Résumés
Résumé
Par le biais de la transcription de modèles vocaux, les luthistes du xvie siècle ont acquis des techniques d’écriture savante, et ont pu dès lors enrichir le répertoire de leurs propres fantaisies contrapuntiques. Cet article propose d’analyser ce phénomène à travers l’oeuvre du luthiste Albert de Rippe. Des recherches antérieures se sont limitées à identifier des motifs empruntés par de Rippe à des modèles vocaux, puis utilisés dans ses fantaisies. Toutefois, le langage de la Renaissance étant constitué de nombreuses formules stéréotypées, il est souvent difficile de déterminer si un motif a véritablement été emprunté ou si la ressemblance est plutôt le résultat de l’utilisation d’une « grammaire » commune.
Plutôt que de chercher des emprunts mélodiques explicites, je propose donc d’examiner une technique d’écriture qui s’est transférée de la musique vocale à la musique instrumentale : le stretto fuga. Ce type de canon fréquemment utilisé dans le répertoire vocal de la Renaissance occupe une place centrale dans les fantaisies d’Albert de Rippe. Pour illustrer cette technique, je présente d’abord le duo Per illud ave de Josquin, entièrement construit sur des entrées successives en stretto fuga. Puis, je propose une analyse de la mise en tablature de ce duo par de Rippe pour démontrer la manière dont il adapte le modèle et en souligne la forme, grâce notamment à l’ornementation et à la densification de la texture aux cadences. Finalement, je montre que de Rippe adopte les mêmes procédés dans ses propres créations, notamment les fantaisies xvi et xxi. Ainsi, plus qu’une simple transcription, la mise en tablature de Per illud ave agit en véritable intermédiaire entre l’original vocal et les fantaisies. De plus, puisque la technique du stretto fuga peut facilement être improvisée, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour comprendre l’art de ce grand luthiste de la Renaissance.
Abstract
By means of transcription of vocal patterns, lutenists of the 16th century acquired advanced writing techniques and were able to enrich the repertoire of their own contrapuntal Fantasies. This article intends to analyze this phenomenon through the work of lutenist Albert de Rippe. Previous research has been limited to identifying the motifs borrowed from vocal models by de Rippe, then used in his Fantasies. However, the musical language of the Renaissance was made up of many stereotypical formulas, so it is often difficult to determine if a particular motif was genuinely borrowed, or if the resemblance is rather the result of the use of a common “grammar.”
Rather than looking for explicit melodic borrowing, the author proposes to examine a writing technique transferred from vocal to instrumental music: the stretto fuga. This type of canon that was frequently used in Renaissance vocal music has a prominent role in the fantasies of Albert de Rippe. To illustrate the point, Josquin’s Per illud ave is presented, which is entirely constructed by successive uses of stretto fuga. Then an analysis of the de Rippe’s tablature of this duo is presented to show how he adapts the model and follows the form, especially by the ornamentation and the desification of the texture at the cadences. Finally, it will be shown how de Rippe uses these same processes in his own compositions, especially in Fantasies XVI and XXI. Thus, more than just a transcription, the setting into tablature of Per illud ave acts as a veritable intermediary between the original vocal setting and the Fantasies. Moreover, since the stretto fuga technique can be easily improvised, new perspectives are discovered to understand the artistry of this important Renaissance lutenist.
Corps de l’article
Albert toucha le luth avec si souples doigts Qu’il en eust peu ravir les rochers et les bois, Sinon qu’il aima mieux des villes la demeure Et la Court, où souvent la Musique demeure.
Guy Lefèvre de la Boderie, La Galliade, 1578
Le luthiste Albert de Rippe a été au coeur de la vie musicale de la cour de France dès son arrivée à Paris à la fin des années 1520 et jusqu’à son décès en 1551. Originaire de Mantoue en Italie, il a été célébré de son vivant, puis longtemps après sa mort, comme l’un des plus brillants virtuoses du luth. Sa réputation est telle que dès son entrée à la cour de François ier en 1529, il touche un salaire supérieur aux luthistes déjà en poste. De Rippe est rapidement nommé valet de chambre, titre exceptionnel pour un musicien, qui donne droit à des gages annuels supplémentaires et divers autres avantages (Vaccaro 1972, ii-xix). Malgré sa renommée, seulement trois de ses oeuvres sont publiées durant sa vie, dans le recueil Intabolatura de leuto de diversi autori publié à Milan en 1536. Grâce aux efforts de son élève Guillaume Morlaye, qui avait reçu plusieurs compositions de son maître, l’oeuvre de de Rippe est largement diffusée après sa mort. Six livres sont publiés par Morlaye chez l’imprimeur parisien Michel Fezendat entre 1552 et 1558, dont certains sont tirés à 1 200 exemplaires, quantité considérable pour l’époque. Les imprimeurs Le Roy et Ballard publient également cinq livres dédiés aux oeuvres de de Rippe. Ainsi, des 24 livres de luth imprimés en France entre 1551 et 1571, onze sont entièrement consacrés à de Rippe, confirmant son prestige et sa place centrale dans l’histoire du luth en France.
L’oeuvre de de Rippe comprend les trois genres de la musique pour luth au xvie siècle : des mises en tablature de pièces vocales (47 chansons, 10 motets et 4 madrigaux) ; des fantaisies (26, parmi les plus complexes du genre) ; et de la musique de danse (6 pavanes et 4 gaillardes). Parmi les mises en tablature, on trouve Benedicta es, celorum regina, un motet à six voix en trois parties, composé par Josquin[1] (v. 1450-1521). La partie centrale de ce motet, le duo Per illud ave, est entièrement constituée de courtes entrées en canon utilisant la technique du stretto fuga. Après avoir décrit les mécanismes du stretto fuga, je présenterai dans cet article une analyse du Per illud ave de Josquin, puis de sa mise en tablature par de Rippe afin de démontrer les divers procédés utilisés par ce dernier pour adapter le modèle vocal au luth. Puis, je montrerai que de Rippe adopte les mêmes procédés dans ses propres compositions, notamment dans les fantaisies xvi et xxi [2]. Finalement, je présenterai les implications du stretto fuga comme technique improvisée dans le processus de création des fantaisies de de Rippe. Mais d’abord, voyons comment le phénomène de transfert de techniques vocales vers l’art instrumental a été jusqu’à maintenant abordé.
Du vocal à l’instrumental
Les liens étroits entre les mises en tablature et les fantaisies composées à la Renaissance ont été confirmés par des études récentes (Coelho et Polk 2016, 208-225 ; Canguilhem 2001, 95-121), liens qui avaient pourtant été signalés par John Ward dès le milieu du xxe siècle (Ward 1952 ; 1965). Ward a révélé que les fantaisies sont souvent construites à partir de matériaux mélodiques empruntés à des pièces vocales. Parfois, le processus est explicité par le titre même de la pièce, par exemple le Tiento sobre Cum sancto spiritu de Cabezon, qualifié par Ward de « glose instrumentale » sur un original vocal de Josquin. Toutefois, le processus d’emprunt est souvent plus subtil et non déclaré. Des traités musicaux espagnols du milieu du xvie siècle attestent d’ailleurs cette pratique. Dans son traité El libro llamado declaración de instrumentos musicales publié en 1555, Juan Bermudo s’adresse ainsi aux vihuelistes débutants[3] :
Enfin, le débutant doit suivre ce dernier conseil : ne pas jouer de fantaisie tant qu’il n’a pas transcrit pour la vihuela une grande quantité de musique de qualité. Après avoir transcrit et abondamment joué cette musique, il lui sera possible d’en extraire une fantaisie. La fantaisie extraite de cette manière sera aussi bonne que la musique qu’il aura transcrite
Bermudo 1555, xxix[4]
Plus loin dans son traité, Bermudo identifie ce qui lui paraît les meilleurs modèles à transposer aux instruments : tout d’abord, les compositions de Morales (v. 1500-1552) qui, selon Bermudo, contiennent « tant de bonnes qualités que les mots me manquent pour les décrire[5] » (xcix). Ensuite, il conseille la mise en tablature d’oeuvres de Josquin, « avec qui la musique commence[6] » (xcix). Puis, lorsque le vihueliste a atteint un haut niveau technique, il peut s’attaquer à la musique de Gombert (v. 1495-v. 1560), « difficile à transcrire à la vihuela, tellement elle est étoffée[7] » (xcix). Bermudo met enfin son lecteur en garde contre toute tentative de créer ses propres fantaisies avant d’avoir bien assimilé les oeuvres des grands maîtres :
Les joueurs débutants commettent une grave erreur en tentant de jouer leurs propres fantaisies. Même s’ils ont appris le contrepoint (à moins qu’ils soient aussi bons que les compositeurs susdits), ils ne devraient pas se hâter à jouer leurs propres fantaisies, afin de ne pas développer de mauvaises habitudes[8].
Un autre exemple de texte attestant cette pratique se trouve dans le Libro llamado arte de tañer fantasía de Tomás de Santa María publié en 1565. À la fin du traité, Santa María propose une série d’instructions qui résument les divers chapitres du livre. La dernière instruction va comme suit :
Neuvièmement, exercez-vous à transposer les pièces [vocales] dans tous les tons, et en même temps, exercez-vous à en extraire les motifs qui se démarquent par leur grâce mélodique, et à les mémoriser pour pouvoir ensuite jouer des fantaisies à partir de ces motifs
Santa María 1565, ii, 121v[9]
Le rôle crucial des modèles vocaux dans le développement de la fantaisie instrumentale est donc clairement énoncé dès le xvie siècle. Dès lors, il est tentant de considérer que chaque fantaisie a puisé sa substance dans une pièce vocale, et donc de chercher à découvrir les motifs mélodiques empruntés.
Stefano Mengozzi a rédigé deux articles qui montrent tout le potentiel, mais aussi les limites d’une telle approche (Mengozzi 1990 ; 1995). Dans le premier, il présente une analyse éclairante de la Fantaisie 22 de Francesco da Milano, basée sur le madrigal Quanta beltà d’Arcadelt. Il démontre que ce n’est pas la pièce vocale qui sert directement de modèle à la fantaisie, mais plutôt la mise en tablature que Milano en a faite. La concordance entre la fantaisie et le modèle vocal est ainsi fortement consolidée puisque Milano a lui-même mis en tablature la pièce vocale, prouvant hors de tout doute qu’il a été en contact avec cette composition d’Arcadelt dont il s’est approprié les motifs. Dans le second article, Mengozzi traite aussi bien de l’emprunt de motifs vocaux que de pratiques improvisées dans les fantaisies d’Albert de Rippe, mais il ne fournit aucun exemple aussi convaincant de la transformation d’un modèle vocal en fantaisie instrumentale par le biais d’une mise en tablature. Par contre, il recense les motifs vocaux identifiés dans les fantaisies de de Rippe mais, seulement six emprunts explicites sont répertoriés, et ceux-ci se trouvent dans seulement trois fantaisies différentes parmi les 26 composées par de Rippe. On peut donc se demander si la recherche d’emprunts mélodiques constitue la meilleure méthode pour comprendre les processus de composition des fantaisies d’Albert de Rippe. En fait, lorsqu’on trouve dans une fantaisie et dans une pièce vocale un motif identique, il est souvent impossible de déterminer s’il s’agit véritablement d’un emprunt conscient de la part du luthiste, ce que même Mengozzi reconnaît. Dès lors, plutôt que de tenter de trouver des emprunts mélodiques, il serait plus fructueux d’identifier une technique de composition vocale qui s’est transférée au répertoire instrumental.
Le stretto fuga, ou canon à un temps
John Milsom propose des pistes intéressantes pour comprendre les liens subtils qui peuvent relier les fantaisies instrumentales au répertoire vocal (Milsom 2005). Il démontre que le concept d’intertextualité a généralement été utilisé par les chercheurs en musique ancienne pour décrire des emprunts explicites et volontaires à une oeuvre antérieure. Toutefois, dans son sens plus large, le concept englobe également les relations plus subtiles, et souvent non intentionnelles, qui peuvent survenir entre deux oeuvres à première vue non reliées. Selon Milsom, ce deuxième type de relation est inévitable dans le contexte musical de la Renaissance :
Par l’utilisation d’une « grammaire » commune au sein d’un même contexte musical, les compositeurs s’imitent continuellement et inévitablement entre eux ; deux compositeurs peuvent même en venir accidentellement à des formulations identiques
Milsom 2005, 146-147[10]
Milsom identifie le canon — qu’il nomme fuga, selon le terme utilisé à la Renaissance — comme une technique d’écriture susceptible de créer ces formules identiques. Il poursuit ainsi :
Lorsque la « grammaire » du contrepoint évolue selon des règles plus contraignantes, la probabilité de duplication devient alors encore plus grande. Il est très probable que cela se produise dans la fuga, une polyphonie à deux voix dans laquelle la ligne mélodique de l’antécédent est transférée au conséquent. […] Il y a plusieurs types de fuga. Certains sont plus stéréotypés que d’autres, et les formes de fuga laissant le moins de possibilités aux compositeurs sont celles en « stretto », alors que les deux voix sont temporellement séparées par ce qu’il convient d’appeler « l’unité » du contrepoint lui-même. Les forces contraignantes gouvernant le stretto fuga mènent inévitablement à la duplication, et donc à une vaste toile intertextuelle, couvrant les xve et xvie siècles, et probablement au-delà[11].
Milsom a ainsi inventé le terme stretto fuga pour décrire ce type de canon qui engendre systématiquement des formules stéréotypées[12]. Julie Cumming et Peter Schubert ont depuis démontré l’omniprésence de cette technique — de Dufay, dans les années 1420, jusqu’à Monteverdi — et ont souligné son rôle fondamental dans l’essor de l’écriture en imitation à la fin du xve siècle (Cumming et Schubert 2015). Bien que les recherches se soient jusqu’ici penchées sur le répertoire vocal, cette technique s’est également transférée à la musique instrumentale dans les premières décennies du xvie siècle. Ainsi, en considérant l’usage du stretto fuga dans l’oeuvre d’Albert de Rippe, il devient possible de relier le duo vocal Per illud ave de Josquin aux fantaisies xvi et xxi, même si aucun motif n’est explicitement emprunté. Ce nouveau type de relation pourrait permettre de mieux comprendre le processus de création mis en oeuvre non seulement par de Rippe, mais aussi par d’autres compositeurs de fantaisies durant la Renaissance.
Le stretto fuga est soumis à des règles strictes. Il s’agit d’un canon se déployant après une unité de temps et dont la seconde voix entre à l’intervalle d’unisson, de quarte, de quinte ou d’octave, inférieure ou supérieure. Afin que le canon soit conforme aux règles du contrepoint, la première voix (l’antécédent) doit utiliser uniquement certains intervalles permis. Dans le cas, par exemple, d’un stretto fuga à la quinte supérieure, les intervalles permis sont l’unisson, la seconde, la quarte et l’octave descendantes, ainsi que la tierce et la quinte ascendantes. Puisque dans l’Exemple 1a, l’antécédent utilise seulement des intervalles adéquats (unissons, quartes descendantes et tierces ascendantes), un canon parfait se déploie si le conséquent entre à la quinte supérieure dès le deuxième temps (Exemple 1b). Finalement, en ajoutant des notes de passage à ce « squelette contrapuntique », on obtient un canon typique de la Renaissance (Exemple 1c). Ce stretto fuga est tiré de la Fantaisie xvi de de Rippe, dont l’analyse détaillée suivra. Puisque le stretto fuga est limité à certains intervalles stricts, il peut rapidement mener à des formules stéréotypées en séquence, comme en témoigne cet exemple. Afin d’éviter de telles formules répétitives, on peut présenter de brefs stretto fuga, qui se transforment ensuite en contrepoint libre. Ainsi, le stretto fuga n’est plus une fin en soi, mais devient plutôt un moyen pour structurer une pièce. Le duo Per illud ave de Josquin illustre bien cette pratique.
Per illud ave et sa mise en tablature par de Rippe
Le motet à six voix Benedicta es, celorum regina, qui contient le duo Per illud ave, a joui d’une grande popularité, si on se fie aux nombreuses sources dans lesquelles il figure : neuf éditions imprimées entre 1520 et 1609 et 24 manuscrits différents. De plus, le duo Per illud ave est donné en exemple dans les traités théoriques de Glareanus (1547) et de Gumpelzhaimer (1591), et Zarlino s’en sert dans sa démonstration des techniques d’improvisation d’une troisième voix sous un duo en canon[13]. Per illud ave est constitué de sept entrées en stretto fuga : une à l’unisson, intégralement répétée ; deux à l’octave inférieure ; deux à la quinte inférieure et une à la quinte supérieure (Tableau 1). Ces stretto fuga sont de courte durée et mènent à une cadence.
Aussi dépouillée que cette pièce puisse paraître, si on la compare à d’autres oeuvres à grand déploiement de Josquin, ce type de duo a été un modèle précieux pour les instrumentistes. Selon Santa María :
En musique, l’une des choses essentielles, mais difficiles, est de savoir jouer un duo avec art et adresse, cela étant le principe fondamental du jeu polyphonique. Pour ce faire, on doit noter qu’il y a seulement deux manières de jouer un duo : l’une en imitation, l’autre sans imitation. De ces deux manières, la plus parfaite et la plus artistique est celle en imitation, que Josquin emploie toujours dans ses duos
Santa María 1565, ii, 64[14]
Le duo Per illud ave semble en effet avoir servi de modèle pour les instrumentistes voulant maîtriser l’art du duo en imitation. Pas moins de 27 mises en tablature différentes subsistent dans des éditions imprimées ou en manuscrit, et ce pour clavier, guitare, vihuela, luth seul ou duo de luths[15]. La version de de Rippe est parmi les plus originales et dévoile certains aspects de son style personnel[16]. Une analyse des trois stretto fuga à la quinte montre les transformations que de Rippe apporte à l’original vocal.
Per illud ave débute par un canon à la quinte supérieure de courte durée, qui illustre bien l’emploi que Josquin fait du stretto fuga tout au long de la pièce (Exemple 2). Après cinq temps (la ronde est l’unité de temps), le stretto fuga se transforme en formule cadentielle sur sol. De Rippe respecte presque intégralement le modèle vocal, mais il ajoute des notes de passage (un ré à la mesure 2 ; un sol à la mesure 3) et, à la mesure 3, conserve le do plutôt que de descendre sur le si. Le second stretto fuga est à la quinte inférieure (Exemple 3). Cette fois, de Rippe se détache du modèle vocal en ornant la voix supérieure, tandis que la voix inférieure sert de soutien à cette élaboration ornementale. L’effet de canon est donc perdu, ou du moins enfoui sous une texture plus typiquement instrumentale. On remarque que la mesure 14 est la seule de la pièce qui ne s’adapte pas parfaitement au luth et demande certaines modifications (la tenue du mi contre le fa sur le premier temps est techniquement difficile). La plupart des mises en tablature omettent cette dissonance au profit de solutions plus aisées pour les doigts, mais dans lesquelles disparaît la saveur de la dissonance. De Rippe n’hésite pas à s’éloigner passablement du modèle pour atteindre le si bémol, puis redescendre en mouvement conjoint vers la cadence. Il crée ainsi une version idiomatique et musicalement plus intéressante en remplaçant la dissonance de seconde mineure (mi-fa) par une quinte diminuée (mi-si bémol).
Finalement, Per illud ave se conclut par un dernier stretto fuga à la quinte inférieure (Exemple 4). Puisqu’il est techniquement difficile d’ornementer les tierces en valeurs brèves, de Rippe reproduit fidèlement le modèle vocal, à l’instar de toutes les autres mises en tablature que j’ai étudiées. L’intérêt se trouve plutôt dans les trois dernières mesures de la pièce. De Rippe se distingue par le traitement de la musica ficta et par la densification de la texture à l’approche de la cadence. Dans la majorité des mises en tablature, le fa dièse apparaît à la toute fin de la mesure 27 pour mener à l’accord final. Dans la version de de Rippe, le fa dièse se manifeste dès le premier temps de la mesure 26, à la voix supérieure, et sur le premier temps de la mesure 27, à la voix inférieure. Cette apparition hâtive du fa dièse renforce le caractère conclusif de la cadence finale. De plus, dans les deux dernières mesures, de Rippe densifie la texture en utilisant des accords à trois sons. Pour le premier accord, il ajoute un la entre les deux notes de l’original vocal. Mais pour le deuxième accord, il place un ré grave sous le duo, transformant la cadence avec mouvement mélodique 2-1 à la basse en une cadence avec mouvement mélodique 5-1 à la basse[17]. Il s’agit de la première cadence de ce type dans sa mise en tablature. De Rippe densifie ainsi la texture pour donner plus de force à la dernière cadence. Enfin, l’accord final est brisé, technique caractéristique de l’écriture pour luth permettant une résonnance plus longue. Ce procédé témoigne d’un souci « d’instrumentalisation » du vocal, en plus d’anticiper l’avenir du luth[18]. De Rippe a déjà utilisé ce type de texture dans sa mise en tablature, à la cadence de la mesure 10 (Exemple 5). Cet accord brisé souligne la fin du deuxième verset — point central du texte de quatre versets — et marque l’importance de cette cadence médiane avant l’entrée du second stretto fuga à la quinte. Il s’agit toutefois d’une cadence 2-1, et la densification de la texture n’affecte que l’accord final. L’ultime cadence de la pièce demeure donc la plus forte, et un rapport hiérarchique est clairement établi[19].
Ainsi, de Rippe, dans la mise en tablature de ces trois stretto fuga à la quinte, se distingue des autres luthistes sur plusieurs plans. D’abord, il semble manifester un souci de la structure : il débute la pièce sobrement et ajoute progressivement des diminutions ornementales ; il utilise également des accords pour souligner les cadences importantes, en réservant la progression cadentielle la plus forte pour la dernière cadence de la pièce. Par ailleurs, il n’hésite pas à s’éloigner du modèle vocal lors d’un passage qui se révélerait maladroit au luth ou en ornementant seulement l’antécédent, au détriment du canon. Finalement, de Rippe propose un emploi original de la musica ficta. Tous ces procédés font en sorte qu’il évite une mise en tablature littérale au profit d’une version idiomatique pour le luth. Une analyse des fantaisies xvi et xxi montre qu’il utilise ces divers procédés dans ses compositions originales.
Les fantaisies xvi et xxi : le rôle du stretto fuga
Les fantaisies xvi et xxi sont les deux seules fantaisies de de Rippe qui débutent par un stretto fuga élaboré. Elles figurent dans le recueil milanais de 1536 contenant les seules pièces publiées de son vivant. On peut donc supposer que ces fantaisies ont été composées avant son départ pour la France, et les considérer comme des oeuvres de jeunesse. Le fait que le stretto fuga y joue un rôle capital prouve l’importance de cette technique pour le jeune luthiste et justifie une étude attentive.
Le Tableau 2 montre la structure globale de la Fantaisie xvi. Celle-ci débute par un stretto fuga à la quinte supérieure, le même type de stretto fuga qui ouvre le duo Per illud ave (Exemple 6). Ce stretto fuga se déploie sur cinq mesures avant de se transformer en contrepoint libre (mes. 6-9) menant à une cadence (mes. 10). À la mesure 7, de Rippe densifie la texture grâce à un passage en faux-bourdon à trois voix qui prépare la formule cadentielle. L’accord final, à la mesure 10, coïncide avec le début d’une nouvelle présentation des mesures d’ouverture de la fantaisie, cette fois entendue aux voix supérieures. Ce type de présentation, répétant un duo dans un registre différent, est typique de l’écriture de l’époque, et témoigne du transfert de techniques vocales vers l’art instrumental. De Rippe modifie légèrement la réitération : il ajoute des notes de passage sur la première quarte descendante du conséquent (mes. 11, 1er temps) et altère quelque peu la section en faux-bourdon (mes. 16, 1er temps). De plus, il joue sur l’ambivalence du 6e degré. Plutôt que d’utiliser le mi bémol comme il l’avait fait dans les dix premières mesures, il emploie le mi bécarre, créant ainsi une ambiguïté modale. Le mi bémol ne réapparaît qu’à la mesure 17, au début de la formule cadentielle. Celle-ci mène à la cadence 2-1 de la mesure 19, plus ornée que la précédente, ce qui lui donne une valeur syntactique plus grande.
Une section en contrepoint libre se déploie ensuite des mesures 19 à 35[20]. Cette section se conclut par la première cadence de la fantaisie comprenant un mouvement 5-1 à la basse, qui souligne avec force la fin de la première grande section (Exemple 7). Une nouvelle section en stretto fuga à la quinte supérieure débute alors. Ce stretto fuga est toutefois de courte durée, à peine deux mesures, mais le motif est ensuite répété dans la section en contrepoint libre. La cadence suivante sur sol, structurellement importante puisqu’elle souligne le mode de la fantaisie, se trouve à la mesure 88 (Exemple 8). Elle possède les attributs typiques des cadences fortes chez de Rippe : la texture s’intensifie à l’approche de la cadence, grâce à des accords allant jusqu’à cinq sons ; on trouve une progression 5-1 à la basse, de même qu’une figure ornementale stéréotypée en triples croches. Cette cadence est à nouveau suivie d’une courte entrée en stretto fuga à la quinte inférieure, qui génère le matériau motivique de la nouvelle section[21]. Entre ces deux importantes cadences sur sol on trouve deux cadences sur ré. La première n’a pas de rôle structurel, tandis que la seconde clôt une section en contrepoint libre (Exemple 9). La nouvelle section présente une forme inédite de stretto fuga à la quinte inférieure, alors qu’une troisième voix double le conséquent à la tierce supérieure.
Cette analyse révèle la manière dont de Rippe articule la structure de la Fantaisie xvi. Premièrement, il utilise systématiquement une cadence 5-1 pour clore les différentes sections, alors qu’on trouve généralement des cadences 2-1 à l’intérieur des sections; une même utilisation hiérarchique des cadences a été observée dans la mise en tablature de Per illud ave. Il établit ainsi une hiérarchie entre les cadences qui structurent sa fantaisie. Deuxièmement, les nouvelles sections débutent en stretto fuga à la quinte, mais ces canons ne durent qu’un bref moment et mènent à des sections en contrepoint libre de longueurs variables. Le stretto fuga sert donc à relancer la fantaisie après une cadence, le même procédé utilisé par Josquin dans Per illud ave. Puisque de Rippe n’est pas restreint par un texte, ses stretto fuga peuvent générer de longues sections plutôt que de se transformer rapidement en cadence.
La Fantaisie xxi est structurée de la même manière (Tableau 3). Le stretto fuga initial est à la quinte inférieure et débute aux voix supérieures. Les intervalles mélodiques respectent les règles pour ce type de stretto fuga : unisson, tierces descendantes et secondes ascendantes (Exemple 10). De Rippe utilise cependant la même stratégie que pour le stretto fuga à la quinte inférieure de Per illud ave : il ornemente seulement l’antécédent, tandis que le conséquent sert de soutien à cette élaboration ornementale (Exemple 11). Le stretto fuga se déploie des mesures 1 à 4, avant de se transformer en formule cadentielle (mes. 5-6). Tout comme dans la cadence finale de Per illud ave, de Rippe utilise un accord à trois sons pour souligner la cadence. L’ajout du do à la basse à la mesure 5 permet non seulement de densifier la texture, mais également de créer un mouvement 5-1 à la basse. Celui-ci correspond aux entrées de l’antécédent et du conséquent pour la répétition du stretto fuga à l’octave inférieure. De Rippe joint ainsi habillement les deux présentations du stretto fuga. Lors de la répétition, l’ornementation est identique, à l’exception de la mesure 6, ce qui s’explique par des contraintes techniques sur l’instrument. Par contre, de Rippe évite de répéter la cadence 5-1, réservant à nouveau ce type de cadence plus conclusif pour la fin des sections. La cadence 5-1 suivante survient à la mesure 31, et sert de marqueur structurel en indiquant clairement la fin de la première grande section de la fantaisie.
Comment de Rippe s’y prend-il ensuite pour relancer sa fantaisie ? Il présente un nouveau stretto fuga à la quinte inférieure, mais cette fois de plus courte durée. On constate donc la même organisation des sections observée dans la Fantaisie xvi : de brefs stretto fuga permettent de générer un nouveau départ après qu’une cadence 5-1 ait clôt une section en contrepoint libre. De Rippe utilise divers types de stretto fuga : à la quinte inférieure (Exemple 12), à l’unisson (Exemple 13) et à la quinte supérieure (Exemple 14). Ce dernier exemple montre la densification de la texture à l’approche de la cadence, typique du style du compositeur. Une texture à deux voix en dixièmes parallèles se transforme en accords à trois sons menant à une cadence 5-1. La basse est toutefois omise, mais elle apparaît en contretemps pour débuter le nouveau stretto fuga.
La mise en tablature par de Rippe du Per illud ave de Josquin agit donc en véritable intermédiaire entre l’original vocal et les fantaisies xvi et xxi, qui ont plusieurs point en commun. Il est tentant d’imaginer la séquence des événements : de Rippe entend d’abord la version vocale du Per illud ave de Josquin. Il transcrit le duo pour le luth et découvre la technique du stretto fuga. Puis, à partir de sa première transcription littérale, il crée sa propre version en ajoutant des formules ornementales idiomatiques et en établissant une hiérarchie entre les diverses cadences. Finalement, il compose les fantaisies xvi et xxi en utilisant la même technique d’écriture et les mêmes stratégies ornementales que dans sa mise en tablature. Il est malheureusement impossible de valider cette hypothèse, puisqu’on ne peut même pas déterminer avec précision la chronologie des oeuvres de de Rippe. On sait toutefois que ces deux fantaisies figurent parmi les premières oeuvres de de Rippe, et on peut donc affirmer avec certitude que le stretto fuga a joué un rôle fondamental dans son apprentissage de la composition.
Stretto fuga et improvisation
Mengozzi a identifié l’improvisation comme principal moteur de création des fantaisies d’Albert de Rippe (Mengozzi 1995). On doit ainsi considérer les fantaisies de de Rippe comme ayant été « jouées », plutôt que « composées ». Si la grande majorité de ses fantaisies n’a été publiée qu’après sa mort, c’est sans doute parce que de Rippe a préféré ne pas les fixer sur papier. Elles ont ainsi pu demeurer des « organismes vivants » — pour reprendre l’expression de John Griffiths — évoluant au fil des interprétations successives (Griffiths 1990). Mengozzi décrit quelques techniques d’improvisation utilisées par de Rippe, sans toutefois considérer les entrées en imitation comme ayant pu être improvisées. Or, les recherches récentes ont démontré que le stretto fuga peut assez facilement s’improviser, que ce soit par plusieurs chanteurs ou sur des instruments mélodiques (Schubert 2014 ; Janin 2014); ou même par un seul instrumentiste, au clavier ou au luth (Haymoz et Zuljan 2018). Puisque le choix des intervalles mélodiques de l’antécédent est soumis à des règles strictes et que le conséquent fait toujours son entrée après le même intervalle de temps, les possibilités sont en effet assez restreintes. Les aptitudes à improviser ce type de canon s’acquièrent donc assez rapidement.
Conclusion
Le caractère improvisé du stretto fuga, ancré dans la pratique, nous force à réévaluer l’angle sous lequel nous abordons le répertoire de la Renaissance. Par exemple, Vaccaro a identifié dans les fantaisies de de Rippe l’usage fréquent de canons stéréotypés (des stretto fuga), sans soupçonner qu’ils aient pu être improvisés. Il conclut donc son analyse du début de la Fantaisie xvi en soulignant sa « fermeté architecturale » (Vaccaro 1981, 395). Or, si on considère que cette fantaisie débute par des techniques pouvant être improvisées (le stretto fuga, mais aussi le faux-bourdon), ce qui semblait à première vue une composition longuement réfléchie et finement travaillée devient plutôt une improvisation spontanée à la portée de tout luthiste expérimenté. Le stretto fuga apparaît donc chez de Rippe d’abord comme un élément fondamental de sa pratique instrumentale, avant de devenir une caractéristique de son style d’écriture.
À la lumière de ces considérations, il faut sans doute réévaluer les premières mesures des fantaisies xvi et xxi, que l’on peut dorénavant percevoir comme des improvisations utilisant la technique du stretto fuga. Dans le cas de la Fantaisie xxi, on peut même imaginer une improvisation se déroulant en deux étapes. D’abord, de Rippe a improvisé un stretto fuga à la quinte inférieure, puis, après l’avoir bien assimilé, il a improvisé les diminutions ornementales à la voix supérieure. Il est encore plus facile d’imaginer les stretto fuga au milieu des fantaisies comme ayant été improvisés, en raison de leur courte durée. Ce type de stretto fuga relance la fantaisie au moyen d’un contrepoint en imitation, avant le retour d’une texture plus libre typiquement instrumentale. Cette pratique se révèle une caractéristique fondamentale du style de de Rippe : si seulement deux fantaisies débutent par un stretto fuga élaboré, les brefs stretto fuga en cours de pièce apparaissent dans 21 de ses 26 fantaisies. Cela incite à croire que les textures en imitation au sein des fantaisies de de Rippe, habituellement considérées comme des emprunts à des modèles vocaux, ont plutôt été improvisées.
Grâce à la technique du stretto fuga, héritée du répertoire vocal, il a été possible de relier le Per illud ave de Josquin aux fantaisies xvi et xxi d’Albert de Rippe, malgré l’absence d’emprunts explicites. La technique partagée du stretto fuga était la clé pour établir une connexion. Cette relation jette un nouvel éclairage sur la manière dont les luthistes ont créé leurs propres fantaisies contrapuntiques : non pas en copiant la musique vocale, mais en assimilant les techniques d’écriture qui la caractérise.
Parties annexes
Note biographique
Alexis Risler est candidat au doctorat en musicologie à l’Université McGill. Après avoir consacré son mémoire de maîtrise au contexte social ayant favorisé l’émancipation des luthistes français au tournant du xviie siècle, il consacre désormais ses recherches aux mises en tablature pour luth du xvie siècle, et à leur rôle d’intermédiaire entre le répertoire vocal et les fantaisies originales. Il a présenté ses travaux au Canada, aux États-Unis et en Europe. Parallèlement à ses recherches, il mène une carrière d’interprète au luth et à l’archiluth.
Notes
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[1]
Ce motet paraît dans le volume 23 de la New Josquin Edition (Des Prez 1987-, 80-91).
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[2]
Les numéros des fantaisies proviennent de l’édition de Jean-Michel Vaccaro dans la collection « Corpus des luthistes français » (Vaccaro 1972). Les exemples musicaux ont été réalisés à partir de cette édition.
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[3]
La vihuela est l’équivalent espagnol du luth, se distinguant par la forme (fond plat et cintré des deux côtés, semblable à la guitare), mais utilisant le même accord.
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[4]
« Tome el principiante por ultimo aviso de no tañer fantesia : basta que aya puesto mucha y buena musica en la vihuela. Despues de aver puesto esta musica, y tañer la liberalmente : puede della sacar exceléte fantesia. Sera tan buena la fantesia sacada desta maneras quanto fuere la musica que vuiere puesto ». Toutes les traductions sont de l’auteur, sauf indication contraire.
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[5]
« Con tantas, y tan buenas qualidades que yo no soy sufficiente a explicarlas ».
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[6]
« El gran musico Iusquin que començo la musica ».
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[7]
« Por la difficultad que tiene para poner en la vihuela, por ser derramada.
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[8]
« Mucho yerran los tañedores, que començando a tañer : quieren salir con su fantesia. Aunque supiesse contrapunto (sino fuese tan bueno como el de los sobredichos musicos) no avian de tañer tan presto fantesia : por no tomar mal ayre ».
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[9]
« Lo nono procure exercitarse, en mudar las obras por todos los signos acidentales que se pudieren tañer, y assi mesmo procure tomar dellas, los passos que sueren de solfa graciosa, y tenerlos enla memoria para despues tañer sobre ellos fantasia a concierto ».
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[10]
« Through shared musical background and the use of a common musical “grammar”, composers continuously and unavoidably replicate one another; two composers may even fortuitously arrive at identical formulations ».
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[11]
« When the “grammar” of counterpoint operates within a still tighter constraint of procedure, then the probability of replication becomes even greater. This is most likely to happen in fuga, two-voice polyphony in which the melodic line of the leading voice is transferred to the following voice. […] There are many kinds of fuga. Some are more formulaic than others, and the forms of fuga within which composers have fewest choices are those in “stretto”, where the two voices are temporally separated by what may be termed the “unit” of the counterpoint itself. (…) The constraining forces governing stretto fuga inevitably lead to replication, and therefore to a vast web of intertextuality, spanning at least the fifteenth and sixteenth centuries, and probably beyond ».
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[12]
En Europe francophone, le terme « canon à un temps » est préféré à stretto fuga, notamment par Jean-Yves Haymoz et Barnabé Janin (2014).
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[13]
Zarlino propose deux troisièmes parties différentes dans Istitutioni harmoniche (1573, iii, ch. 64, 318-19).
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[14]
« Una delas cosas essenciales y aun dificultosas, que ay enla musica, es saber tañer un duo con primor y arte, lo qual es principal fundamento, para tañer a concierto y por arte. Para esto es de notar, que solas dos maneras diferentes se hallan de tañer a duo. La una se haze en fuga, y la otra sin fuga, delas quales la mas perfecta y de mas arte y primor, es la que se haze en fuga, la qual siempre uso Iusquin en duos. »
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[15]
La liste complète des versions imprimées et manuscrites figure dans les commentaires critiques du volume 23 de la New Josquin Edition (Des Prez 1987-, 163-165).
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[16]
Deux versions légèrement différentes de Per illud ave ont été publiées : la première par Fezandat en 1558, la seconde par Le Roy et Ballard en 1562. L’analyse ici présentée se base sur la version de 1558, réputée plus authentique, puisque récoltée par Guillaume Morlaye, élève de de Rippe.
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[17]
Les chiffres 5-1 font référence au mouvement mélodique de la basse (le degré 1 désigne le ton de la cadence en question, et peut donc être différent de la note finale de la pièce). Les chiffres 2-1 impliquent un mouvement mélodique conjoint de la basse, alors qu’une sixte majeure verticale se résout sur une octave. Afin d’alléger le texte, ces cadences seront simplement désignées « 5-1 » ou « 2-1 ».
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[18]
Le « style brisé » deviendra l’élément central du style des luthistes français au xviie siècle.
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[19]
Il est intéressant de noter que Josquin semble accorder une plus grande valeur aux stretto fuga à la quinte, puisqu’ils soulignent les premier et troisième versets, et divisent ainsi le texte en deux parties égales. Le troisième stretto fuga à la quinte apparaît lors des mélismes à la répétition du mot omnia, le dernier mot de la pièce. Ainsi, dans tous les cas, le stretto fuga à la quinte est utilisé pour souligner des points structurels importants, tandis que les stretto fuga à l’unisson ou à l’octave sont réservés à des passages secondaires sur le plan formel. De Rippe semble avoir compris cette structure puisqu’il amplifie la cadence de la mesure 10.
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[20]
Par contrepoint libre, j’entends les sections qui ne sont pas basées sur des techniques canoniques, par opposition aux sections utilisant le stretto fuga. Ces sections en contrepoint libre peuvent toutefois présenter un motif répété à divers registres et dans différentes transpositions.
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[21]
Il est à noter qu’un sol manque dès l’entrée du conséquent et il ne s’agit donc pas d’un canon parfait. Cette note a été placée entre parenthèses dans l’Exemple 10 (mes. 88, 2e temps dans la partie de basse).
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