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Lachance Jocelyn, 2013, Photos d’ados. À l’ère du numérique. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 187 p., bibliogr.[Record]

  • David Le Breton

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  • David Le Breton
    Faculté des sciences sociales, Université de Strasbourg, Strasbourg, France

Jocelyn Lachance a fait irruption ces dernières années dans le champ de la recherche anthropologique autour de l’adolescence à travers plusieurs ouvrages qui ont d’emblée inscrit son travail parmi ceux qui comptent aujourd’hui, notamment L’adolescence hypermoderne. Le nouveau rapport au temps des jeunes (2011), récompensé par le Fonds québécois de recherche Société et culture (FQRSC), ou Socio-anthropologie de l’adolescence (2012). Mais il importe aussi de souligner le goût de la recherche en commun, de la conjugaison des regards chez ce jeune chercheur qui a dirigé ou codirigé une série d’ouvrages ayant également posé des jalons de qualité pour toute réflexion sur les cultures adolescentes : Errance et solitude chez les jeunes (2007), Films cultes et culte du film chez les jeunes (2009), La recherche d’extase chez les jeunes (2010) ou encore Codes, corps et rituels dans la culture jeune (2012). Actuellement chercheur postdoctoral à l’Université de Pau, il est titulaire d’une thèse en sociologie de l’Université de Strasbourg et d’une autre en sciences de l’éducation de l’Université Laval à Québec. D’ouvrage en ouvrage, il poursuit une exploration sensible et méthodique autour du rapport au monde des adolescents. Dans Photos d’ados. À l’ère du numérique, ouvrage d’une rare qualité d’écriture et de pensée, il s’attache à comprendre les significations et valeurs attribuées par les jeunes générations aux images issues de l’appareil numérique, et surtout à leur production permanente dans la sociabilité courante. Ces jeunes ont grandi dans la banalité de l’usage de la photographie, et ils s’en sont approprié le principe au point de vivre en permanence sous le regard éventuel du téléphone cellulaire de leurs amis. Dans sa belle préface, Serge Tisseron rappelle la triple rupture opérée dans la pratique de la photographie sous l’égide du numérique. Il n’est plus désormais nécessaire de payer le développement de chaque photo après avoir attendu plusieurs jours, l’image peut être vue aussitôt, et « on ne photographie plus ce qu’on voit, on photographie pour voir » (p. xiii). L’image numérique possède un double visage, elle est à la fois mémoire d’un moment, de manière traditionnelle, elle participe aussi à la construction identitaire de cette classe d’âge. Et elle est entre les mains de la quasi-totalité des jeunes puisque leur téléphone portable est muni d’un appareil photo. Ils peuvent envoyer les photos ou les vidéos à leur guise à tout instant. La photographie numérique est un formidable inducteur de sociabilité, elle n’est plus seulement un objet événementiel mais d’emblée un acte d’échange, d’évaluation du présent, une volonté de redoubler l’instant par une sorte de sur-réflexivité. La moindre scène juvénile montre des jeunes exhibant leur portable, prenant mutuellement la pose avant de se passer l’appareil en s’esclaffant par avance du résultat. L’image circule, elle est aussitôt téléchargée aux amis absents, ou effacées si elle ne convient pas à l’un ou à l’autre. Elle est devenue liquide, instrument de communication, de confirmation de soi, d’apprivoisement de son image, de son corps, de son rapport au monde. Il s’agit moins de fixer un moment pour les souvenirs que d’en redoubler le partage en multipliant les points de vue, les possibilités de retour sur soi. L’image renforce l’intensité de la rencontre, la rend réelle, plus vivante encore. Certains prennent ainsi des dizaines de photos du même événement, triant plus tard celles qui leur paraissent les plus significatives. L’image n’accompagne plus la rencontre, elle contribue à son élaboration. Elle incarne d’emblée une nostalgie du présent comme Jocelyn Lachance le montre avec finesse, cette « peur de voir disparaître le sens des événements au moment même où ils sont vécus » (p. 77), ce sentiment que déjà le …

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