Dossier - Perspectives littéraires sur le rap québécoisEntretiens

« [S]e donner le droit d’exister » : entretien avec J. Kyll (Jennifer Salgado)[Record]

J’ai commencé à écrire avant même de faire du rap. La musique est venue en premier, ensuite l’écriture, par laquelle j’ai commencé à créer. Lorsque j’ai entendu le médium du rap et que j’ai compris la place que l’écriture pouvait prendre dans cette forme musicale, les choses ont cliqué. Je me suis dit : « O. K., ça c’est le mariage qu’il me faut pour exprimer ce que j’ai à dire. » L’art en général m’interpelle, mais surtout la musique. Je la trouve plus directe comme forme artistique. Dans l’écriture, il y a cette façon de prendre la main de celui qui lit, de le guider. Avec la musique, il y a une grande liberté qui permet d’aller où on veut et de laisser le public comprendre ce qu’il veut. Le rap, pour moi, représente les voyages à New York, chaque été, chez les cousins! On découvre la culture qu’il y a autour de cette musique, et elle devient plus que de la musique; elle devient une forme culturelle, un mouvement. On découvre donc le rap chez les Américains. Ici, au Québec, ça n’existe pas encore. En voyant ce qui se fait aux États-Unis, on se dit : « Ça serait cool de le faire à notre manière, ici. » Je m’étais lancée dans le mouvement avec les premiers groupes oldschool, même si le oldschool n’était pas encore venu me chercher. Quand je parle du oldschool, je fais référence aux premiers groupes : Afrika Bambaataa, Rakim… J’étais encore réticente. C’est au moment où j’ai découvert Public Enemy, NWA et surtout le West Coast avec ce que Dr. Dre faisait; au moment où j’ai découvert leur influence, le mouvement de masse qui s’est créé, que j’ai été touchée. Ce n’était plus juste un jeu; ça prenait une forme sérieuse, réelle. Ce n’était plus une fuite de la réalité dans laquelle on vit, c’était : « On rentre dedans et on vous fait voir c’est quoi. » Puis, quand j’ai entendu Wu-Tang du East Coast avec son côté décontracté très proche du style qu’on retrouve à Montréal, la table était mise : je m’y suis retrouvée. Je dirais que j’étais attirée par le West Coast, toute l’école de Dr. Dre, et par l’attitude new-yorkaise de Public Enemy. Quand le East Coast a pris de l’ampleur, avec Wu-Tang, Mobb Deep, c’est devenu mon truc, mon territoire, mon école. C’est devenu mon langage. Depuis, je n’ai jamais arrêté d’écouter du rap. J’écoute du rap de partout : du UK, de la Tunisie, du Japon… J’essaie de voir la façon dont le mouvement prend forme à travers le monde. Je trouve que le côté artistique de la forme a été mis de côté dans le rap contemporain, pour donner la place au paraître, faire un statement et adhérer au je-m’en-foutisme qui habite la jeunesse aujourd’hui. Pour moi, la forme artistique est plus importante. Il n’y a pas d’artiste, en ce moment, qui fait vraiment de l’orfèvrerie avec la langue, le flow, le débit sur la musique, avec la mélodie, le rap... Mais ce que la culture du hip-hop devient en général, je trouve que c’est très fort. En ce qui concerne les styles, il faut quand même poser des jalons autour du temps qui passe. On a commencé à rapper quand on avait 15 ans, on était des gamins. La musique, les propos, les styles et l’énergie reflétaient ce côté un peu naïf de l’adolescence, ce côté « fuck you » aussi. [Rires.] Permettre à l’art et au langage artistique de grandir et d’évoluer avec soi est un privilège, …

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