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Introduction

Le trouble de personnalité limite (TPL) est caractérisé par un « mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects avec une impulsivité marquée […] et est présent dans des contextes divers » et touche environ 1,6 % de la population nord-américaine (American Psychiatric Association, 2013). Les individus aux prises avec un TPL présentent fréquemment plusieurs autres troubles somatiques et psychiatriques comorbides. En effet, jusqu’à 96 % des individus aux prises avec un TPL reçoivent un diagnostic de trouble de l’humeur au cours de leur vie (Shah et Zanarini, 2018). De plus, 52 % rapportent avoir au moins une autre atteinte somatique (El-Gabalawy et coll., 2010). Plusieurs comportements de santé à risque ont été corrélés au diagnostic de TPL et à la présence de comorbidités psychiatriques ou somatiques.

Parmi ces comportements délétères, la consommation de substances a fait l’objet de plusieurs études. La prévalence à vie du trouble d’usage de substances (TUS) est de 78 % chez les adultes aux prises avec un TPL (Tomko et coll., 2014). Celui-ci est corrélé à une diminution de la capacité cardiovasculaire et de la force musculaire (Flemmen et Wang, 2015) et à un risque accru de mortalité (Nordentoft et coll., 2013). De plus, l’intensité des symptômes anxiodépressifs et ceux liés au TPL est beaucoup plus marquée en présence d’un trouble de l’usage de l’alcool ou du cannabis (Howe et coll., 2021).

Outre la consommation de substances, les troubles du sommeil sont aussi fortement associés au TPL. Selon une enquête nationale américaine, environ 63 % des individus aux prises avec un TPL rapportent avoir des problèmes de sommeil (délai d’endormissement, temps éveillé après l’endormissement et réveil précoce). De plus, 66 % rapportent vivre des conséquences néfastes liées à un mauvais sommeil (p. ex. fatigue limitant les activités quotidiennes ; Selby, 2013). Les associations symptômes-paramètres du sommeil des individus avec un TPL semblent généralement avoir une relation bidirectionnelle (Simor et Horváth, 2013). Par exemple, une moins bonne régulation émotionnelle serait associée à des altérations du sommeil paradoxal et à un sommeil plus fragmenté (Simor et Horváth, 2013). La présence d’un trouble de l’insomnie chez les adultes aux prises avec un TPL est partiellement expliquée par les comorbidités psychiatriques, et semble être un facteur de risque du risque suicidaire (Winsper et coll., 2017).

Finalement, l’inactivité physique (définie comme une quantité hebdomadaire d’activité physique inférieure à 150 minutes ; OMS, 2020) est un facteur de risque d’obésité chez les personnes avec un TPL (Frankenburg et Zanarini, 2006). Ce comportement de santé est aussi associé à plusieurs troubles comorbides au TPL. En effet, une récente méta-analyse indique une prévalence et une incidence plus faibles de dépression chez les individus plus actifs (Gianfredi et coll., 2020). On peut aussi trouver l’activité physique comme monothérapie recommandée dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs dans les dernières lignes directrices canadiennes de traitement des troubles de l’humeur (Ravindran et coll., 2016). L’activité physique est un facteur protecteur et un traitement recommandé pour les maladies cardiovasculaires (Healy et coll., 2015) et le diabète (Vancampfort et coll., 2013) chez les adultes aux prises avec un trouble de santé mentale. À ce jour, il n’existe toutefois pas d’étude analysant la relation ou l’effet de l’activité physique sur les symptômes du TPL (St-Amour, Cailhol et coll., 2021).

Plus globalement, le nombre d’études qui examinent les corrélats des comportements de santé préalablement cités reste faible. À notre connaissance, aucune étude n’a à ce jour documenté ces comportements au sein d’échantillons d’adultes francophones. De plus, les corrélats sociodémographiques et cliniques de ces comportements ne semblent pas non plus connus. Les corrélats des comportements de santé identifiés dans d’autres troubles mentaux comorbides au TPL pourraient être le niveau d’éducation, le revenu, la prise de psychotropes et le niveau de sévérité des symptômes (St-Amour, Hains-Monfette et coll., 2021 ; Vancampfort et coll., 2012). Les objectifs de cette étude sont donc les suivants : 1 — décrire les TUS, le risque d’insomnie et le niveau d’activité physique chez les adultes francophones avec un TPL en France et au Canada ; 2— identifier les facteurs sociodémographiques et cliniques (âge, statut social perçu, niveau d’éducation, revenu du ménage, indice de masse corporelle, difficultés de régulation émotionnelle, symptômes de TPL, niveau de dépression, antécédents de tentatives de suicide et usage de médicaments psychotropes) associés à ces comportements.

Méthode

Cette étude transversale a été réalisée à l’aide d’un sondage en ligne conçu sur la plateforme LimeSurvey et hébergé sur les serveurs de l’Université du Québec à Montréal. Ce sondage a été distribué en ligne au Canada et en France au moyen de groupes Facebook, de forums de discussion, de groupes de discussion et de ressources d’aide ciblés pour les individus avec un TPL (pour le détail des groupes et médias ciblés, voir le Tableau S1 du matériel supplémentaire). Certains partenaires, comme des professionnels de la santé, nous ont aussi aidés à promouvoir ce sondage auprès de leurs patients. Pour être inclus, les participants devaient déclarer : 1 — être âgés d’au moins 18 ans ; 2 — demeurer au Canada ou en France ; 3 — préférer remplir le sondage en français ; 4 — avoir reçu un diagnostic de TPL d’un professionnel de la santé. Cette étude a été approuvée par les comités d’éthique du Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux de l’Est-de-l’Île-de-Montréal (2021-2330) et de l’Université du Québec à Montréal (3997_e_2021).

Questionnaires

Caractéristiques sociodémographiques et antécédents. Tous les questionnaires utilisés dans ce sondage ont été validés en français. Les caractéristiques sociodémographiques suivantes ont été collectées : le pays de résidence, le sexe attribué à la naissance, l’âge, le niveau de scolarité, le statut marital, la taille, le poids, et le revenu du ménage. Les participants étaient aussi interrogés à propos de la durée du suivi psychiatrique, leur consommation de médicaments psychotropes, les troubles comorbides, le nombre d’hospitalisations dans un service de santé mentale et le nombre de tentatives de suicide passées. Les participants ont aussi rapporté leur statut social subjectif à l’aide de l’échelle de MacArthur (Adler et coll., 2008).

Caractéristiques cliniques. Les participants ont ensuite rempli le Borderline Symptoms List-Short Form (BSL-23), validé pour mesurer la présence et la gravité des symptômes associés au TPL (Nicastro et coll., 2016). Ensuite, les participants ont rempli le Beck Depression Inventory — Short Form (BDI-SF) validé pour mesurer la sévérité des symptômes dépressifs chez les adultes avec un TPL. Un score de 10 et plus indique la présence de dépression (Alsaleh et Lebreuilly, 2017). Les difficultés de régulation émotionnelle ont été mesurées à l’aide du Difficulties in Emotion Regulation Scale-Short Form (DERS-18). Ce questionnaire a déjà fait l’objet d’études avec des adultes avec un TPL (Côté et coll., 2013).

Comportements de santé. L’Alcohol, Smoking and Substance Involvement Screening Test (ASSIST) permettait de mesurer le TUS de plusieurs substances psychoactives. Ce questionnaire a été validé pour mesurer la consommation à risque et abusive de plusieurs substances incluant le tabac, l’alcool, le cannabis, la cocaïne, les stimulants, les solvants, les calmants, les hallucinogènes et les opiacés. Le score est calculé par substance en additionnant le pointage attribué aux réponses de chaque question. Un score de 4 et plus (11 et plus pour l’alcool) indique un risque de TUS modéré et un score de 27 et plus indique un risque de TUS sévère (Khan et coll., 2011). Les participants devaient ensuite répondre à l’Insomnia Severity Index (ISI) validé pour mesurer la sévérité de l’insomnie. Un score de 15 et plus indique un risque accru d’insomnie clinique (Bastien et coll., 2001). Finalement, le niveau d’activité physique a été mesuré à l’aide du Global Physical Activity Questionnaire (GPAQ), validé pour mesurer le niveau d’activité physique au travail, dans les loisirs et les déplacements (Rivière et coll., 2018). Ce questionnaire a été validé dans plus de 18 pays auprès de plus de 6 400 individus dans des populations et cultures diverses avec de bons indices de validité (Keating et coll., 2019) et est utilisé dans plus de 1 500 articles publiés. Ce questionnaire a déjà été utilisé pour mesurer l’activité physique dans un contexte de troubles de la santé mentale (Loprinzi et coll., 2013 ; Romain et coll., 2020 ; Romain et Abdel-Baki, 2017) et possède des caractéristiques psychométriques équivalentes à un autre questionnaire sur l’activité physique validé auprès de populations avec un trouble de santé mentale (Duncan et coll., 2017 ; Misra et coll., 2014). Pour consulter le contenu du questionnaire, voir le Tableau S2 du matériel supplémentaire.

Analyses statistiques

Des statistiques descriptives (N, %, moyenne) sont utilisées pour décrire les caractéristiques de notre échantillon et les comportements de santé décrits ci-dessus. Une série de 5 régressions multivariées a été réalisée afin d’identifier les facteurs sociodémographiques et cliniques associés à l’activité physique hebdomadaire, les scores de l’ISI et le TUS modéré à élevé de tabac, d’alcool et de cannabis. Une régression linéaire a été réalisée pour l’activité physique et le score ISI, paramétrée pour la première avec une distribution de type poisson, et normale pour la seconde. Pour les variables dépendantes de type TUS, les modèles utilisés étaient de type logistique. Les variables suivantes étaient systématiquement incluses dans le modèle initial : l’âge, le statut social subjectif, le niveau d’éducation et de revenu, l’indice de masse corporelle, le score total du DERS, du BSL-23 et du BDI, le nombre de psychotropes utilisés, les antécédents de tentative de suicide et la présence d’un TUS modéré à élevé pour la consommation de tabac et d’alcool (sauf quand 1 de ces 2 derniers facteurs était considéré comme la variable dépendante du modèle). La sélection du modèle final pour chaque variable dépendante était réalisée sur la base du meilleur indice d’ajustement (critère d’information d’Akaike) final. Chaque combinaison de variables était testée à l’aide de la librairie bestglm dans R (Zhang, 2016). La préparation des données, l’examen des valeurs aberrantes et les analyses ont été réalisés à l’aide du logiciel R version 4.1 et des librairies ggstaplot (Patil, 2021), stargazer, summarytools. Sept valeurs aberrantes multivariées ont été supprimées du modèle concernant l’activité physique. Le code d’analyse de la présente étude est disponible en accès libre (https://osf.io/hcvjg/).

Résultats

Caractéristiques de l’échantillon

Au total, 92 Canadiens et 75 Français rapportant avoir reçu un diagnostic de TPL ont rempli le questionnaire en ligne (N = 167). La moyenne d’âge des participants canadiens est de 32 ans et de 34 ans chez les participants français. Dans les 2 groupes, une majorité des participants sont de sexe féminin (81 % chez les Canadiens et 65 % chez les Français). Le niveau de diplomation universitaire est plus élevé chez les participants français (46 %) que chez les participants canadiens (19 %). La plupart des participants, tant canadiens que français, gagnent un revenu annuel de moins de 20 000 CAD/€ (22,8 % chez les Canadiens et 56 % chez les Français). La description sociodémographique complète de notre échantillon se trouve dans le Tableau 1.

Comportements de santé

La durée moyenne hebdomadaire d’activité physique rapportée par les 2 groupes est présentée dans la Figure 1. Les participants canadiens rapportent une moyenne de 632,1 (ÉT : 846,6) minutes par semaine, les participants français de 613,9 (ÉT : 714,5) minutes par semaine. Quant à l’activité physique de loisir, les participants canadiens rapportent en moyenne 120,9 (ÉT : 243,0) minutes par semaine, alors que chez les participants français, cette moyenne s’élève à 140,5 (ÉT : 213,2) minutes par semaine. Pour ce qui est de l’activité physique de transport, les participants canadiens déclarent en moyenne 178,6 (ÉT : 336,2) minutes hebdomadaires, alors que les participants français déclarent 171,5 (ÉT : 233,0) minutes en moyenne. Il est à noter que seulement une partie des participants a déclaré faire de l’activité physique de transport (n = 49 et n = 45, respectivement pour le Canada et la France). On note aussi que 38 % des participants canadiens rapportent moins de 150 minutes d’activité physique par semaine (soit les recommandations en matière d’AP énoncées notamment par l’Organisation mondiale de la santé ; OMS, 2020) alors que cette proportion est de 28 % chez les participants français.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

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Figure 1

Distribution du niveau d’activité physique total, de loisir et de transport par pays

Distribution du niveau d’activité physique total, de loisir et de transport par pays

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Les données sur la sévérité et le risque d’insomnie sont présentées dans la Figure 2. Les participants canadiens présentent un score moyen de 12,98 ± 6,7 et celui des participants français est de 14,08 ± 6,0. De plus, 42 % des participants canadiens et 49 % des participants français ont obtenu un score d'au moins 15, indiquant un risque d'insomnie clinique.

Figure 2

Distribution des scores et prévalence d’insomnie par pays

Distribution des scores et prévalence d’insomnie par pays

Note : ISI = Insomnia Severity Index

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Les résultats des TUS varient entre les groupes et en fonction de la substance (voir Figure 3). Chez les participants canadiens, 50 % des participants présentent un TUS pour le tabac, alors qu’on le retrouve chez 60 % des participants français. Pour le TUS relié à l’alcool, on le retrouve chez 36 % des Canadiens et 53 % des Français. Le TUS relié au cannabis serait présent chez 36 % des participants canadiens et 38 % des participants français. Finalement, la consommation de cocaïne est associée à un TUS chez 15 % des participants canadiens et 9 % des participants français.

Figure 3

Prévalence de trouble de l’usage de tabac, alcool, cannabis et cocaïne modéré et élevé par pays

Prévalence de trouble de l’usage de tabac, alcool, cannabis et cocaïne modéré et élevé par pays

Notes : SUD = Trouble de l'usage de substance; mod = modéré; high = élevé; no = absence de.

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Corrélats des comportements de santé

Les modèles de régression 1 à 5 (respectivement pour l’activité physique, l’insomnie, le TUS lié au tabac, à l’alcool et au cannabis) sont présentés dans le Tableau 2. Le modèle de régression 1 a été réalisé après le retrait de 7 valeurs aberrantes univariées sur l’activité physique.

Tableau 2

Résultats des régressions entre les différents comportements de santé et les variables sociodémographiques et de santé

Résultats des régressions entre les différents comportements de santé et les variables sociodémographiques et de santé

Notes : *p < 0.05 ; **p < 0.01 ; AP = Activité physique ; TPL = Trouble de personnalité limite ; IMC = Indice de masse corporelle ; TUS = Trouble d’usage de substance ; Le type de régression (poisson, gaussienne ou logistique) est indiqué sous la variable dépendante.

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Discussion

Cette étude est la toute première à répertorier les comportements de santé autorapportés dans un échantillon international francophone d’adultes avec un TPL. Cette étude identifie aussi les différents corrélats sociodémographiques et de santé associés au niveau d’activité physique, au risque d’insomnie et de troubles d’usage du tabac, d’alcool et de cannabis.

Comportements de santé

Nous notons tout d’abord une moyenne élevée du niveau d’activité physique total dans notre échantillon. Effectivement, avec un niveau moyen d’activité physique de plus de 600 minutes par semaine, les participants à cette étude semblent beaucoup plus actifs que la population générale (environ 340 minutes hebdomadaires ; Colley et coll., 2018) et que les individus aux prises avec un trouble mental grave (environ 270 minutes hebdomadaires ; Vancampfort et coll., 2017). Toutefois, la proportions de participants rapportant moins de 150 minutes d’activité physique hebdomadaires (correspondant aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ; OMS, 2020) de notre échantillon est semblable à celle retrouvée dans la population générale (40 % ; Colley et coll., 2018), mais inférieure à celle retrouvée chez les individus avec un trouble mental grave (55 % ; Vancampfort et coll., 2017). Ces données sont surprenantes et indiquent que la moyenne d’activité physique dans notre échantillon est probablement influencée par quelques participants rapportant une quantité démesurée d’activité physique. De plus, nos résultats pourraient être influencés par un biais de recrutement. Les individus avec les plus faibles niveaux d’activité physique pourraient ainsi avoir été moins enclins à participer à une étude sur les comportements de santé et l’activité physique spécifiquement. Il est toutefois difficile de mettre ces données en perspective étant donné le manque crucial d’études répertoriant le niveau d’activité physique au sein de cette population (St-Amour et coll., 2022).

La prévalence de trouble de l’usage de substances, quant à elle, est semblable à ce qui a déjà été rapporté dans la littérature. En effet, les troubles de l’usage sont trouvés dans environ 65 % des individus avec un TPL et plus spécifiquement, les troubles de l’usage de l’alcool sont retrouvés dans environ 47 % de cette population (Shah et Zanarini, 2018).

Finalement, la prévalence de trouble du sommeil est plus faible dans notre échantillon que ce qui a été initialement rapporté chez les adultes avec un TPL (Selby, 2013). Effectivement, ces troubles sont généralement retrouvés dans plus de 60 % de la population, alors que moins de 50 % de notre échantillon serait aux prises avec un tel trouble. Cette disparité pourrait être expliquée par le haut niveau d’activité physique de notre échantillon. En effet, un niveau d’activité physique plus élevé préviendrait les troubles du sommeil (Farnsworth et coll., 2015). Cette proportion, bien que plus faible que retrouvée d’ordinaire chez les adultes avec un TPL, reste alarmante, car dans cette population, les troubles du sommeil sont liés à plus de tentatives de suicide et un plus faible taux de rémission (Plante et coll., 2013).

Corrélats des comportements de santé

Pour l’activité physique, 5 corrélats sociodémographiques étaient associés au niveau d’activité physique : l’âge, le statut social subjectif, le niveau d’éducation et de revenu et l’indice de masse corporelle. Si ces corrélats sont courants dans la littérature (Vancampfort et coll., 2012, 2018), la direction (positive ou négative) de leur association semble surprenante pour le niveau d’éducation universitaire et le niveau de revenu plus élevé associés négativement à l’activité physique. Cela pourrait être expliqué par le fait que les participants de l’étude avec un plus faible revenu ou niveau d’éducation occupent des emplois qui nécessitent une activité physique plus importante (Prince et coll., 2020). Le niveau d’activité physique au travail est aussi davantage corrélé au niveau d’activité physique total que le niveau d’activité physique de loisir. En effet, beaucoup d’études analysant le niveau d’activité physique utilisent des questionnaires qui ne mesurent que l’activité physique de loisir (Vancampfort et coll., 2012) expliquant ainsi la divergence entre nos résultats et ceux précédemment publiés. Au niveau clinique, des antécédents suicidaires et des niveaux élevés de dépression et de dysrégulation émotionnelle étaient associés à un niveau d’activité physique hebdomadaire plus faible. Ces relations sont fréquemment observées dans la population générale (Bernstein et McNally, 2017 ; Gianfredi et coll., 2020). En effet, une méta-analyse récente incluant 42 études différentes et un total de 37 408 participants indique que les individus pratiquant le plus d’activité physique sont moins à risque de présenter un trouble dépressif et d’en développer un dans le futur (Gianfredi et coll., 2020). À l’inverse, la consommation importante d’alcool et de tabac, une symptomatologie de TPL plus sévère et un plus grand nombre de psychotropes utilisés étaient associés à un niveau plus élevé d’activité physique. Bien que contre-intuitifs, ces résultats aussi concordent avec les relations observées précédemment (Dodge et coll., 2017 ; St-Amour et coll., 2021 ; Vancampfort et coll., 2012 ; 2018). Par exemple, une étude réalisée auprès de 915 aînés souffrant de dépression indique que ceux qui pratiquent le plus d’activité physique ont aussi tendance à fumer et à consommer davantage d’alcool (Vancampfort et coll., 2018).

Le niveau d’insomnie quant à lui n’est associé qu’à la sévérité des symptômes de TPL. En effet, un niveau d’insomnie plus élevé est associé à une symptomatologie de TPL plus sévère. De plus, cette variable à elle seule explique 24 % de la variance du niveau d’insomnie. Cette relation fait écho aux résultats d’une revue détaillant les différents troubles et altérations du sommeil observés chez les individus avec un TPL et décortiquant les relations qui existent entre ces altérations et les différents symptômes du TPL (Simor et Horváth, 2013). Par exemple, un sommeil fragmenté serait lié à des traumas en enfance chez les patients avec un TPL et à des comportements impulsifs pouvant nuire à l’hygiène du sommeil. D’un autre côté, la privation de sommeil liée à un sommeil plus fragmenté serait liée à de plus grandes sensibilité et réaction aux stimuli émotionnels et un plus grand encodage des informations émotionnelles négatives (Simor et Horváth, 2013). Ainsi, il n’est pas surprenant que les symptômes de TPL soient autant liés à l’insomnie. Il est étonnant toutefois de ne pas observer d’autres associations avec le niveau d’insomnie. Par exemple, un faible statut social perçu à l’échelle du pays a été précédemment associé à une plus courte durée du sommeil (Euteneuer et Süssenbach, 2021). Dans la présente étude, l’indice d’insomnie ne tient pas compte de la durée du sommeil. De plus, l’absence de directives claires pour la question du statut social perçu pourrait avoir incité les participants à avoir un cadre de référence plutôt régional que national, celui-ci n’étant pas lié à la durée du sommeil (Euteneuer et Süssenbach, 2021). Ainsi les variables mesurées dans ce sondage pourraient ne pas permettre d’observer cette association. Il peut aussi être étonnant de ne pas observer d’association entre le niveau d’insomnie et celui de dépression (Fang et coll., 2019). Toutefois, les symptômes de TPL sont fortement associés à l’insomnie lorsqu’ils sont analysés indépendamment (Simor et Horváth, 2013). Puisque la principale psychopathologie étudiée dans la présente étude est le TPL, il est possible que l’association entre ses symptômes et l’insomnie ait éclipsé celle entre la dépression et l’insomnie.

Les TUS évalués dans cette étude ont quant à eux présentés des relations congruentes avec ce qui a déjà été rapporté dans la littérature. Le TUS du tabac est ainsi lié à un plus faible statut social subjectif (Hiscock et coll., 2012) et un plus grand risque d’avoir un trouble de l’usage de l’alcool (Biederman et coll., 2006). Ces associations sont aussi concordantes avec les observations de la McLean Study of Adult Development analysant prospectivement l’évolution du TPL. Cependant, cette étude associait aussi une symptomatologie plus faible à une moindre consommation de tabac (Keuroghlian et coll., 2013). Le TUS de l’alcool quant à lui serait associé à un statut social plus élevé, un indice de masse corporelle plus faible, un plus grand risque de trouble de l’usage du tabac et un plus grand risque de dépression. Ces relations ont aussi été observées dans une étude réalisée auprès d’adultes aux prises avec la schizophrénie (Subramaniam et coll., 2017). Finalement le TUS du cannabis est lié à un plus jeune âge, un indice de masse corporelle plus faible, un plus grand risque de TUS du tabac, de dépression et de tentatives de suicide. Ces résultats ont aussi été observés dans la population générale dans plusieurs études d’envergure nationale en Irlande, au Canada et en Norvège (Clark et coll., 2018 ; Jayakumar et coll., 2019 ; Millar et coll., 2021 ; Pedersen, 2008).

À notre connaissance, cette étude est la première à décrire le niveau d’activité physique chez les adultes avec un TPL et à décrire l’insomnie et les troubles d’usage de substances chez les adultes francophones avec un TPL. C’est par le fait même la première étude à décrire les principaux corrélats à l’activité physique au sein de cette population. L’identification de ces variables est primordiale pour l’élaboration de futures interventions de prévention de la santé pour les adultes avec un TPL au Canada et en France.

Toutefois, cette étude souffre de plusieurs limites. Tout d’abord, le diagnostic de TPL était autorapporté. Il n’est donc pas possible de valider le diagnostic de nos participants et d’assurer que notre échantillon soit composé uniquement d’adultes avec un TPL. De plus, notre échantillon est relativement petit pour une étude observationnelle de cette ampleur. Ensuite, comme notre enquête devait être remplie en ligne, une partie de la population avec un TPL, notamment sans accès à un ordinateur ou avec une faible littératie informatique, n’a pu participer à l’étude. Comme discuté précédemment, le sujet de l’étude (les comportements de santé) a aussi pu attirer plus spécifiquement certains individus y adhérant déjà, assujettissant ainsi l’étude à un biais de recrutement. Cette étude n’a pas non plus inclus de mesure d’alimentation, un autre comportement de santé sous-étudié chez les adultes avec un TPL (St-Amour et coll., 2022). De plus, les variances expliquées par nos modèles de régression sont relativement faibles, surtout celle de l’activité physique. Des variables spécifiques aux comportements étudiés devraient être incluses dans les futures études. Finalement, le devis transversal de cette étude ne permet pas d’établir de lien de causalité.

Pour pallier ces difficultés, une étude longitudinale multicentrique combinant un recrutement en personne et en ligne devrait être développée (Woo et coll., 2021). À l’inclusion, une caractérisation de la santé mentale et physique des participants pourrait être menée. Puis, les temps de mesures suivants pourraient combiner des mesures passives et actives des comportements de santé. Les potentiels participants devraient être sollicités dans les soins de première ligne comme dans les services spécialisés. Pour le recrutement de participants en ligne, l’utilisation de contenu spécifique sur les réseaux sociaux ou de la plateforme Amazon Mechanical Turk semblent être des stratégies (Miller et coll., 2017). Dans les deux cas, une entrevue clinique pourrait être menée afin de vérifier le diagnostic, les comorbidités physiques et mentales. À cet effet, il existe des outils permettant l’établissement du diagnostic de TPL en ligne (Chakhssi et coll., 2019). Les comportements de santé comme l’activité physique et le sommeil devraient être mesurés à l’aide d’un accéléromètre validé envoyé au domicile du participant et portés minimalement 10 jours (Hains-Monfette et coll., 2019). Ainsi, la charge de l’étude est plus faible pour les participants, car les mesures sont collectées de manière passive. En complément, un agenda alimentaire et de consommations de substance sous forme de courriels quotidiens ou de notifications via une application pourrait être envoyé aux participants afin de collecter ces comportements sur une semaine. Finalement, les données récoltées devraient pouvoir être liées aux dossiers médico-administratifs des participants afin d’inclure dans les modèles d’analyse des événements marquants comme une hospitalisation ou la mise en place d’un nouveau traitement (Cailhol et coll., 2017).

Finalement, les résultats présentés dans cette étude démontrent l’urgence d’intervenir auprès de cette population pour faire la promotion de saines habitudes de vie. Bien que la majorité des participants de l’étude déclarent faire plus de 150 minutes hebdomadaires d’activité physique, on note une forte prévalence d’insomnie et de trouble de l’usage de substance. Ces comportements ayant des effets délétères tant sur la santé physique que mentale (Flemmen et Wang, 2015 ; Gianfredi et coll., 2020 ; Healy et coll., 2015 ; Nordentoft et coll., 2013 ; Simor et Horváth, 2013) leur modification permettrait d’améliorer grandement la qualité de vie et santé des individus avec un TPL. Aussi, la promotion de l’activité physique devrait être plus marquée chez les personnes inactives faisant état d’un trouble du sommeil ou un TUS, puisque celle-ci améliore la qualité du sommeil (Kredlow et coll., 2015), et diminue les envies impérieuses de consommer (Bernard et coll., 2013).

Conclusion

En conclusion, les principaux facteurs de l’activité physique, de l’insomnie et des troubles d’usage de substances trouvés chez les adultes avec et sans troubles de santé mentale tendent à influencer ces mêmes comportements relativement dans la même direction chez les adultes francophones avec un TPL. Toutefois, il est important de réaliser plus d’études avec de plus grands échantillons et d’y inclure des mesures d’alimentation.