Compte rendu

Enfin libre : Grandir quand tout s’écroule, Léa Ypi, Paris, Les Éditions du Seuil, 2022[Record]

  • Danielle Desmarais and
  • Ernst Jouthe

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  • Danielle Desmarais
    Anthropologue et professeure, École de travail social, Université du Québec à Montréal
    desmarais.danielle@uqam.ca

  • Ernst Jouthe
    Professeur retraité, École de travail social, Université du Québec à Montréal
    jouthe.ernst@uqam.ca

L’auteure, Léa Ypi, est professeure de théorie politique à la London School of Economics (LSE). Son livre, Enfin libre. Grandir quand tout s’écroule, a d’abord été publié en anglais en 2021. Il a été traduit en 27 langues et a remporté plusieurs prix dans le monde anglophone. Quel est l’intérêt de cette contribution pour le champ du travail social et, plus largement, pour tous les intervenants sociaux ? De notre point de vue, l’intérêt premier réside dans l’originalité, la pertinence et la profondeur de cette autobiographie. Celle-ci témoigne d’une rigueur sans compromis dans l’analyse de soi et de la production de sens (et parfois, de contre-sens) que les actions concrètes suscitent ainsi que d’une sensibilité pour la vie quotidienne des gens qui font partie de l’environnement social de l’auteure, sans oublier les enjeux politiques nationaux qui traversent son Albanie d’origine dans la deuxième moitié du XXe siècle. Dit autrement, l’originalité de cette contribution réside dans son analyse concrète des contradictions et des relations dialectiques qui sous-tendent les différentes dimensions de sa vie, toutes traversées par l’enjeu primordial de la liberté, pour les situer dans une perspective éthique-politique large, axée sur le changement social. L’écriture s’ancre dans des temporalités multiples et participe ainsi de l’originalité de l’oeuvre. L’auteure choisit de présenter son histoire dans une temporalité biographique attendue, à laquelle s’ajoute le temps des événements ou situations de la vie quotidienne, épinglés sur le déroulement de la vie nationale. Les titres des 22 chapitres de l’ouvrage sont formulés de manière énigmatique et intrigante, en pièces détachées, mais liées entre elles, comme partie prenante d’un grand drame sociohistorique politique. Le style est transparent, simple, humoristique et très agréable à lire. Le récit de Léa Ypi est divisé en deux parties. Dans la première partie, l’auteure retrace son enfance. Elle choisit de commencer son autobiographie à 11 ans, par un événement particulièrement chargé de sens personnel et politique qui la perturbe. Le comportement des manifestants qu’elle croise, et qui la portera, effrayée, à se réfugier au pied de la statue de Staline, suscite pour la première fois chez elle un questionnement sur ce que signifie la liberté. A contrario des manifestants, elle est animée par l’honneur d’appartenir à une société socialiste juste qui permet d’agir en toute liberté. Cette conscience expérientielle se poursuit au chapitre 2 dans la fierté collective émergeant d’une leçon d’histoire sur les héros albanais qui ont défendu le pays contre les fascistes italiens durant la Deuxième Guerre mondiale. Ce n’est que dans un troisième chapitre que Léa revient sur sa naissance, en 1979, et sur des éléments de l’histoire de ses deux parents. La deuxième partie est consacrée à son adolescence dans une Albanie qui vit des transformations majeures, jusqu’à son départ du pays, à 18 ans. On est ici dans un temps linéaire à l’avenir ouvert, celui de la modernité avancée. C’est l’expérience d’un mouvement ou d’une accélération continus. L’avenir est incertain. L’écriture au Je accorde une place de choix à l’individualité. Le sujet-acteur se construit dans ses trois dimensions : affective, cognitive et socio-relationnelle. L’autobiographie est une stratégie puissante pour exposer cette intrication. Dès le premier chapitre émerge l’importance pour l’auteure d’un raisonnement logique, de l’analyse des conséquences de ses actes. Léa Ypi témoigne d’un sentiment de responsabilité individuelle, accompagné d’un sentiment de culpabilité. L’enfant veut faire de son mieux, comme elle dit. À ce moment-là, Léa prend conscience que ses acquis politiques ne sont pas partagés par les adultes de la maisonnée. Le jeune sujet-acteur vit des tiraillements entre les convictions que l’école lui a transmises et les positions de sa famille. On …

Appendices