Corps de l’article
Le livre Confessions of a school reformer est rédigé, comme le laisse entendre le titre, sous la forme d’une autobiographie de l’auteur Larry Cuban, qui se définit comme un « réformateur » de l’éducation. L’ouvrage est divisé en six périodes historiques qui contextualisent les différentes formes de réforme éducative de l’école « moderne » aux États-Unis. Pour introduire ces six périodes, Cuban débute par le 19e siècle, époque où, aux États-Unis, l’école devient un outil démocratique d’importance et par là un champ d’action intéressant à investir pour le politique. L’administration scolaire religieuse cède graduellement une place plus ou moins grande aux gouvernements pour la gestion des écoles : le scolaire devient un outil du gouvernement.
En introduction, l’auteur regroupe les six périodes de la table des matières en trois grandes étapes de réformation : le Mouvement progressiste (1900-1950), la lutte pour les droits civiques (1950-1980) et l’amalgamation de l’école à l’économie (1980 à aujourd’hui). Bien qu’elles soient construites pour illustrer l’histoire étatsunienne, ces périodes ne sont pas dissimilaires à celles proposées dans le programme d’histoire du Québec et du Canada. Il est alors intéressant de plonger dans les détails offerts par Cuban pour revisiter l’évolution du rôle de l’école au Québec. Dans les premières décennies du 20e siècle, Cuban décrit la volonté des progressistes de mettre fin à la corruption municipale et à l’exploitation des travailleur⋅se⋅s et des consommateur⋅rice⋅s avec des institutions éducatives renouvelées et démocratiques. Dans les décennies 1950, 1960 et 1970, l’accent est mis sur les droits civiques des citoyen⋅ne⋅s, particulièrement celles⋅ceux des Afro-Américain⋅e⋅s, et sur la volonté de mettre fin à la ségrégation raciale et socioéconomique, notamment dans les écoles. Finalement, la décennie 1980 et les suivantes tournent autour du néolibéralisme et du développement d’une école dont le rôle est de former des citoyen⋅ne⋅s permettant aux pays occidentaux de rester concurrentiels dans leur croissance capitaliste.
Les points focaux de ces périodes divergent, mais Cuban présente trois axes communs qui sous-tendent les réformes, peu importe leurs objectifs. En premier lieu, les réformateur⋅rice⋅s des 20e et 21e siècles croient profondément que de meilleures écoles peuvent libérer la société des inégalités, former des citoyens efficaces et générer des institutions contribuant à la croissance économique et à la justice sociale. En deuxième lieu, les réformateurs croient que les différents paliers de gouvernement doivent être imputables de leurs décisions et que leur intervention est nécessaire au bon fonctionnement de la société. En dernier lieu, les réformateurs défendent des changements dans les politiques et les pratiques du milieu éducatif sans remettre en question les fondements de la forme scolaire (comme l’organisation des niveaux selon l’âge des élèves, l’institutionnalisation des pratiques pédagogiques, l’importance des évaluations standardisées et la division en voies académiques ou professionnelles).
L'auteur décrit en détail les différentes périodes tout au cours du livre en proposant des réflexions critiques. Ces réflexions sont chaque fois présentées de deux façons : une posture scientifique où l'auteur observe de l’extérieur et propose une vision historienne des évènements et une posture subjective dans laquelle il décrit son rôle d’éducateur, d’administrateur et de chercheur. Cette forme offre un contenu riche, mais maintient la⋅le lecteur⋅rice en état d’hypervigilance – plus l’expérience et l’implication de Cuban sont grandes – pour éviter de confondre les interprétations historiques et les opinions personnelles de l’auteur.
Ce livre se caractérise par l’intérêt que représente la mise en contexte des motivations et des actions individuelles d’acteur⋅rice⋅s dont on ne présente pas souvent l’agentivité lorsqu’on étudie l’évolution de l’éducation. Ce livre peut paraitre déprimant, car il expose en 207 pages plus de cent ans d’efforts mitigés pour le développement d’une école qui contribue au bien commun, alors que la résistance au changement et les effets pervers imprévus intensifient la reproduction sociale des élites, la division ville-banlieue-campagne ou les tensions identitaires. Il présente aussi la division implicite entre l’apprentissage à l’école et l’apprentissage dû à l’environnement dans lequel les élèves évoluent. Si l’école est le remède tout indiqué pour éliminer les maux de la société, comment expliquer la fortuité du transfert entre l’école et le quotidien ? L’école peut-elle vraiment être un vecteur d’amélioration de la société ?
Malgré cette réflexion somme toute démotivante, il est enthousiasmant d’explorer le parcours d’un homme qui énonce sa pensée avant de la décortiquer avec du recul, en transcendant les frontières entre l’objectivité et la subjectivité de façon rigoureuse. Bien loin du monde politicomédiatique – où nuancer sa pensée est quasi impossible dans le défilement souvent sensationnaliste de l’information en continu ; où annoncer ses croyances signifie renoncer à la possibilité de les revisiter selon de nouveaux critères ; où ce qui est vrai est ce qui est répété le plus souvent par la majorité ou par la plus grande autorité –, ce livre remet tout en question et relance un débat qui, souvent, apparait stérile.