Corps de l’article

1. Introduction

Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, s’étend sur un cercle de 15 km de rayon (Figures 1a et 1b) et compte plus d’un million et demi d’habitants (INSD, 2005). Ce grand centre urbain connaît une expansion démographique importante. Ses zones périphériques sont confrontées aux problèmes d’alimentation en eau, en quantité mais surtout en qualité. Un affluent de la rivière Massili (Figure 1a) traverse la ville d’ouest en est et est coupé par quatre barrages collinaires (Figure 1b). Celui de Boulmiougou est situé au sud-ouest de la ville; les trois autres, Ouaga1, Ouaga2 et Ouaga3, se succèdent au nord. L’alimentation en eau potable de la ville est assurée à partir des barrages de Ouaga3, Loumbila, situé à 25 km au nord (Figure 1a), et Ziga depuis 2006. En complément de ces captages d’eau de surface, environ 1 800 puits traditionnels et modernes et une centaine de forages captent des eaux souterraines pour l’alimentation en eau potable. La plupart des puits sont utilisés dans les zones périphériques par la population composée d’une majorité de ménages pauvres, pour la consommation humaine et les besoins domestiques, et ce, malgré l'accès quelquefois aisé à une ressource de qualité au niveau des bornes fontaines de l’Office Nationale de l’Eau et de l’Assainissement (OUANDAOGO-YAMEOGO, 2008). Ces puits captent la nappe phréatique peu profonde et sont, par conséquent, particulièrement vulnérables aux activés urbaines. L’absence ou l’insuffisance d’infrastructures d’assainissement (présence de décharges, d’ordures, de latrines et de fosses septiques non étanches) et l’inadéquation du système d’évacuation des eaux pluviales et usées constituent une menace importante de contamination des aquifères.

Figure 1a

Carte de situation et de localisation des zones et points de prélèvement. Bassin versant du Massili et localisation de la Figure 1b

Map of the sampling areas and sample collection points. River basin of Massili and location of Figure 1b

Carte de situation et de localisation des zones et points de prélèvement. Bassin versant du Massili et localisation de la Figure 1b

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Figure 1b

Carte de situation et de localisation des zones et points de prélèvement. Zones cibles et points de suivi

Map of the sampling areas and sample collection points. Study area with monitoring sites

Carte de situation et de localisation des zones et points de prélèvement. Zones cibles et points de suivi

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L’étude visant à connaître la qualité de la ressource en eau souterraine de ce grand centre urbain a fait l’objet d’une thèse (OUANDAOGO-YAMEOGO, 2008). Cet article rend compte des principaux résultats de l’étude hydrochimique permettant de mieux comprendre le fonctionnement hydrogéologique des deux principaux aquifères identifiés. Certains mécanismes de leur fonctionnement et de migration de la pollution dans les aquifères de socle de Ouagadougou sont mis en évidence par l’étude spatiale et le suivi sur deux cycles hydrologiques.

2. Présentation du site

2.1 Contexte climatique

À Ouagadougou règne un climat de type soudano-sahélien caractérisé par l’alternance de deux saisons très contrastées réglées par le déplacement du Front Inter Tropical (FIT). Le climat est caractérisé par une saison des pluies correspondant à la période de recharge des nappes qui s’étend de juin à septembre et une saison sèche très longue, d’octobre à mai. À Ouagadougou, les précipitations moyennes annuelles sont de l’ordre de 700 mm, d’après les données de la Direction de la Météorologie Nationale.

Le secteur d’étude est marqué par une topographie relativement plane, avec une altitude moyenne de 300 mètres qui décroît vers les bas-fonds. La côte la plus basse est de 280 mètres et correspond au lit du Massili (Figure 1a). Avec l’urbanisation, les principaux marigots de la ville ont été aménagés en « canaux bétonnés » (Figure 1b) entraînant une augmentation des surfaces imperméables et l’accroissement du ruissellement au détriment de l’infiltration (OUANDAOGO-YAMEOGO, 2008).

2.2 Contexte géologique et hydrogéologique

La capitale est bâtie sur le môle dit de Ouagadougou essentiellement constitué de formations cristallines et cristallophylliennes du Paléoprotérozoïque. Ces formations de granitoïdes sont recoupées par des intrusions de dolérites, de pegmatites et d’aplites d’âge mésoprotérozoïque (CASTAING et al., 2003b) et affectées par de grandes fractures orientées N-S, NE-SW et NW-SE. Elles comportent une épaisse couverture d’altération, qui dépasse par endroits 40 mètres (Figures 2 et 3). Le profil complet comprend une cuirasse latéritique alumino-férrugineuse surmontant les altérites argileuses et les arènes grenues.

Figure 2

Exemples types de logs de forages de Ouagadougou

Typical examples of the logs of Ouagadougou boreholes

Exemples types de logs de forages de Ouagadougou

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Figure 3

Coupe hydrogéologique schématique des aquifères de socle de Ouagadougou

Hydrogeological cross-section of the crystalline basement aquifers of Ouagadougou

Coupe hydrogéologique schématique des aquifères de socle de Ouagadougou

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L’horizon sommital constitué par la cuirasse latéritique est entaillé par les rivières et constitue le siège d’une nappe phréatique exploitée par les puits traditionnels et puisards peu profonds (3 à 15 m). Ces aquifères de cuirasse sont la plupart du temps temporaires et ne sont donc exploités que pendant une partie de l’année. Une deuxième nappe plus profonde est celle constituée par les arènes grenues et le socle fissuré sous-jacent (Figure 3). L’horizon d’arènes grossières résultant de l’altération de la roche originelle se caractérise par une porosité d’interstice significative, comprise entre 2-3 % et jusqu’à 15 % (LACHASSAGNE et WYNS, 2001) et une perméabilité relativement faible. Lorsqu’il est saturé, cet horizon assure une bonne capacité de stockage des eaux souterraines au sein du système aquifère (SAVADOGO, 1984; COMPAORE, 1997). Plus profondément, le granite est affecté par des fissures résultant du processus d’altération et est injecté par des filons de pegmatites, le long desquels se développe aussi l’altération, qui augmentent sa productivité. Les forages profonds qui captent cet aquifère permettent de prélever des débits conséquents puisque 102 forages sur 205 répertoriés dépassent les 10 m3•h‑1 (débit au soufflage) produits entre 40 et 70 m de profondeur (Figure 2). Ces indications sont cohérentes avec le modèle conceptuel proposé par LACHASSAGNE et WYNS (DEWANDEL et al., 2006; DEWANDEL et al., 2011; LACHASSAGNE et WYNS, 2005; LACHASSAGNE et al., 2011) qui montre que c’est à l’« horizon fissuré stratiforme », de 50 à 100 m d’épaisseur que l’aquifère du socle doit l’essentiel de sa perméabilité. L’altération du socle granitique est bien connue dans ses principes et a fait l’objet de recherches actives sur ses ressources en eau au Burkina-Faso depuis plusieurs décennies par SAVADOGO (1984), FAILLAT (1986) et COMPAORE (1997). Plus récemment, une synthèse sur les propriétés hydrodynamiques du socle du Burkina-Faso a été proposée par COURTOIS et al. (2010).

3. Matériel et méthodes

3.1 Échantillonnage

Trois zones de prélèvements ont été choisies pour leur représentativité du point de vue de leur situation géographique et des activités anthropiques qui s’y exercent (cf. Figure 1b). La zone I amont correspond à la partie sud-ouest de la ville où se situe le barrage de Boulmiougou. C’est une zone témoin, moins influencée par les apports anthropiques que les autres, où sont pratiquées des cultures maraîchères et fruitières. La zone II centrale regroupe les trois barrages Ouaga1, Ouaga2 et Ouaga3, et le canal central, le canal de l’Université drainant les eaux de pluie, les rejets de la société Nationale Burkinabé d’Électricité (SONABEL), ceux du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo et de ses environs. La zone III aval concentre les usines de la ville dont les principales sont : la tannerie de cuirs et peaux, l’abattoir et la brasserie. Ces deux dernières zones II et III sont sujettes à des rejets d’effluents à fort potentiel d’impact environnemental. Pour cette étude, 170 analyses ont été effectuées sur seize points d’eau (sept puits et huit forages, et le piézomètre de l’Ex Comité Inter Africain d’Études Hydrauliques (CIEH), (Figure 1b). Cette campagne s’est étalée sur deux cycles hydrologiques de 2003 à 2004 avec des prélèvements mensuels. Les échantillons d’eau ont été prélevés dans des bouteilles PET rincées au préalable trois fois avec l’eau à analyser et conservés au frais. En ce qui concerne l’année 2004, une campagne spatiale a été menée sur 1 800 puits de l’aquifère supérieur dans toute la région pour mesurer uniquement les teneurs en nitrates (Figure 4a).

Figure 4a

Localisation des puits échantillonnés

Location of wells sampled

Localisation des puits échantillonnés

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Figure 4b

Carte des iso-valeurs

Map of the iso-values

Carte des iso-valeurs

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En complément, pour l’analyse des isotopes stables, un échantillonnage mensuel d’eau de pluie entre 2004 et 2006 a été constitué en versant les pluies journalières d’un pluviomètre dans un bidon totaliseur de 5 litres. En septembre 2005 et 2006, des prélèvements d’eau des sept puits, huit forages et du piézomètre de l’ex CIEH ont été réalisés pour l’analyse des teneurs en isotopes stables (18O, et 2H). Ces prélèvements ont nécessité des piluliers fournis par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (A.I.E.A). La campagne de 2006 a inclus quelques prélèvements pour l’analyse du tritium (3H).

3.2. Méthodes d’analyses

La conductivité électrique, le pH et la température ont été mesurés sur le terrain. Le pH a été mesuré à l’aide d’un pH-mètre étanche portatif à microprocesseur de type HI 9024 C muni d’une électrode, et la conductivité avec un conductivimètre portatif multi-gamme étanche équipé d’un dispositif de compensation automatique de température.

Le dosage des bicarbonates a été effectué dès l’arrivée au laboratoire et les analyses chimiques des éléments majeurs dans les 24 heures qui ont suivi le prélèvement.

Les bicarbonates (HCO3-) ont été dosés par titrimétrie à l’acide sulfurique N/50 et la silice par la méthode d’analyse d’un complexe silico-molybdique à l’aide d’un spectrocolorimètre CECIL.

Au Laboratoire d’Hydrogéologie de l’Université de Ouagadougou, les concentrations en calcium et en magnésium ont été mesurées par titrimétrie. La détermination des teneurs en anions et de la silice a été faite par colorimétrie sur un spectrophotomètre DR2000. Le dosage du sodium et du potassium a été réalisé par un spectromètre à flamme au laboratoire d’analyse des eaux de la Direction Générale de l’Inventaire et des Ressources Hydrauliques (DGIRH).

Au Laboratoire d’Hydrogéologie de l’Université d’Avignon, quelques analyses des cations ont été effectuées en double par absorption atomique à flamme avec le spectromètre VARIAN type 640. Cette vérification a montré une bonne concordance entre les résultats d’analyses des deux laboratoires.

Les teneurs en isotopes stables de l’eau (18O, 2H) ont été analysées par le laboratoire d’Hydrogéologie d’Avignon à l’aide d’un spectromètre GV, instrument commun aux Universités d’Avignon et de Montpellier. Il est équipé d’un passeur automatique à équilibration « Aquaprep » pour le dosage de l’oxygène 181(8O). Pour le deutérium, l’analyse a été faite à partir de ce même spectromètre en flux continu par la méthode de pyrolyse au chrome sur un passeur automatique « PyrOH ».

3.3 Traitement des données

Les interprétations chimiques ainsi que le calcul des forces ioniques ont été effectués avec le logiciel Diagramme (SIMLER, 2004). Les méthodes géostatistiques ont été utilisées pour construire le variogramme et le corrélogramme. Les données cartographiques ont été traitées avec un logiciel de SIG (ArcGIS), notamment pour élaborer la carte de répartition des nitrates dans l’aquifère superficiel.

4. Résultats et discussion

4.1 Hydrochimie

L’interprétation globale de toutes les analyses chimiques retenues est très complexe car les minéralisations et les faciès chimiques des eaux souterraines sont très variables. En fait, deux processus majeurs dans l’acquisition de la minéralisation interréagissent : l’hydrolyse des silicates et la contamination par les apports anthropiques. Aussi, pour mieux rendre compte de chacun de ces processus, le choix a été fait de traiter séparément les eaux des forages exploitant l’aquifère inférieur et celles des puits qui captent l’aquifère libre de la cuirasse.

4.1.1 La chimie des eaux des forages

Dans les réservoirs de socle, l’altération des minéraux silicatés est la principale cause de l’alcalinité de l’eau (BOURRIE, 1978; TARDY, 1969; TRAVI et MUDRY, 1997). L’eau du sol chargée en CO2 dissout les aluminosilicates et les cations qu’ils contiennent; Na+, Ca2+, Mg2+ sont libérés avec la silice.

L’examen du tableau 1 appelle les commentaires qui suivent :

  • les conductivités électriques, avec une médiane de 155 µS•cm‑1, témoignent d’eaux peu minéralisées. La moyenne est un peu plus élevée (280 µS•cm‑1) indiquant l’existence de quelques eaux plus minéralisées avec un maximum cependant raisonnable de 444 µS•cm‑1 qui s’explique par la présence d’éléments d’origine anthropique;

  • les teneurs en silice dissoute sont élevées et peu variables et il est intéressant de remarquer que les teneurs en HCO3-, Ca2+ Na+ et Mg2+ sont celles qui accusent les coefficients de variation les moins élevés des autres constituants majeurs. Ces observations confirment la prépondérance du processus d’hydrolyse et une certaine homogénéité des temps de séjour dans l’aquifère inférieur;

  • par contre, les coefficients de variation des chlorures et des nitrates sont deux à trois fois plus élevés que ceux des autres éléments. Ils indiquent que certains forages sont atteints par la contamination de surface;

  • la médiane et la moyenne observée pour les bicarbonates, de l’ordre de 150 mg•L‑1, sont conformes aux valeurs attendues pour ce milieu cristallin (TRAVI et DIA, 1986). Un seul forage, le F029 (Figure 1b), présente une valeur supérieure à 200 mg•L‑1 qui, d’après SAVADOGO et OUANDAOGO-YAMEOGO (2004), suppose, pour ce milieu et dans les conditions locales, que du CO2 est produit dans l’aquifère à partir de la minéralisation de matière organique anthropique. Ce forage, qui présente les maximums observés du tableau 1, et notamment une teneur en K+ très importante, se situe à l’aplomb d’un champ de sorgho où ont lieu des épandages. Cela peut expliquer la contamination du forage par des pollutions de surface.

Tableau 1

Concentrations moyennes caractéristiques en éléments majeurs de 70 analyses de forages

Characteristic average concentrations of major elements in the 70 borehole analyses

Concentrations moyennes caractéristiques en éléments majeurs de 70 analyses de forages

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Sur le diagramme de Piper (Figure 5), les faciès chimiques sont très majoritairement du type bicarbonaté calcique et magnésien, hérité de l’hydrolyse des silicates. Dans le triangle des anions, on observe une dérive du pôle bicarbonaté vers le pôle (Cl- +NO3-) due à la pollution. Dans le triangle des cations, une légère dérive est constatée vers le pôle sodium. La consultation des teneurs en éléments anthropiques (Cl- et NO3-) montre que cette augmentation du sodium accompagne une pollution de surface pour certains forages des zones II et III. Mais, pour quelques forages de la zone I, exempte de contamination, elle peut être attribuée à une variation de la minéralogie de l’encaissant, avec une prépondérance des plagioclases sodiques (oligoclase, andésine) (OUANDAOGO-YAMEOGO, 2008).

Figure 5

Diagrammes de Piper des eaux souterraines de Ouagadougou. (a) eaux de puits; (b) eaux de forages

Piper diagrams of groundwater in Ouagadougou. (a) wells; (b) boreholes

Diagrammes de Piper des eaux souterraines de Ouagadougou. (a) eaux de puits; (b) eaux de forages

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4.1.2 La chimie des eaux des puits

Les eaux des puits sont en moyenne plus minéralisées que celles des forages comme le montrent les conductivités qui présentent de grands écarts qui vont de 100 à 1 253 µS•cm‑1 de c25 oC (Tableau 2). Pourtant, les teneurs en silice sont plus faibles, ce qui confirme leur caractère d’eaux de surface à temps de séjour court. La forte minéralisation provient d’éléments anthropiques tels que Cl- et NO3- dont les concentrations moyennes sont nettement plus élevées que pour les forages, avec des maximums de 165 mg•L‑1 pour Cl- et 158 mg•L‑1 pour NO3-. La variabilité de HCO3- est beaucoup plus grande (Figure 6), depuis des eaux très peu minéralisées, ce qui est conforme avec la faible hydrolyse des silicates, jusqu’à des concentrations élevées pour ce milieu, de 378 mg•L‑1. Ceci implique des pressions partielles de CO2 (pCO2) très élevées, en lien avec la minéralisation de la matière organique anthropique.

Tableau 2

Concentrations moyennes caractéristiques en éléments majeurs de 100 analyses de puits

Characteristic average concentrations of major elements in the 100 analyses of well water

Concentrations moyennes caractéristiques en éléments majeurs de 100 analyses de puits

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Figure 6

Relations entre conductivité et alcalinité des eaux souterraines de l’agglomération de Ouagadougou

Relationship between conductivity and alkalinity in the groundwater in Ouagadougou

Relations entre conductivité et alcalinité des eaux souterraines de l’agglomération de Ouagadougou

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Dans le triangle des anions (Figure 5a), on observe une très grande dispersion des points représentatifs, qui s’étalent du pôle HCO3- au pôle Cl-+NO3-. En fait, le faciès de type chloruré domine, avec 55 % des valeurs. Cette prédominance des chlorures associés aux nitrates, à tendance sodique, témoigne d’importantes pollutions domestiques et maraîchères.

4.1.3 Appréciation de la pollution à partir de deux paramètres mesurables sur le terrain

Le graphique de la figure 6 représente les variations de l’alcalinité en fonction de la conductivité électrique pour les eaux souterraines de l’agglomération. Il fait apparaître, pour une majorité de forages, une assez bonne corrélation entre bicarbonates et conductivités qui résulte de l’hydrolyse des silicates. Quand l’alcalinité est supérieure à 200 mg•L‑1, elle indique, pour ce milieu de socle, des apports anthropiques de matière organique dans la minéralisation engendrée par des pCO2 très élevées. Il met aussi en évidence la pollution par les chlorures et les nitrates pour tous les points qui s’éloignent de cette corrélation vers des conductivités élevées, c’est-à-dire la très grande majorité des puits suivis mais aussi quelques forages des zones II et III. Sur la base de deux paramètres facilement mesurables in situ, il est donc possible d’apprécier la pollution urbaine directe ou indirecte.

4.2 La pollution de l’aquifère superficiel (cuirasse)

4.2.1 Étude de la répartition spatiale des teneurs en nitrates sur 1 800 puits de Ouagadougou

Considérant le caractère discontinu du système aquifère sous l’agglomération de Ouagadougou, une étude spatiale de la pollution par les nitrates a été réalisée sur 1 800 puits en 2004 (cf. Figure 4a). Les teneurs en nitrates ont été mesurées au cours d’une campagne conduite durant six mois sur ces puits de la capitale. Les distances entre les puits et les latrines ont également été relevées. Les résultats montrent que 56 % des puits recensés présentent des concentrations supérieures à 50 mg•L‑1, norme de l’OMS, et que 30 % ont même des valeurs supérieures à 100 mg•L‑1. Les concentrations en nitrates et les distances entre les puits ont fait l’objet d’un traitement statistique en vue de caractériser la structure spatiale des teneurs et d’établir par krigeage une carte de leur distribution. Le variogramme utilisé (Figure 7) fait apparaître une structure emboîtée avec une première portée à courte distance (350 m) et une seconde portée à une échelle plus vaste de 2 400 m environ. Après avoir atteint ce palier de semi-variance maximale, la variabilité diminue lentement jusqu’à 5 500 m. Cette structure s’explique par deux mécanismes responsables des variations des teneurs en nitrates :

  • un premier mécanisme local, probablement lié à la présence des latrines ou d’autres sources de pollution telles que les ordures ménagères, les sites de maraîchage (zone de culture), les sites d’aménagement d’espaces verts (jardins);

  • un deuxième mécanisme d’influence moins localisée, probablement lié aux caractères physiques et au comportement hydrodynamique de l’aquifère, ou à la densité des sources de pollution dans un rayon critique d’influence de 2 400 mètres.

Figure 7

Variogramme et corrélogramme des teneurs en nitrates dans 1 800 puits à Ouagadougou

Variogram and correlogram of nitrate concentrations in 1800 wells in Ouagadougou

Variogramme et corrélogramme des teneurs en nitrates dans 1 800 puits à Ouagadougou

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Ces structures imbriquées (distance de 350 m et 2 400 m) sont aussi significatives du caractère discontinu de l’aquifère latéritique du fait de la géométrie des cuirasses, de leur érosion locale, de la présence d’émergences localisées, etc.

Le corrélogramme simple (cf. Figure 7) montre un coefficient d’auto-corrélation moyen à faible distance (0,54 entre 0 et 35 m pour 1 022 couples de points). Il atteint la valeur de 0,2 (limite d’auto-corrélation) à une distance de 1 000 m. Ensuite, il décroît rapidement avec la distance, et s’annule vers 2 300 m pour rester négatif ou proche de zéro jusqu’à 5 500 m. Ce type de variations avec des coefficients de corrélation rapidement négatifs et une semi-variance qui diminue après avoir atteint une valeur maximale, est caractéristique de structure en tâches (VALLES, 2006). Le caractère discontinu corrobore les circulations en milieu hétérogène, ce qui est confirmé par la carte de répartition spatiale des nitrates dans les puits de Ouagadougou (cf. Figure 4b). Cette carte, élaborée par interpolation à partir d’ArcGIS, montre une pollution à l’échelle locale de l’aquifère supérieur et met en évidence les zones les plus affectées qui sont, par ordre d’importance décroissante, la zone du centre-sud, l’ouest de Ouagadougou, le nord-est et le nord-ouest.

4.2.2 La variation des teneurs en nitrates des puits sur un cycle hydrologique

Ce suivi a été effectué sur les puits des zones cibles (Figure 1b) pendant le cycle hydrologique 2003-2004. La variation temporelle des teneurs en nitrates (Figure 8) apporte des indications sur leur cheminement jusqu’à l’aquifère superficiel.

Figure 8

Variation temporelle des teneurs en nitrates dans certains puits de Ouagadougou

Temporal variation of nitrate concentrations and average rainfall in some wells in Ouagadougou

Variation temporelle des teneurs en nitrates dans certains puits de Ouagadougou

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Les concentrations en nitrates augmentent dès les fortes pluies de juillet pour certains points. Les polluants drainés par les eaux d’infiltration atteignent leur concentration maximale au mois d’août dès l’arrivée rapide des premiers flux d’infiltration. L’augmentation jusqu’à un facteur trois est due au phénomène de pluvio-lessivage sous forme d’effet piston. Les concentrations diminuent par la suite jusqu’en octobre où la teneur en polluants de surface est faible. Les concentrations très élevées dans certains ouvrages (cf. Tableau 2) sont dues à des sources avérées de pollution (latrines, présence d’ordures et d’eaux usées). Les différences de comportement de chaque ouvrage attestent d’un milieu hétérogène. Ce processus sera confirmé par l’utilisation des isotopes stables de l’eau (oxygène 18 et deutérium).

4.3 Utilisation des isotopes stables pour l’étude des mécanismes d’infiltration

4.3.1 Le signal pluie à Ouagadougou

Le signal pluie à Ouagadougou a été caractérisé sur une période de trois ans (2004-2006). La droite météorique locale a pour équation (Figure 9) :

Figure 9

Relation entre 18O et hauteur de pluies mensuelles à Ouagadougou (2004 à 2006)

Relationship between 18O and monthly rainfalls in Ouagadougou (2004-2006)

Relation entre 18O et hauteur de pluies mensuelles à Ouagadougou (2004 à 2006)

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La valeur de l’excès en deutérium, qui s’élève à 14,3 ‰, confirme une origine mixte de la vapeur atmosphérique et montre que les masses d’air d’origine océanique sont enrichies au cours de leur trajet sur le continent par des flux d’évaporation (TRAVI et al., 1987).

Le régime de précipitations à Ouagadougou est celui de la mousson, avec une saison de pluies qui commence en mai et se termine en octobre pour une année moyenne.

On observe une bonne relation entre les δ18O de la pluie et les hauteurs mensuelles précipitées (Figure 10). Les valeurs sont d’autant plus faibles que les hauteurs précipitées sont importantes. Elles résultent du fait que la pluie ne s’évapore pas au cours de sa chute, ce qui se traduit par un effet de masse (TRAVI et al., 1987). Les pluies les plus faibles de début de saison (avril, mai et juin) et de fin de saison (octobre) sont les plus enrichies et accusent un effet d’évaporation.

Figure 10

Relation entre δ18O et δ2H pour les eaux souterraines de Ouagadougou

Relationship between δ18O and δ2H in groundwater in Ouagadougou

Relation entre δ18O et δ2H pour les eaux souterraines de Ouagadougou

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4.3.2 Les teneurs isotopiques des ouvrages et leurs indications

L’interprétation porte sur les teneurs en isotopes stables sur sept puits, huit forages et le piézomètre de l’ex CIEH des zones cibles prélevés en hautes eaux, en septembre 2006.

Les teneurs en isotopes stables de cinq des huit forages captant l’aquifère inférieur sont proches de la droite météorite locale. Cela indique qu’ils sont alimentés directement par de nombreuses pluies antérieures de juillet et août sans fractionnement supplémentaire (cf. Figure 9). Le regroupement de ces ouvrages s’effectue en effet autour des valeurs de -5 ‰ pour 18O et de -28 ‰ pour 2H qui sont des valeurs moyennes pluriannuelles de la pleine mousson de 2004 à 2006 (OUANDAOGO-YAMEOGO, 2008).

Trois forages, FPARC, FZON et FDAP (Figure 1b et Figure 10) s’en écartent de façon significative, avec des teneurs isotopiques plus élevées, ce qui indique leur alimentation par des eaux évaporées en surface. Le plus atteint (FPARC) présente des eaux très chargées en chlorures (68 mg•L‑1) et sulfates (20 mg•L‑1) qui traduisent une alimentation par une eau de surface stagnante soumise à une forte évaporation.

Le FZON, situé hors zone urbaine, est en bordure d’un marigot qui draine la zone I, zone de maraîchage. Le FDAP en bordure immédiate du barrage Ouaga2 est influencé par la présence de ce plan d’eau.

Cinq puits échantillonnés à la fin de la saison des pluies (septembre 2006) s’alignent suivant une droite d’évaporation d’équation (Figure 9) :

Son intersection avec la droite météorite locale correspond approximativement aux pluies efficaces de l’année 2006, ce qui indique que ces puits ont été pour l’essentiel réalimentés au cours de la saison 2006. En effet, ces puits accusent un tarissement en saison sèche. Trois puits dont les réserves ne sont pas épuisées à la fin de la saison sèche (PAGH et PIEZO CIEH profonds, PBAR situé à proximité du barrage Ouaga3) se retrouvent en position intermédiaire (Figure 9). Comme pour certains forages, cela traduit un mélange entre une eau d’infiltration ayant subi du fractionnement par évaporation et une eau tamponnée de la réserve plus profonde. Ces observations, bien que préliminaires, semblent confirmer l’existence de mécanismes de recharge différents en fonction des ouvrages. Chaque ouvrage ou groupe d’ouvrages réagit avec son environnement immédiat en fonction de ses caractéristiques hydrogéologiques et hydrodynamiques. L’utilisation des isotopes stables de la molécule d’eau s’avère déterminante pour connaître l’origine et l’histoire de l’eau dans de telles situations hydrologiques en contexte de socle cristallin.

5. Conclusion

Cette étude, qui avait pour but de connaître la qualité des aquifères sous la ville de Ouagadougou, a également permis de proposer un modèle conceptuel de fonctionnement hydrogéologique dans le secteur.

Les puits peu profonds captent la nappe phréatique de la cuirasse latéritique. Ceux qui sont dans l’environnement immédiat des latrines, fosses septiques et eaux usées sont fortement pollués par les nitrates et les chlorures. Les forages profonds captent la base des arènes grenues et surtout l’horizon fissuré sous-jacent. Ils sont encore peu atteints par cette pollution de surface mais le mauvais état qualitatif de certains, en zone industrielle notamment, montre qu’il existe des possibilités de communication hydraulique entre les deux aquifères.

Cette étude hydrochimique a permis par ailleurs de préciser les processus de circulation et de minéralisation des eaux souterraines du socle cristallin anthropisé. Les interprétations ont permis de mettre en évidence l’hétérogénéité du milieu étudié.

Les outils d’hydrochimie et d’hydrochimie isotopique ont également permis d’éclaircir le fonctionnement hydrodynamique des aquifères de socle. Ils montrent que :

  • l’infiltration directe des pluies efficaces atteint rapidement l’aquifère de la cuirasse dont les temps de renouvellement sont de l’ordre de l’année, ou de quelques années;

  • cette infiltration profite à l’aquifère des arènes grenues et de la roche fissurée où elle se mélange avec les recharges antérieures. Ceci assure une grande stabilité des paramètres physico-chimiques de la ressource profonde. Le temps de renouvellement de cette ressource atteint vraisemblablement plusieurs dizaines d’années, tout au moins lorsque les forages ne sont pas pompés, comme le montre l’absence de tritium (3H) sur deux prélèvements effectués en septembre 2006;

  • un marquage isotopique par l’évaporation est perceptible dans les puits des zones basses ainsi que dans les forages pollués au droit de zones stagnantes. Ceci traduit une infiltration retardée depuis la surface qui peut se faire dans les forages profonds soit par transfert au sein du profil d’altération, soit par un équipement défectueux de ces forages.

Ces méthodes sont très précieuses pour accompagner les études hydrodynamiques, et parmi celles qui sont à recommander figurent :

  • les suivis hydrochimiques et isotopiques sur un ou plusieurs cycles hydrologiques;

  • l’appréciation de l’âge de l’eau à l’aide des mesures de 3H, ou avec d’autres traceurs.