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INTRODUCTION

Le phénomène de l’itinérance chez les jeunes se manifeste sous différentes formes telles que dormir dans la rue ou dans un refuge, dormir chez des amis ou bien déménager à plusieurs reprises sur une courte période. De nombreuses définitions de l’itinérance ont été proposées dans les écrits scientifiques et dans les politiques publiques. Parmi celles-ci on retient :

« … un processus de désaffiliation sociale et une situation de rupture sociale qui se manifestent par la difficulté pour une personne d’avoir un domicile stable, sécuritaire, adéquat et salubre en raison de la faible disponibilité des logements ou de son incapacité à s’y maintenir et, à la fois, par la difficulté de maintenir des rapports fonctionnels, stables et sécuritaires dans la communauté. L’itinérance s’explique par la combinaison de facteurs sociaux et individuels qui s’inscrivent dans le parcours de vie… » (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2014) incluant un « […] très faible revenu, une accessibilité discriminatoire à son égard de la part des services, avec des problèmes de santé physique, de santé mentale, de toxicomanie, de violence familiale ou de désorganisation sociale et dépourvue de groupe d’appartenance stable » (MSSS, 2008), « […] de racisme et de discrimination. La plupart des gens ne choisissent pas d’être sans-abri et l’expérience est généralement négative, stressante et pénible »

Canadian Homelessness Research Network, 2012

D’un point de vue social, les jeunes vivant un premier épisode de psychose qui se retrouvent en situation d’itinérance ou d’instabilité résidentielle (JPEPIIR) constituent une population susceptible d’être exclue de différents secteurs de la société dont les milieux scolaires, professionnels et sociaux (Kinson et coll., 2018) ; ce qui mène en retour à la précarisation des liens sociaux et de leur situation économique et résidentielle (Gaetz et Dej, 2017). Ces jeunes peuvent vivre des passages dans divers établissements, par exemple une hospitalisation en psychiatrie, un placement en centre jeunesse ou un séjour en centre de réadaptation en dépendance. Or, la sortie de tels établissements ou le passage d’un établissement à un autre constituent souvent un point tournant dans les trajectoires des jeunes vers l’itinérance (Gaetz et Dej, 2017 ; Goyette et coll., 2019). En quittant ces milieux, les jeunes font souvent face à une rupture dans la continuité des services, n’ayant ainsi pas accès au soutien, aux ressources et aux moyens dont ils ont besoin pour développer leur autonomie. Les contextes d’itinérance et l’instabilité résidentielle contribuent à une détérioration de la santé mentale et à une mauvaise évolution de troubles mentaux préexistants ou émergents, notamment en raison du stress associé aux conditions de vie difficiles et au risque accru d’être exposé à des expériences de victimisation (Lévesque et Abdel-Baki, 2020) ; reproduisant parfois des expériences traumatiques antérieures (Karabanow et Naylor, 2013). La mise en place d’interventions spécifiques et intégrées s’avère nécessaire (Doré-Gauthier et coll., 2019).

Cherchant à stimuler une réflexion chez les acteurs impliqués concernant l’organisation des services et les interventions à privilégier auprès des JPEPIIR, l’objectif du présent article est de faire un survol de la situation de ces jeunes et de leurs besoins, des défis auxquels ils font face dans leur trajectoire de soins et de différentes interventions à considérer auprès d’eux tant pour prévenir l’itinérance qu’en sortir, en mettant l’accent sur des interventions mises en oeuvre au Québec dans les dernières années.

MÉTHODE

Cette revue de littérature narrative fut effectuée à partir des bases de données informatisées : PubMed et GoogleScholar avec les mots clés suivants et leurs équivalents anglais : « adolescents » ; « jeunes » ; « jeunes adultes » ; « psychose » ; « premier épisode de psychose » ; « premier épisode psychotique » ; « psychose émergente » ; « itinérance » ; « précarité socio-économique » ; « instabilité résidentielle » ; « stabilité résidentielle » ; « prévention » ; « repérage » ; « dépistage » ; « détection précoce » ; « intervention » ; « intervention précoce » ; « clinique de premiers épisodes » ; « programme d’intervention précoce » ; « services de santé » ; « services de santé mentale » ; « soins de santé » ; « système de santé » ; « services sociaux » ; « protection de la jeunesse » ; « utilisation des services » ; « accès aux services » et « engagement dans les services ». Les articles retenus sont issus de revues de littérature ou d’études primaires publiées en français ou en anglais entre 1995 et mars 2021. L’objectif de cet article se divisant en 3 thématiques, les articles ont été sélectionnés s’ils abordaient au moins une de ces thématiques : 1) situation et besoins des JPEPIIR ; 2) défis auxquels font face les JPEPIIR dans leur trajectoire de soins ; 3) interventions pertinentes pour les JPEPIIR. Pour ces 3 thèmes principaux, les études portant spécifiquement sur les JPEPIIR furent priorisées. En l’absence d’études spécifiques aux JPEPIIR, la littérature spécifique aux JPEPIIR étant limitée, les études portant sur la santé mentale des jeunes en situation d’itinérance furent considérées, sinon celles d’autres populations connexes (p. ex. personnes en situation d’itinérance avec des problèmes de santé mentale sévères sans critère d’âge). Les études québécoises et canadiennes furent priorisées lorsque possible. La littérature grise québécoise et canadienne fut également explorée. Selon l’abondance de la littérature, le niveau de rigueur scientifique des études fut considéré dans l’ordre suivant : méta-analyses, revues systématiques, essais randomisés contrôlés, essais non randomisés contrôlés, études de cohortes, études cas-témoins, rapport de cas individuel et avis d’expert. Les auteurs ont une expertise clinique en intervention auprès des jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale sévères et plus spécifiquement auprès des JPEPIIR ainsi qu’en recherche dans ce domaine. Une vignette clinique illustrera les besoins et les défis des JPEPIIR ainsi que certaines interventions possibles lors de moments clés dans la vie d’un jeune à travers différents scénarios alternatifs.

RÉSULTATS

Survol de la situation et des besoins des JPEPIIR : Prévalence, facteurs associés et temporalité

Le risque d’instabilité résidentielle et d’itinérance chez les gens ayant un trouble mental, dont une psychose débutante, est plus important que dans la population générale et demeure élevé dans les années qui suivent les premiers contacts avec les services (Ngamini Ngui et coll., 2013). Parmi les facteurs de risques communs aux personnes ayant des troubles mentaux, la toxicomanie, les traumatismes et les conflits relationnels agissent de concert avec des forces structurelles, comme l’absence de soutien lors du départ d’institutions et le manque de logements abordables et adaptés aux besoins (Piat et coll., 2014). Les troubles cognitifs liés à la psychose (troubles des fonctions exécutives et du jugement), les symptômes psychotiques non traités ou persistants, la désorganisation de la pensée et du comportement et les difficultés au niveau des habiletés sociales contribuent également à ce que les jeunes présentant un premier épisode psychotique (JPEP) se retrouvent en situation d’itinérance et ne parviennent pas à initier ou à mettre en oeuvre les solutions pour en sortir (Ouellet-Plamondon et Abdel-Baki, 2012).

Chez les jeunes adultes, sans égard à la présence d’un trouble mental, le risque d’instabilité résidentielle est accru lorsque ceux-ci ne sont pas satisfaits de leurs conditions résidentielles (Kidd et Evans, 2011). De plus, les jeunes auraient des préférences et des besoins résidentiels qui diffèrent de leurs aînés (p. ex. accès à la technologie, possibilité de vivre en colocation) (McAll et coll., 2019 ; Roy et coll., 2013). Il importe donc d’évaluer le sens que prend le logement ou l’hébergement (autonome, supervisé, avec soutien ou non) pour le jeune et les sources potentielles d’insatisfaction pouvant mener à l’instabilité résidentielle.

Les 2 seules études trouvées décrivant spécifiquement la prévalence de l’itinérance et les caractéristiques des JPEPIIR comparativement aux JPEP ayant un domicile fixe, démontrent qu’approximativement 5 % des jeunes desservis par les programmes d’intervention pour premiers épisodes psychotiques (PPEP) étaient en situation d’itinérance à l’admission (Lee et coll., 2020 ; Lévesque et Abdel-Baki, 2020). Cette situation serait plus élevée autour des hospitalisations (Drake et coll., 2011). En incluant la période avant et au cours du suivi en PPEP, près du quart des JPEP de l’étude menée à Montréal ont connu une période d’itinérance, la majorité d’entre eux, pour plus de 6 mois (Lévesque et Abdel-Baki, 2020).

Malgré le suivi régulier d’un PPEP, 60 % des JPEPIIR étaient toujours sans-abri à l’admission ou le sont redevenus au cours de la première année de suivi et 30 % au cours de la deuxième année. Ainsi, 20 % de la cohorte a connu une ou plusieurs périodes d’itinérance pendant le suivi (Lévesque et Abdel-Baki, 2020).

L’implication des services de protection de la jeunesse et les placements hors de la famille d’origine sont fréquents dans la trajectoire vers l’itinérance des JPEP (Lévesque et Abdel-Baki, 2020 ; Doré-Gauthier et coll., 2020). Lors de leur admission en PPEP, les JPEPIIR ont des contacts moins fréquents avec les membres de leur famille, souhaitent moins impliquer leur famille dans leur traitement, ont moins de soutien social, sont moins éduqués, sont moins susceptibles d’être aux études ou en emploi et ont davantage de démêlés judiciaires que les JPEP qui ne sont pas en situation d’itinérance (Lee et coll., 2020 ; Lévesque et Abdel-Baki, 2020). Quoique l’étude américaine montre que les JPEPIIR sont plus susceptibles d’appartenir à un groupe ethnique minoritaire (Lee et coll., 2020), cette différence n’est pas retrouvée dans l’étude montréalaise (Lévesque et Abdel-Baki, 2020). Cette dernière étude suggère que les JPEPIIR sont plus susceptibles d’avoir une psychose non affective, des symptômes négatifs plus sévères, une toxicomanie et une personnalité du groupe B (selon le DSM-IV) (Lévesque et Abdel-Baki, 2020) alors que l’étude américaine (Lee et coll., 2020) ne révèle pas de portrait clinique particulier.

Trajectoire de soins dans les services de santé : Les défis auxquels font face les jeunes en situation d’instabilité résidentielle ou d’itinérance

Malgré leur niveau de détresse psychologique élevé, les jeunes en situation d’itinérance ou d’instabilité résidentielle peinent à obtenir des services de santé mentale et des services sociosanitaires dans un délai raisonnable par rapport à l’ensemble des jeunes (Barker et coll., 2015 ; Gaetz et coll., 2016). Les répercussions sont d’autant plus marquantes qu’elles surviennent durant une période cruciale de leur développement : la transition à la vie adulte. L’instabilité résidentielle et les conditions de vie précaires complexifient leur parcours au sein du système de santé et retardent leur accès à des services de santé mentale appropriés (Robards et coll. 2018).

Difficultés d’accès aux services

La seule étude trouvée ayant étudié les trajectoires d’accès aux soins des JPEPIIR indique que lors de leur premier contact avec les services de santé mentale, ils étaient plus susceptibles de s’autoréférer, d’être référés par les forces de l’ordre ou les services médicaux d’urgence et moins susceptibles d’être référés par un membre de la famille (Lee et coll., 2020).

Chez les jeunes en général et plus particulièrement chez les jeunes en situation d’itinérance, la rapidité de réponse des services à une demande est primordiale, un délai trop long pouvant entraîner le refus des services par le jeune (Westin et coll., 2014 ; Nicholas et coll., 2016a ; Robards et coll., 2018). La distance à parcourir pour accéder aux services, les coûts associés aux déplacements, l’accueil, les lieux physiques (conçus pour les jeunes, inclusifs), les critères d’admission restrictifs et les heures d’ouverture limitées comptent parmi les barrières d’accès (Robards et coll., 2018 ; Brown et coll., 2016). Les divisions entre les services de santé (généraux/spécialisés, jeunesse/adulte), entre les secteurs gouvernementaux et entre les milieux communautaires et institutionnels freinent également l’accès aux services, puisqu’elles contraignent le jeune à multiplier ses démarches pour combler ses besoins de base, pour améliorer sa qualité de vie et pour obtenir un service de santé mentale (Robards et coll., 2018 ; Brown et coll., 2016).

Le contexte d’instabilité résidentielle constitue lui-même un obstacle pour accéder aux services (difficulté à conserver les pièces d’identité, absence de moyen de communication, changements fréquents de numéro de téléphone) et/ou peut mener à la fermeture de dossiers (Barker et coll., 2015). Tant pour les jeunes en situation d’itinérance que les jeunes à risque de l’être, la présence d’un réseau social soutenant est associée à une plus grande disposition à aller chercher de l’aide et à des perceptions plus positives des services (Martin et Howe, 2016). À l’inverse, un mince filet social minimise les possibilités pour les équipes traitantes de rester en contact avec un jeune. Un réseau social plus limité retarde l’identification du problème de santé mentale et prive le jeune d’un soutien et d’une guidance pour naviguer dans le système de santé (Edidin et coll., 2012).

Ruptures dans la continuité des services

Pour les jeunes en général, les divisions au sein du système de santé et de services sociaux augmentent les risques de bris dans la continuité entre ces services, notamment lors de la transition entre les services destinés aux jeunes (p. ex. protection de la jeunesse, pédopsychiatrie) (Goyette et coll., 2019) et les services pour adultes ou entre les territoires sociosanitaires lorsqu’un jeune passe d’une région à une autre (Fleury et Grenier, 2012). Une rupture dans la continuité des services ou un mauvais arrimage lors du transfert laissent le jeune en situation de précarité et sans réseau de soutien pour l’appuyer dans ce cheminement, à un moment où le développement de l’autonomie et les apprentissages propres à la transition à la vie adulte ne sont pas consolidés (Goyette et coll., 2019). Des difficultés dans la sphère de l’autonomie financière et résidentielle (p. ex. gestion du budget, préparation de repas), à ce moment de la trajectoire développementale, peuvent réduire la satisfaction et la stabilité en logement des JPEP (Roy et coll., 2013).

La planification du congé psychiatrique est plus souvent inadéquate chez les personnes itinérantes avec triple problématique (p. ex. schizophrénie, toxicomanie et trouble de personnalité), comparativement à celles qui n’ont qu’une ou 2 de ces problématiques (Caton, 1995). Or, 3 fois plus de jeunes ayant un vécu d’itinérance présentent ce triple diagnostic (Lévesque et Abdel-Baki, 2020), ce qui met à mal la continuité entre les services d’urgences, d’hospitalisation en psychiatrie et les services externes en santé mentale. En effet, les jeunes et les intervenants communautaires soulignent que les congés de l’hôpital sont souvent émis plus rapidement et sans plan de suivi autre que des références vers des refuges (Réseau d’intervention de proximité auprès des jeunes de la rue [RIPAJ], 2021).

Qualité des services et engagement des jeunes dans les services

Les JPEP seraient particulièrement à risque de se désengager des services de santé mentale (Lal et Malla, 2015) qui ne sont pas adaptés aux enjeux développementaux de la transition à la vie adulte et ne tiennent pas compte des besoins du jeune dans sa globalité (Hamdani et coll., 2011). La présence de besoins variés chez les jeunes en situation d’itinérance requiert une intensité plus élevée de services et plus de temps à consacrer aux interventions. Plus spécifiquement, les expériences de maltraitance ou les relations familiales conflictuelles entraînent des difficultés à faire confiance à autrui ; ce qui représente un défi important pour l’engagement dans les services. Le lien de confiance se développe au fil des interactions et est facilité par la continuité du lien dans le temps, la disponibilité, la flexibilité et la facilité à obtenir des rencontres (Robards et coll., 2018 ; Brown et coll., 2016). Pour un bon nombre de jeunes sans-abri, la méfiance envers les institutions et le système de santé et de services sociaux résulterait des mauvaises expériences passées. Ces expériences peuvent dissuader certains jeunes d’entamer des démarches subséquentes (Nicholas et coll., 2016 a).

Certains sous-groupes de jeunes sont plus susceptibles de vivre des expériences de discrimination au sein des services soit : les jeunes en situation d’itinérance ; les jeunes sans-emploi/éducation/formation ; les jeunes lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queer ou toute autre identité, orientation ou réalité (LGBTQ+) ; les jeunes issus de communautés culturelles diverses ; les jeunes autochtones ; les jeunes vivant dans des milieux ruraux et les jeunes en situation de handicap (Filia et coll., 2021, Grattan et coll., 2021 ; Robards et coll., 2018). De plus, certains sous-groupes sont touchés de manière disproportionnée par l’itinérance tels que les jeunes autochtones (30 %) ; les jeunes issus de minorités visibles (28 %) ainsi que les jeunes LGBTQ+ (29 %) (Gaetz et coll., 2016).

Toutefois, l’offre d’une diversité dans les modalités de services (interventions dans le milieu de vie, interventions de proximité, échanges téléphoniques et messages textes, cliniques dans la communauté), la possibilité de se présenter sans rendez-vous et la présence de plusieurs services dans un même emplacement, une approche amicale et bienveillante ; une communication directe et transparente ; un ton soutenant et encourageant ; la confiance mutuelle, le respect, l’écoute et les opportunités de développer l’autonomie, les compétences et l’identité sont favorables à l’engagement des jeunes en général, mais plus particulièrement des jeunes marginalisés (Robards et coll., 2018 ; Brown et coll., 2016).

Comment aider les JPEPIIR à éviter ou à sortir de l’itinérance ? Interventions visant la prévention de l’itinérance

Comment travailler en amont et de manière concertée avec les JPEP afin de prévenir l’itinérance ?

Accompagnement dans la transition à la vie adulte

Les pratiques visant à renforcer les facteurs de protection contre l’instabilité résidentielle chez les jeunes tels que le développement de l’autonomie, l’apprentissage des activités de la vie domestique (impliquant parfois des approches de réadaptation en santé mentale vu les troubles cognitifs) et le soutien offert dans la transition vers la vie adulte, contribuent à la prévention de l’itinérance. Le transfert entre les services jeunesse et adulte est un aspect important à considérer puisqu’il survient lors de cette période critique de développement. La transition à la vie adulte est une période décrite dans la littérature comme à grand risque de rupture de services et d’instabilité résidentielle (Goyette et coll., 2019). Une approche de prévention ciblée vise à rejoindre les jeunes dans certains milieux à partir desquels ils sont particulièrement susceptibles de vivre de l’instabilité résidentielle telle que les services de protection de la jeunesse, de pédopsychiatrie et l’hospitalisation en psychiatrie.

En effet, les jeunes sortant des centres jeunesse seraient particulièrement à risque d’itinérance : 45 % des jeunes sortis de placement considèrent leur situation résidentielle comme temporaire, 32 % se trouvent en situation d’instabilité résidentielle et 20 % affirment avoir vécu une situation d’itinérance depuis la fin de leur placement (Goyette et coll., 2019). Conséquemment, au Québec, certains projets visant le développement de l’autonomie des jeunes furent développés tels que le Développement des apprentissages à la vie Adulte (DAVA) par le CIUSSS Centre-sud-de-l’île-de-Montréal (Robillard, 2017), le projet Aspire par le CIUSSS de l’Ouest-de-l’île-de-Montréal (Touzin, 2017), l’outil Plan de cheminement vers l’autonomie (Association des centres jeunesse du Québec, 2014) et le Programme qualification des jeunes (Institut national d’excellence en santé et en services sociaux [INESSS], 2018). Ils sont généralement offerts aux jeunes de 16 à 19 ans en amont de la fin de suivi en protection de la jeunesse. La Commission Laurent recommande de prolonger la durée de ces programmes jusqu’à l’âge de 25 ans (Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse [CSDEPJ], 2021).

Le développement de l’autonomie peut être plus complexe pour les jeunes souffrant de problèmes de santé mentale plus sévères tels que les JPEP. Quelques initiatives de foyers de groupe affiliés au réseau de la santé et des services sociaux pour les jeunes de 16 à 21 ans suivis en pédopsychiatrie/psychiatrie pour des troubles mentaux sévères et suivis par les services de protection de la jeunesse visent à faciliter la transition entre les services offerts aux jeunes et aux adultes par le biais d’interventions de soutien au développement de l’autonomie lors de la transition à la vie adulte comme la résidence Paul-Pau (Bisson et coll., 2012). Néanmoins, il existe peu d’outils et de programmes de prévention de l’instabilité résidentielle pour accompagner les jeunes une fois qu’ils ont quitté les centres jeunesse en refusant initialement l’aide.

Repérage des situations d’instabilité résidentielle

Le repérage des situations d’instabilité résidentielle chez les jeunes peut avoir lieu dans les services sociaux et de santé, les milieux scolaires, les services de protection de la jeunesse ou tout autre milieu susceptible d’accueillir des jeunes en situation d’instabilité résidentielle (Sohn et Gaetz, 2020). Une diversité de situations peut mener à l’itinérance. La situation sociale et résidentielle des jeunes devrait toutefois faire l’objet d’une évaluation et d’interventions adaptées lors des contacts avec les services sociaux et de santé. Une telle approche vise à la fois à identifier les jeunes à risque d’itinérance en dépistant les situations d’instabilité résidentielle et en offrant aux jeunes le soutien dont ils ont besoin le plus rapidement possible. Par exemple, au Québec, l’Instrument de repérage et d’identification des situations résidentielles instables et à risque (IRIS) est un outil intéressant dans la prévention de l’itinérance (Hurtubise et coll., 2019).

Organisation des services et interventions auprès des jeunes en situation d’instabilité résidentielle ou d’itinérance

Approches à privilégier en intervention

Les JPEPIIR ont besoin d’une plus grande diversité de services pour combler leurs besoins psychosociaux (Lee et coll., 2020). La vision globale et les interventions prennent en compte l’expérience subjective de la personne tout en considérant les aspects structurels et relationnels des situations qui influencent les conditions de vie, les valeurs, les aspirations, les comportements, les difficultés et le pouvoir d’agir (Lamoureux et coll., 2012). L’implication des familles et des proches dans les services et les interventions familiales telles que préconisées par les PPEP s’avèrent pertinentes notamment pour faciliter la reprise des contacts avec la famille, favoriser le développement d’un réseau social ou mettre en place un filet de sécurité. Le soutien par les pairs aidants est une composante importante de l’intervention auprès des JPEPIIR qui est basée sur le partage du vécu expérientiel d’une personne ayant une expérience similaire tout en ayant assez de recul pour devenir un modèle positif. Le partage d’expériences suscite l’espoir chez le jeune ; ce qui contribue à son engagement dans les services puis à son rétablissement (Robinson et coll., 2010).

« L’approche sensible aux traumatismes » cherche à minimiser le risque de nouvelles expositions à un traumatisme en tenant compte des besoins de sécurité physique et émotionnelle de la personne et de l’importance de la liberté de choisir et d’avoir un contrôle sur les services reçus (Agence canadienne de la santé publique [ACSP], 2018). L’approche centrée sur les forces permet la prise en compte des singularités et des forces du jeune. Elle valorise le développement de l’autonomie et de la reprise de pouvoir sur sa vie (Rapp et Goscha, 2012) ; ce qui s’applique bien dans le contexte de la transition à la vie adulte qui comporte plusieurs étapes importantes du développement de l’autonomie.

Centres de services intégrés en santé mentale pour les jeunes

Ces centres pour les jeunes de 12 à 25 ans, période d’émergence de la majorité des troubles mentaux, regroupent en un même endroit des services de santé mentale et physique et différents services psychosociaux (études, travail, logement, renseignements sur l’aide financière et juridique). L’accessibilité physique (près des transports en commun ou des lieux fréquentés par les jeunes) et sociale (avec ou sans rendez-vous, services de soir ou de fin de semaine) ainsi que la participation des jeunes dans le développement des services sont au coeur de ces modèles d’organisation tels Headspace (Australie), Youth One Stop Shops (Nouvelle-Zélande), ACCESS-EO (Canada), Foundry (Colombie-Britannique) et Aires ouvertes (Québec). Les centres de services intégrés tels que Aire Ouverte représentent des portes d’entrée qui permettent de réduire les délais d’accès à un service de santé mentale dont le PPEP en détectant précocement et en accompagnant les JPEP vers ces services. Les PPEP sont également des services intégrés, directement accessibles par les JPEP, visant à leur faciliter l’obtention de plusieurs services sociaux et de santé requis au même endroit.

Partenariats, travail en réseau et intersectorialité

La mise en place d’un contexte organisationnel favorable au développement de partenariats et au travail en réseau entre les milieux institutionnels et communautaires est primordiale. Il favorise le partage mutuel d’expertises et l’adaptation continue des interventions et des services aux besoins émergents (Comité jeunes et familles vulnérables de la région de Montréal, 2019). Outre les milieux communautaires et institutionnels, il est pertinent de mobiliser l’ensemble des réseaux formels et informels du jeune afin de mettre en place un filet de sécurité (INESSS, 2018). Les communications et la cohérence des interventions entre les services peuvent être facilitées par la présence d’équipes ou d’agents de liaison pour faire le pont entre les différents services. Par exemple, au Québec, le Réseau d’intervention de proximité auprès des jeunes de la rue (RIPAJ) regroupe plus d’une vingtaine de ressources des milieux communautaires et institutionnels venant en aide aux jeunes en situation d’instabilité résidentielle. Les partenariats entre les ressources facilitent l’accès aux services de santé mentale, mais également aux autres services du RIPAJ (Morisseau-Guillot et coll., 2020).

Interventions auprès des jeunes qui se trouvent en situation d’itinérance

Comment soutenir les jeunes qui se trouvent en situation d’itinérance ?

Modèles d’interventions intensives de proximité pour JPEPIIR présentant une toxicomanie

L’intervention de proximité implique d’aller vers les jeunes et accorde de l’importance à l’établissement du lien de confiance. Les interventions de proximité dans les organismes communautaires facilitent l’accès aux services par la collaboration entre les milieux pour arrimer le jeune à un service. Elles favorisent également la continuité et la qualité des services par le biais de références plus appropriées aux besoins des jeunes et par des interventions concertées entre les équipes de santé mentale et les organismes communautaires (Abdel-Baki et coll., 2019). Au Québec, une telle approche a été mise en oeuvre depuis 2012 par l’Équipe d’intervention intensive de proximité (ÉQIIP SOL) de la clinique JAP du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (Doré-Gauthier et coll., 2019) et un travail similaire est proposé par le Suivi Intensif en Intervention Précoce (SIIP) de la Clinique Notre-Dame des Victoires, de l’Institut Universitaire en santé mentale de Québec. Ces équipes s’ajoutent à une clinique d’intervention précoce pour la psychose et visent la stabilité résidentielle ainsi que l’amélioration de l’accès et de la continuité des services de santé mentale des JPEPIIR ayant une toxicomanie concomitante ; ces facteurs étant imbriqués et contribuant à la chronicisation des problèmes. Par le biais d’interventions intégrées et intensives dans la communauté, la collaboration et le soutien des ressources communautaires et institutionnelles partenaires pour maintenir la stabilité en hébergement et la santé mentale des jeunes, l’ÉQIIP SOL a permis de réduire de moitié la durée de l’instabilité résidentielle des jeunes comparativement aux services réguliers d’intervention précoce. Dans cette étude, s’appuyant sur la littérature antérieure (Frederick et coll., 2014), « … la stabilité résidentielle a été définie comme (1) un hébergement (autonome ou supervisé) où le jeune a vécu au cours des 3 derniers mois et qui n’est pas un refuge d’urgence ou un logement temporaire pour les personnes sans-abri ou les personnes en crise, ou (2) un logement où le jeune a résidé pendant au moins 1 mois et souhaite rester au moins 6 mois à 1 an (une preuve telle qu’un bail devrait être disponible) ». (Doré-Gauthier et coll., 2020) Les interventions ont aussi contribué à diminuer les séjours à l’urgence et les durées d’hospitalisation (Doré-Gauthier et coll., 2020).

Interventions visant la stabilité résidentielle avec accompagnement

Les interventions visant la stabilité résidentielle et l’amélioration des conditions de vie contribuent à l’amélioration de la santé mentale et à la qualité de vie du jeune (Barker et coll., 2015 ; Goering et coll., 2014). Elles sont bénéfiques pour l’accès aux services puisqu’elles assurent un contexte favorable pour initier une demande d’aide et en faire le suivi (Nicholas et coll., 2016b ; Barker et coll., 2015). La stabilité du contexte est également bénéfique pour l’engagement du jeune dans les services puisqu’elle permet des contacts plus réguliers avec les services. L’Intervention en temps critique (Critical Time Intervention ; CTI) est une intervention temporaire qui cible une problématique précise (p. ex. la recherche et le maintien d’un logement) durant les périodes de transition nécessitant un besoin accru de soutien tel qu’au moment d’un congé de l’hôpital (Tomita et Herman, 2015). L’approche Logement d’abord, opérationnalisée au Québec en tant que Stabilité résidentielle avec accompagnement vise à donner un accès immédiat à un logement permanent et à des services d’accompagnement. Cette approche préconise l’autodétermination et le choix en matière de logement et le renforcement des compétences et de l’autonomie (McAll et coll., 2019).

D’autres modèles visant la stabilité résidentielle permettent aux jeunes d’acquérir les habiletés pour vivre en logement de façon autonome. On retrouve des foyers de groupe ou appartements supervisés offerts par les organismes communautaires (Morisseau-Guillot et coll., 2020) ou le réseau d’hébergement de la santé et des services sociaux. Il est primordial que ces organismes aient l’expertise pour bien répondre aux besoins spécifiques des jeunes, en particulier de ceux qui se retrouvent souvent en situation d’itinérance. Sans cette « spécialisation » et sans les ressources humaines suffisantes, les JPEP se retrouvent souvent à nouveau à la rue, expulsés de façon répétée des organismes dont ils ne parviennent pas à respecter les règles (Lévesque et Abdel-Baki, 2020). Plusieurs auteurs notent que le risque d’instabilité résidentielle et les besoins des jeunes en matière d’inclusion sociale et professionnelle demeurent importants dans les années suivant la transition en logement (Kidd et coll., 2016).

À chaque étape de la vie d’un jeune, diverses interventions peuvent contribuer à prévenir l’itinérance et éviter une dégradation de sa situation. Vu l’ampleur du phénomène de l’itinérance et de l’instabilité résidentielle chez les JPEP et leurs ramifications, les solutions envisageables ne peuvent relever uniquement des PPEP et doivent passer par la collaboration entre les différents acteurs que croise un jeune dans sa trajectoire. Ces acteurs incluent les organismes communautaires, les différents secteurs gouvernementaux (santé et services sociaux, judiciaires, de l’éducation, de l’emploi et de la solidarité sociale ainsi que les familles et les proches). L’optimisation des ressources existantes doit passer par le développement de partenariats tel que ceux du RIPAJ, et s’appuyer non seulement sur des valeurs similaires, mais sur des rencontres régulières d’échanges et des interventions concertées, conjointes et complémentaires (Morisseau-Guillot et coll., 2020). Sans une telle synergie, il est difficile d’avoir une vision préventive et globale, le travail des acteurs impliqués auprès du jeune, se faisant alors en silo.

DISCUSSION

Cette revue de littérature souligne à quel point l’itinérance et la santé mentale des jeunes, incluant celle des JPEP, sont des phénomènes complexes. La présence de plusieurs facteurs qui s’influencent mutuellement ; qui se situent à différents niveaux (de l’individuel au macrosocial) ; qui touchent une grande diversité des champs disciplinaires (politique, économie, sociologie, travail social, psychologie, médecine, etc.) et qui impliquent une pluralité d’acteurs et de perspectives (du vécu expérientiel des jeunes aux orientations des politiques sociales) représentent un défi majeur tant pour la recherche que pour l’organisation des services et les interventions qui se traduit par une rareté des études qui traitent de l’entièreté du phénomène.

L’absence de consensus concernant la définition de l’itinérance chez les jeunes ainsi que ses impacts sur les méthodes d’échantillonnage et les échantillons, contribuent à rendre difficile la comparaison entre les études et entre les différents sous-groupes surreprésentés de cette population. Il est pertinent d’approfondir les enjeux qui leur sont plus spécifiques tant pour l’organisation des services que lors de l’évaluation de l’effet des interventions en tenant compte de variations potentielles à travers ces sous-groupes. L’impact de l’intersectionnalité sur les jeunes appartenant à plus d’un des sous-groupes surreprésentés gagne également à être étudié davantage.

Quoique la littérature portant sur la santé mentale des jeunes incluant celle des JPEP soit abondante, les études épidémiologiques ont tendance à sous-représenter les jeunes en situation d’itinérance ou d’instabilité résidentielle en raison de leurs conditions de vie instables et/ou de l’absence d’un domicile qui les rend plus difficiles à joindre. Peu d’études sur l’utilisation des services de santé mentale chez les jeunes en situation d’itinérance sont spécifiques aux JPEP. Quoiqu’il y ait plus d’études portant sur les enjeux d’accès aux services, celles sur l’engagement sont rares alors que certaines spécificités propres aux JPEP justifient une exploration particulière, notamment en ce qui a trait à l’articulation entre ces deux concepts.

Il est pertinent de demeurer sensible à l’influence du contexte des JPEP et comment celui-ci interfère avec leur engagement dans les services. Les facteurs structurels et les conditions de vie dans lesquels évoluent les jeunes et leurs impacts sur l’engagement dans les services ne sont pas suffisamment explorés dans la littérature (Barello et coll., 2014). De plus, la perspective des jeunes et plus particulièrement des JPEP et de leurs familles à l’égard des services n’a pas encore été suffisamment explorée. Une compréhension plus large et holistique devrait prendre en compte l’ensemble des éléments ayant un rôle à jouer, c’est-à-dire le vécu expérientiel du jeune ; son réseau social ; les intervenants et les professionnels de la santé ; les organismes fréquentés dans la communauté ; les interventions et les outils pertinents selon les situations et les services disponibles du système de santé et des services sociaux.

Le biais de subjectivité des auteurs dans la sélection des articles constitue une des limites de cette revue narrative, quoique les critères de sélection et la méthodologie de recherche décrite permettent de le circonscrire. L’accent mis sur le contexte canadien et surtout québécois notamment au niveau des interventions, en limite la généralisation à d’autres contextes et juridictions. Par ailleurs, l’étendue et la complexité des sujets abordés ne permettent pas de les explorer en profondeur, mais plutôt d’avoir une vue d’ensemble sur les enjeux impliqués et les interventions auprès des JPEPIIR.

CONCLUSION

Les équipes de santé mentale, notamment les PPEP, peuvent contribuer à prévenir et à réduire l’itinérance et ses conséquences chez les JPEP dont les parcours de vie ont été fragilisés. Ces équipes doivent elles-mêmes bénéficier de formation, des ressources et des conditions nécessaires pour mener à bien une telle mission. Dans les centres urbains où l’on retrouve une plus grande concentration de personnes en situation d’itinérance, des sous-équipes spécialisées peuvent aider à atteindre cet objectif efficacement. La prévention et la lutte à l’itinérance, incluant chez les jeunes, ont pris une place de plus en plus importante dans les politiques publiques québécoises et ailleurs dans le monde dans la dernière décennie. Malgré tout, les constats recensés dans le présent article mettent en lumière que les efforts pour endiguer le phénomène de l’instabilité résidentielle doivent être repensés pour se dégager d’une logique réactive ou d’urgence, et plutôt viser une approche préventive, intersectorielle et globale. Une telle approche nécessite la participation et la concertation des jeunes eux-mêmes, des familles, des ressources communautaires et institutionnelles, des ministères et du milieu de la recherche.