécoise. Comme dans ses travaux précédents, il confond la mémoire et l’histoire, assimile le rapport général au passé et le travail historiographique. Entre ceux qu’il appelle les « conservatistes », ces nationalistes renfrognés attachés à la « mytho-histoire », et les tenants d’un multiculturalisme désincarné, le professeur de l’Université Laval se présente, d’entrée de jeu, comme l’homme du juste milieu. À la lecture des 13 chapitres, on comprend cependant que les conservatistes sont sa cible principale. Ce sont eux qui empêcheraient l’éclosion d’un nouveau récit « pluraliste », plus conforme aux voeux de cette « Cité globale » cosmopolite que serait devenu Montréal, avant-garde du Québec en devenir. Ce sont aussi eux qui freineraient les nobles aspirations des « réformistes » de la mémoire et de l’histoire, groupe auquel il s’identifie et qui aurait inspiré le nouveau programme d’histoire au secondaire et le rapport Bouchard-Taylor. S’ils sont dénoncés avec force, ces conservatistes – jamais nommés clairement – seront déçus de découvrir que leurs arguments ne sont presque jamais pris de front et discutés sérieusement. Les historiens plus empiristes qui reprochent depuis longtemps à Jocelyn Létourneau de préférer l’essai impressionniste aux démonstrations plus rigoureuses fondées sur les recherches en archives risquent d’être encore déçus. Lorsqu’on le lit attentivement, on comprend toutefois qu’un tel reproche est vain. C’est qu’aux yeux de Létourneau, l’histoire serait d’abord une affaire d’interprétation ; les historiens seraient moins des chercheurs que des paroliers qui proposent des récits aux consommateurs/citoyens du « marché des idéologies » (p. 98). Jocelyn Létourneau est l’un des rares historiens québécois à avoir fait sienne la posture postmoderniste du « tournant linguistique », l’un des seuls à vouloir encore convaincre que l’histoire, même universitaire, n’est au final qu’affaire de mots. Comme il tente de le montrer dans son chapitre 10 consacré à la littérature migrante, certainement le plus fouillé, les mots ne font pas que décrire la réalité, ils la transforment. Ce sont les mots qui dénouent les impasses et permettent d’envisager un monde nouveau. Démiurge, l’historien permet de « passer à l’avenir » lorsque, grâce à son imagination et à sa plume, il réussit à proposer un récit qui rendrait nos enfants un peu plus sereins et heureux. C’est du moins le sens ultime qu’il donne à sa démarche dans la citation en exergue.