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Introduction

La multiplication des sécheresses a poussé l’Algérie à s’engager dans le dessalement de l’eau de mer. Cet investissement massif est devenu possible grâce à la conjoncture pétrolière que connaît le pays depuis ces dernières années. Cette technologie est sans doute une aubaine pour répondre aux besoins grandissants de la population, mais également un moyen pour atténuer la pression sur des ressources locales surexploitées. Toutefois, à long terme, un tel projet aura sans doute des conséquences sur le prix de vente de l’eau aux abonnés, qui est fortement subventionné. En effet, malgré un coût de production estimé à 28,45 DA•m‑3, le prix de vente de l’eau de la première tranche est fixé à 6,30 DA•m‑3 (avec 1€ = 105,59 DA). Avec le nouveau procédé de dessalement, ce coût dépasse les 72 DA•m‑3. Par conséquent, les autorités algériennes doivent trouver des solutions pour contrecarrer cette évolution de coûts qui pèsera lourdement sur le budget, dans les années à venir. L’une de ces solutions est de faire supporter le coût de ce service aux consommateurs. Dans ce sens, la littérature nous renseigne que pour une meilleure gestion de ce service, il est nécessaire de faire supporter aux consommateurs le coût de revient de l’eau.

Toutefois, une telle politique pourrait avoir des effets néfastes sur le bien-être des populations les plus modestes. Pour cette raison, il est nécessaire de prévoir et de connaître la réaction des consommateurs face à de tels changements. Pour pouvoir anticiper cette situation, les économistes proposent l’estimation des fonctions de demande en eau potable. Cet outil est un moyen incontournable pour mieux connaître la demande, mais également les variables qui l’influencent. En effet, une fois ces paramètres estimés, ces derniers peuvent servir d’outils d’aide à la décision pour mettre en place les politiques adoptées.

Notre contribution, dans ce travail, s’inscrit dans cette thématique de recherche. Pour arriver à cette finalité, nous avons organisé notre travail comme suit : après une brève présentation de la zone d’étude et un exposé sur la tarification de l’eau en Algérie, nous exposerons une revue de la littérature sur les méthodes et les variables utilisées pour estimer les fonctions de demande en eau potable. Une fois ce point cerné, nous exposerons nos statistiques descriptives et tenterons de trouver la spécification adéquate pour notre variable prix qui fait toujours débat entre les économistes. Enfin, nous présenterons nos modèles et nos résultats avec un ensemble de recommandations.

1. Cadre général

1.1 Présentation de la zone d’étude

Connue également sous le nom de la petite Kabylie, la wilaya (département) de Bejaia est située au nord de l’Algérie, entre les massifs de Djurdjura, des Bibans et des Babors. Elle s’étend sur une superficie de 3 223,50 km2, soit 0,13 % de la superficie nationale. Elle est limitée à l’est par les deux wilayas de Jijel et de Sétif, à l’ouest par la wilaya de Tizi Ouzou et de Buira, au sud par la wilaya de Bordj Bou Arreridj et, au nord, par la mer Méditerranée (DPAT, 2007). Cette région reçoit en moyenne des précipitations variant entre 600 à 1 100 mm par année (soit 70 à 80 jours de pluie par an). Cependant, cette pluviométrie est légèrement plus abondante au nord qu’au sud. Ce phénomène est le résultat de l’existence d’une chaîne montagneuse disposée parallèlement à la mer Méditerranée. De ce fait, elle intercepte les masses d’air humide, qui transitent par la Méditerranée et tombent le long des communes côtières. La température moyenne est de 17,2 °C. Elle varie entre 23 °C et 32 °C en été et entre 7 °C à 17 °C en hiver. D’un point de vue hydrographique, elle est située à la jonction des deux bassins les plus riches en eau d’Algérie (l’Algérois-Hodna-Soummam et Constantinois-Seybousse-Mellague). Par conséquent, la wilaya de Bejaia a accès à d’importantes ressources en eaux. Selon les statistiques de la direction de la planification et d’aménagement du territoire de la wilaya de Bejaia (DPAT), les ressources superficielles locales sont estimées à environ 787 millions de m3 (soit une dotation de 830 m3•an‑1•hab‑1) et les ressources souterraines sont évaluées à environ 158,5 millions de m3.

1.2 La tarification de l’eau

Le décret 05-13 du 09/01/2005 a fixé la structure et les modalités de tarification de l’eau potable et de l’assainissement en se basant sur un système de zonage (cinq zones). Selon ce découpage, chaque zone correspond à un ensemble de wilayas (départements) avec des caractéristiques plus ou moins similaires et qui se voient appliquer le même tarif, appelé tarif de base (Tableau 1).

Tableau 1

Les zones tarifaires et les tarifs de base

The tariff zones and base rates

Les zones tarifaires et les tarifs de base

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1.3 La structure tarifaire

Pour assurer l’accessibilité financière et l’efficacité économique, les autorités algériennes ont mis en place une tarification progressive de quatre tranches. Le tarif de chaque tranche est calculé en multipliant le tarif de base par un coefficient multiplicateur. Ainsi, le prix de la deuxième tranche est le tarif de base pondéré par un coefficient multiplicateur de 3,25, la troisième tranche est pondérée par un coefficient multiplicateur de 5,5 et la quatrième tranche est pondérée par un coefficient de 6,5. Selon ce même décret de 2005, la troisième et la quatrième tranches sont également les tarifs uniformes appliqués aux autres catégories d’utilisateurs. De la sorte, la troisième tranche correspond, également, à la catégorie des administrations, des artisans et des services du secteur tertiaire et la quatrième tranche correspond au prix du service de l’eau appliqué aux secteurs industriel et touristique (Tableau 2).

Tableau 2

La structure tarifaire du service de l’eau

The tariff structure of water service

La structure tarifaire du service de l’eau

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1.4 L’assainissement, un élément intégré dans la facturation de l’eau

Pour faciliter le recouvrement des factures liées à l’assainissement, les entreprises de gestion et les régies communales intègrent ce service dans la facture de l’eau. Ce service est calculé avec le même principe de calcul du service d’alimentation en eau potable. La facturation est fondée sur une autre base tarifaire qui prend en compte le coût du service, la zone tarifaire, le volume consommé en eau potable et la catégorie de l’abonné (Article 15). Cette redevance est récupérée par les régies communales et/ou par les entreprises de gestion et elle est reversée à l’Office National de l’Assainissement (ONA). Cet office a été créé au même titre que l’ADE (Agence de l'Eau), par le décret nº 01-102 du 21 avril 2001. Ces institutions sont des établissements publics, à caractère industriel et commercial, qui sont dotés d’une autonomie financière et placés sous la tutelle du Ministère des Ressources en Eaux (MRE).

2. Revue de littérature

Historiquement, les premières études sur l’estimation des fonctions de demande en eau potable datent des années 60. Le manque de la ressource, la surconsommation, la multiplication des sécheresses et la curiosité scientifique étaient les éléments déclencheurs de ce type de recherches. Souvent, ces travaux ont pour objectifs d’estimer les déterminants de la demande en eau (en mettant un accent particulier sur la variable prix), mais également de trouver une meilleure spécification pour cette fonction qui a suscité un intérêt particulier chez les auteurs à cause de la structure tarifaire. En pratique, ce type de travaux consiste à expliquer la quantité consommée par un ensemble de variables tarifaires (prix) et non tarifaires (climatiques, socio-économiques, politiques de gestion).

2.1 Les variables tarifaires

L’influence des variables tarifaires sur la consommation de l’eau potable est l’une des principales préoccupations des auteurs cherchant à estimer les fonctions de demande. Par conséquent, tous les auteurs intègrent dans leurs modèles au moins une variante tarifaire. Par conséquent, il a été démontré, dans la littérature, que la réaction des consommateurs face à cette variable est très faible; cette valeur est de -0,51 pour les pays développés et elle est entre -0,3 et -0,6 pour les pays en voie de développement (Nauges et Whittington, 2010). Cette situation s’explique, d’après les différents travaux, par la qualité de l’eau qui est un bien de première nécessité, mais aussi par la mauvaise spécification des modèles. En effet, d’après les travaux de Dandyet al. (1997), Renwick et Archibald (1998), Nauges et Thomas (2000), Martinez-Espineira (2002), Burkey (2002), Carter et Milon (2005) et Bartczaket al. (2007), la réaction des consommateurs face aux changements des prix est bien réelle et cette réaction se manifeste, d’après les auteurs, par un ajustement qui s’opère au niveau de leurs équipements (nouvelles machines à laver, nouvelles chasses d’eau, etc). Pour arriver à ce résultat, les auteurs procèdent par des estimations en dynamique et ils valident ce constat par le fait que l’élasticité à long terme est souvent supérieure à l’élasticité à court terme. Dans la littérature, les auteurs utilisent principalement trois types de prix : le prix moyen, le prix marginal et autres variables tarifaires.

2.1.1 Le prix moyen

Ce prix est calculé sur la base d’un rapport entre le montant de la facture et la quantité consommée et l’utilisation de ce prix trouve sa justification dans l’absence d’information sur la structure tarifaire, mais aussi dans sa prise en compte de l’ensemble des éléments constituant la facture de l’abonné. Les élasticités-prix calculées par ce paramètre révèlent une faible réaction des consommateurs face aux variations des prix (Bartczaket al., 2007; Foster et Beattie, 1979; Gibbs, 1978; Höglund, 1999; Nauges et Thomas, 2000; Nauges et Reynaud, 2001; Point, 1993).

2.1.2 Le prix marginal

Face à une structure tarifaire progressive ou dégressive, plusieurs auteurs soutiennent l’idée que les consommateurs réagissent au prix de la dernière unité consommée. Autrement dit, le prix marginal. Howe et Linaweaver (1967) expliquent que les abonnés assimilent les coûts marginaux aux bénéfices marginaux. Par conséquent, il est plus judicieux d’intégrer le prix marginal, car ce prix révèle mieux les décisions et les choix des consommateurs. De plus, les auteurs signalent que le passage d’une tranche à l’autre peut inciter les abonnés à réduire leur consommation, alors que cette situation n’est pas observable avec le prix moyen. Toujours dans cette même optique, Diakite et Thomas (2009) expliquent que la théorie microéconomique, basée sur l’égalité entre le surplus marginal et le coût marginal, conduirait à choisir le prix marginal. Toutefois, soutenir cette hypothèse reviendrait à soutenir l’idée que les consommateurs disposent d’informations parfaites, à la fois sur la structure tarifaire, mais également sur le niveau de leurs consommations pour chaque instant « t ». Dans ce sens, Burkey (2002) nous renseigne que devant la part relativement faible que représente la dépense de l’eau dans le revenu des consommateurs et devant la méconnaissance des prix et des structures tarifaires des consommateurs, il est difficile d’accepter l’idée que les consommateurs réagissent aux prix marginaux.

2.1.3 Autres variables tarifaires

Plusieurs auteurs utilisent d’autres variantes du prix pour estimer la fonction de demande en eau potable. Parmi les plus utilisées : la combinaison entre le prix marginal et une variable de différence (Carter et Milon, 2005; Hewitt et Hanemann, 1995; Howe, 1982; Martins et Fortunato, 2007; Renwick et Green, 2000). Cette technique puise ses sources du papier de Nordin (1976). D’après cet auteur, la réaction des consommateurs face aux changements des prix, dus à la structure tarifaire, transite par un effet revenu. Par conséquent, l’auteur suggère, en plus du prix marginal, d’intégrer une variable qui représente la différence entre ce que le consommateur a payé et ce qu’il aurait dû payer si toute la quantité consommée était facturée au prix marginal. D’après l’auteur, ce paramètre devrait, normalement, avoir la même amplitude que le paramètre revenu, mais avec un signe opposé. Cette variable est souvent interprétée comme une subvention des tranches inférieures ou comme un retour sur le surplus payé sur la base du prix marginal. Dans la littérature, on trouve également des auteurs (Burkey, 2002; Carter et Milon, 2005; Kavezeri-Karuaiheet al., 2005; Nieswiadomy et Molina, 1991) qui estiment des fonctions de demande en utilisant la procédure développée par Shin (1985). D’après cet auteur, pour trancher entre le prix moyen et le prix marginal, il est nécessaire d’intégrer une relation entre le prix moyen et le prix marginal et en fonction du paramètre K :

  • Si K est égal à 1, cela implique que les consommateurs sont sensibles au prix moyen;

  • Si K est égal à 0, cela implique que les abonnés sont plutôt sensibles au prix marginal; et

  • Si la valeur de K est différente des deux cas cités, l’interprétation dépend de la nature de la structure tarifaire.

2.2 Les variables non tarifaires

L’influence des variables non tarifaires est également un élément très convoité dans la littérature. Sur ce point, les économistes s’accordent à dire que la demande en eau est également dépendante d’un ensemble de facteurs extratarifaires. Ces facteurs sont à l’origine des caractéristiques socio-économiques des ménages (e.g., le revenu, la taille du ménage, le nombre d’enfants, le niveau d’étude), des caractéristiques de l’habitation (e.g., surface, nombre de pièces, toilettes, douches), du climat (e.g., température, pluviométrie, évaporation) et d’un ensemble de variables liées à la gestion (e.g., la pression de l’eau, les compteurs, les diamètres, les restrictions, la sensibilisation). Parmi ces variables, il y a celles qui exercent un effet positif sur la consommation. C’est le cas du revenu (Arbuéset al., 2004; Nauges et Reynaud, 2001; Renwick et Archibald, 1998), la taille du ménage (Bartczaket al., 2007; Garcia-Valiñas, 2003; Renwick et Archibald, 1998), la température (Renwick et Green, 2000; Ruijset al., 2008; Schleich et Hillenbrand, 2009), l’évaporation (Billings et Agthe, 1980; Billings, 1982), l’âge de l’habitation (Carter et Milon, 2005; Nauges et Reynaud, 2001). D’autres variables exercent un effet négatif sur la consommation. C’est le cas de la pluviométrie (Foster et Beattie, 1981; Garcia-Valiñas, 2003; Schleich et Hillenbrand, 2009), les compteurs (Bartczaket al., 2007; Nauges et Thomas, 2000), les restrictions (Renwick et Archibald, 1998; Renwick et Green, 2000; Ruijset al., 2008), la sensibilisation (Renwick et Archibald, 1998; Renwick et Green, 2000).

3. La base de données et les statistiques descriptives

Pour estimer la fonction de demande en eau potable des abonnés de la wilaya de Bejaia, nous avons récupéré au niveau de l’ADE-Bejaia deux types de fichiers, soit celui des abonnés et celui de la facturation. Ces fichiers regroupent : la raison sociale de l’abonné, son nom, son adresse, sa consommation réelle par trimestre, ses factures, les prix des différentes tranches, les pénalités de retard, les forfaits appliqués en cas de dysfonctionnement, la part fixe de la facture, la redevance de gestion, la redevance de qualité, les taxes payées par l’abonné, les timbres fiscaux et la part de l’assainissement dans la facture.

Pour compléter cette base de données, nous avons sélectionné aléatoirement un échantillon de 172 abonnés et nous avons enquêté en août 2008 sur leurs caractéristiques socio-économiques (e.g., revenu, taille du ménage, taille de la maison, type de commodités installées). Une fois l’enquête réalisée, nous avons associé à chacun des 172 abonnés, sélectionnés de la base d’ADE, ses propres données socio-économiques en nous basant sur le nom de chaque abonné. Ainsi, les principales variables que nous avons utilisées sont présentées ci-après :

La variable à expliquer :

  • (QTEit) : le log de la quantité réelle consommée par l’individu « i » pour chaque trimestre « t ».

Les variables explicatives :

  • APit : le log du prix moyen payé par l’abonné « i » au trimestre « t » (c’est le rapport entre la facture réelle de l’abonné sur la quantité consommée);

  • PMit : le log du prix marginal payé par chaque abonné à chaque période;

  • Forfaitit : c’est une variable binaire qui prend la valeur 1 si la facturation se fait sur la consommation réelle, et 0 sinon;

  • Taille ménageit : c’est la taille du ménage de l'abonné pour chaque période de 1997 à 2008;

  • Enfant de plus de 18 ansit : c’est le nombre d’enfants de plus de 18 ans dans chaque ménage pour chaque période;

  • Nombre de piècesit : c’est le nombre de pièces de l’habitation de l’abonné pour chaque période de 1997 à 2008 ;

  • Nombre d’heuresit : c’est le nombre d’heures d’eau desservie par jour, avec une distinction entre l’hiver et l’été;

  • Revenu trimestrielit : revenu trimestriel de l’abonné;

  • Pluviométrie (mm)t : les précipitations trimestrielles de mars 1997 à mars 2008;

  • Juin : une variable binaire qui prend la valeur 1 si le trimestre est juin et 0 sinon;

  • Mars : une variable binaire qui prend la valeur 1 si le trimestre est mars et 0 sinon;

  • Décembre : une variable binaire qui prend la valeur 1 si le trimestre est décembre et 0 sinon;

  • Septembre : une variable binaire qui prend la valeur 1 si le trimestre est septembre et 0 sinon.

En résumé, la principale information statistique que nous avons utilisée pour estimer nos fonctions de demande est reprise dans le tableau 3 :

Tableau 3

Les statistiques descriptives

The descriptive statistics

Les statistiques descriptives

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4. Modélisation de la variable prix

Intégrer la variable prix dans la fonction de demande est toujours une tâche délicate. Souvent facturée en tranches, cette structure est difficilement modélisable. En effet, malgré l’abondance des travaux et des méthodes, ce problème est toujours d’actualité. Ainsi, avant de choisir entre les différentes méthodes recensées dans la littérature, nous allons voir, dans ce qui suit, comment est structurée la tarification de l’eau potable en Algérie et, par conséquent, comment l’intégrer dans la fonction de demande.

Pour arriver à cette finalité, nous avons posé une hypothèse de séparabilité entre l’eau et les autres biens. Cette hypothèse est déjà validée dans plusieurs travaux pour cause d’absence de substituts (Arbuéset al., 2004; Nauges et Thomas, 2000).

Dans notre cas, la facture de l’abonné et sa contrainte budgétaire prennent les formes suivantes :

et

avec : FAC : le montant de la facture de l’abonné, F : la partie fixe de la facture, Pi : le prix de l’eau, Qi : la quantité consommée, , R : le revenu de l’abonné, Py : le prix moyen des autres biens et Y : le panier des autres biens. Toutefois, comme la structure tarifaire est progressive, la facture peut s’écrire sous la forme suivante :

Ainsi :

1) Si le consommateur ne dépasse pas la limite de la première tranche, la quantité totale consommée correspond à la consommation de la première tranche (Q = Q1).

2) Si le consommateur ne dépasse pas la limite de la deuxième tranche. Dans ce cas : Q = Q+Q2.

et

Sachant que le prix de la deuxième tranche n’est que le prix de la première tranche multiplié par un coefficient multiplicateur de ρ= 3,25, et que la quantité consommée dans la deuxième tranche n’est que la quantité totale consommée moins la borne supérieure de la première tranche (Q= 25).

Dans ce cas :

Donc :

Alors : equation: 5016059n.jpg .

Avec Di une variable de différence qui désigne l’écart entre ce que le consommateur paye et le montant qu’il aurait dû payer s’il a été facturé uniquement au prix de la dernière unité consommée.

3) Si le consommateur se situe dans la 3e tranche, alors sa consommation totale dépasse les 55 m3. Autrement dit, il a déjà consommé 25 m3 dans la première tranche et 20 m3 dans la deuxième tranche, et le reste, il va le consommer dans la 3e tranche avec un prix P= 5,5 P1.

Dans ce cas, notre facture s’écrit :

Comme la quantité totale consommée est : Q = Q+ Q+ Q3,

Alors :

Donc :

Alors:

4) Maintenant, si le consommateur se retrouve dans la 4e tranche, alors sa consommation dépasse les 82 m3. Autrement dit, il a déjà consommé 25 m3 dans la première tranche, 20 m3 dans la deuxième tranche et 27 m3 dans la 3e tranche et, le reste, il va le consommer dans la 4e tranche avec un prix P= 6,5 P1.

Dans ce cas, notre fonction peut s’écrire :

Sachant que la quantité totale consommée est : Q = Q+ Q+ Q+ Q4,

Alors :

Donc :

En résumé, la facture payée par l’abonné n’est que le prix de la dernière tranche multiplié par la quantité totale consommée plus un effet revenu (subvention des tranches inférieures). Ce raisonnement rejoint alors la suggestion faite par Nordin (1976). Cet auteur propose l’utilisation du prix marginal plus une variable de différence (cette variable est considérée comme un remboursement ou une subvention).

Ainsi, nous pouvons exprimer notre facture sous la forme suivante :

  • avec :

  • ρi : le coefficient multiplicateur de la tranche en question;

  • P1 : le prix de la première tranche;

  • Q : la quantité totale consommée; et

  • Di : la variable de différence qui dépend de la quantité consommée.

Prix moyen versus prix marginal

1) Le prix moyen payé par l’abonné est le rapport entre sa facture et la quantité totale consommée :

On peut facilement déduire de cette formule que le prix moyen n’est que le prix de la dernière tranche plus un rapport qui met en relation la variable de différence et la quantité consommée. Par conséquent, nous pouvons également exprimer ce prix moyen en utilisant le prix de la première tranche (P1), les coefficients multiplicateurs (ρi) et le rapport entre la variable de différence et la quantité consommée (D/Q).

2) Pour ce qui est du prix marginal, ce dernier est obtenu en dérivant la fonction de la facture par rapport à la quantité consommée :

5. Spécification, modèles et outils d'estimation

5.1 Spécification et modèles

La spécification de la fonction de demande retenue est une spécification log-log. Cette forme est fréquemment utilisée dans la littérature pour sa simplicité, mais aussi pour pouvoir lire directement les différentes élasticités du modèle. Ainsi, notre modèle général se présente comme suit :

avec LnYit le log de la consommation de l’individu « i » à l’instant « t »; LnXit le log des variables explicatives qui varient dans les deux dimensions individuelle et temporelle; LnZi le log des variables explicatives qui varient dans la seule dimension individuelle; β et γ les paramètres qu’on cherche à estimer et υit le terme d’erreur habituel exprimé dans les deux dimensions individuelle et temporelle (ce terme d’erreur peut s’écrire : equation: 5016197n.jpg).

Cependant, comme la consommation de l’eau est souvent le résultat des effets d’habitudes et du volume déjà consommé à l’instant t-1, notre spécification prend la forme suivante :

Par conséquent, on se retrouve avec une forme dynamique qui ne peut pas être traitée avec les outils traditionnels. En effet, comme Yit est fonction de υit, cela implique implicitement que Yi,t-1 est également fonction de υit. Autrement dit, cette variable est corrélée avec le terme d’erreur par l’intermédiaire des effets fixes du modèle. Par conséquent, pour résoudre cette contrainte, nous allons estimer nos modèles à l’aide de l’estimateur de Blundell et Bond (1998) et pour atteindre les objectifs visés, nous allons estimer les deux modèles suivants :

Modèle 1

Dans un premier modèle, nous allons estimer la demande en eau en utilisant le prix marginal. Ce modèle se présente ainsi :

Modèle 2

Dans un deuxième modèle, nous allons analyser la demande en eau à l’aide de la spécification de Nordin (1976). Par conséquent, nous allons intégrer en plus du prix marginal, une variable de différence qui représente la différence entre ce que paie l’abonné et ce qu’il aurait dû payer si toute la quantité consommée était facturée au prix de la dernière unité consommée. Cette spécification nous semble légitime, car la modélisation de notre structure tarifaire soutient la spécification de Nordin (1976). De ce fait, notre modèle prend la forme suivante :

5.2 Les outils et méthodes d’estimation en panels dynamiques

Les modèles dynamiques autorégressifs se distinguent des modèles statiques par la présence d’un ou de plusieurs retards de la variable endogène comme variables explicatives du modèle.

Ainsi, l’estimation d’un modèle dynamique avec les outils traditionnels (OLS, Within, GLS, etc.) donne des résultats biaisés. Cette situation est le résultat de la corrélation existante entre les variables retardées et les termes d’erreurs du modèle (Baltagi, 2008). En effet, tel qu’il est expliqué par Sevestre (2002), l’estimation d’un tel modèle avec les MCO (Moindres Carrées Ordinaires) ou par des MCO appliquées à une transformation Within, la valeur du paramètre de la variable endogène retardée est sous-estimée (equation: 5016076n.jpg) et les paramètres des variables exogènes sont surestimées (si elles sont positives) (equation: 5016077n.jpg).

5.2.1 L’estimateur Anderson et Hsiao (1981)

Pour résoudre cette situation, Anderson et Hsiao (1981) proposent une méthode en deux étapes :

• Dans une première étape, pour éliminer l’hétérogénéité individuelle, les auteurs passent par une réécriture du modèle en différence première et le modèle prend la forme suivante :

• Dans une deuxième étape, pour éliminer la corrélation existante entre equation: 5016079n.jpg et equation: 5016080n.jpg, les auteurs font appel à des estimations en variables instrumentales. Ainsi, nous pourrons instrumentaliser equation: 5016081n.jpg en utilisant les valeurs de equation: 5016082n.jpgou par la variable endogène retardée de deux périodes equation: 5016083n.jpg, car ces valeurs sont corrélées avec equation: 5016084n.jpg, mais pas avec les termes d’erreurs (voir Baltagi, 2008). Cependant, comme le signale Baltagi (2008), cet estimateur n’est pas efficace, car il conduit à des valeurs aberrantes des paramètres et cette situation est le résultat :

  • de la perte dans les degrés de liberté;

  • de l’utilisation d’un nombre d’instruments égal au nombre de variables explicatives;

  • de la non-prise en compte d’autocorrélation des erreurs; et

  • de la faiblesse de la corrélation entre les variables instrumentalisées et leurs instruments.

5.2.2 L’estimateur d’Arellano et Bond (1991)

Pour faire face aux lacunes que présente l’estimateur d’Anderson et Hsiao (1981), Arellano et Bond (1991) proposent un autre estimateur plus efficace et cet estimateur se distingue du premier par l’introduction d’instruments supplémentaires. D’après ces auteurs, si on se positionne à l’instant T = 2, nous pouvons utiliser la variable Yi,0 comme instrument valide, car cette variable est corrélée avec (Yi,2 – Yi,1), mais pas avec (µi,2 – µi,1). Par contre, si on se positionne à l’instant T = 3, en plus de l’instrument proposé par Anderson et Hsiao (1981) (Yi,1), nous pouvons introduire la valeur de Yi,0 comme un autre instrument valide, car ce dernier n’est pas corrélé avec le terme d’erreur (µi,3 – µi,2). Ainsi, en poursuivant le même raisonnement, nous pouvons obtenir la matrice des instruments valides qui peuvent être utilisés. En absence de variables exogènes, cette matrice se présente comme suit (Baltagi, 2008) :

5.2.3 L’estimateur Blundell et Bond (1998)

Le manque de robustesse constaté dans l’estimateur d’Arellano et Bond (1991) est dû au manque de corrélation entre les variables instrumentalisées et les instruments. Cette situation est connue sous le nom de « weak instruments ». D’après Blundell et Bond (1998), ce problème provient de la faible corrélation entre les instruments Yi,t-2 et les variables instrumentalisées en différence. Pour cette raison, Blundell et Bond (1998) proposent d’autres conditions d’orthogonalité. Selon ces auteurs, en plus des conditions proposées par Arellano et Bond (1991), il est également possible d’instrumentaliser le modèle en niveau par les différences premières retardées. Cela revient alors à estimer un modèle empilé en niveau et en différence, instrumentalisé à la fois par les instruments d’Arellano et Bond (1991) et les instruments exprimés en différence première de Blundell et Bond (1998).

Ce nouveau modèle empilé s’écrit :

En l’absence de variables exogènes, ce modèle est instrumentalisé par les matrices suivantes :

6. Résultats et discussion

Dans le tableau des résultats, nous avons fait apparaître les résultats des deux modèles afin de comparer les deux estimations. Cependant, comme indiqué précédemment, le modèle avec la spécification de Nordin (1976) est à privilégier dans nos analyses, car il rejoint la modélisation de notre variable prix. Par conséquent, les analyses qui suivent traiteront principalement des résultats de ce modèle (Tableau 4).

Tableau 4

Les résultats des modèles estimés

The results of the estimated models

Les résultats des modèles estimés

Les valeurs entre parenthèses représentent les écarts-types : *** p<0,01, ** p<0,05, * p<0,1

Robust standard errors in parentheses: *** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1

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Ce type d’estimation ne permet pas de lire directement les coefficients des variables retardées et leurs T de Student. Par conséquent, nous avons calculé ces paramètres à l’aide des relations suivantes :

Ces valeurs sont données dans le tableau 5 :

tableau 5

Estimation des coefficients de la variable retardée

The values of the lagged variables

Estimation des coefficients de la variable retardée

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Les coefficients des variables retardées sont significatifs et négatifs pour les deux modèles. Ce résultat confirme la dynamique de la consommation de l’eau et la présence d’effets d’habitudes dans la prise de décision des consommateurs.

L’élasticité prix, à court terme, estimée avec le prix marginal dans le cas de la spécification de Nordin (1976), donne une valeur de -0,67, soit une élasticité à long terme de -0,72. Ces chiffres soutiennent l’idée que les abonnés ajustent leur consommation sur le long terme et rejoignent les résultats établis dans les travaux de Renwick et Archibald (1998), Burkey (2002), Carter et Milon (2005), Bell et Griffin (2005), Bartczaket al. (2007), Martinez-Espineira (2007) et Kertous (2012). Selon ces mêmes auteurs, pour répondre à une augmentation des prix, les abonnés investissent dans des équipements peu consommateurs d’eau (e.g., chasses d’eau à double commande, robinets avec économiseur). Cependant, l’ajustement à long terme de la consommation reste relativement faible pour le cas algérien, comparativement aux résultats obtenus par Burkey (2002) et Carter et Milon (2005). Nous pensons que ce résultat est dû au niveau du revenu qui ne permet pas aux ménages d’investir dans des équipements peu consommateurs et donc ils ne peuvent se permettre le luxe des préoccupations environnementales. La variable « enfants +18 ans » porte un signe positif et significatif. Ce résultats peut avoir pour explication les besoins grandissants des enfants avec l’âge. On constate qu’une augmentation de 1 % du nombre d’enfants adultes augmente la demande de 0,27 %.

La variable « nombre de pièces » impacte positivement la consommation des abonnés. Ce résultat est sans doute la conséquence de l’augmentation des besoins d’entretien qui sont proportionnels à la surface de l’habitation, mais également de la multiplication des commodités installées.

L’élasticité-revenu estimée avec la spécification de Nordin (1976) donne une valeur de 0,39. Autrement dit, une augmentation du revenu de 1 % engendre une demande supplémentaire de 0,39 %. Ce résultat est en adéquation avec la majorité des travaux empiriques (e.g., Gaudinet al., 2001; Nauges et Van Den Berg, 2007; Nieswiadomy et Molina,1989; Olmsteadet al., 2003; Tayloret al., 2004). En effet, la consommation de l’eau va souvent de pair avec le niveau du revenu. Plus un ménage est aisé, plus ses besoins de consommation sont importants (e.g., piscines, plus d’équipements). C’est en ce sens que les autorités algériennes doivent prendre en compte l’augmentation du niveau de vie de certains ménages dans leur politique de gestion de l’eau, car depuis les réformes des années 90, le pays connaît d’importantes disparités sociales.

À propos de la pluviométrie trimestrielle, pour le cas de la spécification de Nordin (1976), cette dernière est positivement liée à la consommation, mais elle n’est pas significative. Cependant, elle apparaît négative et significative dans le modèle avec prix marginal. Bien que ces deux résultats soient contradictoires, le signe positif de cette variable peut avoir pour explication la politique d’ajustement par l’offre. En Algérie, la consommation résulte d’une politique de rationnement horaire qui apparaît clairement comme un facteur explicatif. L’examen de cette variable dans le modèle de Nordin (1976) confirme notre analyse. Il n’est pas à exclure, également, que l’offre dépend de la disponibilité de la ressource qui provient, elle-même, de la pluviométrie. Par conséquent, il y a moins de contraintes de consommation durant les saisons pluvieuses. Le signe négatif de cette variable, dans le modèle estimé en prix marginal, peut avoir pour explication la relation négative entre la consommation et la pluviométrie. Il est normal d’imaginer que les ménages utilisent moins d’eau durant les périodes de pluie pour arroser leurs potagers ou laver leurs voitures. Ainsi, ce résultat va dans le même sens que ceux obtenus par Corralet al. (1999), Martínez-Espiñeira (2002) et Nauges et Reynaud (2001).

Les trois variables temporelles (mars, juin et décembre) portent des signes négatifs et significatifs pour l’ensemble des modèles estimés. Ce résultat confirme le caractère trimestriel de la consommation et révèle l’importance des variables climatiques dans la consommation des abonnés. D’après les résultats obtenus, la consommation de l’eau est toujours minimale durant le trimestre allant de décembre à mars.

Enfin, la variable de différence porte un signe négatif et significatif et ce résultat rejoint les suggestions de Nordin (1976). Toutefois, le paramètre de cette variable n’a pas la même amplitude que le paramètre revenu, comme suggéré par l’auteur. Par contre, il rejoint la majorité des travaux ayant traité cette problématique avec la même spécification (Carter et Milon, 2005; Jones et Morris, 1984; Martinez-Espiñeira, 2003; Nieswiadomy et Molina, 1989; Renwick et Archibald, 1998; Renwick et Green, 2000).

7. Conclusion

L’estimation de la fonction de demande en eau potable semble rejoindre parfaitement les résultats établis dans la littérature empirique. En effet, l’estimation de l’élasticité-prix avec la spécification de Nordin (1976) donne une valeur de -0,67, soit une élasticité de -0,72 sur le long terme. Ce résultat confirme la faible réaction des consommateurs algériens face aux changements des prix et cette valeur approxime le constat fait par Nauges et Whittington (2010) sur les pays en voie de développement (PVD). Selon ces auteurs, l’élasticité-prix des PVD est comprise entre -0,30 et -0,60. Même si ce résultat est légèrement supérieur, il est parmi les rares travaux qui traitent de cette problématique sur des données issues de la consommation réelle des ménages.

Nos résultats démontrent également que les abonnés ajustent légèrement leurs consommations sur le long terme. Cette situation est sans doute la conséquence d’un faible investissement dans des équipements peu consommateurs d’eau. Une politique volontariste de subventionnement de ces équipements pourrait être un moyen de favoriser une meilleure gestion de l’eau. À ce titre, il est intéressant de s’inspirer de l’expérience québécoise. Un programme d’efficacité énergétique a été mis en place par l’Agence de l’Efficacité Energétique afin d’offrir de tels services (gratuitement) pour les foyers modestes pour optimiser l’utilisation de cette ressource.

Le résultat de notre variable de différence ne répond pas aux exigences de Nordin (1976). Selon cet auteur, le paramètre de cette variable doit correspondre au paramètre revenu, mais avec un signe opposé. Dans notre cas, ce paramètre prend le bon signe, mais son amplitude reste faible et éloignée du paramètre revenu. Cependant, ce résultat rejoint ceux obtenus dans les travaux empiriques (Carter et Milon, 2005; Jones et Morris,1984; Martinez-Espiñeira, 2003; Renwick et Green, 2000).

L’augmentation de 1 % du nombre de pièces engendre une demande supplémentaire de 0,18 %. Ce résultat peut avoir pour explication le niveau de vie des ménages, mais également la multiplication des commodités installées dans l’habitation (nombre de toilettes, nombre de salles de bains, etc.). Le nombre d’heures de disponibilité d’eau au robinet a un impact positif sur la consommation de l’eau. Une variation du nombre d’heures de 1 % provoque une consommation supplémentaire de 0,25 %. Ce résultat montre le malaise des abonnés face à cette politique de rationnement et il confirme que les besoins des ménages sont souvent supérieurs à la quantité consommée. Les variables temporelles démontrent le caractère trimestriel de la demande de l’eau dans le cas de la wilaya de Bejaia. En effet, la consommation est à son niveau le plus faible durant le trimestre allant de janvier à mars et elle est à son maximum durant le trimestre allant de juillet à septembre. Ce résultat suggère la mise en place d’une tarification trimestrielle susceptible de réaliser des économies d’eau durant les pics de demande et inversement.