Volume 46, numéro 2 (137), hiver 2021 L’art du conte dans la culture contemporaine au Québec Sous la direction de Luc Bonenfant et Nicolas Rochette
Sommaire (12 articles)
Dossier
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L’ART DU CONTE DANS LA CULTURE CONTEMPORAINE AU QUÉBEC
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LES PRATIQUES LIMITROPHES EN CONTE CONTEMPORAIN : dialogue
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PERSPECTIVES ETHNOLOGIQUES SUR L’ART DU CONTE : DU TEXTE À LA PERFORMANCE DU CONTEUR
Martine Roberge
p. 33–48
RésuméFR :
Le conte populaire (ou conte de tradition orale) est un des premiers objets d’étude en ethnologie-folklore. Il appartient au domaine de l’oralité souvent désigné par l’expression « littérature orale » ou « orature ». Cet article présente dans un premier temps l’historiographie des études sur le conte en ethnologie en montrant comment le regard des chercheurs s’est déplacé du « texte » vers le « contexte », c’est-à-dire de l’objet vers son contexte d’énonciation et vers celui qui raconte. Afin d’exemplifier ce qui caractérise le conte oral et les conteurs d’autrefois, l’examen de la démarche de deux conteurs contemporains, Michel Faubert et Fred Pellerin, tous deux associés à la transmission patrimoniale du conte oral, permet dans un deuxième temps d’illustrer leur conception du conte, leurs influences et leur art de raconter tout en cherchant à savoir s’ils se rattachent à la tradition. Pour ces conteurs, l’art du conte consiste à « faire surgir des images » car c’est dans la performance de l’acte de conter que l’imaginaire se nourrit et c’est dans la relation avec l’auditoire que la forme orale du conte se maintient, que le conte prend vie. Les recherches ethnologiques sur le conte s’intéressent désormais à ses formes modernes, multiples et innovantes, issues d’un processus dynamique de communication et de transmission où la performativité du conteur est centrale. En somme, l’art du conte pour l’ethnologue est une tradition bien vivante qui ne se réduit pas à un folklore muséifié.
EN :
Popular tales (or tales from the oral tradition) are among the first objects of study in ethnology/folklore. They belong to the realm of orality, often described as “oral literature” or “orature.” This article first presents a historiography of the ethnological study of tales, showing how researchers have shifted their gaze from the “text” to the “context,” i.e., from the object itself to the context in which it is uttered and to the person telling the story. Secondly, to provide an example of what characterizes the oral tale and storytellers of the past, two contemporary storytellers associated with the transmission of a heritage of oral tales—Michel Faubert and Fred Pellerin—are studied in order to illustrate their concept of the tale, their influences, and their storytelling art, while attempting to determine if they are part of the tradition. For these storytellers, the art of the tale consists in making images appear: performance is what nourishes the imagination, and the storyteller’s relation with the audience is what makes the tale come alive and what sustains it as an oral form. Today’s ethnological research on tales includes modern, multiple and innovative forms emerging from a dynamic process of communication and transmission in which storytellers’ performativity plays a key role. From an ethnological perspective, in other words, the art of storytelling is not a kind of folklore that has been relegated to museums but a living tradition.
ES :
El cuento popular (o cuento de tradición oral) es uno de los primeros objetos de estudio en etnología-folclore. Pertenece al área de la oralidad, designado a menudo por la expresión ‘literatura oral’ u ‘oratura’. Este artículo presenta, en un primer tiempo, la historiografía de los estudios sobre el cuento en etnología, mostrando cómo la mirada de los investigadores se ha desplazado del ‘texto’ hacia el ‘contexto’, esto es, del objeto hacia su contexto de enunciado y hacia el que narra. A fin de ejemplificar lo que caracteriza el cuento oral y los cuentistas de antaño, el examen del proceso de dos cuentistas contemporáneos, Michel Faubert y Fred Pellerin, ambos asociados a la transmisión patrimonial del cuento oral, permite ilustrar, en un segundo tiempo, su concepción del cuento, sus influencias y su arte para contar, tratando a la vez de saber si se vinculan a la tradición. Para estos cuentistas, el arte del cuento consiste en ‘hacer que surjan imágenes’, pues es en la prestación del acto de contar dónde el imaginario se nutre y es en la relación con el auditorio cuando la forma oral del cuento se mantiene, cuando el cuento cobra vida. Las investigaciones etnológicas sobre el cuento se interesan ahora por sus formas modernas, múltiples e innovadoras, resultantes de un proceso dinámico de comunicación y de transmisión donde la prestación del cuentista es céntrica. En resumen, el arte del cuento es, para el etnólogo, una tradición bien viva que no se reduce a un folclore museístico.
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REGARD CRITIQUE SUR LA PRATIQUE CONTEMPORAINE DU CONTE AU QUÉBEC À L’AUNE DU GENRE ET DE L’ETHNICITÉ
Julien Hocine
p. 49–64
RésuméFR :
Ce texte propose de réfléchir au renouveau du conte au Québec à l’aune du genre et de l’ethnicité. La réflexion s’appuie sur les discours et les expériences de conteurs et conteuses s’identifiant à des minorités ethniques et autochtones du Québec recueillis à l’occasion d’une étude sociologique conduite entre 2017 et 2019 dans le cadre d’une recherche partenariale portant sur le monde du conte et la place des minorités ethniques et des Autochtones. À partir de constats établis à partir des résultats préliminaires de cette étude, l’auteur situe les entraves à l’inclusion auxquels font souvent face les artistes dit.e.s « de la diversité » dans une assignation à la « diversité ethnoculturelle » qui restreint leur expressivité. Les impensés de cette assignation sont examinés en ce qu’ils constituent une des facettes à repenser pour parvenir à un changement social et rétablir le sens d’une pratique du conte et de l’oralité qui nous fait tant défaut aujourd’hui.
EN :
This article is a reflection on the revival of storytelling in Québec in relation to gender and ethnicity. It is based on statements and experiences of storytellers identifying with ethnic and Indigenous minorities in Québec, collected in the context of a sociological study carried out between 2017 and 2019 as part of a partnership research project on storytelling and the place of ethnic and Indigenous minorities within it. Using observations based on the preliminary findings of this study, the author identifies barriers to inclusion often faced by artists who are described as “coming from diversity,” and whose expressivity is restricted by their being assigned to “ethnocultural diversity.” Unexamined aspects of this assignment are analyzed as elements that must be reconsidered to make social change possible and help us reestablish the meaning of a practice of storytelling and orality that is cruelly lacking today.
ES :
Este texto propone reflexionar sobre el renuevo del cuento en Quebec con el rasero del género y la etnicidad. La reflexión se apoya en los discursos y las experiencias de cuentistas de ambos sexos que se identifican con minorías étnicas e indígenas de Quebec recogidas con motivo de un estudio sociológico llevado a cabo entre los años 2017 y 2019 en el marco de una investigación de colaboración sobre el mundo del cuento y el lugar de las minorías étnicas y los indígenas. A partir de pruebas establecidas en los resultados preliminares de dicho estudio, el autor asocia los obstáculos a la inclusión con los cuales se enfrentan con frecuencia los artistas llamados ‘de la diversidad’ atribuyéndolo a la ‘diversidad etnocultural’ que restringe su expresividad. Los gastos de esta atribución son examinados dado que constituyen una de las facetas en la que se ha de repensar para llegar a un cambio social y restablecer el sentido de una práctica del cuento y la oralidad que tanta falta nos hace hoy día.
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L’EN DEÇÀ DU CONTE : pour une étude des processus créateurs de trois conteurs de l’Estrie
Camille Deslauriers et Rosaline Deslauriers
p. 65–84
RésuméFR :
Dans le cadre de cet article, nous interrogerons, sous un angle poïétique, le processus de création de trois conteurs du Cercle des conteurs de l’Estrie : Éric Gauthier, Marie-Lupien Durocher et Jean-Sébastien Dubé. Quelles étapes jalonnent leur travail, depuis le choix initial d’un ou de plusieurs contes, jusqu’à la création d’un spectacle, d’un CD ou d’un livre-disque ? Voilà les questions qui nous occuperont dans cette étude consacrée aux rouages d’une parole vivante, ancrée dans la tradition orale, parfois soumise aux tours et détours de l’écriture, et souvent destinée à être incarnée sur une scène.
EN :
In this article we will examine, from the point of view of poietics, the creative process of three storytellers from the Cercle des conteurs de l’Estrie: Éric Gauthier, Marie-Lupien Durocher and Jean-Sébastien Dubé. What are the stages of their work, from the initial choice of one or more tales to the creation of a live performance, a CD, or a book/CD? Our study examines the inner workings of a living utterance, rooted in the oral tradition, that is sometimes subject to the twists and turns of writing and is often destined to be performed on stage.
ES :
En el marco de este artículo, interrogaremos, bajo un ángulo poético, el proceso de creación de tres cuentistas del Círculo de Cuentistas de la región de Estrie: Éric Gauthier, Marie Lupien Durocher y Jean-Sébastien Dubé. ¿Qué etapas jalonan su trabajo desde que eligieron inicialmente uno o varios cuentos hasta la creación de un espectáculo, un CD o un libro-disco? Éstas son las cuestiones que nos ocuparán en el presente estudio dedicado a los rodeos de una palabra viva, anclada en la tradición oral, a veces sometida a las vueltas y los rodeos de la escritura, y con frecuencia destinada a ser encarnada en un escenario.
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APOSTROPHES ET ENTRELACS DES VOIX : la performance du juste
Luc Bonenfant
p. 85–98
RésuméFR :
Art oral, le conte du renouveau repose sur un hic et nunc énonciatif qui appelle une double présence : celle de l’artiste ; celle de son auditoire. Le conte oral n’existe en effet que lorsqu’il est proféré et entendu. Dans ce contexte, on comprendra que l’adresse (sous forme d’apostrophe ou autre) est le procédé rhétorique privilégié par les conteurs afin d’engager l’attention de leur auditoire. Cet article réfléchit aux enjeux formels et esthétiques de l’adresse en contexte de conte pour ensuite en découvrir les corollaires éthiques. Dans la mesure où « la capacité d’échanger des expériences » (Benjamin) se trouve au coeur de l’acte de conter, l’adresse du conte serait tout autant un appel à être entendu qu’un appel à entendre l’autre. Ce faisant, l’article éprouve l’hypothèse selon laquelle le procédé formel d’apostrophe, dans l’art du conte, ne trouve son sens plein que dans la dimension sociale, voire biopolitique de la multitude (Negri), de sa réalisation.
EN :
As an oral art form, tales of the storytelling revival are based on a here and now utterance that calls for a twofold presence: the artist, and the artist’s audience. The oral tale, after all, can only exist insofar as it is both spoken and heard. In this context, addressing the audience (through apostrophe or some other form) is the storyteller’s preferred rhetorical device to engage listeners’ interest. This article considers first the formal and aesthetic issues involved in addressing the audience in a storytelling context, and then its ethical implications. To the extent that the “ability to exchange experiences” (Benjamin) is at the heart of the act of storytelling, the address involved in a tale may be understood as a call to be heard and, equally, a call to hear the other. The article tests the hypothesis that the formal procedure of the apostrophe in storytelling can only find its full meaning in the social dimension, or even in the biopolitics of the multitude (Negri), in which it is realized.
ES :
Arte oral, el cuento del renuevo se basa en un quid et nunc enunciativo que requiere una doble presencia: la del artista y la de su auditorio. En efecto, el cuento oral tan sólo existe cuando se emite y se oye. En este contexto, se comprenderá que el ingenio (en forma de apóstrofe u otra) es el procedimiento retórico privilegiado de los cuentistas, a fin de llamar la atención de su auditorio. En este artículo, se reflexiona sobre los retos formales y estéticos del ingenio en contexto de cuento, para descubrir luego sus corolarios éticos. En la medida en que “la capacidad para intercambiar experiencias” (Benjamin) se encuentra en el centro del acto de contar, el ingenio del cuento sería tanto un llamamiento para ser oído como un llamamiento para oír al otro. Al mismo tiempo, dicho artículo comprueba la hipótesis según la cual el procedimiento formal de apóstrofe, en el arte del cuento, cobra su pleno sentido tan sólo en la dimensión social, incluso biopolítica de la multitud (Negri), de su realización.
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LE CONTE ORAL AVANT LE RENOUVEAU DU CONTE : du livre à la voix et vice versa
Pascal Brissette
p. 99–114
RésuméFR :
Le combat pour la reconnaissance de la pratique du conte au Québec s’est accompagné d’un récit qui fait la part belle à quelques conteurs des années 1980 présentés comme des pionniers d’une pratique à peu près disparue du paysage culturel. Ce récit du « renouveau du conte » repose sur l’idée que le conte oral a connu un « déclin » ou une « éclipse » au xxe siècle et que les pratiques actuelles le libèrent du livre où il aurait été enfermé depuis Casgrain, Beaugrand et Fréchette. Cet article s’intéresse à l’éclipse supposée du conte oral. Sans nier que la pratique orale du conte connaisse, depuis une quarantaine d’années, un développement conséquent, il rappelle des phénomènes qui permettent de mettre sinon en doute, du moins en perspective le supposé déclin du conte oral au xxe siècle. Tout particulièrement, il s’intéresse aux Soirées du bon vieux temps tenues à la bibliothèque Saint-Sulpice, à Montréal, ainsi qu’aux nombreuses émissions radiophoniques ayant mis le conte à l’honneur.
EN :
The fight for recognition of the practice of storytelling in Québec has been accompanied by a narrative focusing on a small number of storytellers from the 1980s who are presented as pioneers of a practice that had practically disappeared from the cultural landscape. This narrative of the “storytelling revival” is based on the idea that the oral tale had gone through a “decline” or “eclipse” in the twentieth century, and that current practices have freed it from the books in which it is said to have been locked away since Casgrain, Beaugrand and Fréchette. The supposed eclipse of the oral tale is the subject of this article. While acknowledging that the oral practice of storytelling has developed significantly over the past 40 years, the article reminds us of elements that can lead us to doubt, or at least to put in perspective, the so-called decline of the oral tale in the twentieth century. Specifically, it focuses on the Soirées du bon vieux temps in Montréal’s Bibliothèque Saint-Sulpice and on the many radio programs that gave storytelling pride of place.
ES :
La lucha por el reconocimiento de la práctica del cuento en Quebec vino acompañada de un relato escrito que dio mucho protagonismo a algunos cuentistas de los años 1980, presentados como pioneros de una práctica casi desaparecida del paisaje cultural. Dicho relato del «renuevo del cuento» se basa en la idea de que el cuento oral experimentó un «declive» o un «eclipse» en el siglo XX y que las prácticas actuales lo liberan del libro en el cual habría estado encerrado desde Casgrain, Beaugrand y Fréchette. Este artículo se interesa por el supuesto eclipse del cuento oral. Sin negar que la práctica oral del cuento experimenta, desde hace unos cuarenta años, un importante desarrollo, recuerda fenómenos que permiten poner si no en tela de juicio, por lo menos poner en perspectiva el supuesto declive del cuento oral en el siglo XX. Se interesa particularmente por las Veladas de aquellos lindos años que se celebraban en la biblioteca Saint-Sulpice, en Montreal, así como por las numerosas emisiones radiofónicas en las cuales el cuento ocupaba un espacio importante.
Étude
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MATERNITÉ EXTRÊME ET TRANSGRESSION DANS L’HÉRITIER DE SIMONE BUSSIÈRES
Ariane Gibeau
p. 117–128
RésuméFR :
Dans une perspective féministe, cet article se penche sur la représentation de la maternité dans le roman L’Héritier (1951) de Simone Bussières. Autrice aujourd’hui oubliée, Bussières propose le récit novateur d’une mère porteuse prête à tout pour retrouver son enfant. L’article vise à analyser la manière dont le texte, par son intrigue mais aussi, paradoxalement, par sa forme mélodramatique, conteste de manière oblique l’appropriation du corps des femmes, suggère une renégociation des valeurs symboliques entre pères et mères et, partant, annonce certains thèmes fondateurs de la fiction féministe des années 1970.
EN :
Based on a feminist perspective, this article looks at the representation of motherhood in a novel by a now forgotten author, Simone Bussières. L’Héritier (1951) is an innovative story of a surrogate mother who will do anything to find her child again. The article’s purpose is to examine how the novel, through its plot but also, paradoxically, through its melodramatic form, obliquely challenges the appropriation of women’s bodies and suggests the renegotiation of symbolic values between fathers and mothers, thus announcing some of the founding themes of 1970s feminist fiction.
ES :
En una perspectiva feminista, este artículo reflexiona sobre la representación de la maternidad en la novela L’Héritier (1951), de Simone Bussières. Autora olvidada hoy día, Bussières propone el relato innovador de una madre de alquiler dispuesta a cualquier cosa para encontrar a su hijo. El objetivo del artículo es analizar la manera en que el texto, debido a su trama, pero también, paradójicamente, por su forma melodramática, pone en duda de manera oblicua la apropiación del cuerpo de las mujeres, sugiere una renegociación de los valores simbólicos entre padres y madres y, por consiguiente, anuncia algunos temas fundadores de la ficción feminista en los años 1970.