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Dans ma tête, cirque du monde, il y avait la terre vraie avec ses forêts, tous les chevaux de la terre mais si petits, tous les rois en chair et en os, tous les morts, tout le ciel aves ses étoiles et même Dieu extrêmement mignon.

Albert Cohen, Le livre de ma mère (1981, p. 29)

Un fétiche du pays lobi au Burkina Faso est devenu le berger d’un enfant blanc. Le fétiche[1] lui a donné son nom. Ces deux existants s’appellent Toulou. Quand et comment un tel entremêlement est-il advenu ? Quelles en sont les modalités pratiques ? Avec quels outils est-il possible d’appréhender cette inattendue alliance d’actants : le fétiche ou thil Toulou et l’enfant de l’ethnologue que je suis ? Pour en rendre compte, il sera pris appui sur un moment singulier de cette rencontre, à savoir celui où un devin-guérisseur du pays lobi initie à la voyance de Toulou l’enfant qui en porte le nom. À ma connaissance, cette initiation n’a pas eu lieu, mais elle a été imaginée et dessinée. L’ensemble de cette fiction graphique se décline en 12 tableaux réalisés par Diniaté Pooda où se donnent à voir d’étonnantes salutations, des offrandes sacrificielles et un apprentissage à la divination dans une chambre des esprits dont le récit servira de fil conducteur à cet écrit[2].

La scène inaugurale se passe bien des années avant la conception de l’enfant. Nous sommes en pays lobi burkinabè, dans un univers où l’animisme perdure. C’est le « terrain » de ma thèse portant sur L’Anthropologie du sang en Afrique (Cros, 1990). Plus tard, j’y reviens afin de poursuivre de nouvelles investigations. À trente ans et des poussières, l’ethnologue n’a pas d’enfant. En Occident, rien ne presse à cet âge de la vie. Il n’en va pas de même en pays lobi. Un devin-guérisseur, spécialiste des questions de fécondité, avec lequel je m’étais souvent entretenue du temps de ma thèse, décide d’intervenir. Il consulte ses thila, les fétiches avec lesquels il a pour habitude de travailler. Il procède aux sacrifices qui s’imposent et m’annonce simplement que lorsque l’enfant arrivera au monde, il me faudra lui donner le nom de Toulou. Je ne sais pas qu’il s’agit là d’un « nom lourd », autrement dit celui d’un fétiche jugé fort puissant. L’enfant finit par naître en Bolivie, fort longtemps après cet épisode. Lors d’un séjour d’enquête au Burkina Faso, mené en famille au début des années 2000, l’enfant demande la permission au devin-guérisseur Tadjalté Sib d’aller seul dans sa chambre des esprits afin de saluer Toulou. Il agit de lui-même. Toulou est « son copain » pour reprendre cette expression qui m’avait déroutée à sa prime écoute !

Nous étions sur le départ, au moment des dernières salutations adressées aux principaux interlocuteurs, amis et membres de notre grande famille. En tant qu’ethnologue du pays lobi, je suis, par la force des choses, familière de l’univers de ces fétiches mais je n’ai jamais songé à prendre congé et à qualifier de « copain » ou « d’ami » ce type d’existants autre qu’humains. Quelques petits sacrifices sont offerts, mais rien de plus n’est opéré. Une distance certaine reste observée. D’élémentaires règles de courtoisie et de bienséance s’imposeraient-elles au-delà des humains, et ce, en dehors du moment singulier que constitue une consultation divinatoire ? J’ignore alors l’étendue des ressorts émotionnels de cette interaction particulière donnée ici à constater lors de cet au revoir au « fétiche copain ». Diniaté Pooda, ami-devin, habitant non loin de « notre » village burkinabè (aujourd’hui planteur en Côte d’Ivoire) me la dessinera. L’enfant semble autant lié au thil Toulou que le fétiche à l’enfant qui en porte le nom. Dessiner l’enfant, c’est mettre en images son homonyme non humain.

À cette étape du récit, le rappel de quelques éléments contextuels est nécessaire. Esprits ou fétiches constituent des actants essentiels dans cette conception animiste du monde au sud-ouest du Burkina Faso, aujourd’hui encore (cf. Bidima, Cros et Mégret, 2020). Les esprits sont, se rendent ou sont rendus visibles, le plus souvent, sous l’aspect de thilbu ou statuettes en général anthropomorphes (Bognolo, 2007) que les devins utilisent dans le cadre de leurs pratiques de divination (Meyer, 1991). L’esprit qui s’incarne est considéré comme un fétiche. Certains revêtent aussi la forme de monticules en banco ou d’amas de morceaux de bois faisant face à la porte d’entrée des maisons. On parle alors d’autels tutélaires désignés également sous le vocable de thila. Un culte est rendu à ces « esprits-fétiches » au moyen d’offrandes réalisées sur les autels et les statuettes qui les incarnent. À l’aide de lancers de cauris, les devins-guérisseurs les consultent dans leurs chambres des esprits (thildu en lobiri).

Le pli est vite pris, à chaque mission d’études réalisée en famille depuis 2005, l’enfant au nom de fétiche lobi rencontre son homonyme chez deux devins-guérisseurs avec qui des liens forts sont noués de longue date : Tadjalté Sib à Bandajiara et Léiouté Kambiré à Niamissero. Tous deux sont des « féticheurs de Toulou » et l’homonyme fétiche de mon fils y est donc gratifié d’un ou de plusieurs sacrifices de volatiles. Le plus souvent, il s’agit de poulets blancs censés baliser un chemin de vie que l’on espère le moins escarpé possible (Cros, 2019).

Salutations entre des homonymes

En 2008, dans un premier cahier empli de dessins intitulé Toulou au village, Diniaté Pooda avait dessiné à quatre reprises : Toulou[3] et le fétiche Toulou, Toulou en train de saluer son Toulou et son devin-guérisseur siffle de joie, Toulou devant son Toulou et lui demande son aide, Le retour de Toulou et il donne sa voix (il parle) au fétiche Toulou avant de regagner la France. Les deux derniers dessins étaient troublants, car l’enfant se retrouvait seul dans une chambre des esprits en train de demander l’aide à son homonyme qu’il tenait par la main puis en usant d’un couteau avec lequel les devins entrent effectivement en relation avec ces entités extraordinaires. Le devin « tape » sur la représentation d’un esprit afin – m’avait-on autrefois expliqué – de le « réveiller », de faire en sorte qu’il se retrouve là, dans la chambre en question. Ce faisant, il anime l’autel qui le matérialise. Une fois réveillé, on peut lui parler, lui « donner sa voix », pour reprendre l’expression de Diniaté Pooda. Dans le même ordre d’idées, lors d’une consultation divinatoire, on mobilise la présence des ancêtres, génies de la brousse et « esprits-fétiches » à l’aide d’une petite cloche en fonte. Le devin énonce les noms de ceux qu’il appelle en faisant sonner avec force cette clochette. Il m’est arrivé de surprendre le devin en train de se plaindre, il appelait et appelait mais il lui semblait qu’aucun existant n’arrivait[4], et dans ce cas, inutile d’aller plus loin, le devin ne pouvait rien faire sans le concours de ces entités et la consultation s’arrêtait là. Pour en revenir aux dessins de Diniaté Pooda, quelques scènes dépeintes étaient déroutantes, surtout celle où Toulou usait de son propre couteau pour entrer en contact avec son « homonyme fétiche ».

En 2009, dans le cadre d’un travail devenu systématique sur la découverte des manières lobi de composer et d’habiter le monde (Descola, 2014, p. 342), au moyen de narrations dessinées, Diniaté Pooda avait commencé l’un de ses cahiers sur Le travail des fétiches et du féticheur au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire par une production qui réunissait à nouveau le thil et l’enfant avec ce commentaire final ici résumé : l’enfant était bien gardé par le fétiche dont il portait le nom. Dans ce nouveau livret intitulé par Diniaté Pooda : Cahier de Toulou, dont j’enregistre les commentaires en janvier 2012, tout se passe comme si l’enfant se retrouve en situation d’initiation auprès d’un « féticheur de Toulou ». Ce dernier lui précise comment « voir » et « agir » en tant que devin-guérisseur de Toulou. Aucun détail de cette production graphique ne peut être passé sous silence, car le scénario livré dépasse mon entendement. Il est ici livré tel quel, à la façon d’un témoignage insolite mettant en exergue une subjectivité autre qu’humaine, traduite en dessins et en mots par un devin dessinateur dans le cadre d’une méthodologie expérimentale de nature projective évoquée à grands traits plus avant. Venant complexifier peut-être plus encore ce récit, se greffent ici quelques brèves de terrain y faisant l’écho a posteriori. Au lecteur ou à la lectrice d’accepter cette déambulation dans un univers où certains développements échappent au fil narratif habituel, le ou la plongeant peut-être dans un état d’apesanteur logique semblable à celui que j’éprouve sur le terrain où tout semble finir par faire sens, mais de manière déroutante.

La parole est à Diniaté Pooda : « C’est le commencement. J’ai présenté le féticheur de Toulou et Toulou qui se saluent. Donc ici, c’est une simple salutation. » Tout commence par une poignée de main entre un devin barbu portant une sorte de djellaba et un bonnet que nombre d’anciens affectionnent. Le devin-guérisseur est pieds nus contrairement à l’enfant habillé à l’occidental. Ce dernier a 13 ans et il tient à se vêtir comme les fils de Désiré Tiatouré Pooda, le père de notre famille d’adoption au village, là où je reviens depuis plusieurs décennies.

Simple salutation – Dessin 1 de Diniaté Pooda (2012)

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Le second dessin de ce cahier est plus riche en détails. Le féticheur et Toulou sont dans une chambre des esprits, un thildu. On y voit : « deux thilbu (ou statuettes) de banco. Un grand canari[5] et un gros canari. Le petit canari, c’est là-bas qu’on regarde pour voir tout ce qui se passe.  » Il y a également un troisième canari : « C’est si un enfant est malade. Si on l’a donné à Toulou, on prend. Si tu donnes l’enfant à Toulou, tu le laves et il guérit.  » On peut encore remarquer une « grosse gourde avec son canari. Le médicament est différent. […] On met dans une calebasse et on enlève les sorts. Si on t’a lancé quelque chose. Et après à gauche… » Diniaté Pooda est plus hésitant dans le commentaire de la scène dépeinte avant de souligner : « Cette gourde-là », petit silence à nouveau, « son travail, c’est juste pour la sorcellerie, ça montre la force du thil Toulou, le fétiche : il a la force ».

Toulou devant son fétiche Toulou - Dessin 2 de Diniaté Pooda (2012)

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Cela je le sais. Toulou aussi. Nous en avons fait l’expérience directe dans les chambres des esprits des devins-guérisseurs Tadjalté Sib et Léiouté Kambiré. L’une des matérialisations la plus caractéristique du thilToulou n’est autre qu’une gourde-calebasse[6]. Cette dernière, savamment disposée dans un thildu et actionnée à l’aide d’un complexe jeu de fils, est consultée par le devin. La gourde monte et descend et c’est ainsi que le fétiche s’exprime en rendant compte de ce qu’il a à dire à l’humain lors d’une séance de divination. Le devin-guérisseur fait monter la gourde fétiche de Toulou et à elle de s’enflammer au sens propre sans pour autant se consumer puis de redescendre…

En situation d’infortune troublante ou même à la suite d’un mauvais rêve, le chemin du devin est emprunté afin d’en découvrir les origines. Les fétiches sont alors consultés et ce sont eux qui, au terme d’une séance de divination, informent le devin qui à son tour relaie l’information aux personnes humaines en peine. Si d’aucuns pouvaient ici parler de manipulation adroite (Lévi-Strauss 1949), l’état d’esprit qui prévaut lors d’une consultation ne conduit pas à ce type d’interprétation disqualifiant, quasiment d’office, toute subjectivité autre qu’humaine. Cependant la parole du fétiche s’avère souvent sibylline. Son acceptation prête donc à discussions. En pays lobi, lors d’une affaire complexe, il est d’ailleurs d’usage de consulter plusieurs devins.

Offrandes sacrificielles

Poursuivons la découverte de ce cahier de rencontres inattendues. À chaque étape du scénario dessiné, fétiche et enfant deviennent plus proches. Tout se passe comme si le thil, en acceptant les offrandes présentées par l’enfant, scelle un pacte implicite. Les thila se nourrissent de sang sacrificiel. Tout objet maculé prend vie : il est dit « fétiche ». Ainsi en est-il lorsque le sculpteur donne forme à tel ou tel morceau de bois (Bosc, 1999) ou quand la potière façonne un canari à pointes destiné à un autel de protection prenant place devant la porte d’entrée d’une maison ou à l’intérieur d’une chambre de divination. Une fois le sang sacrificiel entré en contact avec le bois de la sculpture ou la terre de la poterie, ce sont des existants devenus fétiches à leur tour et dont le maniement implique le savant doigté d’un devin apte à entrer en dialogue avec eux (Kedzierska-Manzon, 2018). Les thila furent décrits, selon l’époque des relevés ethnographiques, comme des « dieux protecteurs, des fétiches ou des esprits tutélaires au caractère fantasque et à la mentalité revancharde » (Meyer, 1981, p. 23).

Ces entités étaient, sont et demeurent de grandes consommatrices de sang. Des sacrifices doivent donc régulièrement être offerts aux formes matérielles que les esprits habitent pour un temps afin de ne pas leur déplaire. Des premières libations ont rendu réceptifs, puis vite assoiffés ces « objets-personnes » (Heinich, 2019). L’esprit devenu fétiche est un actant à contenter. Toutefois le sacrifice « prend » ou « ne prend pas », pour user de la terminologie la plus courante, ici retranscrite en français. Souvent, c’est un volatile de basse-cour qui est sacrifié. Selon la position qu’il adopte lorsque la vie le délaisse, on sait de quoi il retourne. Lorsqu’il meurt les ailes face au ciel, la réponse est jugée positive. Le sacrifice a pris, l’esprit a répondu par l’affirmative à une question posée par l’humain. Il arrive que le devin s’extasie rapidement en s’emparant du volatile à terre, le poitrail bien en évidence. Laissé au sol, il aurait encore pu se débattre et finir par « mal tomber ». Cette façon de procéder est rare, mais il m’est tout de même arrivé de la constater, à la suite d’une série de refus qui exaspérait le devin. Notons par ailleurs que dans la plupart des consultations, le sacrifice d’un volatile adulte est précédé par celui d’un poussin censé « donner la route » de cette procédure. Si plusieurs poussins « ne prennent pas », la consultation doit être reportée.

La mise en branle de ce télescopage de subjectivités « au-delà » des sociabilités humaines (Kohn, 2013) n’est pas une mince affaire, nonobstant son caractère répétitif en contexte lobi. Quoi qu’il en soit, selon les questions en monde autre à traiter – séance de simple consultation avant d’entreprendre un voyage, cérémonie de remerciement après une guérison, etc. – l’offrande diverge. Au volatile se substitue un animal de taille plus conséquente, comme il en est rendu compte dans cette fiction graphique.

Une chèvre pour donner à son Toulou – Dessin 3 de Diniaté Pooda (2012)

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Diniaté Pooda poursuit : « Ici, c’est Toulou devant son Toulou avec une chèvre pour donner à son Toulou. Le grand féticheur est content comme Toulou a emmené une chèvre. » Rien n’est dit du destin de la chèvre, mais il est probable qu’il s’agit là d’une offrande pour honorer le thil. La chèvre est pour Toulou, autrement dit, elle sera tôt ou tard immolée afin de fortifier l’esprit. L’enfant se retrouve dans une position implicite de sacrifiant. Le dessin suivant est plus explicite.

C’est Toulou qui doit faire – Dessin 4 de Diniaté Pooda (2012)

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Il s’agit là d’un véritable passage à l’acte sacrificiel avec un épanchement de sang. Diniaté Pooda explique : « Le féticheur lui a remis son Toulou, c’est son fétiche maintenant. » Comme je vois Toulou en train de sacrifier un volatile, je ne puis m’empêcher de faire une remarque sur son âge, il me semble un peu jeune pour agir de la sorte, même dans un dessin le représentant. Diniaté Pooda rectifie le tir. « L’enfant ! Il n’y a pas de petit dans ça, on te montre ce que tu dois amener et c’est toi qui as la machette et le couteau, c’est toi qui dois faire. » Diniaté Pooda, probablement pris dans l’histoire dessinée qu’il conçoit, passe parfois à la scène suivante en oubliant de représenter tel ou tel détail qui donne un tour encore plus singulier à son tableau. Ici non seulement Toulou sacrifie avec un calme étonnant mais l’oubli du siège sur lequel il est censé s’asseoir confère à cette scène une apesanteur décuplée.

En d’autres mots, Toulou n’est plus en position de consultant ou de sacrifiant comme il l’était jusqu’alors dans les dessins de Diniaté Pooda y compris lorsqu’il s’adressait au thil à l’aide d’un couteau. Il est devenu sacrificateur[7]. À son tour d’immoler l’animal offert. À treize ans, il doit pouvoir non seulement sacrifier mais encore se former dans le maniement des objets-personnes-fétiches, afin de remédier aux infortunes qui conduisent les consultants à emprunter le chemin de la chambre des esprits d’un devin. Dans le dessin suivant, il apprend justement à confectionner une queue de Toulou, une véritable « queue-fétiche » ou nansuo en lobiri. À la plupart des fétiches sont rattachées des queues permettant à leurs propriétaires d’accomplir toutes sortes de prouesses aux effets parfois délétères[8].

Diniaté Pooda précise : « Maintenant, il est au milieu en tenant une queue de son Toulou et son patron en a une autre. Il est en train de le former, comment le travail se fait, comment on fait la queue. » Toulou est immergé au sens propre dans cet univers autre, il tient dans sa main gauche une queue-fétiche ornée de cauris et il a pris place entre les statuettes en banco. Ce dessin 5 de Diniaté Pooda n’est pas sans m’évoquer une photographie prise dans la cour du devin-guérisseur Sib Tadjalté, en 2005, lorsque Toulou jouait avec les enfants de ce devin. Sib Tadjalté est par ailleurs en possession du fétiche Toulou et il en portait également le nom lorsqu’il était jeune. L’enfant de l’ethnologue, alors âgé de 7 ans, avait pris la pose devant quelques-uns de ses autels-fétiches avec la tige d’une fleur de baobab dans les mains.

Comment on fait la queue de Toulou – Dessin 5 de Diniaté Pooda (2012)

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Pose de Toulou devant quelques thila de Sib Tadjalté en 2005

© M. Cros

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En 2006, Toulou prendra une autre pose à laquelle il est difficile de ne pas penser dans le contexte présent. Nous étions avec le regretté Gauthier Naïkiré à Niamisséro dans le thildu du devin-guérisseur Léiouté Kambiré qui déjà voulait « former l’enfant ». Trois sacrifices de volatiles avaient été nécessaires pour assurer le réveil du thil Toulou. Le devin-guérisseur avait invité l’enfant à prendre place à ses côtés, autrement dit là où il officie et où reposent ses divers objets de culte, donc face aux consultants. Il lui met dans les mains une impressionnante statuette à deux têtes du thil Toulou à la forte patine sacrificielle. Cette scène avait été précédée d’un avertissement fait à l’enfant à propos de son propre canari de divination. Toulou se demandait alors si les thila du devin s’y trouvaient. La réponse a fusé : « Tu ne peux pas les voir ! »

Passe le temps, Diniaté Pooda ne saurait ignorer les relations nouées avec ces deux devins de Toulou, mais il n’en connaît pas les détails. Il n’a pas vu les photographies ici rappelées où l’enfant s’est effectivement déjà retrouvé en contact étroit avec des représentations de thila. Pour l’ethnologue qui découvre ce cahier de Diniaté Pooda, ces correspondances n’en sont que plus déroutantes, illustrant une indéniable « perméabilité du monde » (Martin, 2019 ; Khalsi et Martin, 2020). Au « tu ne peux pas les voir », succède un « il va voir » mis en images.

Apprenti-devin

Diniaté Pooda, sans se soucier de mon émoi à la vue de cette succession de dessins, m’explique : « Chez nous les Africains, il n’y a pas de petit… C’est par toi-même, on te donne le couteau et tu es devenu… » Sous le coup de la surprise et de l’émotion, ma prise de notes est hachée. Certes, nous ne sommes que dans une narration graphique, en « total mode fiction », mais cette suite de plans se succédant dans une même chambre des esprits où mon propre fils est censé joué le rôle d’un apprenti-devin me déroute, pour ne pas dire plus. Il en va à l’avenant lorsque, bien des années après, ces lignes sont écrites en rendant compte d’un enchevêtrement d’actions et de fictions où se télescopent réminiscences de moments anodins et fragments de rencontres beaucoup plus troublantes avec des subjectivités autres qu’humaines. Diniaté Pooda précise : « C’est le fétiche de ton papa, il t’a tout montré, tu charlattes. Il a ouvert le canari pour pouvoir laver sa figure. C’est l’eau, il prend l’eau et toute la sorcellerie qui va passer, il va voir. Une fois lavé, tout ce qui est mauvais, tu vas voir, tu es vigilant en matière de sorcellerie, c’est comme cela. »

Il va voir – Dessin 6 de Diniaté Pooda (2012)

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« Il va voir » et pour ce faire, il doit donc porter sa vue au-delà du visible, ce qui explique probablement le fait que l’enfant dessiné se cache les yeux à l’aide de sa main droite, dessin 6. La véritable vision transcende celle dont chacun fait usage dans l’ici et le maintenant[9].

Regarder avec le porc-épic – Dessin 7 de Diniaté Pooda (2012)

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« Il est en train de regarder dedans, avec le porc-épic, tu vois comme dans un miroir. » Seules les femmes ménopausées sont en mesure de confectionner ce type de canari de divination. J’en ai vu beaucoup chez les voyants, devins-guérisseurs ou « charlatans », pour user de ce terme que les Lobi affectionnent et qui n’est ici entaché d’aucun sens péjoratif. Le voyant, lors d’une consultation, touille l’eau de la Volta contenue dans ce canari avec un piquant de porc-épic. Dans nombre de canaris de divination se trouvent des oeufs de caméléons, animaux au statut ambigu car tels des devins, ils « voient même derrière ». En pays lobi, on fait un grand usage de bagues surmontées d’un caméléon ou de deux caméléons en laiton souvent portées en sautoir. Ce type d’ornement dit « fétiche » fait office de porte-bonheur ou de protection au sens large. À la demande de l’enfant, fasciné par les caméléons (Cros, 2020), j’ai acheté au marché de Kampti une bague-caméléon. Le devin-guérisseur Léiouté Kambiré l’a transformée en bague-fétiche en la maculant de sang sacrificiel, alors qu’elle était accrochée à une gourde de Toulou à l’aide d’un piquant de porc-épic dans son thildu.

Revenons au cahier de Diniaté Pooda. Dans ce dessin, Toulou est initié au maniement d’une queue-fétiche, à l’art de la divination et « maintenant, il est en train d’écraser le médicament noir », ce fameux onguent dont il est aussi fait grand usage en pays lobi.

Le médicament noir – Dessin 8 de Diniaté Pooda (2012)

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« Il a pris deux queues qui sont différentes. » Diniaté Pooda précise que les cauris ne sont pas cousus au même endroit, il y a « différentes positions de cauris ». Ici « on prend une calebasse, on met de l’eau et de la poudre noire, on mélange bien et on plonge dedans les deux queues ». Reste à en découvrir le pourquoi ?

Lever les sorts

Toulou se forme vite sous les feutres de Diniaté Pooda : le voici voyant, sacrificateur et maintenant guérisseur ou presque puisque la scène suivante le place en situation de leveur de sorts à la Lobi.

Dans cette scène, Toulou passe à l’acte de manière frontale dans un thildu en extrayant une tortue du corps d’un patient. On peut voir la tortue à terre sous la calebasse emplie d’eau et de poudre noire. Diniaté Pooda explique : « Il frotte le médicament avec les deux queues et c’est une tortue qu’il avait dans son corps. Des fois c’est une pile, de la viande, un serpent… Des fois, c’est une flèche cassée. C’est pour faire du mal. Des fois la personne dit que c’est comme si quelque chose est en mouvement dans son corps. On dirait qu’il y a quelque chose et le féticheur va savoir. » Aucune question n’est posée, j’ai déjà expérimenté ce type d’opération, il y a très longtemps, lors de mon second séjour en pays lobi au tout début des années 1980. Je m’en souviens très bien. J’avais mes règles. Sous les tropiques, le flux menstruel est plus abondant et les façons de faire pour en canaliser l’écoulement se révèlent aléatoires. Nous habitions alors, avec le futur père de Toulou, dans une toute petite chambre, contigüe à celle d’une femme de Désiré Tiatouré Pooda à Gbangbankora, notre village d’adoption. Il nous fallait, à la vue de tous et de toutes, traverser la grande cour de la maison pour atteindre la douchière à ciel ouvert où on nous apportait un seau d’eau pour se laver. Lorsqu’on travaille sur le sang et plus encore sur les règles, comme c’était le cas dans le cadre de ma thèse, on sait à quel point la femme en état de menstruation était hier encore recluse et aujourd’hui tenue à une forte discrétion, car elle est censée souiller ce qui se retrouve en contact avec son flux (Héritier, 1996 ; Testart, 2014). On sait aussi que l’odeur du sang menstruel est jugée très nocive. L’ethnographe blanche se sent tenue par un implicite code de bonnes conduites à la Lobi lorsqu’elle perd son sang. Ce soir-là, il faisait encore très chaud, j’étais comme cloîtrée dans cette petite chambre et une douleur sourde assaillait mon bas-ventre. Des enfants vinrent « taper » à la porte. Un homme, dont l’identité m’était inconnue, voulait me rendre visite. Ce n’était pas le moment, je l’expliquai aux enfants. Ils revinrent. L’homme insistait. Il savait que j’allais mal. C’est pour cela qu’il voulait me voir.

Deux queues – Dessin 9 de Diniaté Pooda (2012)

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Frotter le médicament avec les deux queues – Dessin 10 de Diniaté Pooda (2012)

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Je sortis, un peu troublée par le caractère déterminé du visiteur. Il était d’un âge avancé. Son corps ne tenait plus droit. J’avais l’impression qu’il avait bu et son regard me semblait tout à la fois intense et vide. Je me sentais encore plus mal. On ne tarda pas à m’expliquer qu’il était aveugle. Mais il voyait aussi. C’était un devin, un très grand devin qui expliquait aux enfants que je devais me rendre dans son thildu au plus vite. Il lui fallait s’occuper de moi. Il savait que je perdais mon sang… Ses thila l’avaient prévenu. J’étais fort étonnée par sa sagacité. Il me demanda si j’avais des enfants. Non évidemment. Dans ces conditions, j’avais encore moins le choix me fut-il expliqué avec conviction. Face à cette situation que je trouvais autant inquisitrice que pesante, j’essayai de gagner du temps et promis de lui rendre visite une fois le retour à la maison de Désiré Tiatouré Pooda avec mon compagnon. Les enfants avaient pris peur et des femmes m’expliquèrent qu’il était très connu. Il habitait à deux kilomètres environ de notre maison, sur la route de Kampti. Il arrivait que de grosses voitures noires, dont on disait qu’elles venaient d’Abidjan, s’arrêtassent non loin de sa petite demeure. Des « barons et consorts », de riches Ivoiriens venaient pour le consulter. Je l’ignorais, mais en quelques minutes je fus mise au courant de cette notoriété qui allait jusqu’à dépasser les frontières.

Mon compagnon et Désiré Tiatouré Pooda finirent par rentrer à la nuit tombée. J’expliquai la situation et la décision qui s’imposait fut prise. Nous devions prendre la route tous les trois. Munis de lampes-torches, nous partîmes à pied en marchant en file indienne tout en prenant garde aux éventuels serpents dont on a fort peur en pareilles circonstances. Les hommes s’étaient aussi armés de bâtons en cas d’autres mauvaises rencontres, animalières ou non. L’étrange mutisme de Désiré Tiatouré Pooda, mon père d’adoption du pays lobi, ne semblait pas de bon augure. Certes, j’étais souffrante, mais j’en savais la cause. Le mal menstruel ne dure pas. Je n’avais pas d’enfant mais à mon jeune âge, en Occident, la situation relevait de l’ordinaire. J’expliquai tout cela à Désiré Tiatouré Pooda. Il me comprenait. Mais sa réelle empathie rencontrait vite ses limites. Nous étions en pays lobi et la visite de celui qu’il appelait Djorka nécessitait une prompte réponse. La situation était bien plus grave que je ne le pensais.

Nous finîmes par arriver dans sa maison qui me sembla lilliputienne en comparaison avec les demeures traditionnelles du pays lobi aux allures d’incroyables châteaux tant elles comportent un incalculable nombre de pièces (Schneider, 1991). Nous nous retrouvâmes dans la minuscule chambre des esprits de Djorka. J’étais coincée plus qu’assise entre Désiré Tiatouré Pooda et mon compagnon sur un petit tabouret à un pied dont l’inconfort est indicible. L’odeur du lieu me prit à la gorge : un étrange mélange de sang sacrificiel vaguement coagulé, de nourriture faisandée, de fientes de chauve-souris et des plumes qui virevoltent. C’était la première fois que je pénétrais dans un thildu. Impossible de respirer. J’avais la nausée. Il me fallait fuir. Désiré Tiatouré Pooda et mon compagnon me retinrent. Nous n’avions pas le choix. Djorka nous demanda d’éteindre les lampes-torches. L’obscurité se fit lourde. Je me sentais de plus en plus mal. J’allais m’évanouir et c’est alors que Djorka, après avoir agité une petite clochette et convoqué je ne sais quels ancêtres, petits génies de la brousse, esprits, fétiches ou existants non identifiables à mes yeux, se mit à procéder à plusieurs lancers de cauris. Le temps semblait suspendu aux bruits sourds des coquillages censés lui parler… Le devin finit par me demander d’enlever le haut de mon habit. Je refusai mais mon père du pays lobi me pria d’obtempérer. Il s’agissait d’un ordre venu de très loin, Djorka n’en était que le récipiendaire. Mon compagnon semblait perplexe. Le devin s’approcha de moi et me palpa d’une manière fort brusque à l’aide de mains calleuses et rugueuses dont je garde intact le souvenir cuisant. Un grand bruit se fit entendre, Djorka cria et demanda à mon compagnon de « torcher » ou d’illuminer ce qu’il venait d’extirper de mon pauvre corps. Et nous vîmes une tortue en train de se débattre dans une calebasse. Djorka s’empressa de l’emplir d’eau. La confusion était grande. Désiré Tiatouré Pooda s’extasia, c’était donc cela, on m’avait « lancé » en sort une tortue ! Je restais bouche bée, encore meurtrie et bien peu soulagée. Puis Djorka revint aussi vite à l’assaut et je dus à nouveau me retrouver sous la coupe de ses horribles mains expertes. Un vague bruit métallique, il venait cette fois-ci d’extraire une pile usagée, une pile semblable à une cartouche en bien piteux état. Je ne me souviens plus du reste. Djorka exultait. Désiré Tiatouré Pooda était soulagé et mon compagnon soufflé par un tel tour de passe-passe dans un thildu. Les commentaires ne tardèrent pas. Ainsi s’expliquaient ma lenteur, ma démarche peu assurée et mes difficultés de compréhension !

On m’avait donc jeté deux sorts, le devin avait réussi à les extraire mais il fallait maintenant penser à me protéger d’autres attaques. Ma recherche doctorale prit une nouvelle tournure. Je devins alors celle que Djorka avait sauvée d’un funeste destin ! Encore aujourd’hui, en dépit de son départ pour le pays des morts deux ou trois ans après l’opération relatée, son souvenir demeure. C’était un très, très grand devin-guérisseur[10] et Désiré Tiatouré Pooda se remémore souvent cette fameuse tortue-sort et la pile évidée qu’il avait extraites de mon corps. La vision de cette nouvelle tortue enlevée cette fois-ci par Toulou dans le dessin de Diniaté Pooda me plonge dans un certain abîme réflexif. « Tout ce qui est mauvais, tu vas voir », disait le féticheur de Toulou à l’enfant dans l’une des scènes dessinées par Diniaté Pooda. L’enfant serait-il censé voir comme Djorka a vu ?

Diniaté Pooda perçoit-il mon trouble ? Je l’ignore. Il sait pourtant que  – travaillant maintenant depuis plusieurs dizaines d’années dans la région – je commence à connaître les rouages de ce genre d’opérations soustractives, rouages expérimentés « par corps ». Cependant, impossible d’oublier une « première fois » dans un thildu. Aucun sort levé n’est anodin. On ne peut sortir psychologiquement indemne de ce genre de ballet divinatoire. La scène dépeinte par Diniaté Pooda se passe juste après l’extraction, lorsque du médicament est déposé sur le corps de l’opéré à l’aide des queues-fétiches. Ce tableau conduit à un rappel mnésique dont j’ai tu l’évocation lorsque je l’ai découvert mais sur lequel je ne pouvais que revenir, à grands traits, dans cet écrit.

Tu es bien formé – Dessin 11 de Diniaté Pooda (2012)

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En guise de conclusion

Dans ce dessin 11, on visualise « tout ce qu’il a enlevé, la tortue, le petit pignon de vélo et un petit caillou. Le patron dit : maintenant tu connais bien le travail, tu es bien formé. » Toulou est à nouveau avec son initiateur qui lui explique comment procéder. Les animaux ou objets lancés sont d’abord déposés « sur la terre puis tu mets du médicament noir et tu fouettes avec la queue ». L’ensemble se retrouve « dans une calebasse spéciale du féticheur Toulou. Il a tout mis dans la calebasse, dans l’eau. » Enfin, à la suite peut-être d’un télescopage de pensées à moins qu’il ne s’agisse de la réponse à une question posée – dont je ne trouve pourtant aucune trace dans ma prise de notes – Diniaté Pooda souligne : « Djorka, lui, il avait le vrai Toulou, une queue de Toulou dans la poche. Une petite queue de Toulou. Une queue de Toulou qui allume du feu sur la tête pour empêcher les sorciers »…

Ce cahier s’achève.

C’est la fin, Toulou dit au revoir. Tu mets le pied gauche pour un garçon. Pour dire au Toulou : accompagnes-moi, maintenant le fétiche est derrière toi, il est avec toi. Si le fétiche est éloigné, tu as pensé à lui, tu prends le chemin. Si tu es un garçon tu lui dis ce que tu veux. C’est toi qui seras mon gardien et tu prends le chemin. Si tu vas en Côte d’Ivoire, tu déposes ton sac sur lui, tu lui donnes ton pied et tu t’en vas. L’enfant, lui, c’est un enfant de Toulou. On ne donne pas un nom au hasard à l’enfant. C’est lui qui va garder l’enfant. C’est le fétiche qui est le gardien de l’enfant. Comme nous les êtres vivants, c’est comme cela avec les fétiches. Le fétiche avec l’enfant, il ne peut pas le laisser. C’est pour cela, l’enfant va prendre son nom. Si ta femme ne gagne pas d’enfant, quel que soit le fétiche, s’il est un bon fétiche, tu lui ramènes l’enfant et ce jour-là, on le lave avec le fétiche, on l’attache et on lui donne l’enfant. Voici ton enfant, fétiche, soyez un bon gardien. Le fétiche devient le berger de l’enfant, il ne peut pas le laisser, c’est comme cela.

Un bon gardien – Dessin 12 de Diniaté Pooda (2012)

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Scellée par l’animisme, une communauté de destins les lie. Scellée par l’animisme, l’ethnologue se retrouve tout autant, et ce, depuis longtemps, unie à cet étrange fétiche Toulou, celui-là même qui fut peut-être à l’origine de sa première rencontre en monde autre, dans la chambre de divination de Djorka. Et c’est ce même Toulou qui est devenu le berger de son propre enfant ! Et c’est encore Toulou devenu jeune-homme qui, en août 2018, lors d’un retour en solo en pays lobi, prendra ce cliché de Tadjalté Sib, dans l’une de ses chambres de divination. Le devin-guérisseur enlace avec tendresse un thil. Au premier plan, tout à gauche de la photo, les yeux cauris d’une autre statuette-personne. Au loin, à droite, le capharnaüm habituel d’un tel sanctuaire avec des canaris à pointes et bien d’autres existants-fétiches dont une gourde calebasse maculée de sang sacrificiel semblable à un Toulou, des piquants de porc-épic la traversent.

Tadjalté Sib, devin de Toulou, dans un thildu en 2018

© Toulou

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Quelques fils de sens se dénouent, bien d’autres demeurent emmêlés. Même en plein jour, seul un puits de lumière éclaire une chambre de divination en pays lobi. Le cahier de dessins de Diniaté Pooda se referme sur cette mise en abyme expérientielle. On se souvient de cette prime intervention d’un devin-guérisseur spécialiste des questions de fécondité qui m’annonça l’arrivée de Toulou bien des années avant sa conception. Dans Le sel de la vie – Lettre à un ami, Françoise Héritier se demande « où l’on était avant de naître » (2012, p. 28). Avec ce récit du fétiche Toulou devenant le berger d’un enfant qui en porte le nom, des éléments de réponse sont apportés à cette interrogation capitale.