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La francophonie est à la fois un concept, une idée, une pratique qui représente et désigne, entre autres, les littératures des espaces géographiques qui ont, en partage, la langue française. Au niveau de la production romanesque, elle forge, et souvent avec audace, des mondes et des possibles grâce à cette incroyable force de l’imagination, et grâce à la transcendance du réel historique et politique. Sinon que découvre-t-on souvent en lisant un roman francophone? L’invention et la projection d’un moi marqué par une histoire violente, quelquefois traumatique; une expression de tréfonds en constantes métamorphoses. Chacun des auteurs dits francophones porte, en lui, un monde en gestation. Et quoiqu’on dise, l’univers francophone est devenu ce lieu informe où prend tout son sens ce questionnement de Michel Le Bris, dans son plaidoyer Pour une littérature-monde en français (2007) : « Écrire n’était-ce, pas tenter de donner forme, visage, à l’inconnu du monde, et à l’inconnu en soi? Écrire n’était-ce pas faisant oeuvre à partir du chaos, tenter de rendre celui-ci habitable? » (p. 28). La francophonie serait donc ce lieu ouvert et de création où « […] cette parole vive, portée à incandescence par les artistes, les poètes, les écrivains, qui, nommant le monde, nous le donnent à voir, l’inventent, le revivifient, l’empêchent de se refermer sur nous […] » (Le Bris, 2007, p. 29). La francophonie est aussi cet espace ouvert pour signifier autre que soi. Dans son essai, Écrivain et oiseau voyageur (2011) Mabanckou s’interroge :

Qu’est-ce que la francophonie, sinon le bonheur de partager cette langue? Qu’est-ce que la francophonie, sinon la fierté de participer à une histoire commune, la résolution de reconnaître enfin les heurts de l’histoire, de se consacrer à l’édifice d’un genre humain nouveau, plus tolérant, plus sociable?

p. 58

Tout en se réappropriant cette langue, Mabanckou en souligne l’héritage, et il en fait ici un outil de participation à la construction de l’humaine condition. C’est ce qui explique cette autre interrogation dans Littérature-Monde (2007).

Qu’apportons-nous au monde? ou que devrions-nous apporter au monde, nous autres écrivains qui avons en partage la langue française? La réponse à cette question traduira notre posture à venir. Y répondre c’est entamer l’édification d’une forteresse. S’y dérober c’est continuer à entendre la chronique annoncée de notre défaite devant le grondement du monde.

p. 61-62

Cependant, la francophonie est devenue, sans aucun doute, une entité qui, tout en exprimant sa particularité, selon les sensibilités de chaque terre, tout en portant le chant de chaque peuple, et de chaque civilisation, s’insère dans le global et, de ce fait, constitue un espace de fécondité qui crée et projette des imaginaires. À travers les contributions de ce collectif, cette réflexion sur la francophonie en tant que communauté de civilisations partageant une même langue, se veut une expression de la riche diversité qu’elle pourrait représenter dans sa conception. En réponse au président de la république française, Alain Mabanckou, partant de Reclus, qui voulait « pérenniser » la grandeur de la France en se demandant « Où renaître? Comment durer? », montre qu’au-delà des « tares » liées à la francophonie politique, la langue française se porte bien et foisonne en Afrique. À cette tribune, Véronique Tadjo, répond en soutenant que le français va mal en Afrique. Les conditions de son apprentissage sont désastreuses. Tadjo prône plutôt une solidarité institutionnelle et culturelle tout en soulignant que la francophonie est une ouverture sur le monde. L’étude d’Amévi Bocco porte sur la francophonie en Amérique du Nord. En tant que discipline académique, elle est englobée dans les départements d’études françaises. Bocco conclut que, malgré les progrès réalisés au cours de ces dernières décennies, la francophonie en Amérique du Nord a encore un long chemin à parcourir pour parvenir à son affirmation et à son indépendance comme discipline à part entière. Que ce soit dans les différentes régions du Québec, la région du Canada anglophone ou aux États-Unis, la francophonie doit être proactive pour briser, d’un côté, les barrières de défense d’une littérature québécoise protectionniste et asseoir, de l’autre, une stratégie de publicité et de sensibilisation pour être mieux connue du public nord-américain et éviter ainsi d’être une sous-catégorie. Kodjo Adabra, pose un certain nombre de questions à travers une analyse de l’oeuvre de Mongo Béti. Selon son étude, la déculturation est liée à la diglossie. La quête du parler français raffiné chez certains Africains relèverait peut-être d’un complexe d’infériorité. Tout en déconstruisant la dimension « enquiquineuse » du terme « francophone », Adabra fait une critique du réel africain. Dans son article, Elise Adjoumani part des variations, évolutions constantes de la langue française. À partir d’une approche comparée des imaginaires linguistiques des écrivains « classiques » du continent africain et de ceux de la diaspora, elle présente les langues des oeuvres littéraires comme des laboratoires d’analyse du monde postcolonial. Enfin, Vincent Simédoh souligne une réappropriation de la langue française en montrant que grâce à la créativité des peuples qui l’ont héritée, elle donne de l’hétérolinguisme, de l’interlangue ou de l’ethnotexte qui abolissent la problématique centre-périphérie et mettent en relation les mondes via une scénographie postcoloniale et une poétique de l’incertain et du divers, lesquelles ne hiérarchisent plus les cultures, mais démultiplient les connexions dans un nouvel espace projectif et désidéologisé.