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Introduction

Les troubles anxieux et dépressifs sont parmi les troubles mentaux les plus fréquents chez les jeunes1, 2. À travers le monde, les taux de prévalence (période actuelle ou 12 derniers mois) d’au moins un trouble anxieux varient respectivement de 2,2 % à 9,5 %2. Ces troubles surviennent relativement tôt dans le développement de l’enfant ou de l’adolescent (l’âge médian étant de 11 ans pour la survenue d’un trouble anxieux)3 et augmentent progressivement à l’adolescence1. Les taux de prévalence de troubles dépressifs chez les jeunes sont estimés entre 0,6 % et 3,0 %2, avec une augmentation marquée lors de la transition de l’enfance à l’adolescence (taux de prévalence de 3,1 % à 7,2 %) et ce, principalement chez les filles1. Ces taux de prévalence sous-estimeraient le nombre de jeunes présentant des symptômes dépressifs, à un seuil sous-clinique, mais vivant une détresse psychologique importante (dépression sous-clinique)4.

Les troubles anxieux et dépressifs occasionnent des difficultés de fonctionnement telles qu’une plus grande utilisation des services de santé, un taux d’absentéisme scolaire plus élevé, un risque accru de décrochage scolaire6 et la présence d’idées suicidaires4. De plus, ces deux types de troubles ont tendance à se maintenir ou à s’aggraver au cours de la vie3. Également, une étude récente réalisée auprès d’un large échantillon d’enfants québécois révèle que 70,4 % des jeunes ayant un trouble anxieux présentaient également un épisode dépressif majeur5. Dans ce contexte, il s’avère important de mettre à jour les données épidémiologiques québécoises sur ces troubles.

L’objectif de cet article est de présenter les résultats des principales recherches épidémiologiques québécoises effectuées sur les troubles anxieux et dépressifs, chez les jeunes 6 et 17 ans, afin de rendre compte de la prévalence de ces troubles, dans la population, et des facteurs qui y sont associés. Un tel travail permettra de suggérer des orientations en matière de santé publique, dans le but de proposer une meilleure planification des services, ce qui fait encore défaut au Canada, tant dans une perspective de prévention universelle que sélective ou indiquée7, 8.

La mesure et l’identification des troubles anxieux et dépressifs chez les jeunes

L’épidémiologie de la santé mentale des enfants et des adolescents est relativement récente et souvent méconnue. Celle-ci a pour but d’étudier la distribution des troubles mentaux chez les jeunes de la population en général ainsi que les facteurs qui l’influencent. L’attention portée à la qualité du devis, incluant la représentativité de l’échantillon, la fidélité et la validité des instruments de mesure utilisés, représente une contribution unique des études épidémiologiques2. De plus, elle exige le recours à des critères objectifs et précis afin d’identifier les individus atteints d’une maladie dans une population cible9. De tels critères permettent de minimiser le nombre de faux positifs et de faux négatifs. En psychiatrie, il n’existe aucun critère étalon (gold standard), c’est-à-dire un critère externe permettant d’établir, d’une façon absolue, l’existence d’un trouble mental chez un individu10. En l’absence d’un tel critère, l’utilité d’un système nosologique tel que le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5)11 pour définir les troubles mentaux est reconnue dans la communauté scientifique2, 12. Chaque problème peut être opérationnalisé par un syndrome représentant une constellation de divers symptômes menant à un « diagnostic clinique »13. Les chercheurs qui utilisent un tel schème de référence théorique s’assurent que les troubles étudiés ont fait l’objet d’un consensus auprès d’experts dans le domaine et sont reconnus par l’ensemble de la communauté scientifique et professionnelle12.

Variations induites par le développement de l’enfant et son contexte 

En raison des variations induites par le développement biologique, cognitif, émotionnel et social de l’enfant, l’évaluation d’un trouble mental est plus complexe au cours de l’enfance que chez l’adulte. À titre d’exemple, les études psychométriques mettent en évidence des coefficients de fidélité test-retest plus faibles chez les enfants de 6 à 8 ans (0,54 à 0,82) comparativement aux enfants de 9 à 11 ans (0,65 à 0,87) et aux adolescents de 12 à 15 ans (0,75 à 0,94), lorsque des instruments de dépistage des troubles mentaux définis selon le DSM-5 sont utilisés14, 15. Il est reconnu que les enfants et les jeunes adolescents présentent certaines limites cognitives inhérentes à leur stade développemental, lesquelles ont des répercussions sur la mesure des troubles mentaux. Notamment, les enfants de 6 à 11 ans (stade des opérations concrètes) ont plus de difficultés à comprendre les notions de temporalité, les questions longues ou complexes16. Ainsi, l’enfant âgé de 6 ans ne peut pas comprendre une question incluant deux événements ou états mentaux14.

Plusieurs hypothèses liées au niveau développemental de l’enfant pourraient expliquer les difficultés inhérentes à la mesure des troubles mentaux chez les plus jeunes. Des caractéristiques individuelles telles que le manque de compréhension des questions, un faible niveau de concentration ou de mémoire et une variation dans la motivation de l’enfant sont très importantes. Les attributs des questions (ex. : la durée, la fréquence, la longueur, la complexité) peuvent aussi contribuer à diminuer la capacité de l’enfant à y répondre adéquatement16. Il est donc suggéré de tenir compte de l’âge de l’enfant et de son niveau développemental dans le choix d’un instrument pour évaluer sa santé mentale.

Désaccord entre les informateurs

La manifestation des symptômes et des comportements peut changer selon les situations ou les contextes d’évaluation : un jeune peut être très perturbateur et inattentif dans son milieu scolaire et sembler très calme et obéissant à la maison. Ces distinctions peuvent être dues aux différentes tâches qui lui sont demandées ou activités auxquelles il participe selon le milieu. Dans une méta-analyse, Achenbach et ses collaborateurs ont observé un accord relativement faible entre les différentes paires d’informateurs (ex. : parents-enfants : r = 0,25)10. Trois hypothèses ont été proposées pour expliquer ce désaccord : 1) la spécificité des comportements de l’enfant en fonction des contextes de vie ; 2) l’immaturité cognitive de l’enfant ; 3) une mauvaise perception du parent des émotions de son enfant17. Ainsi, l’impossibilité d’identifier un informateur susceptible de représenter le « critère standard » suggère la pertinence d’une approche de l’évaluation qui inclut de multiples informateurs, dont l’enfant et l’adolescent18.

Implications pour l’épidémiologie pédopsychiatrique

En raison des enjeux théoriques et méthodologiques discutés ci-haut, les instruments structurés qui s’appuient sur les critères du DSM sont généralement privilégiés en épidémiologie19. L’évaluation rigoureuse des troubles mentaux des jeunes exige l’implication de différents informateurs (ex. : jeune, parent, clinicien). De plus, l’instrument qui s’adresse au jeune devrait tenir compte de son niveau développemental et présenter de bonnes qualités psychométriques, autant chez les adolescents que chez les enfants. À titre d’exemple, le format pictographique des différentes versions du Dominique Interactif permet d’améliorer la compréhension des questions par les enfants et les adolescents14, 15.

Méthodologie

Les articles scientifiques recensés ont été sélectionnés à partir des banques de données MEDLINE, PsychINFO et Google Scholar. Les mots-clés suivants (en français et anglais) ont été utilisés, en usant de plusieurs combinaisons différentes : épidémiologie ; prévalence ; incidence ; facteurs de risque ; facteurs de protection ; facteurs associés ; troubles anxieux ; troubles dépressifs ; comorbidité ; enfants ; adolescents ; Québec. Les références bibliographiques des articles scientifiques sélectionnés ont également été consultées afin de maximiser notre recherche.

Au-delà des critères principaux d’avoir été réalisées au Québec et de présenter des données provenant d’échantillons d’enfants âgés entre 6 et 17 ans, les études sélectionnées dans cette recension des écrits devaient rejoindre les critères suivants, choisis selon les principes élémentaires de l’épidémiologie présentés plus haut : 1) inclure un nombre élevé de participants assurant une représentativité des populations ciblées ; 2) s’appuyer sur les symptômes et critères du DSM afin de définir les troubles anxieux et dépressifs ; 3) évaluer ces troubles à partir d’instruments standardisés pour les enfants et les adolescents.

Notre recension des écrits a permis de retracer 41 articles scientifiques ou rapports de recherche, selon les mots clés utilisés. Cependant, nos critères nous ont amenés à n’en sélectionner que 12 d’entre eux. Selon notre recension, une seule étude épidémiologique a porté spécifiquement sur la détermination des taux de prévalence des troubles mentaux, chez les enfants et les adolescents québécois, et sur les facteurs associés à ces troubles : l’Enquête Québécoise sur la Santé Mentale des Jeunes (EQSMJ)20. Trois autres études[i] ont permis d’estimer les prévalences des troubles mentaux, dont les troubles anxieux et dépressifs, sur des échantillons représentatifs de jeunes âgés de 6 à 17 ans de la population québécoise en général : l’Étude Longitudinale auprès des Enfants de la Maternelle (ELEM)25 et les deux Enquêtes de Polyvictimisation26, 27 (voir tableau 1).

En plus des articles publiés à partir des données de l’EQSMJ28, 29 et des Enquêtes de Polyvictimisation30, 31, trois autres études épidémiologiques ont permis d’identifier certaines variables associées aux troubles dépressifs et anxieux chez les jeunes : l’Étude Longitudinale sur le Développement des Enfants du Québec (ELDEQ)32, le Montreal Adolescent Depression Development Project (MADDP)33 et l’étude longitudinale Agir Autrement34, 35 (voir tableau 2).

D’autres chercheurs québécois ont également contribué à approfondir nos connaissances sur les troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents du Québec. Bien que ces travaux ne rencontrent pas les critères d’inclusion retenus a priori et ne seront pas décrits dans cet article, ils apportent un éclairage complémentaire aux résultats d’études épidémiologiques québécoises. Notamment, par l’exploration des trajectoires de développement de ces troubles36 et l’analyse de variables rarement considérées dans les études épidémiologiques, par exemple l’image corporelle et l’estime de soi37, le statut pubertaire6, l’attachement au parent36, le décrochage scolaire6 et la qualité des relations d’amitié38.

Résultats

La prévalence des troubles anxieux et dépressifs parmi les jeunes Québécois

Le point de vue du jeune et celui de son parent, comme sources d’information, ont été considérés dans deux études recensées20, 25. Dans une seule étude, les prévalences ont été analysées selon différents groupes d’âge (6-8 ans ; 9-11 ans ; 12-14 ans) et les types de trouble anxieux (l’anxiété généralisée – l’hyperanxiété, l’anxiété de séparation et les phobies spécifiques)20.

Les prévalences de troubles anxieux et dépressifs varient en fonction de l’âge et du sexe des jeunes, du type d’informateur (enfant, adolescent, parent), du type de trouble analysé, de l’instrument et de la période retenue pour l’évaluation des troubles (période actuelle, 6 derniers mois) (voir tableau 1).

Troubles anxieux

Selon les résultats des études épidémiologiques considérées dans cette recension, entre 2,9 et 33 % des enfants et des adolescents québécois ont au moins un trouble anxieux. Le taux de prévalence de troubles anxieux est significativement plus élevé chez les filles que chez les garçons, indépendamment du groupe d’âge20, 25.

De manière générale, les troubles anxieux sont moins fréquents lorsque les enfants sont les informateurs comparativement à ce qui est observé quand les parents sont questionnés20, 25. De plus, il est important de s’attarder aux distinctions entre les troubles anxieux. L’anxiété de séparation demeure relativement rare (autour de 1 %), sauf chez les enfants âgés de 6 à 8 ans (informateur enfant, 4,9 %). Finalement, la phobie simple (ou phobie spécifique) est rapportée plus fréquemment par les parents des enfants de 6 à 11 ans et par les adolescents eux-mêmes20.

Tableau 1

Prévalences de troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents de la population québécoise

Prévalences de troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents de la population québécoise

EL : Étude longitudinale ; ET : Étude transversale ; TD : Trouble dépressif ; TDa : Trouble dépressif avec problème d’adaptation ; PS : Phobie sociale ; AS : Anxiété de séparation ; TH : Trouble de l’hyperanxiété ; TAG : Trouble d’anxiété généralisée ; TA : Au moins un trouble anxieux ; TAa : Au moins un trouble anxieux avec problème d’adaptation.

a Une étude du Dominique (version papier), réalisée auprès de 143 enfants âgés entre 6 à 11 ans, a montré que les sous-échelles de la dépression et des troubles anxieux présentent une bonne consistance interne (la dépression : α = 0,88 ; les troubles anxieux : α = 0,62 à 0,74) et une fidélité test-retest adéquate (la dépression : CCI = 0,67 ; les troubles anxieux : CCI = 0,59 à 0,74) pour ce type d’instrument de mesure9.

b Une étude sur les propriétés psychométriques du Diagnostic Interview Schedule for Children (DISC-2.25)39, réalisée auprès de 260 parents d’enfants âgés entre 6 et 14 ans et de 145 adolescents âgés entre 12 et 14 ans, a montré que la consistance interne des sous-échelles de la dépression et des troubles anxieux était très bonne (alphas de cronbach varient de 0,70 à 0,90, selon l’informateur), tandis que la fidélité test-retest sur une période de deux semaines était relativement limitée (kappas varient entre 0,32 et 0,69, selon l’informateur)16.

3 Le Trauma Symptom Checklist for Children (TSCC)40 a été utilisé à la fois dans l’enquête de polyvictimisation réalisée auprès de parents d’enfants âgés entre 2 et 11 ans et dans celle réalisée auprès des jeunes de 12 ans et plus (n = 1400). Dans ces enquêtes, les deux sous-échelles du TSCC ont montré une bonne consistance interne : 1) chez les enfants, selon l’informateur parent : les symptômes dépressifs (α = 0,73) et les symptômes anxieux (α = 0,66)27 ; 2) chez les adolescents, auto-rapporté : les symptômes dépressifs (α = 0,74)26.

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Troubles dépressifs

Les résultats des études recensées suggèrent qu’entre 0,7 et 11,3 % des enfants et des adolescents ont au moins un trouble dépressif [ii]. De manière générale, la prévalence de troubles dépressifs est significativement plus élevée chez les filles que chez les garçons20, 25.

Dans l’EQSMJ, la prévalence de troubles dépressifs est plus élevée quand les enfants de 6 à 8 ans et de 9 à 11 ans évaluent eux-mêmes leurs symptômes que lorsque ce sont leurs parents. Lorsque le jeune de 6 à 14 ans est le répondant, la prévalence de troubles dépressifs est près de trois fois plus élevée chez les adolescentes que chez leurs consoeurs âgées de 6 à 8 ans. À l’inverse, ces troubles sont plus fréquents chez les garçons de 6 à 8 ans et de 9 à 11 ans comparativement aux adolescents. En considérant le parent comme informateur, la prévalence de troubles dépressifs est plus élevée chez les adolescents comparativement aux plus jeunes enfants20.

Les variables associées aux troubles dépressifs et anxieux des enfants et des adolescents

En s’appuyant sur la perspective développementale de la psychopathologie, cette section de l’article présente les variables individuelles, familiales et socioéconomiques significativement associées aux troubles dépressifs et anxieux des jeunes Québécois (voir le tableau 2).

Caractéristiques de l’enfant ou de l’adolescent

Troubles anxieux

Le sexe de l’enfant et son niveau de compétence sociale sont les deux seules variables associées aux troubles anxieux à la fois chez les enfants et les adolescents. L’analyse multivariée de l’influence du sexe sur les troubles anxieux a été proposée dans une seule étude épidémiologique québécoise28. Les résultats montrent que les filles rapportent davantage de troubles anxieux que les garçons durant l’enfance et l’adolescence28. La compétence sociale du jeune joue un rôle important dans la compréhension des troubles anxieux. Une association significative a été identifiée entre les troubles anxieux des enfants et un indicateur de la compétence sociale, soit l’inhibition comportementale envers les autres enfants32. Chez les adolescents, la présence de troubles anxieux est aussi liée à un faible niveau de compétence sociale28.

Les enfants plus vieux (10 ou 11 ans) présentent davantage de troubles anxieux que les enfants plus jeunes (entre 6 et 9 ans). De plus, un cheminement scolaire irrégulier, chez l’enfant, est associé à la présence d’au moins un trouble anxieux28. Également, le fait de subir plusieurs formes de violence est lié à la présence de symptômes anxieux à un seuil clinique chez les enfants âgés de moins de 12 ans dans l’Enquête de Polyvictimisation30. Chez les adolescents, le fait de vivre au moins deux évènements stressants est relié à un plus haut risque de présenter au moins un trouble anxieux28.

Troubles dépressifs

Le fait de vivre deux évènements de vie stressants ou plus est la seule variable significativement associée aux troubles dépressifs à la fois chez les enfants et chez les adolescents (informateurs parent et adolescent)29. Plus spécifiquement, lorsque le parent est l’informateur, ce type de trouble est significativement lié au placement en institution, à l’abus physique et à l’abus sexuel chez l’enfant, alors qu’il est associé à l’abus physique chez l’adolescent29. Lorsque l’enfant est l’informateur, la présence de troubles dépressifs est significativement associée à la séparation ou le divorce des parents et la naissance d’un frère ou d’une soeur, alors que chez l’adolescent, il s’agit du décès du père. Dans l’Enquête de Polyvictimisation, le fait de subir plusieurs formes de violence est lié à la présence de symptômes dépressifs chez les enfants et chez les adolescents30, 31.

Tableau 2

Variables significativement associées aux troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents québécois

Variables significativement associées aux troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents québécois

RC : Ratio de cotes ; IC : Intervalle de confiance ; β : coefficient de régression ; p : seuil de signification ; χ2 = chi-carré.

En italique : les résultats selon l’informateur enfant ou adolescent ; en police normale : les résultats selon l’informateur parent.

1 et 2 : l’Enquête Québécoise sur la Santé Mentale des Jeunes28,29 (voir Tableau 1)

3 : Brière et al., 201234 (n = 3880 adolescents, de la 7e à la 11e année) ; 4 : Brière et al., 201335 (n = 5262 adolescents) ; l’Étude Longitudinale Agir Autrement, échantillon recruté de 71 écoles désavantagées du Québec ; symptômes dépressifs mesurés avec le questionnaire Center for Epidemiologic Studies-Depression41

5 et 6 : l’Enquête de Polyvictimisation (voir Tableau 1)30, 31

7 : l’Étude Longitudinale sur le Développement des Enfants du Québec (ELDEQ)32 : n = 2120 enfants âgés entre 2 ans et demi et 8 ans, symptômes anxieux mesurés avec le questionnaire Preschool Behaviour Questionnaire42

8 : le Montreal Adolescent Depression Development Project (MADDP)33 : n = 1167 adolescents en 7e année, de cinq écoles secondaires de la région montréalaise ; les symptômes dépressifs ont été mesurés avec le questionnaire Inventory to Diagnose Depression – Lifetime Version (IDD-L)43.

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Chez les enfants, la présence d’une maladie physique chronique est significativement liée à la présence de troubles dépressifs29. Chez les adolescents, les filles rapportent plus de troubles dépressifs que les garçons29, 31. De plus, quelques caractéristiques du contexte social et scolaire sont associées aux troubles dépressifs des adolescents : un faible niveau de compétence sociale perçu par les parents, se sentir seul à l’école, faire plus de mauvais coups ou consommer de la drogue (MDMA et meth/amphétamine)29, 33, 34.

Caractéristiques familiales et socioéconomiques

Troubles anxieux

Certaines caractéristiques familiales se retrouvent associées à la fois aux troubles anxieux chez les enfants et les adolescents : la présence de troubles mentaux chez les parents (ou de symptômes dépressifs élevés chez la mère) et une fréquence élevée de comportements punitifs28, 32. De plus, les troubles anxieux, chez les enfants et les adolescents, sont reliés à la présence de quatre maladies physiques chroniques dans la famille (au moins une personne atteinte) et au fait d’avoir des parents ayant un faible niveau de scolarité28.

D’autres caractéristiques familiales sont plus particulièrement liées aux troubles anxieux chez les enfants. Notamment, leurs parents rapportent davantage de comportements de surprotection envers leur enfant32 et expriment moins d’affectivité dans leur relation de couple que les parents d’enfants n’ayant pas de trouble anxieux28. Également, les enfants ayant au moins un trouble anxieux proviendraient plus souvent de familles dysfonctionnelles, par rapport aux enfants n’ayant pas de trouble anxieux32.

Un faible niveau de comportements de soins de la part des parents est associé spécifiquement aux troubles anxieux chez les adolescents28. De plus, les troubles anxieux des adolescents sont reliés à un rang de naissance plus élevé (3e rang ou plus élevé)28.

Troubles dépressifs

La présence de troubles dépressifs et anxieux chez les parents est associée à la présence de troubles dépressifs chez les enfants et les adolescents29. Également, un niveau élevé de pratiques parentales punitives et un faible niveau de comportements de soins des parents sont liés à la présence de troubles dépressifs chez les enfants et les adolescents29.

Parmi les variables familiales reliées aux troubles dépressifs chez les enfants, on retrouve notamment la monoparentalité30, la position d’enfant unique ainsi que le fait de vivre dans une famille ayant un revenu familial moyen ou élevé29.

Le fait d’avoir un rang élevé dans la fratrie (3e et plus)29, les évènements de vie stressants vécus par le parent29, rapporter des relations conflictuelles avec un enseignant33 et le type d’environnement scolaire (ex. : le climat entre élèves, la clarté des règles, le climat de sécurité)35 sont liés à la présence de troubles dépressifs spécifiquement chez l’adolescent.

Discussion

Les travaux en épidémiologie pédopsychiatrique effectués au Québec ont permis de mieux comprendre l’ampleur et la complexité des troubles anxieux et dépressifs chez les enfants et les adolescents. Notre recension suggère que ces troubles peuvent être présents dès l’âge de 6 à 8 ans et sont relativement fréquents (entre 0,7 % et 33 %). Les taux de prévalences rapportés sont similaires à ceux des jeunes à travers le monde2. Les résultats indiquent aussi que les troubles anxieux sont plus fréquents que les troubles dépressifs, chez les enfants et les adolescents, et que les filles rapportent davantage de troubles anxieux et dépressifs que les garçons.

De manière générale, les résultats sur les variables associées aux troubles dépressifs et anxieux chez les jeunes appuient l’hypothèse centrale des modèles multifactoriels et intégratifs inspirés de la perspective développementale de la psychopathologie44, 45. Cette approche offre l’avantage de réfléchir aux origines et à l’évolution des troubles anxieux et dépressifs par une compréhension générale des processus responsables des changements et de la continuité des troubles mentaux. L’hypothèse de la multifactorialité suppose que plusieurs caractéristiques individuelles, familiales (ex. : troubles mentaux des parents) et socioéconomiques, en interrelations dynamiques, contribuent à augmenter le risque de développer un trouble anxieux ou dépressif (facteurs de risque) ou à diminuer cette susceptibilité (facteurs de protection), à différentes étapes du développement. L’enfant serait ainsi plus à risque si ses capacités personnelles pour faire face à l’adversité ainsi que ses ressources sociales ou familiales sont submergées par l’intensité et la récurrence d’événements stressants, de facteurs de risque ou de vulnérabilités à long terme44, 45.

Quelques caractéristiques de l’enfant sont liées aux troubles dépressifs et anxieux chez les jeunes. Notamment, le fait de vivre plus de deux événements de vie stressants semble jouer un rôle dans la survenue de ces deux types de troubles (sauf pour les troubles anxieux chez les enfants), ce qui converge avec les résultats d’études antérieures46. Également, un faible niveau de compétence sociale est associé aux deux types de troubles, mais seulement chez les adolescents.

Plusieurs caractéristiques familiales ressortent comme étant associées à la fois aux troubles anxieux et dépressifs chez les enfants et les adolescents. En lien avec certains résultats antérieurs47, 48, deux éléments liés à la relation parent-enfant sont associés aux troubles anxieux et dépressifs chez les enfants et les adolescents : une fréquence élevée de comportements punitifs et une faible fréquence de comportements de soins des parents. Tel que reconnu dans la littérature scientifique49, le fait de vivre avec un parent dépressif ou anxieux semble être un élément du contexte familial qui joue un rôle important dans la survenue des troubles dépressifs et anxieux, à la fois chez les enfants et les adolescents. Certaines études québécoises ont poursuivi des analyses complémentaires sur les variables modératrices de cette association entre les troubles mentaux des parents et ceux des enfants32, 50, qui soulignent la contribution de ces variables familiales. Laurin et coll.32 rapportent que le risque pour l’enfant de présenter un niveau élevé de symptômes anxieux devient d’autant plus important si celui-ci est exposé à une mère ayant un niveau élevé de symptômes dépressifs et à un haut niveau de surprotection parentale. Piché et coll.50 soulignent, pour leur part, qu’un niveau élevé de symptômes dépressifs et anxieux est significativement plus important si l’enfant vit avec une mère ayant eu un trouble dépressif ou anxieux, au cours de sa vie, et qui rapporte un faible niveau de comportements de soins ou un haut niveau de comportements punitifs envers son enfant.

Implications pour la recherche future

Les résultats de notre recension indiquent que l’EQSMJ est la seule étude épidémiologique québécoise, réalisée jusqu’à présent, qui a porté spécifiquement sur l’estimation des prévalences de troubles mentaux, chez les enfants et les adolescents, ainsi que l’identification des multiples variables associées à ces troubles. Celle-ci a été réalisée en 1992, soit il y a près de 25 ans. Une nouvelle étude s’intéressant au développement longitudinal de ces troubles, dans un cadre épidémiologique, est nécessaire afin de mettre à jour leurs prévalences, dans la population des jeunes québécois, et de mieux comprendre leur étiologie par l’analyse des interrelations entre les différentes variables explicatives. La variation des taux de prévalence et des variables associées, en fonction du groupe d’âge et du sexe du jeune, confirme l’importance d’étudier le développement de ces troubles dans un devis longitudinal prospectif en tenant compte de ces différences développementales51, 52. Dans ce contexte, l’ajout de variables biologiques et neurodéveloppementales (ex. : déficits langagiers) aux variables déjà considérées est susceptible d’augmenter la compréhension de l’étiologie des troubles53.

Implications pour la santé publique

Les prévalences de troubles anxieux et dépressifs, chez les enfants et les adolescents, justifient amplement la nécessité de les reconnaître comme d’importants problèmes de santé publique et d’investir dans des approches de prévention ou d’intervention ciblée auprès des jeunes à risque de développer de tels troubles. De nature universelle, sélective ou indiquée, divers programmes de prévention ont été développés et implantés au Québec depuis la dernière décennie. Pensons notamment à deux programmes de prévention s’appuyant sur des techniques cognitives-comportementales : 1) Pare-Chocs54 qui vise à prévenir ou à réduire les épisodes dépressifs, chez les adolescents ; 2) Les Trucs de Dominique55 qui vise à prévenir les troubles anxieux chez les enfants.

Or, l’accessibilité aux soins de santé est caractérisée depuis plusieurs années par des listes d’attente et des difficultés à avoir accès aux professionnels56 : moins de 25 % des enfants ayant un problème de santé mentale y ont accès57. Également, malgré le fait que plusieurs innovations pratiques québécoises aient été développées pour le système de santé publique et implantées dans certaines régions du Québec14, 15, 54, 55, 58, 59, 60, 61 (voir certains exemples dans l’encadré 1), celles-ci ne sont pas utilisées ou implantées de manière systématique en raison du peu d’investissements dans le domaine de la prévention des problèmes de santé mentale chez les enfants8. De plus, jusqu’à présent, aucun programme de prévention n’est disponible pour prévenir l’apparition des troubles dépressifs chez les enfants. Récemment, le gouvernement du Québec a souligné l’importance d’intervenir de façon ciblée auprès des enfants à risque de présenter un trouble mental56. Il s’agit d’un premier pas en avant, mais qui devra également être appuyé par un investissement permettant de prendre des actions concrètes en ce sens. Voici quelques recommandations :

  • Outiller les intervenants de première ligne (ex. : enseignants) afin qu’ils puissent identifier le plus tôt possible les enfants à haut risque et les référer aux services d’aide ;

  • Favoriser la promotion de la santé mentale chez les enfants, à travers la population. À titre d’exemple, le programme Les amis de Zippy est un outil de promotion de la santé mentale en milieu scolaire s’attardant à aider les enfants à faire face aux difficultés de la vie, en favorisant leurs capacités adaptatives60 ;

  • Favoriser le développement et l’implantation de programmes de prévention des troubles dépressifs et anxieux chez les enfants, ciblant les caractéristiques associées les plus fréquemment à ces troubles (ex. : troubles mentaux chez le parent, relation parent-enfant, compétence sociale) ;

  • Favoriser l’accessibilité aux services en santé mentale afin de permettre une intervention précoce auprès des jeunes qui ont besoin d’aide spécialisée. Cette intervention doit notamment s’appuyer sur une évaluation approfondie des troubles mentaux spécifiques et de leur comorbidité.

Limites de la recension

Plusieurs limites doivent d’être prises en considération dans l’interprétation des résultats mis en évidence par cette recension des écrits. Premièrement, très peu d’études épidémiologiques réalisées au Québec ont pu être retenues, en fonction de nos critères. Ainsi, les caractéristiques psychosociales ayant été identifiées comme étant des facteurs associés aux troubles dépressifs et anxieux, chez les jeunes, ne reposent que sur les résultats de quelques études (voir tableau 2). Deuxièmement, les groupes d’âge des jeunes considérés dans les analyses sont assez variés, rendant la comparaison des résultats plus restreinte, d’un point de vue développemental. Troisièmement, les caractéristiques psychosociales prises en considération en tant que variables indépendantes (facteurs associés) diffèrent de façon importante selon les études et, souvent, sont très peu nombreuses. Bien que ce choix méthodologique permette d’améliorer la puissance statistique d’une étude, il ne rejoint pas les hypothèses postulées par le modèle multifactoriel de la psychopathologie44.