Volume 38, Number 3, 1997
Table of contents (11 articles)
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Le droit comparé dans la réforme du Code civil du Québec et sa première interprétation
Pierre-Gabriel Jobin
pp. 477–501
AbstractFR:
Dans la jurisprudence et la doctrine des dix ou vingt années précédant la réforme du Code civil du Québec, le droit comparé avait connu un certain recul par rapport aux décennies antérieures. Il reprit cependant une place d'honneur dans la réforme. Les dispositions de droit nouveau, en effet, sont souvent inspirées d'un droit étranger. La première part revient au droit français et à d'autres droits civils, mais les systèmes de common law, notamment le droit ontarien, ont joué un rôle non négligeable. Des projets d'uniformisation du droit au Canada et des conventions internationales ont aussi été mis à profit. Toutefois, et curieusement, le droit américain occupe une place presque dérisoire dans les sources du nouveau droit. Le droit comparé a apporté au législateur des outils pour moderniser le droit et l'harmoniser avec les systèmes juridiques du monde occidental, sans perdre de vue la préservation de l'intégrité du droit québécois.
Depuis 1994, le droit comparé connaît une destinée fort différente dans l'interprétation du nouveau droit par les tribunaux et les auteurs. Son influence directe sur la jurisprudence est pratiquement nulle, sauf en Cour suprême. La doctrine, de son côté, fait souvent appel à des droits étrangers pour interpréter les nouvelles dispositions du Code civil ; ce phénomène devrait s'accentuer au fur et à mesure que la doctrine produira des textes plus approfondis. Les auteurs ont en ce sens une grande responsabilité, soit celle d'assurer l'ouverture du droit civil québécois aux sources étrangères.
EN:
In case law and doctrine during the ten years preceding the reform of the Civil Code of Québec, comparative law had taken a few steps backwards when contrasted with earlier periods. Nonetheless, it did occupy a place of honour in the reform. Indeed, new legislative provisions often took inspiration from foreign law. The lion's share belonged to French law and other civil law jurisdictions, while common law systems, namely Ontario law, did play a non-negligible role. Projects promoting the uniformity of law in Canada and international agreements also played a role as sources of inspiration. Nevertheless and curiously at that, United States law only occupied a meager place, if one at all, as a source of new law. Comparative law has provided the legislator with the means for modernizing legislative thinking and harmonizing it with the other legal systems of the Western world, without loosing sight of preserving the integrity of Québec law.
Since J994, comparative law has experienced a fate far different in the interpretation of new law by the courts and authors. Its direct influence on case law has been virtually nil, except before the Supreme Court. As for doctrine, it has often called upon foreign legal concepts to assist in interpreting new provisions of the Civil Code, a trend which should pick up momentum as doctrine generates texts of increasing depth. As such, authors are invested with the significant responsibility to ensure the openness of Québec civil law to foreign sources.
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La réconciliation des irréconciliables : la Convention des Nations Unies sur les lettres de change internationales et les billets à ordre internationaux
Martin Pinault
pp. 503–567
AbstractFR:
Les disparités entre les différents droits nationaux remettent en question la protection cambiaire traditionnellement reconnue au porteur d'un titre négociable lors de transactions internationales, d'où le besoin d'unifier les différentes lois relatives aux effets de commerce. La présente étude compare les législations de common law et de droit civil relatives aux effets de commerce avec les nouvelles règles proposées par la Convention des Nations Unies sur les lettres de change internationales et les billets à ordre internationaux. L'auteur tente de démontrer que le compromis réalisé par la nouvelle convention est acceptable pour les praticiens de chacun des systèmes et que celle-ci est conforme aux besoins reliés à la pratique du paiement et du financement international.
EN:
Disparities between differing national legal systems are calling into question the traditional exchange protection afforded to holders of negotiable securities in international transactions ; hence, the need for harmonizing these different legislations with regard to commercial papers. This study compares common law and civil law legislations pertaining to commercial papers in the light of new rules set forth in the United Nations Convention on International Bills of Exchange and Promissory Notes. The author attempts to demonstrate that the compromise proposed by the new convention is acceptable for practitioners in each system and that it answers the needs found in payment practices and international finances.
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Une province peut-elle subordonner l'approbation d'une modification constitutionnelle à la tenue d'un référendum ?
Sébastien Grammond
pp. 569–605
AbstractFR:
Une loi provinciale peut-elle validement prévoir, comme c'est le cas en Alberta et en Colombie-Britannique, que l'Assemblée législative n'autorisera pas de modification à la Constitution du Canada sans que la population de la province ne se soit préalablement prononcée sur le sujet ? On peut rechercher tout d'abord la réponse à cette question dans des arguments de nature technique. Ainsi, la validité de ces lois pourrait découler de la doctrine des « limites déforme », qui permet à une législature de prévoir les conditions procédurales de l'adoption des lois. Par contre, en prenant exemple sur la jurisprudence américaine, on peut également soutenir que ces lois sont contraires à la Constitution, puisqu'elles cherchent en réalité à changer la procédure de modification prévue par les articles 38 et suivants de la Loi constitutionnelle de 1982.
Au-delà de ces arguments techniques, ce sont sans doute les valeurs politiques sous-jacentes qui emporteront la décision dans un litige relatif à la validité des lois référendaires. Ainsi, leur validité est étayée par le principe de la souveraineté du peuple, qui fait de la population le détenteur ultime de la légitimité politique. Mais il n'en reste pas moins que la Constitution du Canada a été façonnée par les politiciens, non par le peuple directement, et que les tribunaux se sont toujours empressés de confirmer cette mainmise des élus sur le processus de modification constitutionnelle. Un juge pourrait donc se fonder sur ces traditions pour constater l'invalidité des lois référendaires.
EN:
Can a provincial statute validly provide — as is the case in Alberta and British Columbia — that the legislature shall not approve an amendment to the Constitution of Canada if the population of the province has not previously expressed its views on the subject ? The answer to this question may first be sought in arguments of a technical nature. On the one hand, the validity of these statutes may flow from the doctrine of « limits as to manner and form », which permits a legislature to determine the procedure by which future statutes shall be enacted. On the other hand, drawing upon American case law, it could also be argued that these statutes contravene the Constitution since they in fact seek to modify the amendment formula set forth in sections 38 et seq. of the Constitutional Act, 1982.
Beyond these technical arguments, underlying political values will undoubtedly be a significant factor in any judicial decision regarding the validity of referendum statutes. Hence, the validity of these statutes is bolstered by the principle of popular sovereignty, under which the people constitute the ultimate source of political legitimacy. However, the fact remains that the Constitution of Canada was established by politicians and not directly by the people. Furthermore, courts have always confirmed that the constitutional amendment process falls within the sphere of the power of elected officials. Hence, a court could very well fall back on these traditions to strike down these referendums statutes.
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Le concept d'intérêt dans les litiges juridictionnels à caractère individuel découlant des relations du travail
Jean-Luc Dufour
pp. 607–676
AbstractFR:
Le domaine des relations du travail est régi en partie par des lois d'une portée individuelle. Dans le but d'assurer la protection des salariés et le respect de ces lois, le législateur a instauré divers recours. Il peut s'agir de recours visant la récupération monétaire ou pour obtenir la réintégration et la compensation financière des salariés victimes d'une pratique illégale commise par l'employeur. La mise en application de ces régimes de protection permet de voir que plusieurs intérêts sont en cause : l'intérêt individuel du salarié, l'intérêt collectif des salariés réunis en association et l'intérêt de la société.
Or, malgré la présence de différents intérêts qui souvent se juxtaposent, le législateur n'a pas accordé à chaque détenteur de ces types d'intérêts, la qualité pour exercer le droit à réclamer la sanction de la loi, que ce soit devant les tribunaux de droit commun ou les tribunaux spécialisés du travail. Fréquemment, bien que les protagonistes aient un intérêt factuel à défendre, le législateur aura préalablement déterminé ceux qui seront aptes à faire reconnaître la violation de la loi et, ainsi, à défendre leur intérêt. C'est ce que l'on observe dans l'exercice d'un recours à portée individuelle touchant le salarié.
Dans la présente analyse, l'auteur déterminera les différents types d'intérêt factuellement visés dans un litige découlant d'une réclamation individuelle et mettra en évidence les motifs justifiant le législateur de favoriser un intérêt plutôt qu'un autre.
EN:
The field of labour relations is governed in part by individually oriented statutes. To ensure the protection of wage-earners and respect for these laws, the legislator has implemented various recourses. These may include recourses seeking monetary compensation or the obtaining of reinsertion and financial compensation for wage earners who have been the victims of an illegal practice by an employer. The application of these protective measures makes it possible to see that many interests are at stake: the individual interest of the wage-earner, the collective interest of wage-earners united into (an) association(s) and the interest of society at large.
Yet despite the presence of varied interests which often co-exist side by side, the legislator has not empowered each type of holder of these types of interest with the quality of exercising the right to invoke some legal sanction, whether this be before ordinary courts of law or before specialized labour tribunals. Frequently it occurs that while protagonists have some factual interest to defend, the legislator has previously determined those who are qualified to invoke the contravening of the law and thereby defend their interest. This may be observed in the exercising of an individual recourse affecting a wage-earner.
In this analysis, the author determines the various types of interest factually referred to in a dispute arising from an individual claim and focuses on the grounds justifying the legislator in favouring one interest over another.
Notes
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La taxation provinciale indirecte par voie de licences
Guy Tremblay
pp. 677–690
AbstractFR:
Le paragraphe 92 (9) de la Loi constitutionnelle de 1867 permet aux provinces de prélever par voie de licences des taxes indirectes. Toutefois, pour éviter de rendre inutile le paragraphe 92 (2), qui limite en principe les provinces à la taxation directe, la Cour suprême exige que les sommes perçues en vertu de 92 (9) ne servent qu'aux fins d'un régime de réglementation provincial. Cette exigence, même si elle fut appliquée jusqu'à maintenant avec souplesse, entraîne des difficultés de vérification et de preuve, ainsi qu'une certaine confusion sur le plan conceptuel. L'auteur suggère que l'esprit et la lettre de la Constitution seraient bien servis par une exigence complémentaire plus simple, à savoir que la taxe ne puisse être transmise que localement.
EN:
Subsection 92 (9) of the Constitution Act, 1867, enables the provinces to impose indirect taxation by way of licences. However, this power must be reconciled with subsection 92 (2), which confines the provinces to the field of direct taxation, as a matter of principle. So the Supreme Court requires that the money exacted under 92 (9) be used for the sole purposes of a provincial regulatory regime. So far, such a requirement has not been strictly applied. Nevertheless, it creates problems of evidence and difficulties in practice, as well as some confusion on the conceptual plane. The author suggests that the spirit and letter of the Constitution would accommodate an alternative and simpler conclusion. It would suffice to verify that the tax can only be transmitted locally.
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Des usages intempestifs de l'expression « droits collectifs »
Frédérick Charette
pp. 691–711
AbstractFR:
L'expression « droits collectifs » se retrouve de plus en plus fréquemment dans le discours politique contemporain. Pourtant, elle ne possède pas de définition juridique claire. Or, il appert que l'absence de définition découle tout simplement d'une contradiction interne : d'une perspective légale, seuls peuvent exister des droits individuels, même lorsque ceux-ci sont mis en œuvre par une entité morale. Le présent article propose à la fois une taxinomie des emplois de l'expression « droits collectifs » et une réfutation de l'utilité de ces emplois dans un cadre légal.
EN:
The expression « collective rights » is found time and again in contemporary political discourse. However, this same expression does not lend itself easily to a clear legal definition. This difficulty in defining such an expression flows from an internal contradiction .from a legal point of view, we can only speak of individual rights, even though those rights might be exercised by a moral entity. This paper offers both a taxinomy of « collective rights » and a refutation of the utility of any of these uses within a legal context.
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L'application des dispositions de la vente d'entreprise à la contrepartie en actions : une aventure périlleuse
Chronique bibliographique
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GUYLAINE COUTURE, L'admissibilité de la preuve obtenue en violation des droits et libertés fondamentaux en matière civile, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, 115 p., ISBN 2-89127-378-8.
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PATRICE VACHON, La vente d'entreprise, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur Martel ltée, 1997, 1 129 p., ISBN 2-920831-64-X.
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PIERRE-ANDRÉ CÔTÉ et JACQUES FRÉMONT, Le temps et le droit, Actes du 4e Congrès international de l'Association internationale de méthodologie juridique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, 355 p., ISBN 2-89451-121-3.