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Le concept de trauma relationnel, selon lequel l’exposition au stress, aux préjudices et à l’adversité peut provoquer des modifications sur le plan du bien-être et du fonctionnement social, a été largement intégré dans la pratique, la recherche et la conscience publique. En parallèle, dans les domaines de la pratique, de la recherche et de la politique, de multiples conceptualisations d’une approche interdisciplinaire exhaustive de la prestation de services sensible aux traumas sont apparues (p. ex. : Blaustein et Kinniburgh, 2018; Bloom, 2020; SAMHSA, 2014). Les « quatre R » sont communs à la plupart des définitions des approches sensibles aux traumas (AST) : 1) Réaliser l’impact global des traumas; 2) Reconnaître les signes et les symptômes des traumas chez les utilisateurs.trices de services et le personnel; 3) Répondre et intervenir en intégrant les connaissances sur les traumas dans la pratique et les politiques; et 4) prévenir activement la Retraumatisation (SAMHSA, 2014). De nombreuses recherches soulignent l’impact de l’exposition à des évènements et expériences traumatogènes (Réaliser), y compris les recherches axées sur les jeunes. Toutefois, les AST ont été critiquées pour leur manque de définitions communes, incluant le terme « trauma », et de clarté quant aux résultats, ce qui empêche une transition vers le paradigme des AST à grande échelle dans l’ensemble des systèmes de services à la jeunesse (SSJ; Bendall et al., 2021).

En outre, la nature carcérale de nombreux SSJ (p. ex. : la protection de la jeunesse, l’éducation, la justice pénale) pose des défis uniques quant à un changement de paradigme en matière d’AST. Au sein de ces systèmes, les signes et les symptômes liés aux traumas (Reconnaître) sont souvent pathologisés et punis sur la base d’une doxa qui interprète mal le comportement des adolescents.es en raison de l’absence de connaissances sensibles aux traumas (Répondre). Par conséquent, cette interprétation augmente le risque de retraumatiser les jeunes impliqués.es dans les SSJ (Matte-Landry et Collin-Vézina, 2021; Maurer, 2020). La promotion des AST est particulièrement pertinente au Québec puisque les jeunes peuvent être signalés.es au Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) pour des « troubles graves du comportement (TGC) » (Gouvernement du Québec, 2023). Ces troubles peuvent, en effet, être considérés comme des signes et des symptômes d’adaptation des adolescents.es à des environnements traumatogènes (p. ex. : le fait de vivre dans une famille où la violence interpersonnelle est présente ou s’est produite). L’exposition à la violence familiale, c’est-à-dire la victimisation et le fait d’être directement ou indirectement témoin, comprend la maltraitance des enfants (physique, psychologique, émotionnelle, sexuelle et la négligence) ainsi que toutes les formes de violence entre partenaires intimes (VPI) auprès des figures parentales (Hamby et Grych, 2012).

Dans le cadre des AST et des « quatre R », la question principale de recherche était la suivante : comment les adolescents.es exposés.es à la violence familiale[1] ont vécu les situations où iels étaient sur le point de « péter une coche ». L’objectif de cette recherche était de mieux comprendre le fonctionnement des mécanismes et des processus sous-jacents qui influencent les réactions comportementales, notamment les réponses adaptatives au stress, la régulation de l’affect et l’attachement relationnel. Le manque de capacité d’autorégulation de l’affect, c’est-à-dire la dysrégulation, peut entrainer des comportements, tels que la violence envers soi-même ou envers les autres, qui sont souvent pathologisés ou punis dans les SSJ n’ayant pas instauré d’AST. Ainsi, les résultats de notre étude élargissent les connaissances quant aux signes et symptômes associés à l’exposition traumatogène (Reconnaître) qui se manifestent à travers les stratégies adaptatives utilisées par les adolescents.es quant à la régulation de l’affect lorsqu’iels sont stressés.es et par l’impact de ces stratégies sur leurs relations. Cela permet d’informer et de promouvoir la transition vers le paradigme des AST dans l’ensemble des interventions et des SSJ (Répondre).

Qu’est-ce que le trauma?

Afin de mettre en oeuvre une transition vers le paradigme des AST dans les SSJ, il convient de clarifier la définition commune du terme « trauma », une définition claire de ce qu’on comprend du terme « trauma » est nécessaire. Ce mot désigne à la fois des évènements potentiellement traumatisants, l’exposition à ces évènements, des modifications psychophysiologiques résultant d’une telle exposition. Il englobe aussi les symptômes survenant à la suite d’une telle exposition. De nombreuses expériences liées à un stress élevé ou à une menace (p. ex. : les catastrophes naturelles et celles d’origine humaine, les agressions physiques et psychologiques interpersonnelles, etc.) sont identifiées comme étant traumatogènes, c’est-à-dire qu’elles ont le potentiel de causer des modifications psychobiologiques chez la personne qui y est exposée (Milot et al., 2018). Les situations traumatogènes englobent l’ensemble de l’écologie sociale, y compris les micro expériences comme la maltraitance vécue pendant l’enfance jusqu’aux pratiques institutionnelles telles que les punitions au sein d’une direction de protection de la jeunesse, et les expériences macrosystémiques d’oppression comme le racisme (Ungar et al., 2022). Les recherches en matière d’exposition traumatogène soulignent l’importance d’utiliser ce langage provisoire en démontrant que, peu importe la nature de l’évènement ou de la situation, l’exposition n’est pas capable de prédire quoi que ce soit : de nombreux individus ne subiront pas de modifications dans leur fonctionnement psychosocial ni dans leurs comportements suite à une telle exposition traumatogène (Perry, 2017). Cependant, les recherches démontrent que les expériences traumatogènes, en particulier celles liées à la violence familiale, coïncident souvent avec d’autres types de traumas, et qu’une exposition accrue à ces derniers augmente le risque de modifications du système de réponse au stress (SRS; Hamby et Grych, 2012). Ainsi, la prise de conscience de la prévalence de l’exposition traumatogène (Réaliser) doit s’accompagner d’une compréhension des signes et des symptômes de modifications du SRS (Reconnaître).

Un défi significatif est présent au niveau de la reconnaissance (Reconnaître) des AST, car à la suite de l’exposition à une expérience traumatogène, les signes et les symptômes des modifications au niveau du fonctionnement psychosocial et du comportement varient énormément (multifinalité) et présentent des origines psychobiologiques d’une multiplicité vaste (équifinalité; Perry, 2017; Ungar et al., 2022). En l’absence de liens prédictifs clairs entre l’exposition traumatogène et les signes d’importantes modifications qui en découlent, les AST intègrent des modèles développementaux de neuroscience et de psychologie qui mettent l’accent sur les mécanismes et les processus sous-jacents qui sont sensibles aux modifications (p. ex. : Blaustein et Kinniburgh, 2018). Puisque la recherche dans ces domaines peut être très technique, les résultats se prêtent bien à la vulgarisation, ce qui permet leur utilisation par des intervenants.es non spécialisés.es dans les SSJ afin qu’ils puissent mieux identifier les signes et les symptômes liés à une exposition traumatogène (Reconnaître). Plus précisément, la recherche sur la psychophysiologie des mécanismes de réponse au stress a fourni des concepts qui sont centraux aux AST. Par exemple, le concept bien connu de réponse au stress « combattre-fuir-figer » est une vulgarisation des mécanismes et des interactions complexes comme les modifications d’expression des gènes (l'épigénétique) et des voies neurales (la neuroplasticité) impliqués dans la réponse physiologique face à un stress élevé et aux expériences défavorables de l’hyper- et hypoactivation (Milot et al., 2018). Ce concept de « combattre-fuir-figer » est facile à comprendre pour le personnel non spécialisé.

Vu à travers le cadre neuroscientifique développemental, la conceptualisation traditionnelle du trauma comme étant une blessure (Le Robert, n.d.) dont les modifications à la suite d’une expérience traumatogène sont pathologisées et stigmatisées, est transformée. Vu à travers le cadre des AST, le trauma est une réponse au stress qui peut entrainer des modifications adaptatives des structures et des fonctions du SRS incluant le cerveau, du fonctionnement psychosocial et du comportement (Milot et al., 2018). Le changement de définition des modifications à la suite des expériences traumatogènes comme étant des blessures à celle d’une réponse adaptative au stress remet en question la doxa qui pathologise et punit le comportement des jeunes et favorise de nouvelles compréhensions des AST.

Les processus d’adaptation

Dans l’ensemble des SSJ, le comportement des jeunes fait l’objet d’une attention prioritaire et d’une surveillance considérable. Dans les AST, on considère que les comportements des adolescents.es constituent la pointe de l’iceberg qui indique les modifications associées aux expériences traumatogènes. En dessous de cette pointe se trouve un ensemble de processus interactifs et complexes du fonctionnement biologique, émotionnel, cognitif et social qui précèdent et influencent les réponses comportementales (Milot et al., 2018). C’est la partie sous-jacente de l’iceberg, où se manifestent les mécanismes et les processus intermédiaires de modifications du SRS, dans laquelle se produisent les comportements adaptés aux environnements traumatogènes, qui font l’objet des AST. Le SRS, incluant le cerveau, se modifie selon des interactions qui se produisent entre un individu et son environnement, intérieur et extérieur, social et biologique. Ces interactions effectuent continuellement des modifications dans la structure et le fonctionnement du cerveau au moyen de l’expression génétique (l'épigénétique) et de la formation, du renforcement ou de l’élagage des réseaux neuronaux dans le cerveau (la neuroplasticité). Ces modifications se manifestent par des adaptations dans le comportement et le fonctionnement psychosocial (Karatsoreos et McEwen, 2013). Ainsi, les AST privilégient le concept d’adaptation à celui de blessure et réfutent les idées de structures cérébrales « optimales » ou « normales » et les « bons » ou « mauvais » comportements. Les jugements de valeur, les idées selon lesquelles certains types de personnes (p. ex. : les auteurs.trices de violence) ne peuvent pas changer leurs comportements (Hacking, 1999), ou encore les stéréotypes identitaires stigmatisants sont tout à fait incongrus avec les résultats obtenus en recherche comportementale et neuroscientifique (Ellis et Del Giudice, 2019).

Les mécanismes de modification et les processus d’adaptation sont par nature dépendants du contexte et de l’environnement de l’individu. L’ensemble du SRS est construit socialement (Perry, 2017). Ces processus d’adaptation s’ajustent aux environnements spécifiques et traumatogènes déjà connus, tels que la violence familiale. Les individus s’adaptent et s’inspirent de leurs expériences passées pour se préparer aux adversités futures, similaires à celles déjà vécues. Par exemple, les comportements d’hypervigilance et d’agression ont souvent un effet protecteur dans les situations de violence familiale. Cependant, ils sont potentiellement inadaptés à d’autres environnements, tels que le milieu scolaire. De fait, par la répétition de situations d’exposition chronique au stress et à l’adversité, les adaptations à ces défis s’enracinent physiquement dans le système nerveux, notamment dans le cerveau (la neuroplasticité), influençant ainsi les réactions psychophysiologiques et comportementales futures face à des situations hautement stressantes (Karatsoreos et McEwen, 2013).

Régulation de l’affect

Au coeur de la relation entre les stimuli de l’environnement intérieur et extérieur d’une personne et les réponses aux stress se trouvent des mécanismes et des processus de régulation de l’affect (voir Figure 1; Maurer, 2015, 2020). Ces mécanismes et ces processus fonctionnent de manière interdépendante afin de gérer les réactions au stress dans le cadre d’un processus global de régulation de l’affect. La régulation de l’affect est une interaction complexe et dynamique en boucle de l’évaluation des stimuli environnementaux, des réponses neurophysiologiques, du traitement émotionnel et cognitif, des expériences passées et des réponses comportementales subséquentes d’inhibition ou de passage à action, internes ou externes (Ellis et Del Giudice, 2019; Karatsoreos et McEwen, 2013). Pendant des situations de stress élevé et d’adversité comme les conflits familiaux, les états d’hyper- et d’hypoactivation de l’affect, c’est-à-dire la réponse « combattre-fuir-figer », peuvent survenir, entraînant une perte de contrôle physiologique et cognitive des émotions et des pensées, ce qui mène à une perte de contrôle des comportements et à une dysrégulation de l’affect. La dysrégulation peut se manifester par de l’impulsivité, de l’agressivité, de la violence envers soi-même et envers les autres, de l’inattention, du désengagement cognitif ou émotionnel et de la dissociation.

Figure 1

Le modèle général régulation de l’affect

Le modèle général régulation de l’affect

Adapté de “Human aggression,” by C. Anderson and B. Bushman, 2002, Annual Review of Psychology, 53(1), p. 34.

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L’hyper- ou l’hypoactivation, qu’elle soit sporadique ou fréquente, peut générer des modifications dans le SRS et dans le processus de régulation de l’affect, entraînant une sensibilité accrue aux stimuli internes et externes. Les expériences intenses ou fréquentes de menace peuvent modifier la perception même de la menace, suggérant un niveau de danger plus élevé qu’il ne l’est en réalité (Nader, 2011). De ce fait, les expériences traumatogènes psychosociales peuvent générer une boucle de rétroaction de dysrégulation de l’affect qui s’entretient automatiquement intensifiant ainsi la vulnérabilité aux dysrégulations futures, notamment à l’hypervigilance et à la dissociation. Les personnes dont les adaptations expérientielles augmentent leur sensibilité à percevoir une menace psychosociale courent un risque exponentiellement accru de subir rapidement une dysrégulation affective plus importante (Ellis et Del Giudice, 2019; Karatsoreos et McEwen, 2013). Les réactions face à une menace perçue d’une personne en situation de dysrégulation, sont souvent jugées comme étant exagérées ou extrêmes par rapport au niveau réel de la menace, et ce, d’après la perception des observateurs.trices.

Les connaissances en matière de régulation de l’affect font partie des AST (p. ex. : Blaustein et Kinneburgh, 2018). Au sein des SSJ qui n’ont pas encore adopté les AST, les comportements associés à la dysrégulation de l’affect sont souvent mal interprétés et sont jugés comme étant antisociaux ou pathologiques et intentionnels. Ainsi, lorsque les AST ne sont pas intégrées, les personnes vivant des dysrégulations fréquentes ou intenses sont souvent sanctionnées, punies, séparées et isolées de leur famille et de leurs pairs (Milot et al., 2018; Yaeger et al., 2018). Les AST visent qu’avec l’intégration de leurs principes, ces relations pourraient devenir bien plus guérissantes et rendre les liens d’attachement plus forts et fiables.

Adaptation à l’adversité et attachement

L’adaptation au stress et à l’adversité par les modifications subséquentes de la fonction, de la structure et du comportement du SRS du cerveau est relationnelle. Ce sont souvent les interactions avec d’autres individus qui constituent l’évènement traumatogène précipitant. La régulation de l’affect constitue le mécanisme central du soi en relation avec soi-même et avec les autres. L’attachement est le terme qui désigne la nature et l’organisation affectives globales des relations en matière de sécurité affective, physique et de confiance qui trouve son origine dans la relation primordiale de corégulation entre un enfant et ses figures parentales (Shemmings et Shemmings, 2019). Les expériences qui conduisent à une adaptation du SRS et aux patterns habituels de régulation de l’affect qui en résultent influencent non seulement les interactions sociales dans le moment, mais aussi les modèles généraux de relations sociales, c’est-à-dire d’attachement.

Les modèles d’attachement sont malléables au fil du temps et ils sont influencés par les changements dans les patterns d’adaptation de réponse au stress élevé et à l’adversité. Les attentes quant aux comportements des autres, qui sont générées lors de situations de stress et d’adversité élevée, ne sont peut-être pas fiables. L’adaptation à la stabilité vécue lors de la guérison ou de la réparation d’une exposition traumatogène a également un effet sur le fonctionnement biopsychosocial, sur la capacité de régulation de l’affect et sur le bien-être général (Shemmings et Shemmings, 2019). Les AST intègrent cette perspective pour comprendre non seulement les effets des expériences traumatogènes sur les relations interpersonnelles intimes, mais aussi les relations entre les utilisateurs.trices de services et les prestataires de services, les organisations, les SSJ et les macrostructures sociales (Milot et al., 2018).

Les expériences de régulation de l’affect chez les adolescents.es exposés.es à la violence familiale

Une transition de paradigme vers les AST dans les SSJ repose sur l’intégration des quatre R : Réaliser, Reconnaître, Répondre, et (éviter la) Retraumatisation. Si la prise de conscience du concept de trauma est courante (Réaliser), les signes et les symptômes d’une exposition à une situation traumatogène (Reconnaître), et surtout les comportements associés aux états de dysrégulation des affects, sont souvent mal compris, stigmatisés et punis dans les SSJ (Répondre/Retraumatisation). Une meilleure connaissance du sujet de notre recherche, c’est-à-dire des mécanismes et des processus qui sous-tendent les expériences de régulation de l’affect—un concept central des AST—, peut contribuer à motiver des changements significatifs dans les pratiques pathologisantes et punissantes inhérentes aux SSJ. L’adolescence représente une période de sensibilité développementale pendant laquelle les processus de régulation de l’affect sont très malléables en réponse à des interventions (Arain et al., 2013; Nader, 2011). En nous appuyant sur les modèles biopsychosociaux développementaux des réponses adaptatives aux expériences de stress élevé et d’adversité, notre objectif était de rendre les connaissances fondamentales sur les AST plus vivantes par le biais d’entrevues phénoménologiques avec des adolescents.es ayant recours aux SSJ. Ainsi, la question de recherche de cette étude était la suivante : Quelles sont les expériences vécues de régulation de l’affect pendant des situations d’hyper- et d’hypoactivation (sur le point de « lose it / péter une coche »), telles que racontées par des adolescents.es qui ont été exposés.es à la violence familiale. Cette recherche vise à acquérir de nouvelles connaissances sur leurs processus d’adaptation, sur leurs stratégies d’autorégulation et sur la manière dont celles-ci influencent leurs relations.

Méthodologie

Notre étude phénoménologique qualitative (Vagle, 2018) identifie les expériences fréquentes de régulation de l’affect chez les adolescents.es ayant subi de la violence familiale. Les articipants.es ont été recrutés.es à partir d’un organisme communautaire qui offre des services aux jeunes en situation d’itinérance ou dans un centre de services ambulatoires en santé mentale adolescente. Les critères d’inclusion de l’étude étaient les suivants : être âgé.e de 14 ans (âge du consentement au Québec) à 25 ans (fin approximative de l’adolescence; Arain et al., 2013; Nader, 2011) et s’identifier comme ayant été exposé.e à la violence familiale. Le type d’exposition à la violence familiale (p. ex. : victime de violence physique, témoin de VPI) a été vérifié à l’aide d’un outil de dépistage de la maltraitance chez les enfants (ISPCAN Child Abuse Screening Tool Children’s Version [ICAST; Zolotor et al., 2009]) rempli en français ou en anglais par les participants.es. Le dévoilement d’une agression sexuelle commise par un.e membre de la famille était le principal critère d’exclusion, en raison de la prévalence différente entre les genres et des effets psychosociaux spécifiques associés à la victimisation sexuelle (Daigneault et al., 2007). Nous avons reçu une approbation éthique de l’université McGill et du Centre universitaire de santé McGill. Les annonces pour le recrutement ont été distribuées en français et en anglais par des membres du personnel. Des auxiliaires de recherche se sont rendus.es sur place pour faciliter le recrutement. En remerciement de leur participation volontaire, les participants.es ont reçu une compensation en argent et des laissez-passer pour accéder aux transports en commun.

Les participants.es ont complété deux entrevues semi-structurées d’une heure menées par des auxiliaires de recherche bilingues qui étaient candidats.es à la maîtrise en travail social et qui fournissaient des services aux jeunes à risque. Les entrevues ont été réalisées entre septembre 2018 et février 2019. Les jeunes ont été informés.es de l’obligation des auxiliaires de recherche et des organisations participantes à divulguer toute nouvelle incidence de violence familiale au DPJ, mais aucune n’a été signalée.

Le guide d’entrevue phénoménologique visait à obtenir des données riches et descriptives (Vagle, 2018) sur l’expérience de régulation de l’affect. Les participants.es devaient évoquer un incident spécifique au cours duquel iels avaient l’impression qu’iels allaient « lose it / péter une coche », c’est-à-dire se retrouver dans un état d’activation affective. On leur demandait de décrire les composantes physiologiques, émotionnelles et cognitives qu’iels éprouvaient lorsqu’iels étaient dans cet état d’hyper- ou d’hypoactivation ainsi que les stratégies de régulation de l’affect utilisées sur le moment. Afin de saisir la variété des capacités de régulation employées par les adolescents.es, les participants.es étaient invités.es à décrire deux expériences d’activation : l’une au cours de laquelle iels ont agi alors qu’ils étaient dysrégulés.es et l’autre où iels ont inhibé l’action (voir Maurer [2020] pour une description plus détaillée).

Échantillon

L’échantillon est composé de 16 jeunes (âgés.es de 15 à 25 ans), soit sept femmes, huit hommes et un.e non-binaire, en majorité francophones d’origine européenne (75 %), recevant des services pour les jeunes en situation d’itinérance ou des services en santé mentale adolescente d’une grande ville canadienne. Au cours de l’année précédente, 13 participants.es ont déclaré avoir été témoins de VPI psychologique et huit ont été témoins de VPI physique. Également, 10 participants.es ont déclaré avoir subi de la maltraitance psychologique et 11 ont déclaré avoir subi de la maltraitance physique de la part de leurs figures parentales. Seulement deux des participants.es rapportent exclusivement une exposition à la maltraitance. Nous n’avons trouvé aucun pattern quant aux différences entre les femmes et hommes en ce qui concerne l’exposition à la violence familiale. Six participants.es ont déclaré déjà recevoir les services du DPJ.

Analyse des données

Nous avons effectué une analyse thématique, telle que décrite par Braun et Clarke (2022), basée sur des théories qui définissent les modifications à la suite d’expériences traumatogènes comme étant une réponse adaptative aux expériences de stress face à d’importantes situations d’adversité. Ces théories comprennent les trois processus interdépendants de l’affect : physiologique, émotionnel et cognitif. Nous avons d’abord codé les évènements ou les interactions relationnelles qui ont précipité ou déclenché une réaction de stress, c’est-à-dire une situation dans laquelle un.e participant.e a eu l’impression d’être sur le point de « péter une coche ». Par la suite, nous avons codé les thèmes des trois composantes de l’affect (physiologique, émotionnelle et cognitive), les stratégies d’autorégulation rapportées par les jeunes ainsi que les composantes relationnelles des interactions de régulation et de dysrégulation de l’affect dans les relations familiales, professionnelles, organisationnelles et systémiques.

Résultats

Tout au long des entrevues phénoménologiques, les jeunes qui avaient subi de la violence familiale ont communiqué de riches descriptions du vécu d’autorégulation de l’affect dans les moments où iels avaient l’impression qu’iels risquaient de « lose it / péter une coche », et ce, selon leur propre idée de ce que constitue un état d’hyper- ou d’hypoactivation de l’affect. Le premier thème, qui est celui des stimuli relationnels, reflète l’hypothèse que la dysrégulation de l’affect résulte d’une expérience traumatogène du présent qui évoque une réponse associée à une expérience du passé. Ainsi, la plupart des déclencheurs associés au risque de « péter une coche » étaient d’origine historique. En outre, selon la théorie de l’attachement, les déclencheurs étaient d’origine relationnelle. Pour ce qui est du deuxième thème, les adolescents.es ont décrit des variations dans leurs expériences quant aux trois composantes d’autorégulation de l’affect, à savoir l’activation physiologique, les émotions ressenties et l’engagement ou l’absence d’engagement cognitif. Le troisième thème démontre la variété des stratégies adaptatives qu’iels emploient pour s’autoréguler, et les conséquences associées à la dysrégulation et à la suppression de l’activation afin de passer à l’action ou à l’inhibition de la réactivité comportementale, et le fait que « péter une coche » est rarement le résultat d’une seule stratégie de régulation. Le dernier thème de notre analyse démontre, ce que suggèrent les AST, le rôle clé des relations des jeunes avec les prestataires de services et les institutions dans lesquelles iels sont impliqués.es.

Stimuli relationnels qui précipitent le fait de « losing it/péter une coche »

Au début de l’entrevue phénoménologique, les participants.es ont été invités.es à évoquer un incident récent au cours duquel iels ont eu l’impression qu’iels risquaient de « lose it / péter une coche ». Selon chacun.e des participants.es, les interactions sociales ont été le déclencheur d’un sentiment de perte de capacité d’autorégulation face à un état d’activation. Pour certains.es, les réactions ont été rapides et la dysrégulation a été immédiate. D’autres ont décrit une accumulation de facteurs de stress immédiats ou cumulés au fil du temps, ce qui est souvent le résultat d’une stratégie d’autorégulation par suppression (voir Maurer, 2020).

Par exemple, une personne a décrit un incident qui s’est produit la veille au soir, mais où elle a « pété sa coche » seulement le lendemain en raison de l’effort de suppression de ses réactions de la veille :

"And then I went to sleep, I was so exhausted from --not losing it, but being like questioning and then in the morning I lost it. It was like exhaustion took it." (9F[2])

De nombreux jeunes ont décrit une accumulation d’émotions, de blessures et de facteurs de stress qu’ils retiennent jusqu’à ce que quelque chose les envahisse, les amenant à réagir à tous ces éléments en même temps :

« C’est une accumulation de plein d’émotions non gérées qui fait qu’à un moment donné, ça peut être juste que tu me dises que tu ne veuilles pas me prêter 20 $ puis je vais te “péter une coche“ pour ça. Mais je m’en fous là, c’est juste que sur le coup. Je vais avoir tellement de choses à sortir que ça va juste sortir tout seul. »

3F

« Ben, moi, je vais commencer par dire que, quand je “pète ma coche “, c’est vraiment des facteurs réactionnels provoqués à répétition. »

2H

Pour les participants.es, maintenir l’autorégulation au cours d’une interaction relationnelle a fréquemment représenté un défi. Comme le démontre la recherche, une menace ou un facteur de stress lié à un contexte ou à une interaction actuelle pourrait rappeler une interaction passée dans laquelle un élément perturbait le sentiment de sécurité et de confiance dans le lien d’attachement. La plupart des déclencheurs relationnels décrits impliquaient des membres de la famille ou des amis.es.

Les relations avec les parents sont souvent des sources d’agitation :

« Le but, c’était de vraiment garder l’émotion, vraiment, dans ma chambre, de pas… tu comprends, de pas la faire sortir à l’extérieur. Parce que, surtout avec ma mère, la belle relation que j’ai avec elle, c’est… t’sais, c’est unique. Si elle a une flammèche qui commence puis qu’est-ce qui part après, c’est… C’est fou, là, comme, il y a plus rien de bon qui part après, là. »

10H

Pour certains.es, cela a entrainé une rupture majeure de la relation :

« J’ai vraiment appris que, à la place de rester en tabarnak contre ma mère, j’ai coupé tous les ponts au complet. »

16H

Plusieurs ont décrit comment les expériences passées influencent les réactions futures :

« C’est toute de l’accumulation de mon passé. »

11H

« J’ai toujours certaines cicatrices. T’sais, une autorité absente au niveau de la mère, une autorité défaillante et super instable au niveau du beau-père… ce qui fait que des fois, j’ai beaucoup tendance à être hyper sensible et anxieux et des coups d’émotions, up and down, t’sais, j’ai souvent ça. »

13H

Les abus de confiance sont souvent à l’origine de la perte d’autorégulation :

« Oh! Boy, comment je me suis fâchée. Ben, j’ai crié après mon beau-père en lui disant d’arrêter, parce que ça me rappelait… Ben, parce que ça m’a rappelé des souvenirs quand j’étais jeune, puis je veux pas que ça arrive à ma soeur, fait que… »

7F

« Parce que j’ai tendance à considérer l’autorité comme mon beau-père, comme un trou de cul, qui fait juste profiter de la situation pis qui fait rien d’autre que juste manipuler les gens »

13H

La participante 9 raconte qu’elle a « pété sa coche » à cause de la consommation de drogues de son petit ami et des mensonges de ce dernier à ce sujet. Il y avait également des facteurs environnementaux, puisqu’ils n’avaient pas de domicile fixe et faisaient face à des difficultés financières :

"...I was like, ‘I fucking knew you were high.’ I flipped out, I took his phone away because he owed me money and I hid it and then he flipped out and we pushed each other around a bit and then I left. And then he was yelling at me and someone called the cops..."

9F

Par contre, les relations peuvent motiver et contribuer au processus d’autorégulation :

"…like its two completely different people. Like my parents, I have a whole history with them and with this girl who was talking to me like we’ve been friends for a couple of years and she’s never done anything to spite me [laughs] so there was none of that like pent up anger from past things, you know?"

1F

C’est une amie qui a empêché le participant (11H) d’agresser quelqu’un : « Elle a su exactement quoi dire pour pas que j’agisse. »

Composantes de l’activation de l’affect

Nous avons demandé aux jeunes de décrire les expériences physiques, émotionnelles et cognitives survenues au cours d’un état d’hyper- ou hypoactivation affective. Le processus d’activation affective commence avec une réponse physiologique qu’on ressent physiquement par le biais de sensations corporelles face à une menace ou à un déclencheur. Ensuite, les réponses émotionnelles commencent. Finalement, c’est l’engagement cognitif qui cherche à gérer l’impulsion de passer à l’action et qui sera dépassé au cours d’un important état de dysrégulation.

Activation physiologique

Les jeunes ont décrit de nombreuses sensations de réactivité physiologique du SRS : picotements, tremblements, montées d’adrénaline, sensations de lourdeur, tensions ou contraintes et douleurs. Ces sensations se sont manifestées dans plusieurs parties du corps, notamment dans les bras, les poings, les doigts, les pieds, la gorge, la poitrine, le coeur, la tête et l’estomac.

En cohérence avec le modèle neurobiologique des réponses au stress, l’intensité des sensations physiologiques précipitait les impulsions comportementales, donnant envie de frapper, sur soi-même ou sur des objets, pour évacuer la perturbation physiologique dans le corps :

"Yeah, I was so angry that I felt like punching every inch of air around me.”

8F

Quelques participants.es ont décrit l’activation affective de « péter une coche » comme une expérience physique intense dans laquelle iels ne se sentent plus en contrôle. Un participant a décrit comment il s’est senti « possédé », tandis que d’autres ont fait l’expérience d’une sorte de dissociation :

« Le vide c’est… tout est vide, genre tout est vide. Quand tout est vide, il n’y a que du vide. »

2H

D’autres ont ressenti des sensations physiologiques et émotionnelles simultanément :

« Uh… mettons des fois si j’suis fâché, j’ai l’impression que la tête va exploser mais tsé j’ai une p’tite larme sur le côté… ».

14H

Émotions

Les participants.es ont fréquemment déclaré ressentir plusieurs émotions à la fois :

"Frustration. Anger. Hurt. And I would also say longing, because as much as I try and push against my parents sometimes, like I really crave their approval”.

1F

La honte était souvent associée à la dysrégulation :

« J’avais vraiment honte puis en même temps j’étais en tabarnak puis je voulais crier. »

4NB

Contrairement à l’association présumée entre l’hyperactivation et la colère, la moitié des adolescents.es ont décrit une combinaison de tristesse et de colère dans laquelle une émotion prend le dessus sur l’autre :

« Mais oui, je me sens à l’aise de pleurer parce que pour moi, un pleur, c’est juste une colère qui se verse tranquillement. Quand je pleure, c’est souvent parce que j’ai eu de la colère quelque part, mais qui se transforme en tristesse. ».

13H

En revanche, le participant 2H a indiqué que les sentiments de tristesse se transforment en colère, non pas avec l’intention de nuire à l’autrui, mais plus dans une tentative d’autoprotection :

« La colère a surgi pour protéger la vulnérabilité. »

Cognition

L’une des caractéristiques déterminantes de la dysrégulation de l’affect est l’inhibition du contrôle cognitif des réponses physiologiques et émotionnelles au stress, en particulier lors d’états d’activation affective extrême. Les participants.es ont décrit leurs efforts à gérer leurs émotions et leurs impulsions comportementales de manière cognitive :

"I was feeling angry and I was feeling after sad and after I was feeling fine because I tried to conquer both of the feelings because I was thinking it’s the best thing to conquer and to get another feeling."

15H

Plusieurs n’ont pas réussi à garder l’autorégulation cognitive pendant une interaction sociale stressante :

" … I think about if I yelled at them what would happen? But my brain doesn’t correspond with my actions, so my brain tells my actions to either yell at them or curse at them. One side just doesn’t want to do that and the other just overpowers the rest.".

5F

Souvent, iels décrivent la dysrégulation comme une perte de contrôle de la situation :

« Ben, quand je “pète ma coche”, généralement, c’est parce que j’ai l’impression de pouvoir avoir le contrôle sur ce… sur ce qui va se passer, t’sais. »

6H

Ou encore, comme la perte de contrôle interne :

« Ça me vient dans la tête puis justement, c’est pour ça que des fois je perds le contrôle parce que j’ai juste une pensée qui… qui est passée, mais que j’ai pas vraiment été capable de contrôler. »

3F

Stratégies d’autorégulation

Comme l’a fait remarquer un participant, les réussites en matière d’autorégulation passent souvent inaperçues, alors qu’une seule situation où il y a une « coche qui est pétée » devient une marque de stigmatisation véritable dans les SSJ (Maurer, 2020). En revanche, tout au long des entrevues, les participants.es ont décrit l’utilisation de diverses stratégies d’autorégulation de l’affect : quitter la situation, se retrouver seul.e, respirer, se distraire (p. ex. : regarder la télévision, écouter de la musique), parler à un thérapeute, se parler, s’éloigner d’une personne jusqu’à ce qu’iel puisse réagir différemment, tenir un journal et pleurer ou exprimer ses émotions. Certains.es participants.es ont parlé du besoin de « dépenser de l’énergie » pour s’autoréguler ou s’épuiser.

"I just like to go in my room and breathe, and watch TV and just empty my mind. You know, like putting on a show about someone else's life and not thinking about yours for an hour or two"

9F

Respirer et se parler sont des stratégies fréquentes :

« Ça fait que là, j’avais comme envie de “pitcher “quelque chose. J’avais envie vraiment de comme commencer à foutre la merde puis tout. Mais comme à la place, tout ce que j’ai fait, je marchais dans ma chambre puis je me tenais la tête, là, puis je me disais : “Les choses vont bien aller là, les choses vont avancer, les choses vont s’arranger, les choses vont bien aller “. Puis je me répétais des choses comme ça. »

10H

Progression des stratégies de régulation

Souvent les participants.es ont mis en place plusieurs stratégies d’autorégulation avant de « péter une coche ». Ce qui peut sembler être une réaction instantanée est en fait une activation affective progressive, puis « c’est la goutte » (3F) de plus qui les projette pleinement dans la dysrégulation.

La progression peut se faire au fil du temps :

« Genre c’est vraiment progressif, mais je le sens du début à la fin. C’est très progressif, c’est de façon croissante. Une limite exponentielle. En… en moins d’une heure.

4NB

La progression peut aussi aller de l’activation de l’affect vers l’action :

« Tu commences pas tout de suite comme ça, renverser la table puis… non. Avant, tu commences, tu lui parles, tu lui parles, tu lui parles puis t’sais, il comprend pas. Après ça, tu commences à passer aux actions. Tu commences, t’sais, tu vas en montant… »

10H

« Ben j’ai des étapes. Moi, ça va commencer par mes oreilles, ma face, puis après ça, je vais pleurer. Mais ça, tu veux pas que je me rende à la troisième étape, mettons. »

7F

Conséquences des stratégies de suppression ou de « péter une coche »

Les efforts d’autorégulation ne s’arrêtent pas une fois que la personne a inhibé une expérience d’activation ou qu’un.e adolescent.e a « pété sa coche ». Iels ont décrit une boucle de rétroactivation qui se poursuit entre le processus de régulation de l’affect et les stimuli internes et externes. Cette boucle peut mener à une dysrégulation en cascade ou en vague, où iels regagnent l’autorégulation et la perdent à nouveau, empêchant un nouvel état de dysrégulation :

« Oui, après, puis après, mais pas longtemps après, je deviens irritable. Faut que je me calme pis j’ai une place plus… que je m’arrange pour être dans ma bulle, écouter la musique. Sinon, je sens que si… vu que j’suis irritable pis l’monde recommence à me retoucher, j’risque “re-péter “. L’autocontrôle va avoir servi à rien, fait que je le sais qu’il faut que je sois plus dans mon coin. »

13H

Le fait de « péter une coche » peut permettre un retour au calme plus rapide que l’inhibition de la dysrégulation :

« Je dirais que quand je passe pas à l’action, c’est là que ça devient un peu plus long, justement parce qu’on dirait que je dois comme calmer mes… les envies que j’avais, mettons de… de frapper dans un mur. Puis aussi, qu’est-ce qui a déclenché ça. Ça fait qu’on dirait que ça me prend un peu plus de temps à comme retrouver mon souffle. Mais quand j’ai “ pété ma coche “, j’ai “ pété ma coche “. C’est déjà sorti. Fait que ça peut être instantané ou deux-trois minutes puis après ça, je suis correct. »

3F

Toutefois, de nombreux.ses jeunes ont dit vivre des regrets après avoir « pété leur coche » :

“…if I did lose it, it’s like an hour of like contemplating why and like still feeling the stresses and feeling the anxiety in my body of like why did I do that?”

9F

Relations professionnelles, institutionnelles et systémiques

Les relations entre les jeunes et les prestataires de services sont au coeur des AST. Les jeunes de l’étude étaient réellement conscients.es que leurs comportements étaient surveillés dans de nombreux contextes. Le fait de « péter une coche » peut avoir des conséquences durables et nuisibles si la police et le DPJ sont impliqués. La réparation de l’attachement avec le personnel institutionnel et les ruptures relationnelles avec des prestataires de services et des institutions ont également été notées.

« Moi, j’ai une TS [travailleuse sociale] qui me suit, puis si je me gère pas, là, elle va faire un move con, fait que là, je me gère…Je peux pas faire de faux move de… d’erreurs, on dirait, là, parce qu’elle, elle veut que je sois parfaite. La perfection, ça existe pas. J’espère que tu voudras pas que les gens soient parfaits, ça existe pas. »

7F

Une jeune mère s’est inquiétée de l’impact sur ses enfants qu’ils aient été témoins de sa dysrégulation et de l’implication des autorités :

“Thankfully for some reason my lash-outs literally never happen when my children are awake, which is kind of great. It's very great. I wish they wouldn't happen period. They haven't happened in months. But I'm just, like, thankful that he [their partner] didn't call DYP. But in that moment I was very worried about it. I was worried about our neighbors possibly calling DYP on me."

8F

La peur de l’intervention de la police a aidé un autre jeune à ne pas agir lorsqu’il était sur le point de « péter une coche » :

"I decided not to break anything because I was thinking about it in my situation. So, if I go to break something, then after they’re going to pick me up and then maybe they’re going to bring me to the jail or something but I don’t want to go to the jail.”

15H

Grâce à l’inhibition de sa réaction, il a pu s’intégrer dans un programme de logement et atteindre une certaine stabilité dans sa vie.

Par contre, le participant 10H a décrit un conflit permanent avec sa mère, qui entrainait souvent une forte dysrégulation, même s’il arrivait à gérer ses réactions avec la plupart des autres personnes. Dans l’une des situations, la police a été appelée, ce qui a été décrit comme : « Je veux dire, c’est quoi le pire qui peut arriver? ». Le jeune a été retiré du foyer et placé dans un centre jeunesse. Pendant son séjour au centre, il a agressé physiquement un intervenant alors qu’il était en dysrégulation et le personnel a réagi de manière très agressive. Le participant 10H a exprimé une grande méfiance à l’égard de l’institution en raison d’une impression de manque d’imputabilité :

« Puis, les centres jeunesse, c’est vraiment des crosseurs, parce que si t’as fait une… comme si t’as essayé de fuguer ou t’as fait… t’as insulté quelqu’un, ils vont te faire n’importe quoi avec toi, ton dossier. »

13H

Toutefois, ce même jeune a parlé du soutien qu’il a reçu d’un intervenant en santé mentale qui :

« m’a suivi pendant 2 ans…Puis c’est comme lui qui m’a appris à nommer mes émotions… »

16H

Comme nous l’avons démontré, l’environnement et le contexte, y compris les AST dans les institutions, exercent une forte influence sur la capacité d’autorégulation de l’affect. Le participant 13H a fréquemment parlé de ses difficultés avec l’autorité. Pourtant, dans une situation, il s’est adressé directement à une figure d’autorité, une enseignante. Il lui a demandé de l’aide pour s’autoréguler :

« Puis là, comment j’ai fait pour me calmer, c’est que j’ai tout simplement dit à la professeure : “ Écoute, j’suis fru, pis j’sens que j’vais poigner les nerfs là, parce que lui, t’sais, il fait ça “. Pis là, j’ai dit : “ J’peux-tu te… j’peux-tu te faire un câlin, devant la classe, là, t’sais ». Elle a dit oui puis on s’est donné un câlin, t’sais. Pis, ça s’est calmé tout de suite après. Moi, le tactile, ça me calme. »

13H

En effet, l’attachement relationnel et l’expérience physique du câlin l’ont aidé à réguler l’activation de l’affect et à éviter de « péter une coche ». D’autres participants.es ont également fait état de relations positives avec des prestataires de services, souvent dans les établissements de santé mentale, qui les ont aidés.es à améliorer leurs stratégies d’autorégulation de l’affect.

"[I learned] like staying calm and like more constructive ways of talking to people that will get you where your goal is. Yeah, I think seeing a psychologist was the most beneficial thing that has ever happened to me in my life." ()

1F

Discussion

Nous avons recueilli des récits d’expériences d’états d’activation du SRS initiés par des stimuli environnementaux chez des dolescents.es ayant subi de la violence familiale. Nous nous sommes inspiréses des recherches neuroscientifiques sur les mécanismes et les processus de réponses face à un stress élevé et les patterns qui se développent au fil du temps en raison des modifications adaptatives qui font également référence aux modèles de base des AST. Nous voulions mieux comprendre la manière dont le vécu des adolescents.es est complémentaire, ou non, à ces modèles. Il est important de relier les connaissances techniques (p. ex. : les micromécanismes de neuroplasticité) aux connaissances quantitatives, où l’expérience d’un tel phénomène est déjà déterminée, avec le vécu actuel des jeunes pour que nos modèles et théories soient fiables et cohérents avec leurs expériences. L’implication globale du concept de « trauma » et des AST dans la conscience publique, les politiques, et surtout, dans les SSJ nous obligent à ne pas retraumatiser les jeunes en situation de vulnérabilité et à vérifier avec eux nos hypothèses afin de promouvoir la justice sociale et l’intégration des AST aux SSJ.

Les résultats de notre étude démontrent l’importance d’inclure les voix et le vécu des jeunes afin de rapprocher les expériences actuelles vécues des trois concepts centraux des AST — les modifications adaptatives du SRS, la régulation de l’affect et l’attachement — à la suite d’expositions traumatogènes. Les riches descriptions phénoménologiques des expériences d’adolescents.es permettent de mieux comprendre l’initiation d’états d’hyper- et d’hypo activation activée par les stimuli environnementaux, plus souvent relationnels, historiques et enracinés, comme étant des déclencheurs d’activation du SRS. Les diverses activations physiologiques étaient ressenties partout dans le corps et correspondaient à des modèles neuroscientifiques faisant partie des AST. Pendant les états d’activation, les jeunes ont vécu une panoplie d’émotions, souvent contradictoires, comme la tristesse et la colère ressenties en même temps. De plus, plusieurs jeunes ont décrit une perte de contrôle cognitive sur leurs pensées et leurs comportements, même s’ils ressentaient un état d’hyper- ou d’hypoactivation. En revanche, les autres assuraient ressentir un genre de contrôle complet de soi-même où iels supprimaient toute réaction corporelle et émotionnelle pour éviter de « péter une coche » immédiatement. Toutefois, les résultats démontrent que même si les stratégies d’autorégulation liées à la suppression fonctionnent, elles mènent plus souvent ces jeunes à un état de dysrégulation de l’affect complet immédiat ou plus tard, parfois planifié, parfois spontané. Ce qui était impressionnant dans les récits, c’était la multiplicité et la variation des stratégies de régulation de l’affect. Tel qu’attendu, l’attachement relationnel a joué un double rôle : premièrement celui d’être un déclencheur et deuxièmement, pendant ou après un épisode de dysrégulation, leurs proches, mais aussi les prestataires de services, ont aidé les jeunes à retrouver un état de régulation de l’affect. La synthèse des résultats suggère que les principes fondamentaux des AST, comprenant les « quatre R » (SAMHSA, 2014) et le fait de mettre l’accent sur les processus d’adaptation au stress, la régulation de l’affect et l’attachement, correspondent aux expériences et aux besoins d’intervention des adolescents.es. En complément, les résultats démontrent le besoin urgent d’intégrer les AST afin de soutenir adéquatement les adolescents.es en situation de vulnérabilité et de prévenir leur retraumatisation au sein des SSJ.

Stimuli environnementaux déclencheurs et états d’activation de l’affect

Bien qu’iels n’aient pas été directement interrogés.es à ce sujet, les participants.es ont souvent fait le lien entre leurs réactions actuelles au stress et à l’adversité et les expériences traumatogènes de leur passé. Iels ont insinué ce lien ou même identifié la nature adaptative de leurs patterns de réactivité au stress habituels. Plus précisément, les adolescents.es ont identifié les relations, les situations (p. ex. : au travail), les états émotionnels et les cognitions initiant des états d’activation de l’affect. Plusieurs d’entre eux ont bien compris leurs vulnérabilités quant aux déclencheurs et la façon dont la dysrégulation arrive très rapidement dans des contextes spécifiques, bien qu’il s’agisse de suppression et de retrait (hypoactivation) ou de colère et d’agression (hyperactivation). Ces descriptions, qui sont liées aux déclencheurs, sont cohérentes avec les modèles de boucle de réactions selon lesquels les sensibilités aux stimuli et les réactions du système de réponse au stress sont orientées vers les expériences passées plutôt que vers le présent et s’enracinent dans leur SRS (Anderson et Bushman, 2000; Ellis et Del Giudice, 2019; Maurer, 2020).

Également, les récits sur les expériences d’interactions dynamiques des processus physiologiques, émotionnels et cognitifs pendant un état d’activation et de dysrégulation de l’affect lors des entrevues sont vifs et incarnés (voir aussi Maurer, 2020). Les réponses détaillées aux questions posées aux jeunes sur ce qu’iels ressentaient dans leur corps lorsqu’iels présentaient des symptômes d’activation sont conformes aux modèles de la physiologie des réponses au stress. Les descriptions de pertes de contrôle cognitif des émotions et du comportement reflètent les preuves neuroscientifiques (voir Davidson et al., 2000). Néanmoins, quelques participants.es ont à peine décrit les expériences corporelles ou émotionnelles vécues. Comme l’a remarqué un participant, il était bénéfique pour lui d’apprendre comment nommer ses émotions. Cela représente une opportunité d’intervention en psychoéducation selon les AST quant aux mécanismes d’activation corporelle, au fonctionnement du SRS, à la structure et à la fonction des diverses composantes du cerveau, au concept de neuroplasticité et aux caractéristiques des émotions, le tout, en lien avec les cognitions. Ce genre d’intervention est fondamental aux AST (p. ex. : Blaustein et Kinniburgh, 2020).

La phénoménologie de régulation de l’affect

Plutôt que d’identifier l’essentiel de la phénoménologie de régulation de l’affect chez les dolescents.es ayant subi de la violence familiale parmi les autres expériences traumatogènes, nos résultats ont démontré des stratégies de régulation de l’affect chez les jeunes qui sont multiples et variées. Trois stratégies principales sont évidentes dans les récits : échapper aux stimuli dysrégulateurs (p. ex. : une personne, un lieu ou une situation); supprimer les réponses affectives pour les relâcher plus tard, dans un endroit sécuritaire; laisser la dysrégulation suivre son cours lorsqu’iels ressentent un état d’agression ou de dissociation. Ces stratégies correspondent au modèle de réaction au stress « combattre-fuir-figer ». Les participants.es étaient conscients.es que les stratégies d’adaptation à l’environnement peuvent être mal adaptées. De plus, le fait d’avoir « pété une coche » est rarement le résultat d’une seule stratégie qui aurait échoué; beaucoup ont décrit avoir essayé plusieurs stratégies pour gérer leur réactivité affective avant de passer à l’action. La diversité et l’ingéniosité des stratégies de régulation de l’affect que les adolescents.es ont employé soulignent l’importance du terme « traumatogène » pour signaler le potentiel, mais non l’éventualité, de modifications du SRS suite à l’exposition à des expériences de stress élevé ou spécifiques telles que l’exposition à la violence familiale (Ungar et al., 2022).

La majorité des agressions et des violences décrites par les jeunes étaient de la réactivité impulsive (Anderson et Bushman, 2002; Davidson et al., 2000). Par contre, les SSJ supposent habituellement que la violence et l’agression sont instrumentales : a) dirigées vers un but; b) avec l’intention de nuire; et c) d’origine cognitive (Anderson et Bushman, 2002). L’agression et la violence instrumentales sont caractérisées par une faible activation affective. En revanche, l’agression et la violence réactives ou impulsives sont caractérisées par une réponse émotionnelle accrue face aux menaces et aux stimuli spécifiques qui prend ainsi le dessus sur le contrôle cognitif du comportement (Anderson et Bushman, 2002; Davidson et al., 2000; Karatsoreos et McEwen, 2013). Lorsque la réactivité impulsive et l’agression ou la violence dirigée vers un objectif étaient combinées, les participants.es mentionnaient que le but de prendre une action (question directement posée lors des entrevues) était souvent d’arrêter les stimuli externes causant l’activation affective de réponse au stress « combattre-fuir-figer » (Davidson et al., 2000; Maurer, 2020). En revanche, selon les AST, les SSJ sont fondés sur la doxa carcérale de contrôle cognitif du comportement, ce qui entraîne peu de flexibilité pour s’adapter à la dysrégulation résultant des expositions traumatogènes ainsi que de l’agression et de la violence qui y sont associées (Milot et al., 2018; Yaeger et al., 2018).

Régulation adaptative de l’affect et de l’attachement

Les relations sont essentielles pour apprendre la régulation des états d’activation. La théorie et la recherche sur l’attachement ont proposé et testé les conditions dans lesquelles se développe la capacité de régulation souple, réactive et orientée vers le présent (Shemmings et Shemmings, 2019). Souvent, les conditions de sécurité, de fiabilité, de confiance et de soutien, favorisant les schémas de régulation qui améliorent le bien-être, sont absentes dans le quotidien des enfants et des adolescents.es qui vivent des expériences traumatogènes, notamment de la violence familiale. Tel que démontré par les résultats, les relations, non seulement avec la famille et les amis.es, mais aussi avec les institutions et les intervenants.es constituaient souvent des déclencheurs d’états de dysrégulation. Néanmoins, les participants.es ont mentionné que le soutien relationnel et les soins qu’ils ont reçus leur ont permis de mieux gérer certaines situations et d’apprendre de nouvelles stratégies adaptatives qui leur permettront d’avoir une meilleure gestion des situations futures. Les patterns d’attachement sont influençables par les changements environnementaux, et ce, tout au long de la vie (Shemmings et Shemmings, 2019). Les relations sensibles aux traumas, présentes avec la famille, les amis.es et les professionnels.les, qui prennent en considération l’expérience vécue de dysrégulation de l’affect peuvent à la fois sécuriser l’attachement et améliorer la capacité de régulation affective dans une boucle de rétroaction qui améliore le bien-être.

Intégration des AST dans les SSJ

Notre recherche avait comme principal but de faire entendre les voix des adolescents.es et de mettre en lumière leurs processus d’adaptation, leurs stratégies d’autorégulation et la manière dont ces facteurs influencent leurs relations. En ce qui concerne les « quatre R » (SAMHSA, 2014) des AST, les récits des jeunes quant à la régulation de l’affect au cours des situations d’hyper ou hypoactivation lorsqu’iels étaient sur le point de « losing it/péter une coche » correspondaient plutôt aux principes de Réaliser et Répondre. Cependant, tout au long des entrevues, les adolescents.es ont évoqué la surveillance systémique de leurs comportements et les conséquences néfastes de leur possible implication dans les systèmes de justice pénale et du DPJ. La Retraumatisation, sous la forme d’abus se produisant au sein de systèmes fondés sur la morale coloniale et sur l’éthique de la justice rétributive, est bien documentée (p. ex. : Matte-Landry et Collin-Vézina, 2021). Dans l’analyse des données de l’étude précédente (Maurer, 2020), nous avons employé un cadre de résilience qui a mis en évidence les forces individuelles des adolescents.es et la nécessité des AST à tous les niveaux de l’écologie sociale (Bloom, 2020; Ungar et al., 2022). Les trois concepts explorés ici sont l’adaptation, la régulation de l’affect et l’attachement, éléments déjà impliqués dans les AST, notamment celles de Blaustein et Kinniburgh, (2018), de Perry (2017) et dans le modèle Sanctuary de Bloom, maintenant opérationnalisés dans Creating Presence (2021). Ce modèle est une approche multidimensionnelle complexe qui inclut le cadre neuroscientifique, le concept de trauma complexe ainsi que la théorie des systèmes et qui s’appuie sur des concepts de justice transformatrice tels que la sécurité culturelle (First Nations Health Authority, 2023) pour assurer une prestation de services équitable, éthique et sensible aux traumas auprès des Autochtones et des autres membres de groupes en quête d’équité.

Limites

Dans cette étude, les récits rétrospectifs autorapportés peuvent limiter la fiabilité des expériences des adolescents.es exposés.es à la violence familiale. La majorité des stratégies de régulation de l’affect rapportées étaient axées sur l’hyperactivation plutôt que sur l’hypoactivation, ce qui limite la connaissance des expériences des adolescents.es en matière de stratégies d’internalisation des jeunes qui « lose it / pètent une coche » lorsque leurs états d’activation sont réprimés. Les jeunes présentant ce profil ne se sont peut-être pas portés.es volontaires pour l’étude. En raison du large éventail d’expériences biopsychosociales adverses rapportées par les participants.es à l’étude, nous ne pouvons pas spécifiquement attribuer nos résultats à l’exposition à la violence familiale (p. ex. : Hamby et Grych, 2012). La théorie neuroscientifique et la base de données probantes sur la régulation de l’affect chez les adolescents.es continuent d’évoluer (Greenberg et al., 2017). Notre adaptation inédite d’un modèle de régulation de l’affect fondé sur la physiologie du stress à une étude phénoménologique est exploratoire et nécessite des recherches supplémentaires pour tester la validité de nos interprétations.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons exploré les expériences d’autorégulation de l’affect dans les moments où des jeunes ayant subi de la violence familiale avaient l’impression qu’iels risquaient de « lose it / péter une coche ». Nos résultats contribuent aux données probantes qui soutiennent l’appel à la transition vers des AST dans les SSJ qui a été lancé par de nombreux organismes, notamment par le gouvernement du Canada (DeCandia et Guarino, 2015; Gouvernement du Canada, 2018). Plusieurs modèles ont été élaborés pour former les professionnels.els de première ligne (p. ex. : Blaustein et Kinniburgh, 2018) et celleux qui sont spécialisés.es (Perry, 2017). Il convient de préciser que l’accès à ces formations peut être limité en raison d’obstacles financiers et d’un manque de ressources. De plus, les prestataires de services adoptant des AST ont besoin d’une supervision adéquate. L’intensité du travail relationnel et affectif, qui est au coeur des AST, peut entrainer un épuisement professionnel en l’absence de formation continue et de soutien en matière de supervision (Malheux et al., 2022). Ceci est particulièrement pertinent pour les professionnels.les qui ont elleux-mêmes vécu des événements traumatogènes (p. ex. : Esaki et Larkin, 2013).

Finalement, l’accès à des SSJ ayant des AST constitue un enjeu de justice sociale et de droit de la personne. Aux États-Unis, le mouvement UpEnd (Pendleton et al., 2022) demande l’abolition des services carcéraux actuels à la protection de la jeunesse pour les remplacer par des systèmes de soutien communautaires centrés sur la famille. Au Canada, les communautés autochtones ayant survécu aux pensionnats autochtones et à la rafle des années 60 demandent quotidiennement des changements, car encore plus d’enfants autochtones sont aujourd’hui impliqués dans les systèmes de protection de la jeunesse que durant les périodes passées d’abus endémiques (p. ex. : Caring Society, 2023).

Nos résultats montrent que les processus d’adaptation et de modifications des réponses au stress, la régulation de l’affect et l’attachement sont sous-jacents aux comportements des adolescents.es et qu’ils peuvent tous être modifiés par le biais d’intervention. Les modèles coloniaux traumatogènes de justice rétributive doivent être remplacés par des approches communautaires durables de justice transformative axées sur les AST si nous souhaitons mettre fin à la retraumatisation systémique liée aux doxas obsolètes et diriger la provision des services pour tous.tes les adolescents.es en situation de vulnérabilité vers la guérison et le bien-être à long terme. (Cheng Thom, n.d.; TransformHarm.org, 2023).