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Mathieu, Séverine et Enric Porqueres i Gené (dir.), 2022, Embryon, personne et parenté. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « 54 », 266 p., bibliogr., fig., tabl.[Record]

  • Hélène Malmanche

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  • Hélène Malmanche
    Institut national d’études démographiques, UR 14, Santé et droits sexuels et reproductifs, Paris, France

Publié aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme, l’ouvrage collectif Embryon, personne et parenté, sous la direction de Séverine Mathieu et du regretté Enric Porqueres i Gené, propose un corpus de 13 textes longtemps attendus ; le décès prématuré de notre collègue ayant repoussé de plusieurs années la parution de ce volume. Celui-ci s’articule autour de deux axes : une première partie expose différentes conceptions de l’embryons à travers le monde et les âges, tandis que la seconde partie regroupe des textes portant spécifiquement sur le traitement des embryons dans le cadre des biotechnologies de la reproduction humaine. Ce recueil ouvre une perspective comparatiste et une historicisation des représentations de l’embryon en tant que proto-personne, non-humain ou quasi-humain, donnant alors à voir, depuis cette place singulière, les systèmes de parenté, les conceptions de la notion de genre et de personne, les représentations du genre humain au sein de l’ordre du vivant. À l’image du séminaire éponyme que Porqueres I Gené animait à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS) à Paris, l’ouvrage Embryon, personne et parenté fait dialoguer des aires culturelles et historiques multiples, issus de travaux de chercheurs et chercheuses d’horizons disciplinaires variés (histoire, philosophie, anthropologie, sociologie). Non seulement la construction de l’ouvrage est particulièrement heuristique, mais de surcroît, elle rend justice à la démarche de Porqueres I Gené qui a toujours eu à coeur de ne pas opérer de clivage entre « the West and the rest » (« l’Occident et le reste »), se tenant ainsi à l’écart de l’écueil du sociocentrisme. Anthropologue mais aussi historien, Porqueres i Gené était conscient des dangers que représente le présentisme qui tient l’ici et maintenant pour la mesure de toute chose, raison pour laquelle figurent dans cet ouvrage des analyses de sociétés antiques — qu’il s’agisse du monde grec ou de la pensée vishnouite (courant hindouiste) du XIIIe siècle à nos jours — à côté de contributions portant sur les techniques contemporaines de procréation médicalement assistée. La pluridisciplinarité et la diversité des aires culturelles examinées sont ainsi mises au service d’une réflexion qui embrasse la question du statut de l’embryon, et au-delà, de la façon dont les sociétés donnent sens aux confins de la vie humaine. Plusieurs contributions retiennent particulièrement l’attention, que ce soit pour l’originalité de leurs objets ou la qualité de la réflexion développée dans certains chapitres. Notamment dans la première partie de l’ouvrage intitulée « La vie prénatale, autrefois et aujourd’hui, ici et ailleurs », l’indianiste Christèle Barois propose une exégèse d’un texte sacré issu de la tradition littéraire puranique et lequel traite de manière extensive des étapes du développement embryonnaire. Cette contribution ouvre en fait à une réflexion fondamentale sur le statut des êtres de chair au sein de la tradition vishnouite : à travers l’objet théologique que constitue l’embryon et ses relations, Barois nous propose une porte d’entrée privilégiée vers cette cosmologie. Parmi les six autres chapitres de cette première partie, celui de Laurent Dousset sur l’accession au statut de personne dans les sociétés aborigènes du désert de l’ouest australien constitue, lui aussi, un exemple convaincant de la façon dont la mythologie des premiers stades de la vie embryonnaire et pré-embryonnaire agrègent les principaux axes cosmologiques d’une société donnée. En outre, depuis les mythes bassars du Togo (Stephan Dugast) jusqu’aux réactualisations des rites de commémoration des esprits des embryons disparus dans le cas de l’avortement au Japon (Mary Picone), cette première partie offre un panorama éclectique de conceptions de l’embryon — et à travers elles, de celles de la notion de personne et de sa nécessaire inscription dans les systèmes …