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Introduction
J’ai pour mandat de vous entretenir de l’économie mondiale et de nos grands enjeux. Ceux-ci sont, me semble-t-il, de deux ordres :
les enjeux de court terme, qui sont très importants et qui portent sur l’ampleur, l’étendue et la pérennité de la reprise mondiale;
les enjeux de long terme, qui concernent les performances économiques des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans la durée et qui portent aussi sur le risque d’une OCDE à deux vitesses, l’Europe continentale étant à la traîne… et le Canada, c’est tant mieux, dans le peloton de tête, avec quelques autres bien sûr.
Cette problématique de l’asymétrie et de la dispersion des performances est paradoxale. À un moment où l’on nous explique quotidiennement que la mondialisation sonne le glas des politiques nationales, nous observons au sein de l’OCDE une très grande dispersion des performances. Avec le sentiment que les politiques domestiques sont au coeur du succès des uns et de l’échec des autres.
1. Conjoncture économique mondiale
Je voudrais revenir à la conjoncture économique pour dire que la reprise mondiale est aujourd’hui bien engagée et très vigoureuse. Elle est très forte en Amérique du Nord et en Asie, avec une Chine au bord de la surchauffe et un Japon étonnamment dynamique. Elle reste vive aussi dans le monde anglophone (Royaume-Uni, Irlande, Australie, …). Mais cette reprise ne touche pas vraiment, malheureusement, les grands pays d’Europe continentale qui peinent à redémarrer.
Globalement la conjoncture mondiale apparaît particulièrement favorable. Le climat de confiance des industriels s’est beaucoup amélioré et les perspectives personnelles de production sont très bonnes. Le graphique 1 illustre d’ailleurs fort bien ce propos. L’on y voit une hausse de la confiance du milieu des affaires aux États-Unis, au Japon et dans la zone euro. Parallèlement, les taux d’intérêt sont historiquement bas, tout comme les primes de risque, et l’accès au crédit est facile. Les problèmes de surinvestissement, enfin, semblent maintenant derrière nous.
Aux États-Unis, les profits ont été rétablis et les gains de productivité sont exceptionnellement élevés. Toutes les conditions sont donc remplies pour que la croissance reste forte cette année et encore en 2005. Suffisamment forte aux États-Unis pour résorber le déficit de demande dès le début de l’année prochaine.
Cette reprise est d’une vigueur telle qu’elle finira par s’étendre dans les mois qui viennent à l’Europe continentale, c’est-à-dire à l’Allemagne, la France et l’Italie. Jusqu’à présent, il faut le reconnaître, la demande interne est restée étonnamment molle dans les grands pays européens malgré le soutien apporté par les exportations. La confiance des consommateurs est effectivement plus élevée aux États-Unis et au Japon que dans la zone euro (voir graphique 2).
Ce dualisme est particulièrement net en Allemagne où les industriels qui prospèrent à l’exportation sont très confiants, mais où les consommateurs qui alimentent la demande intérieure restent eux très moroses (graphique 3). Le contraste entre ce dualisme allemand et l’homogénéité du climat de confiance au Canada est à cet égard frappant (graphique 4).
Ce qui paralyse donc l’Europe aujourd’hui c’est la perte de confiance des ménages (de nouveau le graphique 3). En Allemagne, les marchés du travail sont fragiles et la croissance pauvre en emplois ce qui suscite une forte épargne de précaution réduisant davantage la consommation. En Italie, la faible compétitivité des exportations pèse sur la croissance et donc sur le moral des ménages. En France, où les problèmes sont moins aigus, l’activité est repartie plus vite, avec une croissance annualisée qui s’établit à 3 % depuis l’été dernier. Malgré tout, le climat général reste maussade.
2. Fragilités de l’économie mondiale
Les capacités de redémarrage autonome de l’Europe sont donc très limitées et le salut viendra du renforcement de la demande mondiale pour autant que l’euro ne reparte pas à la hausse. L’un dans l’autre et à quelques exceptions européennes près, la croissance de l’économie mondiale est donc bien enclenchée. Mais cette reprise n’est pas sans zone de faiblesse.
À l’OCDE, nous sommes sensibles à deux sources de fragilités :
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les déséquilibres des comptes courants
Malgré une longue période de ralentissement, les États-Unis n’ont pas réussi à réduire leur déficit extérieur qui reste figé autour de 5 % du PIB. Cette situation n’est pas soutenable et peut susciter de nouvelles dépréciations des monnaies de la zone dollar vis-à-vis de l’euro, du yen et du dollar canadien. Avec des conséquences potentiellement dommageables pour le « maillon faible » européen dont la reprise dépend encore fortement du stimulus fourni par les exportations.
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les déséquilibres des finances publiques
Leur ampleur reste inquiétante dans la plupart des grands pays, à l’exception du Canada, de l’Espagne et de l’Australie. À long terme, l’inquiétude vient de l’aggravation possible des difficultés financières associées au vieillissement démographique. Inquiétude à plus court terme également, dans la mesure où des déficits publics persistants ne manqueront pas d’entraîner des tensions sur les marchés obligataires dès que la reprise de l’investissement privé se matérialisera pleinement.
Il faut donc profiter de la période de prospérité qui s’annonce pour rétablir les finances publiques et tenir ses engagements. Le graphique 5 illustre ainsi comment année après année les objectifs de réduction des déficits publics affichés par les pays de la zone euro dans le cadre de leurs programmes de stabilité sont restés lettre morte. En Europe, le redressement doit s’opérer progressivement mais sans discontinuer. Quant aux États-Unis, il serait souhaitable que les autorités resserrent dès maintenant, de manière très franche, les cordons de leur bourse.
3. Asymétrie
J’en viens maintenant aux enjeux à long terme qui nous préoccupent tout particulièrement à l’OCDE. Et qui touchent au risque d’asymétrie entre l’Amérique du Nord et l’Europe continentale.
Une asymétrie qui se manifeste par l’absence de convergence des niveaux de vie à long terme et par de grandes disparités dans la capacité des économies à résister aux chocs, à faire preuve de résilience.
Pour énoncer brutalement les choses, la croissance du PIB par tête est trop faible en Europe et au Japon. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, tout au long des « Trente Glorieuses » un mouvement de convergence des niveaux de vie s’était développé au profit de l’Europe et du Japon (graphique 6). Il s’est ensuite interrompu durant les années quatre-vingt avant de subir un retournement dans les années quatre-vingt-dix, les États-Unis recommençant alors à creuser l’écart. Aujourd’hui, le PIB par tête des grands pays européens est inférieur de 30 % à celui des États-Unis. Nous sommes donc revenus à la situation qui prévalait en 1970. Cette situation contraste avec celle du Canada qui s’est bien ressaisi au cours des 10 dernières années.
La mauvaise performance européenne s’explique à la fois par la faiblesse de l’utilisation du travail et l’insuffisance de la productivité (graphique 7). Que la productivité soit jugée trop faible en Europe peut paraître surprenant, au regard des statistiques (horaires) disponibles pour la France, l’Italie ou l’Allemagne. Mais celles-ci sont trop flatteuses et doivent être corrigées pour prendre en compte le fait que beaucoup de travailleurs peu qualifiés ont été écartés des marchés du travail et ne sont pas présents dans les statistiques de productivité.
L’Europe souffre enfin d’un manque de résilience face aux chocs conjoncturels. Pour illustrer cette affirmation, on peut comparer la manière dont l’Europe continentale a réagi au ralentissement américain au cours des trois dernières années avec les réactions observées au sein d’économies plus robustes, telles que le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Irlande ou le Royaume-Uni (voir graphique 8).
Cela peut surprendre mais la faible résistance des grands pays d’Europe continentale ne s’explique pas par une vulnérabilité particulière dans les domaines exposés à la globalisation que sont les exportations et l’investissement. Non, cette faiblesse provient d’une forte baisse de la consommation des ménages et du logement. Nous sommes donc en présence d’un véritable paradoxe européen : ce sont les segments en théorie les plus protégés, les plus préservés de l’économie qui se sont le plus affaissés à la suite du ralentissement mondial.
Pour sa part, le groupe des pays résilients a certes souffert d’un ralentissement des exportations et de l’investissement, mais il a bénéficié en revanche d’une demande des ménages toujours vigoureuse (graphique 9). Pour ajouter au paradoxe, ces pays résilients ont conduit des politiques macroéconomiques assez parcimonieuses (budgets équilibrés en Australie et au Canada, taux d’intérêt réels relativement élevés au Royaume-Uni). Somme toute, ces pays n’ont pas été anormalement activistes en matière de régulation conjoncturelle. En tout cas, pas davantage que les pays de la zone euro.
Conclusion
Si la résilience du Canada, de l’Australie et du Royaume-Uni ne repose pas de manière prédominante sur les politiques de stabilisation conjoncturelle, c’est donc que la différence de performance avec la zone euro se situe davantage du côté des structures économiques. Les travaux en cours à l’OCDE suggèrent que ces faiblesses structurelles concernent en particulier les marchés du travail et l’intermédiation financière, dans le domaine du logement, par exemple.
Il ne s’agit pas, bien entendu, de nier les difficultés du réglage conjoncturel en Europe. En matière budgétaire, il aurait été utile par exemple de provisionner en période de vaches grasses pour mieux soutenir l’activité en période de vaches maigres. Mais les structures économiques de l’Europe ont également montré leurs limites.
Le succès des uns et les problèmes des autres trouvent donc très largement leur origine dans des réussites ou des défaillances domestiques, suscitées par des politiques publiques efficaces ou inadaptées. La globalisation dans cette affaire ne constitue qu’un bouc émissaire commode qui permet de s’abandonner au fatalisme et à l’inaction. (Le graphique 10 illustre justement ce biais entretenu envers la mondialisation.)
Ce sont donc les ressorts internes de la réforme que les pays en difficulté doivent retrouver pour faire peau neuve. Cela constitue justement l’un des enseignements de l’expérience canadienne et québécoise.