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Introduction

Au cours des trente dernières années, le système québécois de santé et de services sociaux a connu plusieurs réformes. Du nombre, les transformations découlant des lois 25 (Québec, 2003) et 83 (Québec, 2005) ont modifié substantiellement le système mis en place dans la foulée du Rapport Rochon (Québec, 1988) lors de ce qu’il est convenu d’appeler la réforme Côté de 1991. Quatre-vingt-quinze (95) centres de santé et de services sociaux (CSSS) sont créés et sont issus pour la plupart de la fusion de centres locaux de services communautaires (CLSC), de centres d’hébergement et de soins de longue durée et, dans la majorité des cas, d’au moins un centre hospitalier. Les nouveaux CSSS doivent développer des réseaux locaux de services (RLS) intégrant ressources publiques, privées, organismes communautaires, entreprises d’économie sociale, inscrire leurs propres services dans ces RLS et en assurer la coordination. Ce vaste réaménagement des structures vise plusieurs objectifs : améliorer l’accessibilité, la continuité et la qualité des services; consolider les partenariats; assumer une responsabilité populationnelle partagée entre les acteurs locaux; mobiliser et responsabiliser les intervenants; élaborer de façon concertée des projets cliniques; etc.

Par ailleurs, les expériences étrangères recensées montrent que de telles restructurations comportent aussi des difficultés et des effets négatifs (Richard et al., 2005). Ceux-ci renvoient à des enjeux fondamentaux comme l’accessibilité des services pour les populations marginalisées, la domination de l’approche curative adoptée dans les hôpitaux par rapport à celle préventive privilégiée dans les établissements de type CLSC, le risque de privatisation des soins de santé, ainsi que la perte d’autonomie et d’identité de certains acteurs et intervenants.

Une équipe de recherche s’est intéressée à la création des CSSS autour de deux questions :

  1. Quels sont les changements générés par la reconfiguration des établissements de santé et des services sociaux dans les pratiques partenariales qui sont expérimentées entre le réseau public, les organismes communautaires et les entreprises d’économie sociale dans le programme Perte d’autonomie liée au vieillissement?

  2. Quels sont les effets de la création des CSSS sur les rôles et fonctions des intervenants psychosociaux et des organisateurs communautaires oeuvrant dans le même programme?

Cet article fait état de la réponse qui a été donnée à la première question dans le cadre d’un projet de recherche comprenant une recherche documentaire et des entrevues réalisées en 2008. Ces entrevues permettent de faire le portrait d’un processus en cours de réalisation et d’appréhender comment la création des CSSS a été vécue par des acteurs – cadres, intervenantes sociales et organisateurs communautaires – et par des partenaires du communautaire et de l’économie sociale. Conscients que, depuis, les situations ont pu évoluer, nous estimons que les résultats de cette étude présentent un grand intérêt, aussi bien pour comprendre la dynamique de changement à l’oeuvre dans un réseau aussi important que celui de la santé et des services sociaux, que pour identifier les gains et les contraintes que la réforme peut représenter quant à la dynamique des rapports entre CSSS et organismes communautaires et d’économie sociale oeuvrant dans le programme Perte d’autonomie liée au vieillissement (PALV). Ce programme a été choisi parce qu’il s’agit d’un programme majeur touchant autant les centres locaux de services communautaires (CLSC), les centres d’hébergement et les hôpitaux qui constituent la configuration de la majorité des CSSS, que de nombreux organismes communautaires et d’économie sociale. Il semble indiqué d’y chercher les premières indications de la direction que prennent les CSSS quant à leurs rapports de partenariat avec le milieu.

La démarche de recherche

Au plan théorique, des travaux importants ont été réalisés aux États-Unis et en Europe sur le partenariat secteur public/tiers secteur dans une perspective de transformation de la régulation étatique du social vers des modèles plus mixtes (Evers et Laville, 2004). Au Québec, Vaillancourt a élaboré une typologie qui met en lumière trois approches différentes des relations État/tiers secteur (ou trois modes de régulation), selon que l’on se situe dans un État néolibéral, dans un État néoprovidentialiste (ou social-étatiste) ou dans un État solidaire (Vaillancourt, 1997). Dans le modèle de régulation néolibéral, l’État tend à instrumentaliser « économiquement » les organismes du tiers secteur en les soumettant à une « logique marchande ou quasi-marchande de sous-traitance », les maintenant ainsi en compétition avec le secteur privé à but lucratif. Dans le modèle de régulation néoprovidentialiste, l’État tend aussi à instrumentaliser le tiers secteur, mais « politiquement », c’est-à-dire en le plaçant dans un statut d’« exécutant » (coproducteur) de services d’intérêt public dans une relation « tutélaire ». Enfin, dans le modèle solidaire, l’État s'ouvre à une relation véritablement partenariale, dans laquelle la « culture et le point de vue » du tiers secteur pourront influencer les décisions des pouvoirs publics. Selon Vaillancourt, dans la pratique réelle, nous assistons le plus souvent à une « hybridation » de ces trois modèles, en ce sens que, d’une part, tout en ayant des traits dominants, chacun n’existe probablement pas à l’état pur et, d’autre part, qu’un même État peut avoir une approche différente dans des époques et des secteurs donnés.

La recherche menée dans le secteur de la santé et des services sociaux auprès de nos quatre CSSS s’appuie sur l'analyse de cas multiples (Yin, 1994 et 1999). Cette méthodologie de recherche comparée permet l’étude d'un phénomène social en prenant en compte son contexte et son caractère complexe, ce qui convient bien lorsque l’on cherche à comprendre une réalité dans un contexte en pleine transformation. C’est le cas des CSSS et de leur réseau local de services (RLS) en phase d’implantation au moment de notre collecte d’informations en 2008. Quatre CSSS, deux dans chacune des régions administratives de Montréal et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, ont été étudiés et comparés, ce qui a mis en lumière la diversité des expériences qui se construisent dans les nouveaux RLS et, spécifiquement, dans le cadre du programme PALV. Les quatre CSSS étudiés présentent des différences significatives. Dans la région de Montréal, le CSSS-1 regroupe trois CLSC et cinq centres d’hébergement mais pas d’hôpital. Il emploie plus de 3 000 personnes et ses services aux personnes en PALV relèvent de deux directions selon qu’ils sont dispensés dans le milieu de vie naturel ou en hébergement. Le CSSS-2 regroupe un hôpital de plus de 200 lits, trois CLSC et sept centres d’hébergement. Il emploie 3 800 personnes et la gestion des services d’hébergement est distincte de celle des services dans la communauté. Dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le CSSS-3 est un établissement créé sur la base d’un regroupement volontaire près de dix ans avant le moment où les entrevues ont été réalisées. Constitué de la fusion d’un petit hôpital de moins de 50 lits, d’un CLSC et de deux centres d’hébergement, il compte environ 500 employés. Le CSSS-4 emploie 3 500 personnes. Il a été créé en 2004 par le regroupement d’un hôpital de plus de 400 lits, d’un CLSC et d’un centre d’hébergement. Une première différence importante touchant les territoires découle de ces profils : c’est seulement dans la région de Montréal que les CSSS regroupent plus d’un CLSC.

Une analyse documentaire a d’abord été réalisée pour établir un portrait de chacun des quatre processus de création de RLS et de détermination de projets cliniques. Les résultats de l’analyse documentaire ont été synthétisés dans des monographies publiées à l’été 2009 (Bourque et Lachapelle, 2009a et 2009b; Corneau, Leclerc et Tremblay, 2009; Leclerc, Corneau et Tremblay, 2009). Ces quatre monographies établissent les spécificités de chaque établissement et nous ont servi de référence au moment d’identifier les effets de la reconfiguration sur les pratiques partenariales dans les services aux personnes en PALV. Outre une mise en contexte du processus de création des CSSS, elles présentent la façon dont les agences de santé et de services sociaux ont déterminé les territoires des RLS, organisé le regroupement des établissements et défini des priorités régionales pour le programme PALV. Ensuite, 49 entrevues individuelles de type semi-directif ont été réalisées, 27 à Montréal et 22 au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Les informatrices et informateurs sollicités étaient 18 cadres (directions, chefs de programme, conseillers cadres), 10 intervenantes sociales détenant au moins un diplôme de premier cycle en travail social et 6 organisateurs communautaires engagés dans le programme de PALV de chacun des quatre CSSS. Un total de 15 représentantes et représentants d’organismes communautaires et d’entreprises d’économie sociale actifs auprès des populations âgées des territoires de CSSS ont également été rencontrés. Tous ont des relations directes avec les services en PALV de leur CSSS. Ces entrevues ont été transcrites intégralement sous forme verbatim et soumises à une analyse de contenu de type catégoriel telle qu’élaborée par L'Écuyer (1990), à partir des catégories définies dans le projet de recherche et reprises dans le guide d’entrevue. Nous avons procédé à une analyse de contenu en quatre étapes qui sont celle des lectures préliminaires et notes de recherche, celle de la détermination des énoncés (unités de sens), celle de la codification et de la classification (encodage) et, enfin, celle de l’analyse et de l’interprétation. L’encodage des entrevues a été réalisé avec le logiciel N’Vivo version 8.

Après une mise en contexte de l’évolution des rapports entre l’État et les organismes communautaires dans le domaine de la santé et des services sociaux, nous exposerons les résultats de la recherche en fonction des deux régions administratives, en présentant de façon succincte comment se sont établis le projet clinique et le RLS pour ensuite aborder les impacts de la création des CSSS sur leurs rapports avec les organismes communautaires et d’économie sociale.

Les rapports entre l’État et les organismes communautaires

Le secteur de la santé et des services sociaux occupe une place prépondérante dans les rapports entre l'État et les organismes communautaires. D’une part parce que le modèle de relations confirmé dans la Politique de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire (PRSAC) (Québec, 2001) a été établi lors des négociations qui ont suivi l’adoption de la loi 120 en 1992 (Comité ministériel sur l’évaluation, 1997)[2]. Mais aussi parce que le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) représente 56 % du soutien public québécois à l’action communautaire et touche 64 % des organismes communautaires soutenus par l’État selon les données de 2006-2007 (SACAIS, 2007). La particularité de ce programme de financement est la possibilité de soutenir de manière prépondérante la mission des organismes communautaires. Il est reconnu (White et al., 2008; Jetté, 2008) que le financement en soutien à la mission des organismes communautaires favorise l’émergence d’innovations sociales puisqu’il leur permet de « jouir de lautonomie nécessaire à lémancipation de leurs pratiques » (Jetté, 2008 : 327).

Le financement étatique est à la fois une condition d'existence pour bon nombre d'organismes communautaires et une source de préoccupations quant à son effet sur leur autonomie, voire leur identité. Le gouvernement a confirmé en 2004 la PRSAC en adoptant le « Cadre de référence en matière d’action communautaire » (Québec, 2004) et le MSSS a actualisé en 2008 les orientations du PSOC (MSSS, 2008). Les agences ont, pour leur part, adopté des cadres de référence ou de coopération qui reprennent les dispositions législatives et réglementaires relatives aux relations avec les organismes communautaires (ASSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 2008; ASSS de Montréal, 2006). Tous ces documents affirment une volonté de respecter l’autonomie et l’engagement volontaire des organismes communautaires et une priorité accordée au financement de la mission de base, tout en ouvrant des perspectives de financement par ententes de service et par projets. Cette ouverture à des relations de type contractuel est la pierre de touche des questionnements sur les rapports partenariaux des CSSS avec les organismes communautaires.

Avant la création des CSSS, les rapports entre les établissements publics et les groupes communautaires s'établissaient en première ligne : les CLSC, dorénavant intégrés aux CSSS, avaient une culture favorisant des rapports qui, tout en pouvant être conflictuels, s'inscrivaient généralement dans le paradigme de la collaboration et de la concertation volontaire. Les dispositions à la base des RLS installent une nouvelle donne qui se dessine depuis le tournant des années 2000 et qui s’inspire des règles de la nouvelle gestion publique[3] (Larivière, 2005). La responsabilité populationnelle et la mission de coordonner localement les services risquent de transformer la nature des rapports des CSSS avec les organismes communautaires. La loi 25, aux articles 27 et 28, précise en effet le mandat des 95 CSSS de mettre en place des RLS sur leur territoire de la manière suivante :

On doit retrouver dans chacun de ces réseaux les activités et les services d’organismes communautaires, d’entreprises d’économie sociale et de ressources privées du territoire. La coordination des activités et des services qui se retrouvent dans chacun des réseaux locaux de services de santé et de services sociaux est assurée par l’instance locale [CSSS] par le biais d’ententes ou d’autres modalités.

Les CSSS héritent d’un rôle de coordination des ressources communautaires en plus des mandats de les soutenir et de se concerter avec elles. Ce rôle de coordination s'accompagne d'une imputabilité nouvelle des établissements publics quant à l’intégration et l’efficacité des services, qu’ils proviennent des établissements publics ou des autres partenaires producteurs de services. Pour ce faire, les CSSS doivent convenir d'ententes de service avec les organismes communautaires dans l'ensemble des programmes-clientèles. Ces ententes de service peuvent impliquer le versement de subventions et une reddition de comptes pour la prestation de services prédéfinis dans le cadre des réseaux intégrés ou continuums de services. Ce type de rapports contractuels n’existait pas dans les CLSC, sauf exception, et le rôle de bailleur de fonds pour les organismes communautaires se limitait aux programmes de santé publique dont le nombre a commencé à croître au cours des années 1990. Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans une hiérarchisation des services et entraînent des rapports plus inégaux que ceux qui, jusque-là, avaient généralement cours entre les établissements publics de première ligne et les organismes communautaires.

À la suite de l’adoption en novembre 2005 de la loi 83, chacun des CSSS doit produire un projet clinique (MSSS, 2004; Québec, 2005) répondant aux besoins de santé et de bien-être de la population de son territoire. Cette approche populationnelle exige d’adapter les services aux réalités locales et les rapports entre les établissements publics et les autres acteurs concernés doivent leur permettre d’assumer la responsabilité populationnelle de leur territoire. L’article 99.5 du projet de loi 83 stipule que les CSSS doivent mobiliser tous les partenaires de leur territoire et assurer la participation de tous à la définition du projet clinique. Ce faisant, ils créent une ouverture et donnent aux organismes communautaires une prise sur l'organisation des services locaux. Le projet clinique doit par ailleurs comprendre les modalités de collaboration entre le réseau public et le milieu communautaire, modalités qui passent, entre autres, par les ententes de service. À ce chapitre, le MSSS stipule que les organismes communautaires ont, sur une base libre et volontaire, à définir avec leur CSSS les modalités de leur collaboration pour assurer une offre de services intégrés à la population de leur territoire dans le respect de leur autonomie (MSSS, 2004 : 56).

Le MSSS encadre les projets cliniques en établissant des principes, dont ceux de la hiérarchisation des services et de la standardisation des pratiques et processus : « Les centres de santé et de services sociaux, pour assurer une qualité de services et une hiérarchisation appropriée de laccès aux services, doivent mettre en place des mesures découlant de la standardisation des pratiques, des stratégies et des processus. » (MSSS, 2004 : 25). Ces principes peuvent constituer une menace pour les pratiques communautaires, dont la spécificité et l’intérêt sont justement l’accent qui est mis sur les contacts humains (approche globale, proximité, prévention, etc.). Les principes de hiérarchisation et de standardisation contrastent de plus avec le discours d’une mobilisation de partenaires autonomes pour la définition d'un projet clinique aux couleurs locales.

La réforme introduit une redéfinition des rôles autour de deux types de relations entre les partenaires : des rapports de type contractuel par le biais d’ententes de service et des rapports de collaboration qui n’ont pas de caractère contractuel. Les dispositions légales à la base des RLS installent une nouvelle donne : les CSSS héritent d’un rôle de coordination des ressources communautaires du secteur de la santé et des services sociaux en plus des mandats de les soutenir et de se concerter avec elles.

Ce nouveau rôle et les ententes de service qui en découlent comportent des enjeux pour les acteurs concernés. Pour les organismes communautaires, leur statut d'acteurs essentiels « à lexercice de la citoyenneté et au développement social » (Québec, 2001) pourrait être mis en péril au profit d'un rôle de fournisseurs de services sous contrat avec les CSSS. Pour les CSSS, il est important de mettre en place des interfaces qui préservent et favorisent cette originalité et cet apport spécifique du communautaire.

Le cadre contextuel et conceptuel des rapports entre l’État et les organismes communautaires maintenant établi, examinons ce que la recherche dévoile quant aux rapports de ces derniers avec les CSSS, d’abord dans la région de Montréal avec ses enjeux spécifiques, puis dans celle du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec également ses particularités.

Les effets de la création des CSSS sur les rapports de partenariat

Région de Montréal

Les deux CSSS de la région de Montréal ont suivi des démarches différentes pour établir le projet clinique pour les personnes en PALV. Dans l’un, la démarche a été participative, avec des représentants mandatés des organismes communautaires et d’économie sociale, des membres du personnel et des partenaires institutionnels. Dans l’autre, la direction a organisé la production d’un document synthèse dans lequel des cibles ont été retenues pour le programme PALV, cibles dont les partenaires ont été informés, sans que l’on soit passé par la concertation avec les organismes communautaires intervenant avec les personnes âgées. Dans ce CSSS, la direction considère que « les grands objectifs, il ne faut pas se le cacher, ça vient du Ministère, ça vient de lAgence » et « cest tout écrit ce quon doit faire » : le vrai projet clinique passe donc par les ententes de gestion dont dépendent les budgets.

La satisfaction des partenaires est directement proportionnelle à leur participation. Dans le premier cas, les partenaires communautaires se sont sentis respectés et écoutés. Ils estiment avoir contribué au processus et ils en retirent une meilleure compréhension de ce qui se passe dans le secteur public. Dans le second CSSS, les partenaires communautaires qui ont participé aux rencontres ont apprécié l’expérience, mais estiment qu’elle n’a eu aucune suite et que ce sont les grandes orientations nationales qui monopolisent les énergies du CSSS.

Les rapports entre les CSSS et les organismes communautaires

Les CSSS ont hérité de partenariats déjà établis entre les CLSC et les organismes communautaires. Il n’y avait pas de modèle unique d’un CLSC à l’autre, mais les arrangements étaient suffisamment satisfaisants pour que la volonté des nouveaux établissements, du point de vue des cadres aussi bien que des responsables d’organismes communautaires, s’exprime d’abord par le souhait d’améliorer ces rapports plutôt que de les changer. Cela n’empêche pas des cadres, des organisateurs communautaires (OC) et des dirigeants d’organismes communautaires du territoire d’un CLSC où la vision du communautaire était particulièrement importante, d’avoir le sentiment que le regroupement en CSSS a fait reculer l’institution en termes de rapports de proximité avec le milieu.

Un des changements découlant de la création des CSSS est que l’organisation du travail favorise moins les contacts directs entre les intervenants du CSSS et les organismes communautaires. L’alourdissement administratif y est pour quelque chose. Plusieurs entrevues en provenance des répondants communautaires font état du fait que les gens du CSSS en ont plein les bras avec leur processus de réorganisation. Mais il y a aussi la volonté des établissements de confier la représentation dans les conseils d’administration de groupes partenaires ou aux tables de concertation territoriales à des cadres qui sont moins au fait de leur mode de fonctionnement que les intervenants avec lesquels les organismes communautaires étaient habitués de traiter. De plus, le fort taux de roulement chez le personnel cadre pose des difficultés de continuité.

Les informations recueillies auprès des gestionnaires des deux CSSS de Montréal permettent aussi de constater que les CSSS souhaitent établir des rapports de partenariat comme la loi leur en donne le mandat dans le cadre de la création des réseaux locaux de services. Certaines tensions ont toutefois commencé à se manifester au niveau de l’organisation des services. L’arrivée d’un partenaire de grande taille suscite dans certains organismes communautaires la crainte de se faire évincer de certaines interventions et de perdre les subventions rattachées à des services spécifiques. Mais la plus grande source de tensions risque d’être le choc de culture entre des gestionnaires qui souhaitent « que les organismes communautaires ou certains organismes fassent partie du plan dintervention et quils soient assis des fois à la discussion des cas » et des groupes qui veulent préserver « la relation différente » qu’ils établissent avec les personnes de leur milieu. Les organismes communautaires craignent de se faire « entrer dans le réseau intégré » alors qu’il y a une volonté de maintenir la distinction : « Je travaille avec eux autres, mais pas pour eux autres. » On exige que les transformations passent par des processus de codécision. Certains groupes se rendent compte « quils se sont ramassés quasiment avec des mandats de santé » alors que la mission d’un organisme communautaire c’est d’« être en amont, dans la prévention ». De même, ils attendent du CSSS qu’il rapproche ses services des gens, par exemple en utilisant les installations communautaires pour faire des prélèvements et éviter ainsi des déplacements aux personnes qui craignent d’aller dans les établissements où il y a des risques de contamination; ou bien en fournissant du personnel pour donner de la formation en groupe au niveau de la prévention. Or « ils ont plus de difficulté à libérer leur personnel » pour le faire.

L’harmonisation, un terrain potentiellement conflictuel

Dans la région de Montréal, la volonté exprimée par les directions des établissements regroupés en CSSS dans le cadre de notre recherche, « cest doffrir des services équitables sur tous les territoires » tout en prenant en compte les particularités des milieux. Du côté des organismes communautaires, il y a une certaine détermination à faire comprendre aux CSSS que « ce nest pas parce que le territoire fusionnait au plan institutionnel quil va fusionner au niveau communautaire ». Logique d’un service public, d’une part, qui s’inquiète des disparités possibles dans l’accès aux services pour une même clientèle d’un secteur à l’autre du territoire, et logique communautaire, d’autre part, qui mise sur l’engagement volontaire des gens et des approches de proximité.

Les CSSS sont devant un paradoxe, car ils doivent concilier des considérations divergentes, les unes locales, qui relèvent du territoire vécu, et les autres institutionnelles, coïncidant avec le territoire administratif. Ils reconnaissent la réalité et l’importance stratégique des particularités locales, mais s’inscrivent dans le mouvement de pression à la standardisation et à l’harmonisation en fonction du nouveau territoire administratif. Ces enjeux vont se retrouver au centre des tables réunissant les diverses ressources au service des personnes en PALV. Au moment de la collecte des données, ces instances demeuraient encore l’affaire des organisateurs communautaires, les directions étant happées par des contraintes institutionnelles ou ayant déjà à l’interne, selon l’expression d’une dirigeante d’entreprise d’économie sociale, « beaucoup de cultures à marier ». Mais maintenant que les regroupements sont faits, les rapports des CSSS avec des concertations communautaires vont prendre de l’importance au cours des prochaines années, car le développement des réseaux locaux, « c’est à construire de mon point de vue », nous dit une directrice de CSSS. Passer d’un soutien formel à des projets sectoriels en faveur des aînés, leur permettant d’obtenir une subvention, à la mise en place d’un réseau local de services concertés et coordonnés aux personnes âgées, cela va faire jouer des principes différents.

Échelles différenciées de partenariat, ententes de service et autonomie communautaire

À Montréal, les rapports de partenariat avec les organismes communautaires et les entreprises d’économie sociale se situent à au moins deux niveaux différents : celui des concertations territoriales pour le développement communautaire et celui des concertations sectorielles par programme ou population cible. Dans le premier cas, les CSSS sont des acteurs majeurs du volet développement social, mais dans le second les CSSS sont avant tout des dispensateurs de services. Au premier chef, les CSSS sont des acteurs politiques dans leurs communautés; au second, ils sont des partenaires d’organisations pour lesquelles les services sont d’abord un mode de contribution à des rapports de proximité et au développement de la socialité.

Parce que les ententes de service relèvent de rapports sectoriels pour la dispensation de services, leur conclusion met en jeu l’autonomie des organismes communautaires et d’économie sociale. À la différence du financement à la mission globale qui ne dépend pas d’une reddition de comptes sur des activités particulières, et qui convient particulièrement bien à des organisations où le service est un moyen et non une fin, le financement contractuel des ententes de service entraîne une reddition de comptes. Or, comme le précise une directrice générale de CSSS, « [o]n ne peut pas être partenaire si on est un bailleur de fonds ». La plupart des responsables des organismes communautaires rencontrés, tiennent à ce que le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) continue à relever de l’Agence régionale pour protéger leur autonomie, tandis que des cadres d’un CSSS souhaitent des ententes contractuelles avec des groupes ou des entreprises d’économie sociale pouvant agir comme promoteurs de ressources intermédiaires (RI) ou dispensateurs de services afin de compléter les réseaux intégrés. Toutefois, et les organismes communautaires et les CSSS confirment l’absence actuelle d’ententes de service, mais cela n’empêche pas les craintes d’exister pour l’avenir.

Région du Saguenay-Lac-Saint-Jean

Dans cette région, la satisfaction des partenaires communautaires est aussi à la mesure de leur participation aux projets cliniques et aux RLS. Le CSSS-3, créé il y a dix ans, a suscité une satisfaction générale en étendant la consultation pour l’élaboration du projet clinique à tous les organismes partenaires. La seule réserve tient au fait que la dimension hospitalière et médicale a exercé un poids déterminant sur les orientations.

Si l’élaboration du projet clinique a été reconnue comme une démarche partenariale réelle, sa mise en oeuvre souffre d’un déficit de participation, du moins selon la perception des organismes communautaires et d’économie sociale. Tous les organismes du territoire ont reçu une copie du projet clinique final ainsi qu’un dépliant synthèse présentant les objectifs et cibles prioritaires. Mais l’opérationnalisation concrète du projet clinique sur le terrain est inconnue des répondants du milieu communautaire rejoints par notre étude. Globalement, on regrette de ne pas être mis au courant des derniers développements, des changements éventuels ou de l’avancement dans l’atteinte des objectifs. Les gestionnaires du CSSS-3 confirment que l’atteinte des objectifs ciblés par le projet clinique ne se fait pas sans difficulté, la première résidant dans l’arrimage des cibles prioritaires du CSSS-3 aux exigences ministérielles. Certains gestionnaires ont dû « faire le ménage », selon leur propre évaluation, dans les nombreuses cibles prioritaires et tenter d’identifier celles qu’il serait humainement possible d’atteindre, car selon ce gestionnaire : « Si on n’a pas de développement et de sous dans ce programme-là, ça ne donne rien de prendre cette cible-là et d’écrire un programme. »

Dans l’autre CSSS, la consultation pour l’élaboration du projet clinique fait l’objet d’invitations restreintes et ont suscité l’impression dans le milieu communautaire que tout avait été « fait à lavance ». Certaines personnes du milieu communautaire ont trouvé désarçonnant l’approche très médicalisée des tables de travail reliées au projet clinique : « Il y a des gens qui restent campés sur leurs positions et cest lhôpital. Il y a juste lhôpital et après lhôpital, il ny a rien. » La participation restreinte, pour des motifs d’efficacité de la consultation, semble avoir été la pierre d’achoppement puisque par la suite, les organismes ont eu le sentiment qu’ils étaient davantage partie prenante du processus de mise en oeuvre du projet clinique dans le cadre du réseau local de services. Les gestionnaires du CSSS-4 expliquent en être au tout début du processus et que plusieurs projets commencent à prendre forme, ceux provenant des orientations ministérielles étant priorisés.

Les rapports entre les CSSS et les organismes communautaires

Nous avons pu constater une très forte propension des répondants à qualifier de très positives les relations qu’entretiennent les deux CSSS avec leurs partenaires communautaires depuis l’implantation des projets cliniques et des RLS. À ce sujet, plusieurs répondants constatent que les liens sont plus intenses et plus fréquents, et que l’apport des organismes communautaires est davantage reconnu. Une crainte demeure toutefois que le projet clinique entraîne une perte d’autonomie des organismes communautaires. La reddition de comptes est au coeur de cette réserve et une des répondantes communautaires rencontrées a insisté sur le fait que « si on a des comptes à rendre cest envers la population, envers nos clients, pas envers le CSSS ». Ce risque d’atteinte à l’autonomie des organismes communautaires est identifié également par certains gestionnaires de CSSS, pour qui c’est la taille considérable du projet clinique et le style de gestion des cadres supérieurs provenant du milieu hospitalier qui risquent d’entraîner des difficultés. Ces gestionnaires considèrent aussi que le financement par ententes de service pourrait être problématique car ils observent déjà une tendance chez quelques partenaires communautaires à orienter certains de leurs services en fonction du projet clinique et non vers leur mission de base. En ce qui concerne l’autonomie formelle des organismes communautaires, peu de personnes identifiaient, au moment de réaliser les entrevues, des changements réels. En fait, pour plusieurs gestionnaires des CSSS rencontrés, le respect de l’autonomie des organismes apparaît crucial et ils ne souhaitent pas de rapports d’autorité envers eux. Les rapports de pouvoir s’exerceraient plutôt de manière indirecte par le biais, entre autres, des ententes de service là où elles existent.

De telles ententes de service ont déjà été signées au CSSS-4 avec des organismes communautaires et d’économie sociale à l’égard d’activités visant la prévention de certains problèmes sociaux et la promotion de la santé, ainsi qu’au niveau des services aux personnes en perte d’autonomie. Dans la perception des organismes communautaires, ces ententes de service n’ont pas toutes le même niveau de formalisation et de contractualisation (nettement plus présentes au Saguenay-Lac-Saint-Jean qu’à Montréal). Pour des cadres du CSSS-4, la contractualisation des ententes est une condition essentielle et une conséquence normale du soutien financier offert par le CSSS, qui accorde un certain financement aux organismes dans la mesure où les projets soumis respectent les critères établis par le Ministère. « On assure un peu plus de financement en autant que ça va dans le sens des objectifs, des grandes orientations ministérielles. » Une autre gestionnaire mentionne que même si le financement à la mission des organismes communautaires relève toujours de l’Agence régionale, cette dernière consulte de plus en plus le CSSS concernant les projets existants et à développer.

Ainsi, même si l’autonomie formelle des organismes communautaires est maintenue, les pressions externes et internes qui s’exercent sur plusieurs d’entre eux semblent les amener à déployer certains services, via les ententes de service ou via leur financement à la mission, en fonction de priorités institutionnelles (projet clinique du CSSS, Agence régionale, MSSS).

Complémentarité et position des acteurs dans le RLS

La complémentarité des services entre les CSSS et les organismes communautaires est souhaitée au sein de chacun des deux territoires du Saguenay-Lac-Saint-Jean, mais elle est exprimée différemment selon le niveau hiérarchique des personnes ou selon leur provenance. Ainsi, des gestionnaires soulignent l’expertise développée par les organismes communautaires en ces termes : « Comme réseau, nous avons à profiter positivement de leurs connaissances et de leur expertise du milieu. » Pour leur part, les organismes communautaires et d’économie sociale se montrent plutôt satisfaits de se retrouver autour de la table des RLS avec un statut de producteurs complémentaires de services. La préoccupation principale de ces organismes est de démontrer leur utilité et une complémentarité efficace avec le CSSS dans le cadre des RLS, alors que celle de plusieurs gestionnaires de CSSS est que ces partenariats ne tournent pas en sous-traitance ou en une coexistence qui ouvrirait la porte à la compétition pour des ressources budgétaires toujours trop rares.

La comparaison entre le CSSS issu d’une fusion volontaire d’établissements effectuée il y a dix ans et le CSSS issu d’une fusion imposée qui est en cours depuis quatre ans, montre des écarts importants en ce qui a trait aux relations avec les partenaires communautaires et d’économie sociale. Nous croyons qu’il faut à la fois les considérer dans une perspective d’apprivoisement du changement que la durée permet de réaliser, mais aussi dans celle de la taille plus petite du CSSS et de son territoire qui facilite les rapports de proximité entre les acteurs.

Discussion

Sur l’ensemble des territoires, la question des rapports des CSSS avec les organismes communautaires se pose en termes de continuité des rapports établis auparavant par les CLSC, une continuité qui n’est pas acquise. L’avènement de structures plus imposantes et la mobilité du personnel cadre ne favorisent pas des rapports aussi familiers que ceux qui existaient avec les CLSC et qu’on retrouve encore sur le territoire plus petit de l’un des CSSS étudiés (CSSS-3). L’avènement des CSSS a entraîné des changements d’interlocuteurs et la perte de rapports de connaissance mutuelle qui caractérisaient les liens des organismes communautaires avec le personnel des CLSC. L’arrivée de cadres issus d’une culture hospitalière, à qui le milieu communautaire est peu familier, oblige les organismes à s’imposer pour se faire entendre. Si l’accueil des directions de CSSS est généralement favorable, les rapports au quotidien avec les nouveaux cadres ne vont pas de soi. D’une part parce qu’ils ne connaissent pas bien la réalité communautaire, mais aussi parce qu’ils sont soumis à une logique de services intégrés peu appropriée à la spécificité des réalités communautaires. Fondée ou non, mais reconnue par les gestionnaires des CSSS, il y a une nette appréhension dans les milieux communautaires de se faire happer dans une logique nivelant les différences au profit de l’harmonisation et de la standardisation de l’offre de services, même sur les territoires où les directions de CSSS ont jusqu’à maintenant réussi à préserver la prise en compte des différences locales.

Partout est exprimée la volonté de préserver l’autonomie des partenaires communautaires, une autonomie reconnue nécessaire pour la pérennité de leur contribution spécifique. Nous l’avons observée et le rapport d’évaluation du MSSS de 2010 la confirme : « le partage éventuel des rôles avec les établissements institutionnels ainsi que la préservation de lautonomie des organismes communautaires sélèvent parmi les défis les plus importants à relever pour les CSSS » (MSSS, 2010 : xi). Les organismes communautaires sont inquiets de « la perspective dun financement basé uniquement sur la signature dententes avec le CSSS » (idem : 63). Les groupes craignent que le financement à la mission globale en provenance de l’Agence cède le pas à un financement « lié à la participation aux ententes de services ou à dautres formes de contrat avec le CSSS; leur “survie” pouvant devenir conditionnée à leur inscription dans le cadre des contrats correspondant directement aux objectifs des CSSS » (idem : 68).

Actuellement, les ententes de service rendant les organismes communautaires redevables et les soumettant à une reddition de comptes de même nature que celle qui lie les CSSS aux agences et au ministère ne semblent pas être une pratique courante. Même si l’un des CSSS étudiés avait déjà conclu une vingtaine d’ententes de service avec des organismes communautaires de son territoire, dans les autres CSSS il y avait, au moment de cette enquête, surtout des ententes de collaboration portant sur de bonnes pratiques de coopération dans la dispensation des services, plutôt que des rapports contractuels de livraison de services. Les directions de CSSS sont sensibles à la contradiction entre le partenariat et le rapport contractuel de bailleur de fonds et les organismes souhaitent préserver leur mode particulier de présence aux milieux, même dans la livraison de services. Mais tous se demandent si l’alourdissement administratif en cours ne va pas entraîner de nouveaux rapports modifiant les contours actuels de la complémentarité entre les organismes communautaires et les CSSS. Déjà, aux tables sectorielles, les CSSS apparaissent comme des partenaires dont le poids est nettement plus considérable, et il semble y avoir des intentions au niveau des agences régionales de transférer aux CSSS, avec l’accord de certains, la gestion de ressources destinées aux initiatives communautaires.

La mise en place des réseaux locaux de services (RLS) était peu avancée au moment de la cueillette de données. À Montréal elle suscitait dans le milieu communautaire une ambivalence. D’une part, les groupes apprécient d’être associés à l’offre de services du CSSS et veulent faire valoir la spécificité de leur contribution. Ils estiment que les transformations ont davantage d’impact à l’interne pour les CSSS et que le manque de nouvelles ressources budgétaires réduit la possibilité d’innovation dans les démarches partenariales. D’autre part, ils sont inquiets de la volonté d’harmoniser les services sur des territoires fusionnés, du manque de compréhension des nouveaux représentants que les CSSS délèguent aux instances de concertation, et ils ont des appréhensions à l’égard des ententes de service, même si la plupart de nos interlocuteurs affirment n’avoir observé encore aucun changement sur ce plan.

Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on considère que les organismes communautaires deviennent des interlocuteurs incontournables, comme le montre le fait qu’on les ait invités aux démarches d’élaboration des projets cliniques. Les huit partenaires communautaires intervenant auprès des personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement que nous avons rencontrés, sont disposés à définir leur mission en termes de services et réclament un financement à l’avenant. Ce sont des gestionnaires de CSSS qui se questionnent sur l’ouverture à la nécessaire reddition de comptes qui en découle. Certains y voient même un risque de rapports de compétition pour un même financement. À Montréal, le discours des partenaires communautaires est sans ambiguïté quant au refus du financement par activité aux dépens du financement à la mission globale qui constitue un acquis de la reconnaissance de l’autonomie des organismes communautaires.

L’alourdissement programmatique risque par ailleurs de jouer en sens inverse, le poids de la nouvelle gestion publique (NGP) pointant vers des rapports plus asymétriques et davantage basés sur la délégation des opérations dans le cadre d’ententes de service et l’instrumentalisation des ressources dans la mise en oeuvre, selon une logique descendante, d’objectifs prédéterminés, augmentant la perception par des organismes communautaires du caractère autoritaire et menaçant de la réforme. Bon nombre d'organismes communautaires recherchent dès lors le statu quo dans leurs rapports avec les CSSS, idéalisant les rapports existant précédemment avec les CLSC. Ces rapports avec les CLSC apparaissent aujourd'hui comme une référence alors que les recherches menées à l’époque faisaient largement état de leurs lacunes (Favreau et Hurtubise, 1993; René et Gervais, 2001). Cette perception semble favoriser une position de repli sur le statu quo, bloquant un nécessaire processus de redéfinition des rapports public — communautaire sur la base d'une nouvelle gouvernance, partagée au plan local, des services collectifs en santé et services sociaux afin qu’ils soient mieux adaptés aux besoins et aspirations des communautés (Lévesque, 2007).

Conclusion

Dans les deux régions où la recherche a été menée, là où la création des CSSS regroupe plus d’un territoire de CLSC, le rythme des changements, les mouvements de personnel au niveau de l’encadrement et la mise en place d’un double processus de contrôle aux paliers régional et national ont souvent été identifiés comme des facteurs administratifs qui l’emporte sur le discours de responsabilité populationnelle et de la dévolution de responsabilités à l’échelon local, du moins dans le programme Perte d’autonomie liée au vieillissement. La volonté d’ajustement des services aux réalités locales dans la mission confiée aux CSSS est saluée, mais on déplore l’alourdissement bureaucratique imposé par les nouvelles structures. Du point de vue des partenaires communautaires, ces visées gestionnaires donnent une image autoritaire et menaçante de la réforme.

Pour la création des CSSS, le gouvernement a privilégié la rapidité. Un seul des 4 CSSS étudiés a été fusionné à la suite d’un choix réfléchi et partagé des établissements concernés. Dans les trois autres, au moment de la collecte des données, les acteurs du RLS n’avaient pas eu le temps de travailler ensemble assez longtemps pour que s’installe un sentiment d’appartenance et les acteurs concernés n’ont pas eu l’occasion de s’approprier la logique de ce changement.

Les agences de la santé et des services sociaux, conformément à leur mandat, ont agi avec autorité dans la définition des RLS et ont fourni informations et procédés pour la définition des projets cliniques. Cependant, ni les agences ni les directions ne semblent avoir rejoint, du moins dans le programme PALV, le personnel des CSSS dont l’engagement demeure faible d’après ce que l’on peut conclure du contenu des entrevues.

Du côté du leadership de l’État pour soutenir les directions dans leurs efforts de création de RLS, des lacunes majeures ont été constatées. Les CSSS ont eu l’obligation d’élaborer des projets cliniques sans argent neuf. Ce n’est certainement pas le meilleur incitatif pour que les partenaires se mobilisent autour de la réponse à apporter à des besoins collectivement ciblés. Les gestionnaires investissent prioritairement leurs ressources dans l’atteinte des cibles prévues dans les ententes de gestion, d’autant plus qu’elles sont passablement contraignantes. Les projets cliniques, qui sont un élément central de la réforme pour cimenter le réseau local de services, se butent à l’absence de financement[4] et au poids déterminant des ententes de gestion dans leur mise en oeuvre. Ces facteurs nous semblent donc en grande partie à la source de l’absence d’effets tangibles de la création des CSSS sur les liens avec les partenaires du milieu, particulièrement les organismes communautaires et d’économie sociale. Ces constats trouvent écho dans l’évaluation réalisée par le MSSS (2010). Ils appellent aussi des recherches ultérieures afin de mesurer ce que les rapports entre les CSSS et leur milieu seront devenus dans quelques années.