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Les travaux sur les grandes villes canadiennes se multiplient, chacun adoptant un point de vue particulier. On a examiné, par exemple, la géographie économique de ces régions urbaines à la lumière des défis de la mondialisation; on les a auscultées sous l’angle des changements politiques et institutionnels et sous celui des changements démographiques et culturels. Cet ouvrage jette un regard critique sur l’aménagement et l’urbanisme de cinq métropoles canadiennes : Montréal, Québec, Ottawa-Gatineau, Toronto, Vancouver.
On y apprend beaucoup parce que chaque métropole fait l’objet d’une étude approfondie d’un des aspects qui caractérisent l’urbanisme et l’aménagement. Cinq métropoles, six cas différents, cinq regards de chercheurs tout aussi différents : comment réunir ces exemples en un ouvrage relativement homogène? Pour y parvenir, Michel Gariépy et Olivier Roy-Baillargeon ont écrit une introduction qui oriente le lecteur à travers les cas géographiques et thématiques. En l’organisant autour des concepts de participation, de gouvernance et de planification territoriale, ils nous mènent à travers les études de cas vers ce qui à la fois les distingue les unes des autres et les réunit. Tous les auteurs font référence à ces trois concepts organisateurs, de manière souvent assez différente et sans leur donner le même poids dans leur étude. Par exemple, pour la métropole montréalaise, c’est la participation publique et sa capacité à influer sur les décisions qui importent aux auteurs. La métropole de Québec est examinée à la lumière des nombreux changements de gouvernance qui ont marqué son évolution depuis la création de structures régionales. Gatineau pose aussi la question de la gouvernance. Les auteurs présentent un cas de revitalisation de son centre-ville qui a plutôt mal tourné. La métropole de Toronto est abordée par la planification territoriale de longue durée, depuis les années 1950. Ses relations tendues avec les villes environnantes et le gouvernement provincial sont mises en évidence dans une métropole qui a crû rapidement et qui a posé de nombreux problèmes relativement aux structures de décision et aux politiques d’urbanisme et d’aménagement. À Ottawa, ce sont les relations entre élus et citoyens, les citoyennes marginalisées notamment, qui ont attiré l’attention de la chercheuse. L’exemple de Vancouver montre à la fois la manière dont s’est structuré le gouvernement régional et, à partir d’un cas de transport rapide du centre-ville vers l’aéroport, comment la gouvernance des transports publics s’est modifiée avec l’entrée en scène des milieux d’affaires dans l’orientation des décisions. Un seul chapitre sort quelque peu du thème général, malgré l’intérêt du sujet et la qualité de l’étude. Il s’agit d’une analyse fine et détaillée de la politique de mobilité durable du gouvernement du Québec, demeurée ancrée dans un référentiel « dépassé ».
Le concept de cohérence mis en avant dans l’introduction et décliné en ses composantes horizontale, verticale et temporelle, n’est, cependant, que très peu mobilisé dans les études de cas. Elles y font certes référence mais la cohérence des interventions de planification est secondaire par rapport aux autres enjeux abordés dans ces études. C’est celle portant sur Toronto qui s’en sert le plus, pour montrer la forte continuité temporelle des plans d’aménagement métropolitains, dans une sorte de « dépendance de sentiers » chère à la science politique. Ce n’est pas que la notion de cohérence ne soit pas importante, comme le montre la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme de la province de Québec, qui fait de la conformité entre les différents outils de planification territoriale une exigence fondamentale. Mais ce n’est pas ce que les chercheurs ont mis au premier plan de leurs analyses. Les enjeux sont ailleurs, en particulier dans la réponse aux problèmes nouveaux.
Il ne faut pas s’étonner que les études ne convergent pas vers un point commun. Les cinq métropoles ont des histoires institutionnelles, des cultures politiques et des enjeux régionaux fort différents. Elles sont inscrites de manière inégale dans le processus de mondialisation. Il n’y a, à ce sujet, rien de commun entre Toronto et Gatineau. Les trois concepts rassembleurs de l’introduction sont certes utiles, mais donnent lieu à des applications très diverses en fonction des cas concrets. Ce n’est pas une faiblesse de l’ouvrage, mais sa force. Chaque ville, chaque métropole étudiée se présente dans sa particularité propre et dans sa diversité interne. De plus, malgré l’annonce du titre, il n’est pas certain que l’aménagement et l’urbanisme se dirigent vers une planification collaborative. À Gatineau, on constate une certaine collaboration entre acteurs, mais uniquement sur de grandes orientations au plan local. Quand arrive le temps de choisir ou d’accepter un projet particulier, comme le notent les auteurs, la collaboration cède le pas au conflit. Dans la métropole de Montréal, la collaboration s’est quelque peu renforcée avec l’ouverture de l’examen des plans et des projets à la participation publique. Ailleurs, il apparait que cette collaboration reste à construire, malgré des réussites partielles. Il ne faudrait pas croire que la collaboration va s’imposer d’elle-même quand il s’agit d’aménager à diverses échelles et dans des univers sociaux fort diversifiés des milieux de vie et de travail. La tension persistante, voire le conflit ouvert, entre l’automobile et le transport en commun, par exemple, ne rendent pas la planification territoriale des infrastructures et équipements très collaborative.
S’il manque, dans cet ouvrage collectif, quelque chose, ce sont les débats sur l’environnement : air, eau, climat, biodiversité. Le lien entre aménagement et environnement est naturel, mais il faut le rendre explicite. Les enjeux écologiques apparaissent parfois, mais noyés parmi d’autres, ou de manière secondaire. Les auteurs auraient pu se demander quel rôle jouent les enjeux proprement environnementaux dans l’ensemble de la planification territoriale. En outre, les études de cas se sont presque exclusivement attardées aux effets de la participation sur les décisions, aux impacts « effectifs », et un peu aux effets de la participation sur les processus mêmes de participation, aux impacts « processifs ». Sont absents les effets que la participation aux enjeux d’aménagement et d’urbanisme produit sur les participants eux-mêmes, les impacts réflexifs. Quand, à Montréal, on observe que la participation comporte de nombreux « acteurs récurrents », il y a matière à examiner les répercussions de la participation sur les participants eux-mêmes.