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La coexistence, dans un ordre juridique, de sanctions pénales prononcées par des juridictions et de sanctions administratives imposées par les organes du Pouvoir exécutif soulève de nombreuses questions. Certaines de ces questions découlent de l’idée que ces deux formes de sanction visant l’inobservation des règles du droit positif participent d’une réalité unitaire : l’action répressive de l’État pour assurer l’effectivité de l’ordre juridique. Se pose dès lors la question de l’applicabilité à l’une et l’autre forme de sanction de principes généraux tels que le fondement légal des sanctions, la non-rétroactivité des règles de sanction et le non-cumul des incriminations. D’autres questions, en revanche, surgissent dès que l’on s’avise de la diversité beaucoup plus grande des sanctions administratives, que ce soit quant à leur objet, quant à leurs modalités de mise en oeuvre ou quant à leurs finalités apparentes : cette diversité même pose la question de l’existence véritable d’une communauté de nature, non seulement entre sanctions administratives et sanctions pénales, mais au sein de la catégorie des sanctions administratives.

Toutes ces questions mettent en cause, en dernière analyse, la manière dont le droit garantit par la contrainte sa propre effectivité. À ce titre, elles ont un caractère radical, et mériteraient en tout état de cause que l’on s’y arrête. Dans l’état actuel du droit positif, il paraît urgent de le faire. En effet, le législateur, aussi bien fédéral que québécois, a de plus en plus tendance à juxtaposer des dispositifs de sanction administrative aux mécanismes classiques de la sanction pénale. Il habilite ainsi diverses autorités administratives à imposer elles-mêmes à un administré, dont elles constatent que le comportement n’est pas conforme à une loi dont elles assurent la mise en oeuvre, à titre de sanction de ce comportement, une mesure comportant une atteinte au patrimoine de l’administré ou la privation d’avantages que celui-ci retire ou retirerait éventuellement de cette loi.

Ainsi, à ne s’en tenir qu’au droit fédéral, on observe depuis le milieu des années 1990 une diffusion rapide des dispositifs de sanction administrative dans les secteurs de l’agroalimentaire[1], de la concurrence[2], des services financiers[3], des transports[4] et des télécommunications[5]. Ces nouveaux dispositifs sont venus se juxtaposer à ceux, beaucoup plus anciens, que comportent la législation fiscale[6] et douanière[7] et la législation sociale[8].

Dans tous ces secteurs, le législateur fait preuve d’inventivité, s’efforçant d’adapter l’objet des sanctions et leur mode d’imposition à la nature des rapports administratifs très divers dans le cadre desquels elles sont destinées à être appliquées. Le Parlement a d’ailleurs pour le moment les coudées assez franches en cette matière : au-delà de certaines contraintes très générales découlant des principes fondamentaux du droit public, il ne rencontre guère d’obstacles dans la jurisprudence[9] ou de préoccupations dans la doctrine[10].

Inévitablement, les juristes ont été enclins à soulever en premier lieu, à propos des sanctions administratives, la question de leur assimilation aux sanctions pénales. Cette question générale s’est exprimée à travers toute une série d’interrogations particulières. Le principe de légalité pénale est-il complètement transposable sur le cas des sanctions administratives, ou l’administration publique possède-t-elle une capacité répressive inhérente à sa mission d’exécution des lois ? Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est-il complètement transposable sur le cas de mesures de sanction prises par l’administration publique, ou faut-il admettre que celles-ci puissent se fonder sur des faits antérieurs à leur prise ? Les textes décrivant les comportements passibles de sanction administrative sont-ils tenus au même degré de précision que ceux décrivant les comportements qualifiés d’actes criminels ? Est-il indispensable d’assurer, par l’existence de recours, un contrôle du caractère proportionné d’une sanction administrative, comme le permet l’appel en matière pénale ? L’interdiction de la double incrimination exclut-elle toute superposition d’une sanction pénale et d’une sanction administrative ? La tripartition des infractions criminelles et pénales entre infractions comportant un élément intentionnel, infractions de responsabilité absolue et infractions de responsabilité stricte, avec les conséquences qui en découlent, est-elle complètement transposable sur le cas des contraventions passibles de sanction administrative ? La présomption d’innocence doit-elle bénéficier à l’administré à qui est reprochée une telle contravention ? Dans quelle mesure cet administré a-t-il le droit, garanti par le processus pénal, d’être entendu et de faire valoir sa défense avant l’imposition d’une sanction administrative ?

Toutes ces interrogations ont été formulées depuis longtemps à propos des sanctions disciplinaires pratiquées au sein d’« ordres juridiques internes » à caractère public (forces armées, fonction publique, prisons, établissements et services publics divers) ou privé (groupements professionnels, organisations économiques, fédérations sportives, etc.). Les réponses qui leur ont été données dans ce contexte ont tendu à reconnaître une nette spécificité de la sanction disciplinaire par rapport à la sanction pénale[11]. Cette spécificité s’enracine sans doute dans le fait que les dispositifs de sanction disciplinaire ont vocation à défendre, non pas l’ordre social global comme le font les sanctions pénales, mais toute une série d’« ordres particuliers » répondant en grande partie à des finalités spéciales plutôt qu’à une dimension de l’intérêt général.

Le cas des sanctions administratives est plus difficile à démarquer des sanctions pénales. Malgré leurs affinités à certains égards avec les sanctions disciplinaires, elles présentent d’emblée plusieurs points de contact avec les sanctions pénales. On constate notamment dans de nombreux cas que les comportements passibles de sanction administrative sont analogues, sinon identiques, à ceux que visent les dispositions pénales. La répression des uns et des autres s’inscrit dans la poursuite d’un objectif d’intérêt public. La mise en oeuvre des deux types de sanction met directement en présence l’appareil d’État et l’individu ressortissant à l’autorité de l’État à titre de justiciable, de redevable, d’administré. Certes, une distinction s’impose d’emblée à l’attention : ce ne sont pas les mêmes organes de l’État dont il s’agit. Que l’auteur de la décision porteuse de sanction soit un administrateur public plutôt qu’un juge laisse entrevoir, au-delà d’une différence de régime, une différence de nature.

C’est sur la nature propre des sanctions administratives que le présent texte voudrait hasarder quelques réflexions, à partir d’un exemple relativement peu connu, bien qu’il soit en partie ancien, et riche d’enseignements : celui des mesures de sanction que prévoit aujourd’hui la Loi sur l’assurance-emploi. Sur la base d’un retour sur l’évolution historique du dispositif de sanctions prévu par le régime canadien d’assurance-chômage (1), et surtout d’une mise en relief des difficultés d’interprétation et d’application qu’il soulève dans son état actuel (2), on tentera de mettre en lumière les différentes logiques auxquelles cet ensemble de règles vise apparemment à répondre (3). Ces observations nous semblent de nature à éclairer la compréhension de cette forme particulière d’action étatique et à expliquer l’intérêt qu’elle suscite chez les gouvernants à notre époque.

1 L’évolution du dispositif de sanctions

Pour apprécier l’effet, la portée et, en dernière analyse, la signification des sanctions administratives prévues par la Loi sur l’assurance-emploi, il convient de les replacer dans l’ensemble du dispositif de sanctions visant les travailleurs[12] en matière d’assurance-chômage. Ce dispositif englobe, on va le voir, outre des sanctions administratives, des sanctions pénales et une obligation de remboursement de l’indu, celle-ci n’ayant pas formellement par elle-même le caractère d’une sanction mais comportant un effet matériel de sanction lorsqu’elle est mise en oeuvre en même temps que les sanctions proprement dites. Cet ensemble de dispositions s’est constitué progressivement au fil d’une évolution législative dont la connaissance éclaire la compréhension du dispositif actuellement en vigueur.

En effet, la Loi sur l’assurance-emploi de 1996 est la dernière d’une série historique qui couvrira bientôt un siècle, puisqu’elle remonte à la National Insurance Act[13] britannique de 1911. Une filiation manifeste unit ces deux textes à bien des égards, notamment en ce qui nous intéresse ici, par l’intermédiaire des lois britanniques de 1920 et 1935 ainsi que des lois canadiennes de 1935, 1940, 1946, 1955 et 1971. Abordée sous l’angle du dispositif de sanctions, cette série historique séculaire se laisse découper en trois phases. La première conduit à la loi adoptée en 1940, à la suite de l’introduction à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du nord britannique[14] du paragraphe (2A) conférant compétence au Parlement fédéral en matière d’« assurance-chômage » (1.1). La deuxième est marquée par l’ajout au dispositif de sanctions, en 1955, d’une première forme de sanction administrative (1.2). La troisième correspond au régime actuel, caractérisé par une amplification considérable des sanctions administratives (1.3).

1.1 La loi de 1940 et ses origines britanniques

Il ne sera pas nécessaire d’exposer en détail l’influence exercée sur l’encadrement législatif de l’assurance-chômage au Canada par les premières lois sur l’assurance sociale adoptées en Grande-Bretagne au début du xxe siècle. Plusieurs auteurs s’en sont chargés[15], et les tribunaux ont tenu compte de cette influence dans certains arrêts[16]. Si, comme le montrent aussi ces arrêts, le régime canadien d’assurance-chômage a suivi depuis 1940 sa propre voie — notamment en intégrant des sanctions administratives sans équivalent, aujourd’hui encore, en droit britannique —, il porte toujours, jusque dans la formulation de certaines de ses dispositions, des marques de cette influence initiale. On peut le constater à propos du dispositif de sanctions, particulièrement celui qui s’applique aux travailleurs en cas de versement de prestations indues.

Ainsi, la National Insurance Act de 1911[17], texte fondateur de l’assurance-chômage et de l’assurance-maladie en Grande-Bretagne, comportait en cas de versement de prestations de chômage indues un dispositif de sanction à deux volets, l’un pénal, l’autre civil, regroupés au sein d’un même article[18]. La sanction pénale visait toute « fausse déclaration ou représentation » faite « sciemment » en vue d’obtenir le versement de prestations sans droit ; elle consistait en une peine d’emprisonnement pour une durée maximale de trois mois. Sur le plan civil, le bénéficiaire de prestations indues était tenu de les restituer au Fonds d’indemnisation ; ce dernier pouvait en poursuivre le recouvrement à titre de créance de la Couronne.

À l’occasion de la généralisation de l’assurance-chômage obligatoire, en 1920, ces dispositions ont été reprises avec quelques modifications dans un nouveau texte, l’Unemployment Insurance Act[19]. La disposition pénale prévoyait maintenant l’addition à la peine d’emprisonnement d’une peine de travaux forcés, à laquelle le tribunal pouvait substituer une amende. Par ailleurs, il était précisé que l’engagement d’une poursuite pénale n’avait aucun effet sur le recours civil en recouvrement de l’indu. Enfin, cette disposition pénale particulière visant les fausses déclarations faites sciemment se juxtaposait désormais à une disposition pénale générale visant l’ensemble des contraventions à la loi ; les poursuites en vertu de l’une et de l’autre étaient assujetties à un délai de prescription.

L’Unemployment Insurance Act de 1935[20] avait pour objet principal le découplage de l’assurance-chômage et de l’assistance-chômage qui s’était greffée sur elle à la suite de la crise économique[21]. Cette loi retouchait de nouveau le dispositif de sanctions dans chacun de ses deux volets. La disposition pénale était rétablie dans sa rédaction initiale de 1911[22]. Quant à l’obligation de restituer l’indu, elle était restreinte au cas où le versement découlait de l’omission ou de la présentation trompeuse d’un fait pertinent — faites avec ou sans intention de frauder —, de sorte que le versement imputable à une erreur administrative ne donnait plus naissance à l’obligation de restituer[23]. Dans le cas où l’indu était recouvrable, cependant, l’Administration disposait d’un nouveau moyen : la retenue sur les prestations payables[24].

La loi britannique de 1935 était en préparation lorsque, dans le cadre du New Deal proposé aux Canadiens par le premier ministre Bennett, le Parlement fédéral a adopté en 1935 la Loi sur le placement et les assurances sociales[25]. La rédaction de la Partie III de ce texte, consacrée à l’assurance-chômage, s’inspirait largement du projet britannique et de ses antécédents. Le dispositif de sanctions combinait donc la sanction pénale et le recouvrement de l’indu, dans les mêmes termes que la loi britannique de 1935, sauf sur un point : la Commission de placement et d’assurances sociales n’avait pas la possibilité de retenir les sommes dues sur les prestations payables[26].

La Loi sur le placement et les assurances sociales n’a pas été mise en vigueur, puisqu’elle a été déférée à la Cour suprême du Canada puis au Comité judiciaire du Conseil privé, qui l’ont tous deux jugée inconstitutionnelle[27]. Une fois cet obstacle levé par une modification de la Constitution[28], la Loi de 1940 sur l’assurance-chômage[29] a pu mettre en place cette pièce maîtresse de l’État-providence canadien, encore embryonnaire. Comme on pouvait s’y attendre, ce texte reprend sans changement significatif le dispositif de sanctions prévu à la Partie III du texte de 1935, lui-même presque parfaitement calqué sur son contemporain britannique[30].

Ce premier régime canadien d’assurance-chômage a fait l’objet d’une mise au point législative dès 1946[31], notamment en ce qui concerne le dispositif de sanctions. La disposition pénale de l’article 67 a été précisée sur deux points. D’une part, pour clarifier le contexte des déclarations visées par la répression de la fraude : il devait s’agir de déclarations faites à la Commission ou à une personne chargée d’appliquer le régime d’assurance-chômage. D’autre part, pour exclure la possibilité pour le juge pénal de substituer une amende à la peine de travaux forcés. Par ailleurs, le Parlement a en quelque sorte intégré les deux volets, civil et pénal, du dispositif de sanctions, en prévoyant que la condamnation de l’auteur d’une fausse déclaration comportait, à titre de peine supplémentaire, la condamnation à payer une somme égale au montant de l’indu, si celui-ci n’avait pas déjà été restitué. Quant à l’obligation de restituer l’indu, le législateur canadien lui a redonné la portée qu’elle avait eue en Grande-Bretagne jusqu’en 1935 : toute situation de versement excédentaire lui donnait naissance, et non pas seulement une dissimulation ou fausse représentation imputable au prestataire. Détail peut-être révélateur : la version française du nouveau texte de l’article 72 utilise, pour décrire l’obligation du prestataire, non plus l’expression « est tenu de », mais « est passible de » — lapsus législatif par lequel se dévoile l’effet matériellement répressif de cette obligation civile.

Lors de l’examen des textes de 1935 et de 1940 par le Parlement fédéral, le dispositif de sanctions n’avait suscité que peu d’interventions à la Chambre des communes[32]. Les modifications de 1946, en revanche, tenaient vraisemblablement compte de l’expérience acquise depuis l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux prestations, le 1er janvier 1942. En exposant à la Chambre des communes les principes directeurs du projet de loi modificative de 1946, le ministre du Travail faisait notamment valoir la nécessité de tenir compte de « ce qu’on pourrait appeler le risque moral[33] » et soulignait que la nouvelle rédaction de l’article 67 avait notamment pour but d’éviter que l’auteur de fausses déclarations conserve, en définitive, les prestations qui lui auraient été indûment versées.

Au terme de cette première phase de l’évolution du dispositif de sanctions se dessine donc une tendance, de la part du Parlement canadien, à renforcer et à élargir l’application des sanctions applicables aux travailleurs. Dans la phase suivante, l’apparition de sanctions administratives à leur endroit va témoigner de la poursuite de cette tendance.

1.2 La loi de 1955 et l’apparition des sanctions administratives

Le remplacement en 1955 du texte de 1940, qui avait dans l’intervalle été modifié presque chaque année, par une nouvelle Loi sur l’assurance-chômage[34] a été l’occasion d’apporter au régime toute une série de modifications tendant généralement à élargir son champ d’application, à réviser les taux de cotisation et les taux de remplacement des gains en fonction de l’évolution générale des salaires et à prolonger la durée des prestations[35]. Dans cet ensemble de modifications, les changements apportés au dispositif de sanctions sont passés largement inaperçus. L’un d’eux était pourtant très significatif : pour la première fois, on présentait « [c]omme alternative aux poursuites » l’application de « peines intrinsèques », sous la forme d’une exclusion du bénéfice des prestations imposée par un fonctionnaire de la Commission d’assurance-chômage « aux réclamants qui font de fausses déclarations »[36].

Le caractère « intrinsèque » de cette « peine » tient évidemment au fait qu’elle est appliquée par l’autorité administrative elle-même, dans le cours même de la procédure de traitement d’une demande de prestations. Le nouvel article relatif aux cas de « fausse déclaration ou […] fausse représentation » figure dans un groupe de dispositions précédées de l’intertitre « Exclusions »[37]. Sous cette rubrique sont également rangés toute une série d’autres motifs entraînant la perte, totale ou partielle, du droit aux prestations. La fausse déclaration ou représentation se distingue cependant des autres motifs d’exclusion sur deux points[38]. D’une part, alors que dans tous les autres cas l’exclusion est exprimée en termes de durée (un certain nombre de semaines, ou jusqu’à la survenance d’un certain événement), dans le cas des fausses déclarations elle est exprimée en termes de valeur de prestations (un certain montant). D’autre part, alors que dans tous les autres cas l’exclusion repose sur la constatation de faits objectifs, le pouvoir discrétionnaire du fonctionnaire quant à certains de ces cas ne portant que sur la durée de l’exclusion, l’exclusion pour fausse déclaration est essentiellement discrétionnaire.

En effet, aux termes de l’article 65, le fonctionnaire n’acquiert la faculté d’exclure l’assuré que s’il prend connaissance de faits qui, « d’après lui », démontrent une intention d’obtenir une prestation au moyen d’une fausse déclaration. Cette faculté d’exclure comporte par ailleurs le pouvoir de décider du moment où elle prendra effet et de la valeur de prestations dont sera privé l’assuré, sous réserve d’un maximum fixé à six fois le taux de prestation hebdomadaire de l’assuré. Bien que l’article 65 ne fixe aucun délai à l’intérieur duquel doive intervenir l’exclusion, celle-ci ne peut avoir d’effet pratique que tant que l’assuré reçoit des prestations. La décision du fonctionnaire portant exclusion d’un assuré est susceptible de recours au conseil arbitral et de là, dans certaines hypothèses, à l’arbitre[39].

L’exclusion pour fausse déclaration apparaît donc bien comme un incident de la procédure de traitement d’une demande de prestations. Comme les exclusions fondées sur les autres motifs, elle illustre le principe implicite en vertu duquel l’assurance-chômage protège l’assuré contre les conséquences économiques du chômage involontaire. La fausse déclaration, au même titre que l’abandon d’un emploi « sans juste cause[40] » ou la participation directe ou indirecte à un différend de travail lorsqu’on n’y est pas directement intéressé, sont analysées comme des cas d’aggravation du risque par le fait volontaire de l’assuré. La pénalisation financière de l’assuré est ainsi rationalisée en termes d’assurance. Ce choix de considérer la fausse déclaration d’un assuré en termes strictement assurantiels est d’autant plus manifeste que la loi de 1955, seule dans toute la série historique des lois britanniques et canadiennes sur l’assurance-chômage, ne prévoit aucune sanction pénale contre l’assuré auteur d’une fausse déclaration.

Il y a lieu de remarquer que l’utilisation d’une sanction administrative est également envisagée pour la première fois, dans la loi de 1955, à l’endroit des employeurs : la Commission est habilitée à prévoir par règlement des peines pécuniaires en cas, notamment, de non-versement des contributions[41]. Dans ce cas également, la sanction est présentée aux parlementaires comme une « peine intrinsèque » mise en oeuvre dans le cours de la relation cotisant/assureur[42].

Pour le reste, la loi de 1955 reconduit le dispositif antérieur. L’obligation de restituer l’indu est cependant reformulée. Elle perd sa coloration pénale avec le retour à l’expression « est tenue de[43] » et sa rigueur est atténuée dans deux hypothèses où le versement indu est vraisemblablement attribuable à une erreur administrative.

Entrées dans les moeurs, les sanctions administratives à l’endroit des travailleurs ont été maintenues par la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage[44]. La disposition habilitante a cependant été reformulée de manière à accentuer la spécificité et l’autonomie de ce type de sanction par rapport aux autres et, conformément à l’esprit général de cette ample réforme de 1971, à en limiter le champ d’application et en à tempérer quelque peu la rigueur. Le nouvel article 47 présente en effet, par rapport à son devancier dans la loi de 1955, cinq différences significatives.

La première découle de la réaffectation générale des pouvoirs décisionnels opérée par la loi de 1971 : le pouvoir d’imposer la sanction administrative n’est plus attribué au « fonctionnaire de l’assurance », mais bien à la « Commission ». Le Parlement abandonne ainsi une conception héritée de la législation britannique originaire, qui faisait du fonctionnaire de l’assurance un décideur doté d’une certaine autonomie de jugement, clairement investi à certains égards d’une compétence « quasi judiciaire » et intégré à une hiérarchie d’instances décisionnelles dont le conseil arbitral et l’arbitre formaient les paliers supérieurs[45]. Désormais, la Commission d’assurance-chômage se présente comme un appareil administratif du type classique, dont l’organe dirigeant est le titulaire formel de tous les pouvoirs nécessaires à sa mission, pouvoirs qu’il est habilité à déléguer à son personnel subalterne, pleinement soumis à son autorité hiérarchique.

La deuxième innovation concerne la description du comportement passible de sanction administrative. Elle réside dans le remplacement de l’expression « en vue d’obtenir une prestation sous le régime de la présente loi » par le mot « sciemment » pour qualifier l’expression « fait une fausse déclaration ou une déclaration trompeuse ». La contravention est donc constituée dès que la déclaration est faite avec la connaissance de son caractère faux ou trompeur, même sans intention de contourner la loi. Le champ d’application de la sanction s’en trouve élargi d’autant. Il devient moins difficile pour la Commission de réunir les « faits qui, à son avis, démontrent » qu’il y a eu contravention, puisqu’elle n’a plus à établir la présence d’une volonté d’obtenir des prestations de manière illicite.

La troisième modification fait en sorte que la sanction administrative n’est plus cette « peine intrinsèque » dont on pouvait parler à propos de l’exclusion du bénéfice des prestations dans la loi de 1955. Elle n’apparaît plus comme un mécanisme assurantiel, intégré au contrôle pour ainsi dire routinier du caractère involontaire de la situation de chômage : le prestataire n’est plus « déclar[é] […] exclu […] des prestations », il se voit « infliger […] une pénalité ». Les termes choisis par le législateur expriment cette fois clairement la visée punitive propre à la sanction administrative, dont l’« infliction » se détache du processus décisionnel ordinaire pour assumer cette fonction répressive spécifique. Ce détachement pose la question du délai dans lequel la sanction administrative peut être imposée : il est fixé à 36 mois de la date des faits incriminés. Il pose aussi celle du patrimoine sur lequel pourra être recouvrée la pénalité : renouant avec la loi britannique de 1935, l’article 49 prévoit que les pénalités, tout comme les prestations indûment versées, seront recouvrables par déduction sur les prestations éventuellement payables ; un second délai de prescription intervient alors, fixé dans le cas des pénalités à 72 mois de « la date à laquelle l’obligation est née[46] ».

La quatrième modification équilibre, en quelque sorte, la mise en évidence et l’autonomisation de la sanction administrative par une diminution de sa valeur relative : le montant maximal est abaissé de six à trois fois le taux hebdomadaire des prestations payables au prestataire fautif. Le législateur de 1971 cherchait sans doute par là un effet de symétrie, puisque, dans les autres cas d’exclusion à durée déterminée visés par la loi de 1955, la durée maximale d’exclusion était réduite en 1971 de six à trois semaines[47].

Enfin, la cinquième modification confirme l’autonomie et le caractère répressif de la pénalité, puisqu’elle consiste en l’introduction d’une règle de non-cumul entre elle et la sanction pénale. La disposition habilitant la Commission à « infliger […] une pénalité » est aussitôt suivie d’une autre lui interdisant de le faire si une poursuite pénale a déjà été intentée sur le fondement des mêmes faits. Car une disposition pénale spécifique, à l’article 121, vise exactement le même comportement que l’article 47 ; symétriquement, elle interdit d’intenter une poursuite si les mêmes faits ont déjà été sanctionnés par une pénalité.

Les autres aspects du dispositif de sanctions (qualification des prestations recouvrables et des pénalités comme créances de la Couronne, sanctions administratives à l’endroit des employeurs en matière de cotisations) demeurent inchangés[48]. Au total, bien que la loi de 1971 ait mis beaucoup plus en évidence la fonction répressive de la sanction administrative visant les travailleurs, elle a pu être présentée sur ce point comme une simple reconduction du dispositif antérieur[49]. Aussi les parlementaires, occupés à maîtriser la complexité exceptionnelle du projet de loi, n’ont-ils pas accordé beaucoup d’attention à l’article 47. Ce texte a d’ailleurs mené une existence relativement discrète pendant le quart de siècle qui a suivi. Si, comme on le verra, il a donné lieu à une riche jurisprudence, le Parlement l’a laissé à l’écart des vifs débats politiques auxquels ont donné lieu, à compter du milieu des années 1970, toutes les propositions de modification de la loi de 1971.

L’accélération et l’amplification des changements, au cours des années 1990, a cependant fini par englober la question des sanctions administratives. Le passage de l’assurance-chômage à l’assurance-emploi, en 1996, signale quant à cet aspect du régime un seuil quantitatif et surtout un basculement qualitatif.

1.3 La loi de 1996 et l’amplification des sanctions administratives

Le projet de Loi sur l’assurance-emploi[50] a été présenté au Parlement dans un esprit général d’« activation » du régime d’assurance-chômage, c’est-à-dire de passage d’un régime ayant pour objet principal d’assurer « passivement », au moyen de prestations en espèces, la sécurité économique des salariés privés d’emploi à un régime visant avant tout à favoriser « activement » le redéploiement et la réinsertion en emploi de ces travailleurs, au moyen notamment de mesures de (re)qualification professionnelle mais aussi d’« incitatifs » reposant au moins en partie sur la dissuasion[51]. Outre le resserrement général des exigences conditionnant l’accès aux prestations, les mesures qualifiées de dissuasives ont conduit les commentateurs à évoquer une « pénalisation du chômage[52] ». Les sanctions administratives se présentent comme un élément central de cette dissuasion.

Le dispositif de sanctions mis en place en 1996, et qui pour l’essentiel n’a pas été modifié depuis lors, reconduit sans changement notable le volet civil (obligation de restituer les prestations indues) du dispositif antérieur[53]. Le volet pénal n’est que légèrement modifié. En revanche, le volet administratif est considérablement amplifié et complexifié quant à son domaine d’application, à ses moyens et à ses effets. Il constitue aujourd’hui l’une des parties les plus complexes du régime, comme le montre bien la jurisprudence. Alors que depuis les origines britanniques de l’assurance-chômage, les législateurs successifs étaient parvenus à traiter la matière des sanctions administratives en usant d’un vocabulaire assez simple, cette fois le Parlement a succombé au vertige de la technicité, qui caractérise la législation de l’assurance-chômage, particulièrement depuis 1971.

Le schéma qui accompagne le présent texte[54] s’efforce de faciliter la compréhension du dispositif de sanctions administratives de la Loi sur l’assurance-emploi. Il s’inspire de celui qui a été proposé par la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Létourneau, dans un arrêt de 2006[55]. Pour simplifier l’analyse, il laisse de côté les sanctions administratives applicables aux employeurs, de même que celles qui sont applicables aux bénéficiaires des nouvelles « prestations d’emploi » prévues par la Partie II de la loi ; elles seront brièvement évoquées plus loin.

Le point de départ de ce dispositif est la notion d’« acte délictueux ». Celle-ci est en quelque sorte définie par énumération à l’article 38, successeur direct de l’article 47 de la loi de 1971[56]. Le nouveau texte recense huit catégories d’acte délictueux, dont la première (« à l’occasion d’une demande de prestations, faire sciemment une déclaration fausse ou trompeuse ») correspond au comportement passible de sanction en vertu de l’ancien texte. Par rapport à cet ancien texte, le domaine d’application des sanctions administratives applicables aux travailleurs est donc très sensiblement élargi. On peut observer que la plupart des catégories d’actes délictueux énumérées à l’article 38 reprennent des catégories de comportements passibles de sanction pénale dans la loi de 1971[57]. Dans la loi de 1996, la liste des comportements visés par les sanctions administratives et pénales, aux articles 38 (1) et 135 (1) respectivement, est devenue exactement identique. Elle comprend désormais, outre les déclarations fausses ou trompeuses faites à l’occasion d’une demande de prestations, catégorie dont nous avons retracé les avatars depuis la National Insurance Act britannique de 1911, toute une série de comportements voisins, notamment les fausses déclarations faites par une autre personne que le demandeur de prestations, les déclarations fausses par dissimulation, l’encaissement d’un chèque de prestations indues ou l’importation et l’exportation de documents délivrés par la Commission[58].

La parenté avec la disposition pénale est encore renforcée par la rédaction de l’article 38, du moins dans sa version française : non seulement il est toujours question d’« infliger une pénalité », mais celle-ci vise maintenant quiconque a « perpétré » l’« acte délictueux »[59]. Ce vocabulaire à forte connotation péjorative met en relief la visée punitive de la pénalité.

Le texte de 1996 relève par ailleurs, dans certaines hypothèses, le montant maximal de la pénalité que la Commission peut infliger pour chaque acte délictueux ; en effet, si la Commission décèle à temps la fausseté de déclarations visant à obtenir l’établissement d’une période de prestations (opération préalable à la vérification des conditions d’admissibilité effective aux prestations), le maximum n’est plus le triple des prestations qui auraient été payables, mais bien le triple du taux maximal de prestations en vigueur au moment de ces déclarations (ce qui, en 2009, correspondrait à une pénalité maximale de 1 341 dollars).

Comme dans la loi de 1971, la Commission se voit attribuer le pouvoir discrétionnaire de choisir, en présence d’un acte délictueux, entre la sanction administrative et la sanction pénale, les deux types de sanction s’excluant mutuellement[60]. Bien entendu, ce pouvoir discrétionnaire admet aussi la possibilité de n’opter pour aucune des deux sanctions.

Dans l’hypothèse d’une poursuite pénale contre le travailleur, la Commission dispose ensuite d’un choix entre deux bases d’incrimination. Soit elle fonde la poursuite sur l’article 135 (1) de la Loi sur l’assurance-emploi, soit elle recourt aux dispositions pertinentes du Code criminel[61]. Sur ce point, la loi de 1996 change peu de choses, sinon qu’elle allonge quelque peu, comme on vient de le voir, la liste des comportements visés par l’article 135 (1).

Dans l’hypothèse d’une sanction administrative, cependant, la loi de 1996 élargit le champ des pouvoirs discrétionnaires attribués à la Commission. En effet, celle-ci peut maintenant choisir entre une sanction pécuniaire — la pénalité, déjà prévue par la loi de 1971 — et une sanction non pécuniaire, celle-ci prenant la forme d’un « avertissement » donné « en guise de pénalité » (« issue a warning instead of setting the amount of a penalty »)[62]. Si l’on observe que la Commission conserve, quant à la sanction pécuniaire, le pouvoir d’en déterminer le montant sous réserve du maximum fixé par la loi[63], on doit conclure que l’auteur d’un comportement englobé dans la notion d’« acte délictueux » peut, selon l’appréciation de ce comportement par la Commission, être traité de l’une ou l’autre des façons suivantes :

  1. ne faire l’objet d’aucune sanction ;

  2. se voir donner un avertissement (art. 41.1) ;

  3. se voir infliger une pénalité (art. 38 (1)), dont la valeur, établie par la Commission, sera comprise entre un minimum non précisé et un maximum fixé par la loi (1 341 dollars en 2009), pour chacun des faits dont la Commission considérera qu’il constitue par lui-même un acte délictueux (art. 38 (2)) ;

  4. être poursuivi sur la base de la Loi sur l’assurance-emploi (art. 135 (1)), ce qui l’expose pour chaque infraction à une amende éventuellement assortie d’une peine d’emprisonnement non supérieure à six mois (art. 135 (3)) ; l’amende se compose de deux éléments, le premier étant compris entre 200 et 5 000 dollars, le second pouvant atteindre le double des prestations que l’infraction permettait d’obtenir ;

  5. si les faits s’y prêtent, être poursuivi sur la base du Code criminel.

Ce sommaire fait abstraction, en toute hypothèse, de l’effet cumulatif de sanction que comporte l’obligation de restituer les prestations reçues sans droit en plus du fait de devoir acquitter la pénalité ou l’amende. Tel quel, il suffit à faire voir que la loi de 1996, plus clairement encore que la loi de 1971, met à la disposition de la Commission, en présence d’un ensemble de comportements maintenant visés de manière plus précise, une gamme élargie de sanctions administratives et pénales. À cet égard, la Loi sur l’assurance-emploi reproduit en matière d’assurance sociale le genre de dispositif observable dans d’autres secteurs de la législation et permettant une gradation dans l’emploi des sanctions administratives avant de recourir à la sanction pénale.

Mais le Parlement ne s’est pas arrêté là. Invité par le gouvernement à réagir à une incidence jugée intolérable de fausses déclarations — on a fait grand état à l’époque d’une estimation l’établissant à 4 p. 100 des demandes[64] —, il a superposé à cet ensemble de sanctions administratives et pénales un dispositif complémentaire de sanctions administratives, particulièrement complexe. Puisqu’il s’ajoute aux sanctions décrites jusqu’ici, il semble justifié de le considérer comme une « sursanction » — ce néologisme paraît tout à fait approprié — de l’« acte délictueux ».

Ce dispositif de sursanction, prévu par l’article 7.1, repose sur la notion de « violation ». Ce terme, fréquemment employé dans les lois fédérales prévoyant des sanctions administratives, reçoit dans chacune d’elles une signification particulière à ce contexte. En l’occurrence, ont vocation à constituer une violation tous les comportements susceptibles des sanctions pénales et administratives décrites jusqu’ici (poursuite, pénalité, avertissement)[65]. Au premier rang de ces comportements figurent bien sûr les fausses déclarations à l’occasion d’une demande de prestations. Cette possibilité qu’un comportement accède, pour ainsi dire, au statut de violation se concrétise par le fait que le travailleur « se voit donner un avis de violation » ; ce n’est, aux termes de l’article 7.1 (4), qu’à cette condition qu’« il y a violation ». La version anglaise de cette disposition, on le verra plus loin, ne fait qu’accentuer l’incertitude que comporte le texte français sur le caractère obligatoire ou facultatif de la délivrance de cet « avis de violation ». On laissera pour l’instant cette question en suspens. Il importe d’exposer d’abord la nature de la sursanction qui s’attache à la « violation ».

Il ressort de l’article 7.1 (5) que le Parlement a distingué deux sortes de violations. Les actes délictueux ayant entraîné une sanction pénale ou une sanction administrative pécuniaire (la pénalité de l’article 38) feront l’objet d’une violation « mineure », « grave », « très grave » ou « subséquente », selon le cas. Ces quatre catégories de violations forment ensemble les « violations qualifiées ». Les actes délictueux ayant entraîné une sanction administrative non pécuniaire (l’avertissement de l’article 41.1) feront l’objet d’une « violation non qualifiée ».

La « qualification » d’une violation dite « qualifiée » repose, dans le cas des trois premières catégories, sur la valeur des prestations versées indûment en raison de l’acte délictueux ; les seuils de « gravité » séparant les violations « mineures », « graves » et « très graves » sont ainsi fixés par la loi à 1 000 et à 5 000 dollars. La « qualification » d’une violation comme « subséquente » repose sur le fait que l’avis de violation qui la concerne intervient dans les 260 semaines suivant une autre violation ; cette qualification est donc indépendante de la valeur des prestations obtenues sans droit et cible plutôt la récidive.

L’intérêt de la distinction entre violations « qualifiées » et « non qualifiées » apparaît à l’examen de la sursanction proprement dite. Celle-ci a été conçue comme une sanction administrative à effet différé. Elle consiste en une majoration de la durée d’emploi assurable dont devra faire état le travailleur pour que soit recevable une demande de prestations ultérieure. L’une des « conditions requises pour recevoir des prestations », visées à l’article 7, est d’avoir exercé un emploi assurable pendant un certain nombre de semaines au cours de l’année précédant la demande de prestations. Ce nombre de semaines (appelé familièrement « norme d’admissibilité ») varie en fonction de la région de résidence du travailleur[66]. Le dispositif de sursanction introduit en 1996 majore cette « norme d’admissibilité » en fonction de la survenance d’une violation (constatée par un « avis de violation ») au cours des cinq années précédant la demande de prestations. On peut mesurer l’ampleur de cette majoration en comparant les tableaux des articles 7 (2) et 7.1 (5). Le second de ces tableaux fait voir que la majoration est modulée selon la « qualification » de la violation, la « violation subséquente » étant la plus lourdement sanctionnée.

Quant à la violation « non qualifiée », elle n’entraîne par elle-même aucun effet de sursanction. Cet effet n’apparaîtra que si elle est suivie d’une violation « qualifiée » dans les 260 semaines ; celle-ci sera dès lors une « violation subséquente » et entraînera une majoration de la « norme d’admissibilité » applicable à une éventuelle demande de prestations.

L’effet net est donc d’imposer une sursanction à l’auteur d’une violation, sous la forme de conditions plus exigeantes s’il demande à recevoir des prestations au cours des cinq années suivantes. Cet effet différé de la sanction d’un acte délictueux pourra être opposé au travailleur lors des deux premières demandes initiales de prestations présentées au cours de ces cinq ans[67].

Cet imposant dispositif de sanctions administratives « à double détente » comporte encore quelques raffinements, qu’il suffira d’évoquer brièvement pour donner une idée complète des préoccupations répressives du législateur de 1996. Ainsi, il a pris soin de prévoir un taux particulier de majoration de la durée d’emploi assurable pour la catégorie des « personne[s] qui devien[nent] ou redevien[nent] membre[s] de la population active[68] » (familièrement appelées « nouveaux actifs » ou « DEREMPA »), catégorie soumise en tout état de cause à des exigences de durée d’emploi plus élevées. Il a aussi prévu une sanction particulière pour les prestataires ayant sciemment omis de déclarer une rémunération reçue alors qu’ils touchaient des prestations[69].

Le législateur de 1996 s’est montré presque aussi enclin à recourir aux sanctions administratives à l’égard de deux autres catégories de personnes : d’une part, les employeurs ; d’autre part, les travailleurs bénéficiaires des nouvelles prestations prévues à la Partie II de la loi.

Les employeurs demeurent, comme avant 1996, passibles de sanction administrative imposée par l’administration fiscale lorsqu’ils sont en défaut de remettre à celle-ci leurs cotisations d’assurance-emploi et celles qu’ils ont retenues à la source sur la rémunération de leurs salariés[70]. Les déclarations fausses ou trompeuses d’un employeur, faites sciemment « à l’occasion de toute question visée par la […] loi[71] », les exposaient par ailleurs depuis 1990 à une pénalité imposée par la Commission. Le régime de ces pénalités est considérablement développé par la loi de 1996[72]. Il vise maintenant un ensemble un peu plus large de comportements, englobés comme dans le cas des travailleurs par une notion d’« actes délictueux ». Le montant de la pénalité est plafonné par des règles particulières ; si les fausses déclarations concernent notamment la durée d’emploi assurable d’un travailleur, le maximum sera normalement de 12 000 $. Dans certains cas, la pénalité peut être reportée sur les administrateurs d’une personne morale[73]. Pour le reste, le régime des sanctions administratives est le même que dans le cas des travailleurs, sauf évidemment en ce qui concerne la majoration de la norme d’admissibilité[74].

Quant aux travailleurs bénéficiant de prestations d’emploi ou de mesures de soutien en vertu de la Partie II de la loi, ils font l’objet d’un régime de sanctions administratives particulier, qui emprunte certains des éléments du régime applicable aux travailleurs dans le cadre de la Partie I. Ces personnes sont susceptibles de « perpétr[er] » certains « actes délictueux », notamment par de fausses déclarations faites sciemment à l’occasion d’une demande de soutien[75]. Elles s’exposent alors à une pénalité, dont le montant maximal correspond au soutien financier qu’elles reçoivent. Les autres formes de sanction administrative prévues à la Partie I (l’avertissement et la majoration de la norme d’admissibilité) ne leur sont pas applicables. En revanche, ces personnes sont visées par les autres règles relatives aux pénalités, de même que par l’obligation de restituer l’indu[76].

Figure

*

Pouvoir discrétionnaire de la Commission de l’assurance-emploi du Canada.

-> See the list of figures

La loi de 1996 donne donc aux sanctions administratives un développement et une portée temporelle sans commune mesure avec ceux que leur accordaient les textes antérieurs. Derrière la complexité et l’hermétisme du dispositif se laisse tout de même discerner une volonté systématiquement répressive, que certains choix terminologiques rendent d’ailleurs par moments très sensible. Dans l’application de ces sanctions aux travailleurs, il incombait à la Commission et aux juridictions administratives et judiciaires de dégager le sens de ce nouveau et complexe dispositif, en prenant appui sur les notions acquises dans le cadre des régimes antérieurs. La seconde partie du présent texte examine comment et dans quelle mesure elles y sont parvenues.

2 L’application du dispositif de sanctions

Le schéma ci-contre fait ressortir la structure interne du dispositif de sanctions actuellement applicables aux travailleurs. En le parcourant de gauche à droite, on y trouve aussi la succession des étapes que comporte le processus d’application de ces sanctions. On y distingue alors cinq points sur lesquels la Commission de l’assurance-emploi, au cours de ce processus, est appelée à exercer un choix discrétionnaire.

Un sixième point, situé en amont de tous les autres, n’apparaît pas sur le schéma. En présence d’un comportement qui lui paraît correspondre à la notion d’acte délictueux décrite à l’article 38 (1), et donc aussi à la notion d’infraction visée à l’article 135 (1) puisque les deux notions sont coextensives, la Commission est d’abord appelée à décider si elle sanctionne ce comportement ou non. Le schéma présume que la décision sur ce point a été positive. L’hypothèse de non-sanction est néanmoins concevable. Toutefois, puisque la détection des faits constitutifs d’une violation/infraction implique des coûts pour la Commission, on peut estimer que celle-ci sera encline à recourir à tout le moins à l’avertissement, ne serait-ce que pour préserver la possibilité de récupérer éventuellement une partie de ses frais sous la forme d’une pénalité.

Si l’on présume donc que la Commission choisit, dans le délai prévu aux articles 40 et 41.1 (2), de sanctionner les faits dont elle a pris connaissance, elle devra effectuer un premier choix discrétionnaire entre une sanction pénale et une sanction administrative[77].

Si la Commission opte pour la sanction pénale, ses conseillers juridiques devront, compte tenu des faits, de la preuve dont elle dispose et de la politique pénale du ministre de la Justice, choisir de fonder la poursuite sur la Loi sur l’assurance-emploi ou sur le Code criminel. L’exercice de ce choix discrétionnaire ne nous retiendra pas ici, puisque notre attention se porte essentiellement sur les sanctions administratives.

Si la Commission opte pour une sanction administrative, elle doit pour la seconde fois dans le processus choisir de façon discrétionnaire, cette fois entre donner un avertissement ou infliger une pénalité.

Si la Commission opte pour l’imposition d’une pénalité, elle sera appelée à fixer, par un troisième choix discrétionnaire, le montant de cette pénalité, son pouvoir à cet égard n’étant explicitement limité que par le maximum prévu par la loi.

Quelle que soit la sanction administrative qu’elle choisit, de même que si la poursuite pénale débouche sur la condamnation du travailleur, la Commission sera appelée à donner à celui-ci un avis de violation, dont la teneur conditionne les effets de sursanction prévus à l’article 7.1. Nous considérerons pour le moment l’envoi de ce document comme faisant l’objet d’un quatrième choix discrétionnaire ; comme on le verra, cependant, il n’y a pas d’unanimité quant au caractère lié ou discrétionnaire de cette opération.

L’application du dispositif de sanctions passe par l’exercice successif de ces différents pouvoirs discrétionnaires par la Commission. Cet exercice est évidemment encadré par la jurisprudence, de même que par les directives, guides et politiques établis par la Commission à l’adresse de son personnel[78]. L’analyse de cet encadrement externe et interne montre comment sont comprises et appliquées les sanctions administratives de l’assurance-emploi. Pour présenter cette analyse, les opérations que la Commission est appelée à effectuer lorsqu’elle impose une sanction et une sursanction administratives à un travailleur peuvent être regroupées selon leur objet : l’imposition d’une sanction administrative (2.1), la modulation de la pénalité (2.2) et la majoration de la norme d’admissibilité (2.3). Dans chaque cas, il y a lieu de cerner l’étendue du pouvoir conféré à la Commission, d’analyser les éléments doit tenir compte son action et d’examiner les possibilités pour le travailleur de contester ces mesures de sanction.

2.1 L’imposition d’une sanction administrative

Le pouvoir d’imposer une sanction administrative à un travailleur implique d’abord la possibilité que la Commission juge opportun de n’imposer aucune sanction, même en présence de faits constitutifs d’un acte délictueux. Tout comme le procureur général en matière pénale, la Commission est investie d’un pouvoir discrétionnaire sur ce point[79]. Compte tenu des répercussions à long terme de l’imposition d’une sanction administrative, même la plus légère, la possibilité de non-sanction ne devrait pas rester une hypothèse d’école. Des circonstances très fortement atténuantes, un repentir rapide de l’auteur de la déclaration incriminée, le caractère non concluant des indices d’acte délictueux, ou encore l’absence de préjudice financier pour le régime sembleraient justifier que la Commission s’abstienne de toute sanction[80]. Cette abstention est expressément envisagée dans le cadre de la politique de divulgation volontaire dont s’est dotée la Commission[81]. Cette politique s’applique lorsque l’auteur d’une déclaration fausse ou trompeuse de nature à donner lieu à une sanction en fait un aveu spontané à la Commission, pour autant qu’au moment de cette auto-dénonciation il ne fasse pas l’objet d’une enquête et ne se prépare pas à demander des prestations[82].

Le pouvoir discrétionnaire de la Commission s’exerce ensuite sur le choix entre sanction pénale et sanction administrative[83]. La politique de la Commission est de réserver la sanction pénale aux cas les plus graves, notamment aux récidives multiples[84]. Cette approche fondée sur la hiérarchie formelle des sanctions, qui associe la sanction pénale aux comportements les plus graves, objets de la réprobation sociale la plus forte, et aux sanctions les plus lourdes, n’apparaît pas nécessairement adaptée à l’évolution des sanctions de l’assurance-emploi depuis la loi de 1996. Compte tenu de l’effet différé que comporte la sursanction, il ne va plus de soi que la sanction pénale entraîne la peine financière la plus lourde. L’écart entre les deux types de sanction tient davantage à la publicité du processus pénal, à laquelle peut être opposée la faible visibilité de la sanction administrative.

L’écart entre les deux formes de sanction paraissait plus évident avant 1996, et a sans doute incité certains accusés à y voir une atteinte au droit à l’égalité devant la loi, dans la mesure où, sur la base de faits identiques, deux personnes pouvaient être traitées de manière très différente selon le type de sanction qui leur était appliqué. Cet argument a été rejeté par les tribunaux pénaux de quatre provinces[85] et par le juge-arbitre[86].

Enfin, si la Commission a opté pour la sanction administrative, elle doit encore, à ce premier stade, choisir entre les formes pécuniaire et non pécuniaire de cette sanction, autrement dit entre la pénalité et l’avertissement. La rédaction des dispositions relatives à l’avertissement donne lieu à une certaine confusion terminologique et conceptuelle. En effet, l’avertissement est donné, selon l’article 41.1, « en guise de pénalité pouvant être infligée au titre de l’article 38 ou 39 » (« may issue a warning instead of setting the amount of a penalty for an act or omission under subsection 38(2) or 39(2) »), ce qui autorise à analyser l’avertissement aussi bien comme une autre forme de pénalité que comme autre chose qu’une pénalité[87]. Mais, par ailleurs, l’article 7.1 (4) parle de « pénalités […] infligées au titre [notamment] de l’article 41.1 » (« penalties […] imposed […] under section […] 41.1 »). La jurisprudence est donc justifiée de penser que l’« avertissement […] compte comme une pénalité[88] », du moins aux fins du mécanisme de sursanction de l’article 7.1. Cela dit, les différences entre les deux formes de sanction sont plus significatives que ce rapprochement technique[89]. Le choix entre elles a de lourdes conséquences pour le travailleur, dans l’immédiat et à long terme, comme on l’a vu.

Aussi la Commission a-t-elle formulé des directives pour guider son personnel dans l’exercice de ce choix. Dans leur version plus précise publiée en mai 2009, ces directives prévoient de donner un avertissement, plutôt que d’infliger une pénalité, dans deux hypothèses : celle où la moindre sanction pécuniaire paraîtrait encore trop rigoureuse, compte tenu de circonstances très fortement atténuantes, et celle où la pénalité applicable serait inférieure à 20 dollars[90]. À la lumière de ces directives, l’avertissement ne paraît appelé qu’à un rôle marginal, visant des comportements très peu répréhensibles. Si peu répréhensibles que l’on a du mal à se convaincre qu’un éventuel acte délictueux plus nettement injustifiable doive valoir à leur auteur une pénalité comportant la lourde qualification de « violation subséquente ». Un avertissement plus largement applicable, assorti seulement d’une sanction pécuniaire immédiate mais relativement légère, semblerait une pièce plus utile dans le système général de dissuasion mis en place par la loi de 1996.

Mis à part la fixation du montant d’une pénalité, dont il sera question en 2.2, les autres aspects de l’imposition d’une sanction administrative — que celle-ci consiste en un avertissement ou en une pénalité — ne présentent pas le même caractère discrétionnaire : la tâche de la Commission y consiste en effet à interpréter les textes et à apprécier la preuve.

La principale difficulté d’interprétation naissait de l’expression « faire sciemment ». Présente dès les origines britanniques de l’assurance-chômage dans les dispositions pénales, cette expression fait partie du vocabulaire du Code criminel et d’un certain nombre d’autres lois fédérales. Elle n’est apparue dans le contexte des sanctions administratives en matière d’assurance-chômage qu’en 1971 ; on l’a vu, le texte de 1955 visait plutôt les fausses déclarations faites « en vue d’obtenir une prestation ». Ce changement de formulation a pu contribuer à orienter l’interprétation du mot « sciemment ». La présence de cet adverbe indique clairement que le seul fait matériel d’une déclaration fausse ou susceptible de tromper ne donne pas ouverture à l’imposition d’une sanction administrative[91]. Faut-il en conclure que la Commission doit se convaincre que le travailleur a fait cette déclaration avec l’intention de la tromper ? Le juge-arbitre l’a d’abord pensé[92]. Cette thèse pouvait trouver appui dans la jurisprudence relative aux termes identiques employés dans la disposition pénale, qui y voit l’indication d’une exigence de mens rea[93]. Cependant, la Cour d’appel fédérale a considéré que, dans le contexte d’une sanction administrative, cette allusion à une « intention de tromper » créait une confusion ; il fallait s’en tenir à la lettre du texte, qui implique strictement la connaissance, par l’auteur de la déclaration, de sa fausseté ou de son caractère trompeur[94]. Il s’agit donc bien d’un élément mental, mais pas intentionnel à proprement parler. Cette connaissance s’apprécie du point de vue subjectif, c’est-à-dire du point de vue de l’auteur de la déclaration, en tenant compte à la fois de la clarté de la demande à laquelle répondait sa déclaration et de son expérience du régime d’assurance-emploi[95], mais indépendamment de tout élément de contrainte qui aurait pu amener le travailleur à faire cette déclaration qu’il savait fausse ou trompeuse[96].

L’évolution jurisprudentielle tend donc à démarquer la sanction administrative de la sanction pénale, sur le plan des éléments constitutifs de la contravention. On observe une évolution du même ordre en ce qui a trait à la preuve de ces éléments.

La question décisive, à cet égard, a été celle du degré de preuve. Dans un premier temps, la jurisprudence du juge-arbitre s’est divisée entre tenants du même degré de preuve qu’en matière pénale[97], du degré de preuve applicable en matière civile[98], ou d’un degré de preuve intermédiaire[99]. Par la suite, cependant, la Cour d’appel fédérale a tranché en faveur de la preuve civile, mais de façon nuancée : c’est par une preuve simplement prépondérante que la Commission doit établir que le travailleur a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse[100]. Une fois qu’elle dispose de cette preuve, la Commission doit donner au travailleur la possibilité de faire valoir une explication tendant à démontrer qu’il n’a pas fait sciemment la déclaration qu’on lui reproche, ou que celle-ci n’était ni fausse ni trompeuse[101]. Telle est, en effet, la répartition de la charge de la preuve dans le cadre de l’article 38 : elle incombe d’abord à la Commission, puis passe au travailleur[102]. Quant à la nature de la preuve sur laquelle la Commission peut fonder l’imposition d’une sanction administrative, elle n’est pas assujettie aux mêmes exigences que devant les tribunaux judiciaires et peut donc comporter des éléments de ouï-dire[103], mais doit être de préférence directe et en tout cas précise[104]. Bien loin de pouvoir invoquer la présomption d’innocence[105], le travailleur doit donc, si la preuve qu’il a fait des déclarations fausses ou trompeuses est manifeste, repousser la présomption qu’il les a faites sciemment[106].

Si, sur le plan des exigences de preuve également, les sanctions administratives de l’assurance-emploi sont donc bien démarquées des sanctions pénales, un point de rapprochement subsiste en ce qui a trait à la défense de diligence raisonnable. Celle-ci peut en effet trouver application en rapport avec l’un et l’autre type de sanction[107]. Le travailleur pourrait, par exemple, faire valoir qu’il n’a fait les déclarations qu’on lui reproche qu’après avoir cherché « activement » à se renseigner sur ses obligations auprès de la Commission[108]. Mis à part cette étroite zone de recoupement, l’aménagement du rapport entre sanctions pénales et sanctions administratives dans la Loi sur l’assurance-emploi semble jusqu’ici avoir favorisé une nette distinction entre elles. L’examen des recours dont dispose le travailleur pour contester l’imposition d’une sanction administrative va encore confirmer ce constat : ces recours obéissent aux contraintes et aux limitations des recours administratifs, mais en présentent aussi les avantages.

Essentiellement, deux voies de recours s’offrent au travailleur. D’une part, il peut, en vertu de l’article 41, chercher à obtenir l’annulation de la pénalité en faisant valoir des faits nouveaux ou en démontrant que l’imposition de cette pénalité découle d’une erreur sur un fait essentiel. Cette voie de recours, identique à celle qu’ouvre l’article 120 pour d’autres décisions de la Commission, n’est soumise à aucun délai. En revanche, les motifs d’annulation sont très limités, et peu susceptibles de se matérialiser étant donné les possibilités offertes au travailleur de faire valoir ses arguments au moment de l’imposition de la pénalité[109]. Par ailleurs, il semble que ce recours en annulation ne puisse être exercé qu’à l’encontre d’une « pénalité infligée au titre de l’article 38 », à l’exclusion, donc, d’un avertissement donné en vertu de l’article 41.1.

D’autre part, et beaucoup plus utilement, le travailleur peut en appeler de l’imposition d’une sanction administrative au conseil arbitral en vertu de l’article 114 (1). La compétence du conseil est très large ; elle lui permet de recevoir toute la preuve, y compris de nouvelles preuves, sur les questions dont il est saisi[110]. Il peut donc, sur la base de cette preuve, écarter les conclusions de la Commission sur le point de savoir si le travailleur a fait sciemment des déclarations fausses ou trompeuses. S’il confirme les conclusions de la Commission à cet égard, le conseil n’est pas pour autant lié par la décision discrétionnaire de la Commission d’imposer une sanction administrative sur la base de cette conclusion de fait. Le contrôle qu’il exerce sur cette décision discrétionnaire, quoique plus limité, est réel : le conseil peut intervenir sur ce point s’il estime que la Commission n’a pas exercé son pouvoir « de façon judiciaire ». Le principal élément de cette exigence est l’obligation, pour le titulaire de pouvoir discrétionnaire, d’agir de bonne foi, de tenir compte de tout élément pertinent et d’exclure toute considération non pertinente[111]. Si le conseil arbitral, sur la base notamment de la preuve nouvelle présentée devant lui, considère que la Commission ne s’est pas conformée à cette obligation, il est justifié soit de statuer lui-même sur l’imposition de la sanction, soit de renvoyer l’affaire à la Commission. Le conseil n’a cependant pas le pouvoir de suspendre l’effet d’une sanction administrative contestée devant lui : ainsi, la sursanction consécutive à une pénalité — c’est-à-dire la majoration de la norme d’admissibilité — prend effet même si l’imposition de cette pénalité fait l’objet d’un appel[112].

L’affaire peut ensuite faire l’objet d’un second appel au juge-arbitre en vertu de l’article 115. Bien que les motifs d’appel soient énoncés de manière limitative, dans des termes qui apparentent ce recours au contrôle de légalité exercé par les tribunaux supérieurs[113], les pouvoirs d’intervention conférés au juge-arbitre par la loi sont suffisants pour lui permettre de contrôler les décisions de la Commission et du conseil arbitral relativement à l’imposition de sanctions administratives[114].

Les arrêts de la Cour d’appel fédérale qui ont délimité l’étendue du contrôle exercé par les instances d’appel sur les décisions de la Commission imposant une sanction administrative ont insisté sur le caractère « punitif » de ces décisions et sur l’importance de l’enjeu qu’elles représentent pour les travailleurs. Ces considérations ont incité la Cour à donner à ce contrôle une étendue suffisante pour que ces décisions ne soient pas exposées sans remède tantôt au risque d’arbitraire, tantôt à celui d’un traitement trop systématique des situations individuelles.

L’examen de cette première phase de l’application du dispositif de sanctions administratives suggère donc que celle-ci tend à se démarquer par rapport au droit pénal et, dans une moindre mesure, au sein du processus administratif d’application de la Loi sur l’assurance-emploi. L’examen de la phase suivante permet aussi de déceler la présence de cette tendance.

2.2 La modulation de la pénalité

Cette seconde phase s’ouvre si l’on fait l’hypothèse que la Commission, après avoir choisi de sanctionner un comportement susceptible de constituer un acte délictueux ou une infraction, a opté pour une sanction administrative, plutôt que pénale, et a estimé que la sanction administrative appropriée en l’occurrence était l’imposition d’une sanction pécuniaire, c’est-à-dire une pénalité en vertu de l’article 38. Elle doit alors déterminer le montant de cette pénalité. De nouveau, il y a lieu d’examiner l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire attribué à la Commission, les facteurs susceptibles de moduler l’utilisation qu’elle fait de cette sanction administrative et, enfin, les possibilités ouvertes au travailleur de contester le montant de la pénalité qui lui est infligée.

Le caractère discrétionnaire de la fixation du montant d’une pénalité par la Commission est constamment réaffirmé par la jurisprudence, le texte de l’article 38 (« Lorsqu’elle prend connaissance de faits […], la Commission peut […] infliger une pénalité ») donnant de nettes indications en ce sens[115]. Une fois établis des faits susceptibles de constituer un acte délictueux, la Commission apprécie librement quel montant de pénalité « correspon[d] aux circonstances[116] ». Rappelons-le : ces deux étapes du processus décisionnel sont de nature différente, puisque la première consiste en une qualification juridique de faits en fonction des notions de « déclaration fausse ou trompeuse » et de « déclaration faite sciemment », alors que la seconde, seule, consiste en une appréciation discrétionnaire de l’opportunité d’imposer une pénalité d’un montant X[117]. Cette modulation de la pénalité doit donc, comme l’exercice de tout pouvoir discrétionnaire par une autorité administrative, répondre aux fins d’intérêt public propres à la Loi sur l’assurance-emploi, aspect sur lequel reviendra la troisième et dernière partie du présent texte. Elle doit aussi, puisqu’il s’agit d’une pénalité visant à sanctionner des comportements qui contreviennent à cette loi, présenter un lien rationnel avec la gravité de ces comportements en regard de ces fins d’intérêt public[118].

Outre cet encadrement par les fins d’intérêt public de la loi habilitante, ce pouvoir discrétionnaire est évidemment circonscrit par les limitations expresses que renferme l’article 38. Celui-ci, on l’a vu, plafonne le montant de la pénalité, pour chaque acte délictueux, au triple du taux hebdomadaire de prestations[119]. La Cour d’appel fédérale a estimé, vu le sens des mots penalty et amount, qu’une pénalité nulle est un contresens ; dès lors qu’un acte délictueux est établi et que l’option de l’avertissement n’est pas retenue, la pénalité doit nécessairement consister en une somme comprise entre 1 dollar et le maximum prévu à l’article 38[120]. Ce maximum, par ailleurs, s’applique à chacun des actes délictueux faisant l’objet d’une pénalité, et non au total des pénalités correspondant à une série d’actes délictueux[121].

Cet encadrement impératif par la loi est complété par un encadrement indicatif sous forme de directives à l’adresse du personnel de la Commission. Le rôle de ces directives a plus d’une fois été souligné par la jurisprudence, qui a bien sûr approuvé l’utilisation de ces normes administratives dans l’intérêt de la cohérence et de l’uniformité[122], mais qui en a parfois critiqué la formulation trop limitative[123]. En plusieurs occasions, cependant, la Cour d’appel fédérale, contrairement au juge-arbitre, a estimé que les agents de la Commission appliquaient ces directives avec la souplesse nécessaire[124].

Ces directives sont intervenues sur les deux facteurs qui déterminent le calcul des pénalités : la comptabilisation des actes délictueux et la fixation du montant de la pénalité correspondant à chacun de ces actes. Ainsi, la Commission comptabilise les déclarations fausses ou trompeuses à raison d’une déclaration par document ; même si un document contient plusieurs déclarations de cette nature, il n’en sera comptabilisé qu’une seule. Sont considérés comme des documents aux fins de ce calcul chaque déclaration périodique du prestataire, qu’elle soit faite sous forme écrite ou électronique, l’encaissement d’un chèque ou le virement de prestations, de même que le relevé d’emploi[125]. En ce qui concerne le calcul de la pénalité applicable à chacun des actes délictueux, la Commission le fait reposer sur deux facteurs : les antécédents du prestataire et la valeur des prestations indues[126]. Ainsi, dans le cas d’un prestataire n’ayant fait l’objet d’aucune sanction administrative ou pénale au cours des 260 semaines précédant l’imposition d’une pénalité, cette pénalité correspondra à 50 p. 100 des prestations indues ; elle s’élèvera à 100 p. 100 s’il s’agit d’une première « récidive » et à 150 p. 100 dans tout autre cas. Par ailleurs, la Commission plafonne dans ses directives la valeur de la pénalité pour chaque acte délictueux. Ce plafond s’applique, le cas échéant, sous le plafond prévu à l’article 38 (2) : il est fixé à 5 000 dollars si la pénalité est la première sanction prononcée à l’endroit de ce prestataire depuis 260 semaines ; à 8 000 dollars si cette pénalité est la seconde sanction pendant cette période ; et à 10 000 dollars dans les autres cas[127].

Bien que les critères énoncés dans ces directives (existence de contraventions antérieures, importance des sommes obtenues sans droit) soient rationnels, leur application systématique par le personnel de la Commission serait considérée comme une autolimitation abusive de son pouvoir discrétionnaire par la Commission. Elle doit donc être nuancée par la prise en considération des circonstances propres au cas de chacun. On s’est interrogé, à cet égard, sur l’opportunité d’appliquer au calcul de ces pénalités les principes qui régissent la détermination des peines en matière criminelle et pénale, ou du moins de s’en inspirer. Si le juge-arbitre a parfois été réceptif à cette idée, la Cour d’appel fédérale a systématiquement écarté les propositions en ce sens, réaffirmant sur ce terrain aussi la spécificité des sanctions administratives[128]. C’est donc à travers les directives de la Commission elles-mêmes qu’est recherchée la prise en considération des particularités de chaque cas, indispensable pour valider l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ayant pour objet une décision individualisée.

Les directives prescrivent au personnel de la Commission de prendre en considération toute « circonstance atténuante » ressortant du dossier ou invoquée par le travailleur à l’encontre d’un constat de déclaration fausse ou trompeuse faite sciemment. Cette prise en considération intervient donc une fois établie, de l’avis de la Commission, l’existence d’une telle déclaration. Elle n’est pas de nature à remettre en cause ce constat. Son seul intérêt est de jouer sur la modulation de la pénalité. À la limite les circonstances atténuantes peuvent, on l’a vu, conduire la Commission à donner un avertissement « en guise de pénalité ».

La notion de circonstance atténuante — on notera au passage cet emprunt, probablement inévitable, au vocabulaire classique du droit pénal — englobe, selon les directives, un état de choses ou une situation personnelle qui contribue à expliquer le comportement du travailleur au moment de l’acte délictueux, ou qui pourrait aggraver indûment l’effet de sanction de la pénalité[129]. On en propose une liste non exhaustive, dont la jurisprudence fournit de nombreuses illustrations : faible niveau de scolarité, difficultés linguistiques, problèmes de santé d’ordre personnel ou familial, contrainte exercée par un tiers, repentir sincère, indu déjà restitué, alcoolisme ou toxicomanie, jeu pathologique, difficultés financières. L’obligation de la Commission est de tenir compte de ces divers éléments, dans la mesure où leur existence peut être démontrée par des pièces versées au dossier[130]. Elle doit fournir au travailleur l’occasion de faire valoir de telles circonstances atténuantes, notamment en l’invitant à expliquer l’acte délictueux constaté[131]. Sont pertinentes les circonstances ayant entouré l’acte délictueux ou présentes au moment de fixer le montant de la pénalité : la prise en considération de circonstances découvertes ou apparues ultérieurement ne sera possible que dans le cadre d’un recours[132].

Le rôle déterminant joué par la notion de circonstance atténuante dans la modulation de la pénalité se confirme au stade des recours visant le montant d’une pénalité. En effet, s’agissant de contrôler l’exercice par la Commission d’un pouvoir discrétionnaire tel que celui-ci, l’intervention corrective du conseil arbitral ne se justifie que si le conseil estime que la Commission n’a pas agi « de façon judiciaire[133] ». Comme on l’a rappelé à propos de la décision d’imposer une sanction administrative, cette exigence comporte essentiellement l’obligation pour un décideur de tenir compte de toutes les considérations pertinentes et d’exclure toute considération non pertinente. Cette obligation s’applique parfaitement à la fixation du montant d’une pénalité à la lumière de toutes les circonstances atténuantes. Dès lors, le contrôle d’appel exercé par le conseil arbitral lui permet de modifier le montant d’une pénalité, s’il estime que la Commission n’a pas tenu compte de toutes les circonstances atténuantes[134]. Le conseil ne serait cependant pas justifié d’intervenir simplement pour modifier le poids accordé aux circonstances atténuantes prises en considération par la Commission. Le conseil peut en revanche, éclairé notamment par l’audition du travailleur et par la preuve nouvelle qu’il est en mesure de recevoir, réduire le montant d’une pénalité[135]. Quant au juge-arbitre, seconde instance d’appel, il peut lui aussi intervenir sur le montant d’une pénalité tel qu’il est établi à l’issue du recours devant le conseil arbitral ; mais son intervention doit pouvoir se justifier en fonction de l’un des motifs d’appel énoncés à l’article 115[136]. Les observations de la Cour d’appel fédérale sur le caractère punitif des sanctions administratives — observations formulées à propos du dispositif antérieur à 1996 — ont ici encore fourni la toile de fond de l’évolution jurisprudentielle. Celle-ci a conduit à admettre la possibilité d’un contrôle d’appel significatif sur l’exercice d’une compétence discrétionnaire de la Commission.

La fixation discrétionnaire du montant de la pénalité obéit donc à sa logique propre, qui n’est pas celle de la détermination de la peine en matière criminelle ou pénale et qui doit s’intégrer à un processus administratif à grande échelle dans lequel des fonctionnaires sont appelés à analyser, à juger et à sanctionner des comportements humains à partir de normes administratives. Les tensions inhérentes entre les deux versants de la sanction administrative, le versant « sanctionnateur » et le versant administratif, s’y manifestent clairement. L’examen de la troisième phase de l’application du dispositif de sanctions mis en place en 1996 va mettre ces tensions encore plus en évidence.

2.3 La majoration de la norme d’admissibilité

Cette troisième phase fait suite aussi bien à l’imposition par la Commission d’une sanction administrative en raison d’un acte délictueux qu’à une condamnation prononcée par un tribunal judiciaire en raison d’une infraction prévue par la Loi sur l’assurance-emploi ou par le Code criminel. Puisqu’elle comporte l’imposition par la Commission à un travailleur d’une sanction administrative supplémentaire — la majoration, pendant cinq ans, de la norme d’admissibilité applicable à une demande de prestations — venant se superposer à une sanction administrative ou pénale, il y a lieu de parler de sursanction. Cette sursanction représente sans doute l’élément le plus novateur de la loi de 1996. C’est aussi un élément complexe, dont la mise en oeuvre demeure, aujourd’hui encore, grevée d’incertitudes. L’un des points sur lesquels la rédaction de la loi autorise des lectures contradictoires est signalé, sur le schéma qui accompagne le présent texte, par un point d’interrogation : on peut en effet s’interroger sur le caractère discrétionnaire de l’opération par laquelle la Commission donne un avis de violation à un travailleur. C’est cette difficulté qu’il convient de traiter en premier, puisque la notion de violation et l’avis dont une violation fait l’objet sont la clé de voûte de cette partie du dispositif de sanctions. Avant de le faire, il n’est pas inutile de rappeler le cadre institutionnel de l’interprétation de la Loi sur l’assurance-emploi.

Le travail de concrétisation de ce texte, dont la portée sociale et économique de même que l’exceptionnelle complexité sont indéniables, est confié, d’une part, à la Commission et, d’autre part, à trois juridictions : le conseil arbitral, le juge-arbitre et la Cour d’appel fédérale. Le travail de la Commission se manifeste notamment par la publication de directives et d’énoncés de politique, documents auxquels le présent texte a déjà fait référence. Cette pratique est évidemment indispensable dans une organisation administrative de cette dimension, largement déconcentrée sur le territoire canadien. Elle s’appuie sur une expérience historique de près de 70 ans, sur une forte tradition institutionnelle et sur un savoir hautement spécialisé.

Les trois juridictions présentent chacune des caractéristiques et des mérites propres ; leurs membres ont en commun, cependant, de ne consacrer qu’une part de leur activité à l’application de la Loi sur l’assurance-emploi. Par ailleurs, cette part de leur activité s’exerce dans des conditions particulières. En effet, devant le conseil arbitral, la Commission ne comparaît habituellement pas, alors que le travailleur tantôt assure lui-même sa défense, tantôt se fait assister par une autre personne, tantôt retient les services d’un avocat, tantôt encore s’abstient de comparaître. Devant le juge-arbitre et la Cour d’appel fédérale, la Commission est invariablement représentée par un avocat, tandis que la comparution et la représentation des travailleurs demeurent très variables.

Le résultat net, particulièrement préoccupant devant les deux juridictions supérieures, est de soumettre à des décideurs certes souvent expérimentés, mais pas vraiment spécialisés, le rapport entre des textes législatifs et réglementaires à haute technicité et un contexte factuel plongé dans la vie quotidienne et le milieu de travail de personnes de condition modeste ou moyenne, alors que ces décideurs, bien souvent, ne bénéficient pas d’un débat contradictoire équilibré. Il ne s’agit pas ici de prétendre que ces deux juridictions sont démunies devant le déploiement par la Commission de ressources intellectuelles et matérielles prépondérantes[137]. Aussi bien la Commission que ces juridictions sont attentives à ce déséquilibre et veillent à en minimiser les inconvénients.

La Cour d’appel fédérale a attiré l’attention sur ces inconvénients dans l’arrêt Savard[138], relatif précisément à l’article 7.1 qui nous préoccupe ici. Elle a noté que cette affaire, la cinquième dont elle ait été saisie à propos de ce texte notoirement difficile d’interprétation, était la première où elle ait bénéficié d’un débat contradictoire entre parties représentées par avocat. Elle s’est donc estimée justifiée de revenir sur certaines des conclusions des quatre arrêts antérieurs.

Parmi les points soulevés au moins implicitement par l’arrêt Savard et ses quatre devanciers figure celui de savoir si le déclenchement de cette dernière phase du dispositif de sanctions relève d’un pouvoir discrétionnaire de la Commission. La donnée textuelle de la question est constituée par les premiers mots du paragraphe (4) de l’article 7.1 : « Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis de violation parce que » (« [an] insured person accumulates a violation if in any of the following circumstances the Commission issues a notice of violation to the person »). La suite du paragraphe énumère, en trois alinéas, les quatre situations englobées dans la catégorie des « violations » : acte délictueux ayant fait l’objet d’une pénalité, acte délictueux ayant fait l’objet d’un avertissement, infraction à la Loi sur l’assurance-emploi ayant fait l’objet d’une condamnation, infraction au Code criminel ayant fait l’objet d’une condamnation. Il y a lieu de noter que la notion de violation n’est définie nulle part ailleurs dans la loi : cette énumération est sa définition. De même, le pouvoir ou l’obligation de donner cet avis ne sont exprimés nulle part dans la loi ; seule la version anglaise du paragraphe (4) fait allusion à ce qu’elle présente comme une faculté attribuée à la Commission : « if […] the Commission issues ».

Les premières décisions des juges-arbitres sur ce texte se sont partagées entre deux lectures. L’une, préconisée par la Commission, voyait dans l’avis de violation une opération découlant automatiquement de l’existence de l’une ou l’autre des quatre situations énumérées, de sorte que l’avis de violation s’accompagne, tout aussi automatiquement, de l’application du dispositif de sursanction prévu à l’article 7.1 (1). La Commission n’aurait dès lors, sur ce point, aucun pouvoir discrétionnaire ; un recours dirigé contre l’avis de violation n’aurait aucun sens dès lors que l’existence d’une situation énumérée au paragraphe (4) serait devenue incontestable par épuisement du délai d’appel[139]. L’autre lecture, au contraire, trouvait difficile d’admettre que la mise en oeuvre du dispositif de sursanction ne puisse pas être contestée en elle-même. Les termes de l’article 7.1 ne paraissant pas imposer un résultat aussi éloigné des exigences habituelles de l’équité procédurale, il convenait de leur donner une interprétation favorable aux prestataires[140].

Saisie une première fois dans l’affaire Geoffroy, la Cour d’appel fédérale a considéré que la mise en oeuvre de la sursanction était un processus automatique[141]. À ses yeux, les termes du paragraphe (1)[142] sont « de nature mandatoire[143] ». L’avis de violation ne sert qu’à rendre la majoration automatique « opposable » à l’assuré. Selon ce premier arrêt, « il ne saurait faire de doute que le Parlement a voulu et qu’il a fait en sorte que toute violation […] entraîne une majoration […] sans que la Commission n’ait à exercer de discrétion à cet égard ». Dès lors, en l’absence de doute, et malgré une « rédaction maladroite », il n’y a pas matière à interprétation en faveur de l’assuré[144].

Un second arrêt, Limosi, a souscrit à cette thèse du caractère automatique de la majoration, qui « naît et découle d’une violation », et précisé la fonction de l’avis de violation, « mécanisme procédural par lequel le prestataire est informé »[145]. L’avis marquerait simplement le point de départ du délai dans lequel le travailleur pourra, au moyen de l’appel prévu à l’article 114, « contester la décision de la Commission qui conclut à l’existence d’une violation de la Loi[146] ».

Ces premières analyses n’ont pas tardé à évoluer. Dans un troisième arrêt, Szczech[147], la Cour a dû revenir sur le lien entre la violation (c’est-à-dire l’acte délictueux ou l’infraction ayant déjà fait l’objet d’une sanction administrative ou pénale) et l’avis dont elle fait l’objet. Il s’agissait de savoir lequel de ces deux faits marquait le point de départ de la période de cinq ans pendant laquelle s’applique la sursanction. En l’occurrence, un an environ séparait les deux événements, écart dans lequel la Cour n’a pas vu l’effet d’un retard abusif de la part de la Commission. Se fondant sur la lettre de l’article 7.1 (4) (« Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis »), la Cour a jugé que l’avis de violation constituait le point de départ de la période de majoration. Cette solution a pour effet d’accroître l’intervalle entre l’acte délictueux et la fin de la période où la sursanction est applicable. Pour la rendre compatible avec l’analyse antérieure, qui faisait coïncider parfaitement violation (c’est-à-dire la contravention déjà sanctionnée) et mise en oeuvre de la majoration, la Cour a affirmé que les deux arrêts antérieurs n’avaient pas eu à répondre à la question précise que soulevait cette nouvelle affaire[148].

Le quatrième arrêt, Piovesan, a simplement confirmé que la sursanction prévue à l’article 7.1 peut se superposer à un avertissement aussi bien qu’à une pénalité : du point de vue du dispositif de majoration de la norme d’admissibilité, l’avertissement « compte […] comme une pénalité[149] ».

Rendu en octobre 2006, l’arrêt Savard[150] a été l’occasion d’une remise à plat de l’interprétation de l’article 7.1[151]. Comme c’était le cas dans l’arrêt Limosi, deuxième de la série, le travailleur faisait valoir qu’il n’avait pas reçu l’avis de violation et n’avait donc eu connaissance de la majoration qui lui était appliquée qu’au moment de présenter une nouvelle demande de prestation. Cet avis lui avait cependant été expédié en même temps qu’un avis de pénalité.

S’efforçant d’abord de saisir le dispositif de sanctions dans son intégralité et d’y reconstituer le « cheminement critique de la répression et dissuasion des actes délictueux », la Cour s’exprime dans des termes peu conciliables avec sa lecture antérieure de l’article 7.1 : « Devant la gravité des actes délictueux posés, la Commission peut décider qu’il y a lieu d’imposer une sanction additionnelle et de tenir l’auteur des actes responsable d’une violation au sens de l’article 7.1. Cette sanction se concrétise par l’émission (issue) d’un avis de violation selon le paragraphe 7.1 (4)[152]. »

Cette manière de dire les choses implique que l’on considère que la qualification d’un acte délictueux (ou d’une infraction) comme violation fait l’objet d’une décision discrétionnaire reposant sur l’appréciation de la « gravité des actes délictueux posés ». L’analyse antérieure, selon laquelle 1) un acte délictueux ayant fait l’objet d’une sanction administrative est une violation (tout comme une infraction ayant entraîné une condamnation pénale est aussi une violation) et 2) une violation entraîne automatiquement une majoration, paraît donc écartée. La majoration de la norme d’admissibilité se présente en effet plutôt comme une « sanction additionnelle », appliquée dans des cas d’une gravité particulière à des travailleurs ayant déjà fait l’objet d’une première sanction administrative (sous forme de pénalité ou d’avertissement) ou d’une sanction pénale (par l’effet d’une condamnation en justice). Le processus d’application du dispositif de sanctions comporte donc bien une autre étape discrétionnaire. Après avoir choisi de sanctionner un comportement, choisi de le sanctionner par la voie administrative plutôt que par la voie pénale, choisi d’appliquer une sanction administrative non pécuniaire (l’avertissement) ou une sanction administrative pécuniaire (la pénalité), choisi dans ce dernier cas le montant de cette pénalité, la Commission peut encore choisir de qualifier de « violation » un acte délictueux ayant fait l’objet d’une sanction administrative et de faire ainsi de cet acte l’objet d’une sanction administrative pécuniaire « additionnelle » (la majoration de la norme d’admissibilité).

D’autres passages de l’arrêt Savard tendent à confirmer que telle est bien la lecture que fait la Cour du dispositif de majoration prévu à l’article 7.1. On y lit en effet (par. 37) que la Commission « peut choisir […] de donner au prestataire un avertissement, qu’elle peut faire suivre d’un avis de violation ». Parallèlement (par. 38), « si les circonstances de la perpétration des actes délictueux requièrent, de l’avis de la Commission, plus qu’une sanction pécuniaire, celle-ci peut renforcer ou bonifier la sanction pécuniaire en émettant un avis de violation ». Ici encore, la qualification comme « violation » d’un acte déjà sanctionné apparaît comme une faculté offerte à la Commission et susceptible d’être exercée en fonction de son appréciation de la gravité du cas.

Cette analyse du dispositif de sanctions n’est pas inconciliable avec le texte. Certes, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Geoffroy, l’emploi de l’indicatif présent (« est majoré […] [si] ») dans la version française de l’article 7.1 (1) indique normalement une obligation, un lien nécessaire ; mais qu’en est-il de l’insolite « is increased […] if » là où l’on attendrait d’ordinaire « shall be increased […] where »[153] ? Par ailleurs, la tournure passive du verbe anglais rend invisible le sujet de l’action, donc le porteur d’une éventuelle obligation d’accomplir cette action. Cet acteur est tout aussi invisible dans la version française de l’article 7.1 (4) : « Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis[154] ». Si l’on compare ces tournures impersonnelles et peu explicites quant à la nature concrète de l’opération dont il s’agit avec la formulation directe et franche de l’article 38, on est enclin à se demander pourquoi une sanction censée s’appliquer « automatiquement » dans la foulée d’une autre ne serait pas annoncée aussi clairement que cette autre sanction[155]. La formulation de l’article 7.1, quoique fort différente de celle de l’article 38, ne paraît pas imposer avec autant d’évidence que l’affirmait l’arrêt Geoffroy une lecture qui fait de la majoration de la norme d’admissibilité le prolongement automatique d’une première sanction administrative. Justement parce qu’il s’agit d’une sanction aggravée, on peut juger préférable une lecture, par ailleurs non inconciliable avec la lettre du texte, qui en permet une application plus nuancée, sensible au degré de gravité des comportements qu’il s’agit de réprimer.

Au surplus, comme on le verra plus loin, la thèse de l’« automaticité » de la sursanction se heurte à des incohérences sur le plan pratique.

L’analyse de l’ensemble du dispositif de sanctions proposée dans l’arrêt Savard n’a pas fait école pour le moment[156]. Cette analyse ne constitue qu’un obiter, certes notable par sa perspective plus ample et alimenté par un débat contradictoire au cours duquel ont notamment été discutées les directives de la Commission. Puisqu’il va à l’encontre d’obiter antérieurs de la Cour d’appel fédérale et de la thèse défendue par la Commission, il n’est guère surprenant de constater qu’il soit passé sous silence dans la version 2009 des directives de la Commission et dans le choix de jurisprudence auquel ces directives font référence[157].

Ces directives expriment la thèse de l’« automaticité » de la majoration de la norme d’admissibilité dans des termes évoquant tantôt un « enclenchement » qui s’opère sans intervention humaine (« A violation is triggered because a penalty is imposed » ; « A penalty only triggers a record of violation »), tantôt une obligation imposée à la Commission par la loi (« The Act requires that a violation be recorded » ; « EIA 7.1 requires that a violation be recorded whenever […] » ; « The Employment Insurance Act dictates that a violation is recorded whenever a penalty is assessed. This is a technical and non-discretionary aspect of the legislation. There must be a violation whenever […] »), l’objet de cette obligation étant de constituer un record of violation, acte mal défini qui semble se matérialiser à la fois par un envoi au prestataire et une inscription au dossier informatisé[158].

Vu l’état du texte législatif, inchangé sur ce point depuis 1996, et l’état actuel de la jurisprudence, on ne peut pas dire que la question soit vidée. La majoration de la norme d’admissibilité est certainement analysée comme une sursanction, venant s’ajouter à une première sanction administrative ou à une sanction pénale, mais il n’est pas indiscutable que cette sursanction s’applique automatiquement. On peut soutenir qu’il est conciliable avec le texte, et qu’il serait plus convenable, étant donné le poids de cette sanction supplémentaire, qu’elle ne soit imposée qu’à la suite d’une décision discrétionnaire de la Commission, soumise éventuellement au contrôle du conseil arbitral, du juge-arbitre et de la Cour d’appel fédérale.

L’incertitude qui subsiste sur le caractère de l’acte par lequel la Commission applique à un travailleur le dispositif de sursanction est entretenue par la complexité des rapports entre les différents éléments de ce dispositif : la notion de violation elle-même, la distinction entre les différents types de violation, l’avis de violation, la majoration de la norme d’admissibilité et ses effets ainsi que les recours éventuellement ouverts au travailleur frappé par cette sursanction. Certaines des difficultés que suscite le texte de l’article 7.1 sur ces différents points ressortaient de l’analyse des six arrêts rendus à ce jour par la Cour d’appel fédérale. Il convient, pour jeter un peu de lumière sur l’ensemble du dispositif, de revenir sur chacun d’eux.

Les différents décideurs appelés à appliquer l’article 7.1 — depuis la Commission jusqu’à la Cour d’appel fédérale, en passant par le conseil arbitral et le juge-arbitre — abordent la notion de « violation » de deux manières tout à fait contrastées. Les uns, sensibles à la signification normale de ce mot, y voient un comportement en contravention de la loi, donc un acte, un « gest[e] pos[é] », dont une personne peut être considérée comme « coupable »[159], que l’on peut « commet[tre][160] », qui peut consister par exemple en une fausse déclaration[161]. Les autres, conscients des effets attachés par l’article 7.1 à une violation, voient plutôt dans la violation « a sanction in addition to a prosecution, monetary penalty or warning letter[162] », « en fait une sanction administrative, une pénalité imposée pour l’acte délictueux[163] ».

Il apparaît cependant, à examiner le paragraphe (4) de l’article 7.1, que la violation n’est ni l’une ni l’autre. La notion de « violation » n’est qu’une catégorie juridique, donc une abstraction, inventée de toutes pièces par le Parlement pour les besoins de l’article 7.1. Comme on l’a déjà observé, cette catégorie juridique n’est pas définie autrement que par l’énumération, au paragraphe (4), des faits juridiques qui lui sont rattachés. Tous ces faits juridiques présentent la même structure : chacun est un ensemble constitué d’une contravention à la loi et d’une sanction visant cette contravention :

  1. un acte délictueux prévu à l’article 38, 39 ou 65.1, pour lequel une pénalité a été infligée au titre de l’un ou l’autre de ces articles ;

  2. un acte délictueux prévu à l’article 38, 39 ou 65.1, pour lequel une pénalité sous forme d’avertissement a été infligée au titre de l’article 41.1 ;

  3. une infraction prévue à l’article 135 ou 136, pour laquelle un jugement de culpabilité à été prononcé ;

  4. une infraction au Code criminel pour un acte ayant trait à l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, pour laquelle un jugement de culpabilité a été prononcé.

Bref, la violation est une contravention déjà sanctionnée. Cette contravention peut consister en un acte délictueux ayant fait l’objet d’une sanction administrative ou en une infraction ayant fait l’objet d’une sanction pénale. La notion de « violation » n’est donc ici rien de plus qu’une commodité de langage que s’est accordée le législateur pour viser d’un seul mot une série de faits juridiques auxquels il souhaitait rendre applicables le dispositif de l’article 7.1. La nature de ce dispositif de sursanction se révèle ainsi comme ce qu’elle est : l’imposition d’une seconde sanction à l’auteur d’une contravention déjà sanctionnée. La question centrale se résume à savoir si l’imposition de cette seconde sanction résulte d’une appréciation discrétionnaire de la gravité de la contravention déjà sanctionnée, ou si l’imposition de cette seconde sanction est une conséquence automatique de l’imposition de la première.

Quelle que soit la réponse donnée à cette question centrale, un deuxième aspect du dispositif de sursanction se présente, quant à lui, comme peu problématique : le Parlement a établi d’avance le « barème » de la sursanction, en créant au paragraphe (5) les cinq catégories de violation (« mineure », « grave », « très grave », « subséquente » et « non qualifiée »). À chacune de ces catégories correspond une majoration immédiate ou différée et, si elle est immédiate, plus ou moins importante de la norme d’admissibilité — autrement dit, une sursanction plus ou moins lourde. Sans entrer ici dans le détail, on peut observer que même cet aspect apparemment moins problématique du dispositif a suscité ses difficultés d’interprétation[164].

Une troisième composante du dispositif, l’« avis de violation », y remplit une fonction qui se laisse mal définir. Comme la Cour d’appel fédérale l’a plus d’une fois observé, les premiers mots du paragraphe (4) (« Il y a violation lorsque le prestataire se voit donner un avis de violation ») sont particulièrement déroutants, au sein d’un article dont l’ensemble est déjà hermétique. La logique naturelle du droit commanderait plutôt l’inverse : « Le prestataire se voit donner un avis de violation lorsqu’il y a violation » ; un fait juridique, habituellement, est notifié parce qu’il existe ; son existence n’est pas une conséquence de ce qu’il est notifié. À la limite, cette rédaction du paragraphe (4) est absurde : comment peut-on notifier un fait qui n’existe que dès le moment où il est notifié ? Les interprètes ont donc dû sortir du texte pour lui prêter un sens qui ne soit pas absurde.

Les tenants d’une lecture « automatiste » du dispositif de sursanction ont cru pouvoir résoudre la difficulté en considérant que la violation existe dès l’acte délictueux ; c’est à ce moment que la violation est « commise », que l’auteur de l’acte délictueux engage la « responsabilité » dont parle le paragraphe (1). L’avis de violation n’est plus alors que le constat, strictement informatif et nullement indispensable, qu’une opération automatique a eu lieu : l’acte délictueux a acquis la qualification de « violation ». On doit objecter à cette lecture qu’elle fait l’impasse sur le reste du paragraphe (4) : la violation ne se résume pas à l’acte délictueux, elle consiste en un acte délictueux déjà sanctionné (ou, le cas échéant, une infraction déjà sanctionnée). Les conditions d’existence d’une violation ne sont réunies que lorsque l’acte délictueux est sanctionné (par une pénalité ou un avertissement). Si la violation naît automatiquement, ce ne peut être qu’au moment où elle fait l’objet d’une première sanction. Mais il y a plus. Si la naissance de la violation est automatique, à quoi peut bien servir l’avis de violation ?

Les tenants de l’« automatisme » veulent y voir un « mécanisme procédural » permettant de rendre la majoration automatique « opposable » au travailleur, d’« informer » celui-ci, afin qu’il puisse « contester » et « éviter la peine »[165]. Cette analyse soulève beaucoup plus de questions qu’elle n’en résout. Quel sens peut avoir une sanction « automatique » mais « inopposable » ? « Informer » la personne visée par une sanction est la moindre des choses, mais si cette sanction découle automatiquement d’une autre, ne s’attendrait-on pas qu’elle lui soit notifiée au moment de l’imposition de cette autre sanction ? Et si une sanction est une conséquence automatique d’un fait, peut-on « éviter » cette sanction ou la « contester » dès lors que le fait dont elle découle est irrévocablement acquis ? On le voit bien : si la sursanction découle automatiquement de la première sanction, le paragraphe (4) doit comporter l’obligation pour la Commission (et peut-être aussi pour le tribunal pénal) de donner l’avis de violation au moment même où la première sanction (administrative ou pénale, selon le cas) est imposée. Ce n’est qu’à cette condition, en effet, que le travailleur frappé par cette sanction pourra décider d’exercer son droit d’appel en pleine connaissance de l’enjeu — l’enjeu étant constitué par la sanction et la sursanction.

Les tenants du caractère discrétionnaire de la sursanction peuvent, en revanche, trouver argument dans le fait que le législateur a pris soin de prévoir qu’un avis de violation soit donné au travailleur. N’y a-t-il pas là confirmation de ce que la Commission dispose de la faculté de considérer l’une des quatre situations visées au paragraphe (4) comme une « violation » donnant lieu à une sursanction ? Une telle décision de la part de la Commission modifie pour l’avenir les conditions d’acquisition du droit à des prestations par le travailleur ; il s’impose que cette décision lui soit notifiée afin qu’il puisse la contester. La question de l’utilité de cet avis ne se pose même pas. Par contre, la question du délai accordé à la Commission pour exercer ce pouvoir discrétionnaire de qualifier comme « violation » une contravention déjà sanctionnée se pose avec encore plus d’acuité que dans l’hypothèse d’une sursanction automatique[166]. Mais le principal point faible de cette thèse réside plutôt dans le fait que le Parlement ne paraît pas avoir explicitement indiqué les motifs susceptibles de justifier une décision discrétionnaire d’imposer une sursanction.

Un quatrième élément du dispositif de sursanction comporte aussi une part d’incertitude, liée à celle qui entoure le sens et les effets de l’avis de violation. Il s’agit de la période de 260 semaines pendant laquelle s’applique la majoration de la norme d’admissibilité. Aux termes de l’article 7.1 (1), cette période se mesure rétrospectivement, à partir de la semaine au cours de laquelle le travailleur présente une demande de prestations. La difficulté concerne la localisation de la violation à l’intérieur de cette période. La combinaison des paragraphes (1) et (4), particulièrement dans leur version anglaise, permet de considérer que c’est la date de l’avis de violation qu’il faut retenir pour déterminer si la violation se situe en-deçà de la limite de 260 semaines et produit donc encore l’effet de sursanction. C’est d’ailleurs la solution appliquée par l’arrêt Savard[167], qui précise que c’est bien l’« émission » de l’avis qu’il faut considérer, et non pas sa « signification » au travailleur, comme l’avait préconisé l’arrêt Szczech[168]. La forme et le moment de cette « émission », opération qui n’est évoquée que par la version anglaise du paragraphe (4) (« if […] the Commission issues a notice of violation to the person »), ne sont précisés nulle part, même dans les directives de la Commission à son personnel[169]. L’emploi des expressions « donner un avis » et « issues a notice » au paragraphe (4), plutôt que du verbe « notifier » (« notify ») utilisé à l’article 53 à propos de la communication d’une « décision » de la Commission, pourrait constituer un indice que le Parlement ne considérait pas l’avis de violation comme une véritable « décision ». Les tenants de la thèse de l’« automaticité » de la sursanction peuvent trouver là un argument. Mais cet argument est faible, car la loi utilise assez peu et ne définit nulle part le mot « décision ». Par ailleurs, même automatique, la sursanction est au minimum l’accessoire de l’imposition d’une pénalité — dont nul ne doute qu’elle constitue une « décision » susceptible d’appel en vertu de l’article 114. Lorsqu’elle évoque la contestation d’un avis de violation par le prestataire, la jurisprudence considère implicitement que cet avis est porteur d’une « décision », point de vue qui n’est guère conciliable avec la thèse de l’« automaticité » de la sursanction.

Il n’est donc pas aisé de déterminer si, et quand, l’avis de violation a été « donn[é] », pour reprendre le terme utilisé dans la version française du paragraphe (4). D’où les hésitations de la Cour d’appel fédérale entre « émission » et « notification », voire « signification » de l’avis ; d’où la tentation compréhensible d’opter plutôt, en dépit de la lettre de l’article 7.1, pour la date de l’acte délictueux, moins liée aux aléas du traitement des dossiers par la Commission[170].

Le flottement observé dans la jurisprudence sur ce point laisse d’autant plus perplexe si l’on tient compte du jeu combiné des différents délais. Un exemple permettra de l’illustrer.

Soit un acte délictueux, consistant en une dissimulation de gains de travail, « perpétré » le 7 février 2000, mais non décelé par la Commission avant le 7 janvier 2004 : à cette date, le délai de réexamen d’une demande de prestations (72 mois : art. 52 (5)) ainsi que le délai pour donner un avertissement (72 mois : art. 41.1 (2)) courent toujours. La Commission notifie le jour même au travailleur une demande de remboursement des prestations indues (dont le délai de recouvrement court jusqu’au 7 février 2006 : art. 47 (3)) et un avis de violation comportant un avertissement. Celui-ci fera peut-être allusion à la possibilité qu’une violation ultérieure entraîne une majoration de la norme d’admissibilité applicable à ce travailleur. Celui-ci ne conteste pas avoir fait la fausse déclaration et rembourse les prestations indues. Le 1er septembre 2008, le travailleur, ayant de nouveau perdu son emploi, commence à toucher des prestations. Le 7 décembre suivant, la Commission croit déceler une fausse déclaration dans la demande présentée le 1er septembre. Elle impose une pénalité, que le travailleur conteste au motif que cette déclaration erronée résulte d’une méprise de sa part. La Commission accepte, vu les circonstances invoquées, de réduire le montant de la pénalité à 80 p. 100 des prestations indues ; toutefois, compte tenu de l’avertissement donné en 2004, elle considère qu’il s’agit cette fois d’une violation « subséquente » entraînant une majoration de la norme d’admissibilité de 560 à 1 190 heures d’emploi assurable (en supposant un taux régional de chômage de 8,5 p. 100). Le 21 décembre 2008, un avis de pénalité et un avis de violation sont expédiés au travailleur à cet effet. La majoration de la norme d’admissibilité s’appliquera donc aux deux premières demandes de prestations que pourrait présenter le travailleur avant le 21 décembre 2013. À supposer même que le travailleur conteste la pénalité et obtienne en définitive gain de cause devant le conseil arbitral (mettons en février 2009), la majoration pourrait lui rester applicable malgré l’annulation de la pénalité[171]. Ce n’est qu’en présentant une nouvelle demande de prestations au cours des cinq années suivantes, par exemple en septembre 2012, que le travailleur découvrirait l’effet différé d’une fausse déclaration faite en février 2000. Un tel scénario, même s’il n’est pas le plus plausible, est parfaitement concevable dans l’état actuel du dispositif de sursanction, de la jurisprudence et des pratiques administratives.

Le cinquième et dernier aspect de la mise en oeuvre du dispositif de sursanction concerne la possibilité pour le travailleur d’exercer un recours à l’encontre de la majoration, immédiate ou éventuelle, de la norme d’admissibilité applicable à une nouvelle demande de prestations. La jurisprudence montre sur ce point une grande confusion. Bien qu’elle incline majoritairement à considérer la majoration comme un effet automatique d’une violation, elle ne parvient pas, dans l’ensemble, à en tirer les conséquences sur le plan des recours possibles, faute de comprendre correctement la notion de « violation ». Il faut le redire : la violation ne se résume pas à une contravention à la loi. La violation au sens de l’article 7.1 (4) est une contravention déjà sanctionnée par une condamnation pénale, une sanction administrative pécuniaire (une pénalité) ou une sanction administrative non pécuniaire (un avertissement). C’est l’imposition de cette sanction pénale ou administrative qui fait d’une contravention une violation. C’est de la violation ainsi comprise que la majoration de la norme d’admissibilité est une conséquence — conséquence automatique, selon l’opinion dominante, ou conséquence éventuellement produite par une décision discrétionnaire de la Commission, selon l’analyse ébauchée dans l’arrêt Savard.

Dès lors, si l’on retient la thèse selon laquelle la majoration de la norme d’admissibilité est une conséquence automatique de la sanction pénale ou administrative d’une contravention, il s’ensuit que, pour échapper à la majoration de la norme d’admissibilité, il faut contester victorieusement l’imposition de cette sanction pénale ou administrative. Un recours dirigé contre l’avis de violation, afin d’échapper à la majoration, n’a aucun sens par lui-même ; s’il peut avoir un sens, c’est tout au plus comme conclusion accessoire de la contestation visant la sanction. L’acquittement du travailleur poursuivi au pénal et l’infirmation définitive, par le conseil arbitral ou le juge-arbitre, d’une décision infligeant une pénalité ou donnant un avertissement sont les seuls moyens d’échapper à la majoration, si celle-ci est vraiment la conséquence automatique d’une violation.

C’est ce que la jurisprudence peine, semble-t-il, à discerner clairement. Seul l’arrêt Patry adhère, encore que de manière implicite, à cette dimension de la thèse de l’« automaticité », lorsqu’il approuve le juge-arbitre de ne pas être intervenu à propos d’un avis de violation, dès lors qu’il avait confirmé l’imposition de la pénalité à laquelle faisait suite cet avis[172]. Le juge-arbitre, de son côté, a parfois jugé que ni lui ni le conseil arbitral ne pouvaient modifier la « qualification » d’une violation au sens de l’article 7.1 (5) ; cette conclusion, certes justifiée dans la logique de l’« automaticité » de la majoration, ne semblait cependant pas fondée sur la reconnaissance de l’incompétence radicale des instances de recours à l’égard de l’avis de violation en tant que tel — incompétence que la thèse de l’« automaticité » emporte pourtant… automatiquement[173] ! L’arrêt Limosi, après avoir réaffirmé cette thèse, n’en perçoit pas la conséquence, puisqu’il envisage que le travailleur puisse exercer un droit d’appel contre l’avis de violation, que la Cour décrit comme « la décision de la Commission lui reprochant une violation[174] ». L’arrêt Savard évoque lui aussi la possibilité pour le travailleur de « contester la décision de la Commission qui le tient responsable[175] », mais avec plus de logique puisque la Cour paraît considérer l’avis de violation comme l’expression d’une décision discrétionnaire de la Commission. Ce n’est en effet que si la thèse du caractère discrétionnaire de la majoration prévaut que le recours contre un avis de violation est ouvert : l’avis de violation est alors véritablement une « décision » susceptible d’appel en vertu de l’article 114.

L’examen de la troisième phase de l’application du dispositif de sanctions mis en place en 1996 montre qu’une clarification décisive est nécessaire, et que les conséquences devront en être pleinement tirées. Cette clarification nécessaire concerne, bien évidemment, la place qu’occupe dans ce dispositif la majoration de la norme d’admissibilité. La présence de cette sursanction a pour effet de conférer aux sanctions administratives à la fois un poids largement supérieur dans l’ensemble du dispositif de sanctions, un caractère inédit quant à la nature de la sanction (puisqu’elle consiste à remplacer une norme d’application générale et uniforme par une norme hautement individualisée[176]) et une portée temporelle plus étendue que celle de beaucoup de sanctions pénales. Or, l’incertitude et les tâtonnements caractérisent encore, après plus d’une décennie de mise en oeuvre, plusieurs aspects de cette sursanction administrative. Le principal de ces aspects est l’articulation de la sursanction avec la sanction initiale. On hésite à admettre que l’une est le prolongement obligé de l’autre puisque le texte législatif, par son approche oblique, entretient l’équivoque sur ce point. Opter pour cette solution confère à la sanction globale un tel poids, et à ses effets une rigueur si peu nuancée, que même ceux qui croient cette solution fondée cherchent à la tempérer par des aménagements à la marge : exigence de communication à l’intéressé, reconnaissance plutôt théorique d’un droit de recours. D’un autre côté, soutenir que la mise en oeuvre de cette sursanction est discrétionnaire n’est pas non plus une solution clairement dictée par le texte législatif ; celui-ci, notamment, n’indique pas quelles circonstances ou quels motifs devraient guider l’exercice de cette faculté reconnue à la Commission.

D’une clarification de cette question ne dépend pas seulement le régime de la majoration de la norme d’admissibilité : c’est l’économie de tout le dispositif de sanctions qui est concernée. L’expérience de plus d’une décennie montre que l’on ne peut s’attendre que cette clarification soit apportée à bref délai par la jurisprudence. Cela tient en partie aux caractéristiques institutionnelles des juridictions compétentes en matière de prestations d’assurance-emploi. Mais cela tient avant tout, on ne le dira jamais assez, aux choix rédactionnels du législateur de 1996. C’est donc bien d’une intervention du Parlement que doit venir cette clarification. Au-delà d’un meilleur agencement des textes, au-delà même d’une meilleure articulation des différents types et niveaux de sanctions, il s’agit, semble-t-il, de rechercher un meilleur équilibre des trois logiques qui s’entrecroisent dans la Loi sur l’assurance-emploi : logique de solidarité, logique d’assurance, logique de répression.

3 La signification du dispositif de sanctions

L’état actuel du dispositif de sanctions est la résultante de choix politiques opérés à différentes époques à propos du régime d’assurance-chômage dans son ensemble. Ces choix se différencient notamment par les proportions variables dans lesquelles ils développent et combinent trois logiques inscrites dès l’origine dans les systèmes publics de protection des salariés contre le risque d’insécurité financière lié à la perte involontaire de leur emploi en raison d’aléas économiques. C’est la relation entre ces trois logiques qui définit la signification que revêt, à un moment donné, le régime d’assurance-chômage dans son environnement social. La première de ces logiques s’enracine dans l’éthique ; elle développe l’idée de solidarité entre les acteurs de la relation de travail salarié devant les aléas inhérents au contexte de cette relation dans une économie de marché (3.1). La deuxième est d’ordre plutôt technique ; elle procède de l’adaptation, aux fins de la protection des salariés contre les effets du chômage sur leurs conditions de vie, de la technique juridique de l’assurance (3.2). La troisième, enfin, est de nature politique ; elle découle de l’utilisation de l’assurance-chômage pour rechercher certains objectifs de politique économique et sociale grâce, notamment, à l’effet de contrainte que permet l’intégration de ce régime de protection au droit étatique (3.3).

La relation entre ces trois logiques ne doit pas être comprise en termes de superposition ou de juxtaposition, mais plutôt d’entrecroisement ; elles ne sont pas hiérarchisées ni parallèles, mais plutôt dans un rapport dynamique, constamment en cours de recomposition. En repérant la présence de ces trois logiques dans le dispositif de sanctions, on peut en éclairer la signification actuelle et le devenir possible. Par là, on peut mieux comprendre la place qu’occupent dans ce dispositif les sanctions administratives.

3.1 La logique de solidarité entre les acteurs de la relation d’emploi

Historiquement, l’assurance-chômage est apparue, au Canada comme dans les autres pays industrialisés, lorsqu’à la suite de difficultés économiques le patronat et le mouvement ouvrier ont été amenés à reconnaître leur commune vulnérabilité aux aléas de la conjoncture. Sous la pression de dirigeants politiques préoccupés par les menaces à la survie du capitalisme, le patronat a dû convenir qu’il avait intérêt à contribuer à l’indemnisation des travailleurs frappés par le chômage, tout comme le mouvement ouvrier trouvait avantage à accéder, au nom des travailleurs, à une part de pouvoir, d’influence et de légitimité à laquelle il prétendait de longue date. Ainsi l’instauration de l’assurance-chômage a-t-elle marqué, particulièrement au Canada, mais aussi en Grande-Bretagne, une étape décisive dans l’avènement de l’État-providence et de ce que l’on appellera le « compromis social-démocrate[177] ».

La socialisation du risque de chômage, c’est-à-dire la prise en charge, dans le cadre d’un régime d’assurance obligatoire, des conséquences du chômage sur la sécurité économique du salarié, n’a cependant pas été une création ex nihilo. Dans plusieurs pays, notamment en Grande-Bretagne, le régime légal d’assurance-chômage a représenté l’extension à une plus large part de la main-d’oeuvre salariée de mesures de protection préexistantes, d’origine conventionnelle. En effet, des mutuelles d’entraide, mises en place par des associations ouvrières, offraient déjà à leurs membres une certaine protection contre la perte de revenu due au chômage. Le régime légal s’inscrivait ainsi en partie dans la continuité de pratiques déjà ancrées dans la solidarité ouvrière[178]. Certaines règles en usage dans ces régimes conventionnels d’indemnisation des travailleurs en chômage ont d’ailleurs été reprises dans la législation britannique et canadienne. Dans leur cadre associatif d’origine, la sanction de ces règles relevait de la discipline interne de ces groupements, elle-même manifestant aussi la solidarité entre leurs membres.

L’organisation de l’indemnisation des chômeurs dans le cadre d’une assurance obligatoire instituée par l’État a consacré, au-delà de cette solidarité ouvrière, la solidarité partielle d’intérêts entre le patronat et les travailleurs et, encore au-delà de celle-ci, la solidarité de l’ensemble de la société et des salariés — ceux-ci formant déjà une part prépondérante, et encore croissante, de la population économiquement active[179]. L’État lui-même se reconnaissait comme partie prenante à ce pacte de solidarité : le développement de l’interventionnisme, voire du dirigisme, impliquait sa responsabilité partielle dans l’incidence du chômage. Cette responsabilité de l’État s’est concrétisée, notamment au Canada jusqu’en 1990, par une contribution au financement de l’assurance-chômage. Même lorsqu’il ne finance pas le régime, l’État peut, grâce à la maîtrise qu’il exerce sur la forme législative donnée à l’assurance-chômage, introduire dans ce régime des éléments de solidarité sociale, donc d’une solidarité plus ample que celle qui unit les acteurs de la relation d’emploi, tendant à une redistribution de la richesse. C’est le cas par exemple, aujourd’hui au Canada, du supplément de prestations, lié au niveau de revenu, au titre des enfants à charge[180], ou de l’obligation faite aux prestataires à revenu élevé de rembourser une partie de leurs prestations[181].

Cet élargissement de l’horizon de solidarité vers lequel tend l’assurance-chômage n’empêche pas qu’un régime de ce type reste étroitement lié à la relation d’emploi ainsi qu’aux acteurs et aux incidents de cette relation. Les indications en ce sens données par le texte législatif sont validées par l’analyse économique, qui laisse penser que la participation de l’employeur au financement de l’assurance-chômage et des autres régimes de sécurité sociale joue le rôle d’un salaire différé, qui est pris en considération dans le calcul des coûts de main-d’oeuvre et donc susceptible d’être répercuté sur les prix pratiqués par l’entreprise. Il n’y a donc pas lieu de se surprendre que, même intégrée au droit étatique et gérée par l’administration publique, l’assurance-chômage conserve des traits inspirés du paritarisme employeurs/salariés (composition de la Commission de l’assurance-emploi[182] et du conseil arbitral[183]) et des dispositions reflétant sa sensibilité aux tensions et aux réalités locales de la relation d’emploi (situations de conflit collectif[184], congédiement pour inconduite[185], protection des libertés syndicales[186], justifications de l’abandon d’un emploi[187], variation régionale de la norme d’admissibilité[188], référence aux pratiques des « bons employeurs »[189]). L’ancrage du régime dans la solidarité entre les acteurs de la relation d’emploi lui impose de tenir compte de ce que cette solidarité se traduit d’abord par une « coopération dans l’antagonisme ».

Le dispositif de sanctions n’échappe pas à cette solidarité entre les acteurs de la relation d’emploi. Elle s’y exprime par une attente de loyauté, d’honnêteté élémentaire, dans les rapports du cotisant (c’est-à-dire essentiellement l’employeur) ou de l’assuré/prestataire avec l’assureur social (la Commission). Dans la mesure précisément où il s’agit d’une assurance sociale, ces rapports ne se laissent pas complètement réduire à un modèle administratif. L’assureur social, implicitement, gère le régime en se référant à un objectif d’équité à l’endroit de la collectivité des cotisants (employeurs et salariés confondus, cette fois) et de celle des assurés. L’attente de loyauté qui sous-tend le dispositif des sanctions applicables aux employeurs et celui qui s’applique aux travailleurs relativement aux prestations de chômage concerne donc la relation de l’employeur avec ses salariés et celle du salarié avec son employeur et les autres salariés. Certes, l’« étatisation » de l’assurance-chômage au Canada a eu pour effet d’occulter ce fondement éthique du dispositif de sanctions derrière une obligation plus générale et abstraite de respecter la loi et de ne pas chercher à la contourner ou à s’y soustraire. Mais la logique de la solidarité demeure présente, en latence pour ainsi dire, dans ce dispositif et pourrait être réactivée en prenant notamment appui sur les éléments de paritarisme que présente le régime.

3.2 La logique assurantielle

Le choix de la technique de l’assurance sociale, dans la loi de 1935, était imposé par les circonstances. La crise économique alors en cours avait obligé à constater les limites et les inconvénients de l’assistance sociale comme réponse à une situation d’insécurité économique et financière généralisée. L’assurance, avec l’effort de prévision et de prévoyance qu’elle demande, paraissait répondre beaucoup plus adéquatement au besoin de stabilité du revenu des salariés. Le recours à cette technique supposait de définir, d’une part, le risque couvert et, d’autre part, l’ampleur de l’indemnisation de la victime du préjudice. Seule une détermination suffisamment objective de ces deux termes permet de reconnaître au bénéfice des assurés un droit subjectif à l’indemnisation, opposable à l’assureur social, sur le modèle des droits découlant d’un contrat d’assurance. S’agissant d’assurance sociale, cependant, il était inévitable que cette stricte logique assurantielle subisse des modifications.

Ainsi, le taux de la cotisation prélevée auprès des assujettis devrait en principe découler rigoureusement du coût prévisible d’une indemnisation donnée, établi en fonction de données actuarielles. En réalité, la fixation du taux nécessaire à la couverture des coûts a été infléchie par l’aménagement de flux financiers entre le régime d’assurance-chômage et le Trésor public : de 1940 à 1990, celui-ci a pris en charge une part des coûts du régime, alors qu’à compter de 1994 le Trésor public a bénéficié de l’apport d’un colossal excédent des cotisations d’assurance-emploi. Une telle « budgétarisation » des déficits et des excédents rend évidemment beaucoup moins manifeste le lien entre cotisations et prestations[190].

En revanche, d’autres aspects de l’assurance-chômage témoignent de l’attraction exercée par la logique assurantielle, du moins en ce qui a trait aux prestations. C’est le cas des règles justifiées par le principe selon lequel l’assuré ne doit pas contribuer, par un comportement délibéré, à l’aggravation du risque pris en charge par la collectivité des cotisants. Ces règles concernent notamment l’abandon volontaire d’un emploi sans justification, la perte d’un emploi en raison de sa propre inconduite ou le refus d’une offre d’emploi convenable[191] : tous ces comportements entraînent, depuis les origines du régime d’assurance-chômage, la perte plus ou moins durable du droit aux prestations. Les mesures de sanction visant les fausses déclarations faites sciemment relèvent elles aussi en partie de cette logique assurantielle tendant à minimiser l’incidence du risque subjectif. Cette logique n’a pas joué cependant en matière de cotisations : le régime canadien n’a jamais connu la pondération des cotisations de l’employeur en fonction de l’incidence du chômage dans son entreprise.

La conformité du régime d’assurance-chômage à la logique assurantielle liant le risque couvert, les cotisations et les prestations a par ailleurs été mise en doute lors de diverses contestations judiciaires visant la constitutionnalité de l’inclusion dans le champ d’application du régime de situations ne relevant pas, à première vue, de l’indemnisation d’un travailleur salarié pour la perte de gain subie involontairement : activité de chauffeurs de taxi propriétaires de leur véhicule[192], activités d’emploi exercées par des personnes recevant des prestations au titre de la réinsertion[193], parents ayant interrompu leur emploi pour s’occuper d’un enfant[194], chômeur de longue durée participant à des activités de réinsertion[195]. Dans tous les cas, la Cour suprême a soit validé l’extension du domaine matériel de l’« assurance-chômage » attribué au Parlement fédéral, soit considéré que celui-ci pouvait valablement traiter la situation en cause dans l’exercice de son pouvoir de dépenser, tout en faisant passer son intervention par le canal du régime d’assurance-chômage.

La présence de la logique assurantielle se laisse également discerner à travers le dispositif de sanctions[196]. Celui-ci, et particulièrement l’ensemble des sanctions administratives qu’il comporte, met en évidence le rapport administratif que nouent l’assuré et l’assureur à propos de leurs obligations réciproques dans le cadre du mécanisme d’assurance. Ce rapport implique notamment l’obligation pour l’assuré de faciliter à l’assureur l’exercice de ses droits et l’exécution de ses obligations. C’est en partie à ce titre que l’assuré est passible de sanctions administratives. Ces sanctions, par ailleurs, sont non seulement imposées par l’assureur dans le cours du rapport qu’il entretient avec l’assuré, mais encore tirées du régime lui-même. Les pénalités, au même titre que les prestations recouvrables, peuvent être retenues sur les prestations payables[197]. La sursanction sous la forme d’une majoration de la norme d’admissibilité signifie qu’un acte délictueux est sanctionné, concrètement, par la perte éventuelle de droits à des prestations. Si, d’un autre angle, ces sanctions administratives peuvent s’analyser comme l’expression de la logique de solidarité entre les acteurs de la relation d’emploi, comme la projection d’une forme d’« éthique professionnelle », elles apparaissent de manière plus immédiate comme exprimant l’assujettissement des cotisants et assurés à une sorte de « règlement intérieur » de leur relation avec l’assureur social.

3.3 La logique répressive

Une autre logique est aujourd’hui à l’oeuvre, en interaction avec les deux premières, dans le régime d’assurance-chômage : la logique de la contrainte, qui n’a de sens qui si elle dispose de moyens de répression. Peu présente aux origines de l’assurance-chômage, aussi bien en Grande-Bretagne qu’au Canada, elle a progressivement étendu ses manifestations jusqu’à atteindre l’ampleur qu’on leur connaît depuis 1996. Ce développement graduel répond sans doute en partie à l’expérience acquise, à la perception ou à l’observation que ni la logique de la solidarité entre acteurs de la relation d’emploi ni la logique assurantielle ne sont en mesure à elles seules de contenir les tentatives de contournement de la loi. Or, précisément, il s’agit d’une loi — support habituel des régimes d’assurance sociale —, et non d’un code d’éthique ou d’un contrat d’assurance. Les moyens de contrainte dont dispose l’État pour garantir le respect des lois peuvent donc être mis en oeuvre.

L’accentuation du recours à ces moyens de contrainte — la sanction pénale et la sanction administrative — accompagne l’évolution du régime lui-même, dont la vocation centrale n’a cessé de se modifier depuis les années 1970. De l’objectif de remplacement partiel du revenu des travailleurs salariés involontairement privés de leur emploi, objectif poursuivi pour lui-même et sur la base des logiques de la solidarité et de l’assurance, le régime a glissé vers un objectif de gestion du marché de l’emploi. Sans éclipser le premier, ni imposer une réécriture complète du régime, ce second objectif a entraîné l’introduction de certaines règles nouvelles, une « réinterprétation » du fondement de dispositions existantes et un déplacement du centre de gravité de l’ensemble. Cette évolution s’observe particulièrement dans le dispositif de sanctions, mais aussi dans les règles relatives aux exclusions.

L’accentuation de l’objectif de gestion du marché de l’emploi a correspondu à une période d’adaptation de ce marché à la conjoncture créée par la libéralisation des échanges commerciaux à l’échelle planétaire. L’assurance-chômage aurait pu contribuer positivement à cette « flexibilisation » du marché de l’emploi, mais à un coût inconciliable avec l’autre dogme de la pensée économique de l’époque : la compression des budgets publics et la réduction du poids des prélèvements. C’est donc sur le terrain de la contrainte que l’assurance-chômage a été mise à contribution. En modifiant les règles d’admissibilité aux prestations de manière à en assurer — grâce notamment à un dispositif de sanctions et d’exclusions renforcé — le bénéfice exclusif, paradoxalement, aux travailleurs les moins touchés par le processus de mondialisation des échanges (ceux qui, pour diverses raisons, pouvaient escompter de longues durées d’emploi bien rémunéré), on a forcé tous les autres à assumer avec leurs propres ressources leur « adaptation » au nouveau marché de l’emploi. Quitte à légitimer ce résultat, peu satisfaisant sur le plan de l’efficacité économique, de la cohésion sociale et de l’éthique, par l’invocation des valeurs de l’individualisme libéral : responsabilité individuelle, autonomie des acteurs économiques, recherche de l’excellence.

L’instrumentalisation de l’assurance-chômage à des fins de guidage du système économique n’est évidemment pas un phénomène nouveau. À l’époque de son introduction au Canada, l’assurance-chômage était déjà conçue, dans la perspective keynésienne qui commençait à prévaloir, comme un instrument de stabilisation du système par le soutien de la demande. Mais l’instrumentalisation dont témoigne l’évolution de l’assurance-chômage au Canada depuis les années 1990 semble de nature différente : elle tend à faire du régime, en partie, un instrument de modification directe des comportements individuels, en ayant notamment recours à des procédés relevant de la contrainte et de la sanction. L’acceptation, par la société et les parlementaires, de ce recours à la contrainte pour libéraliser le marché de l’emploi suppose d’accréditer l’idée que, sans cette contrainte, des comportements généralement réprouvés vont continuer à se répandre. Sur ce plan, le contexte d’adoption de la loi de 1996 est tristement familier : comme à bien d’autres moments dans l’histoire du droit social, ici et à l’étranger, les insinuations et dénonciations visant les fainéants, les fraudeurs et autres déviants ont fait écho aux préjugés classiques des « inclus » à l’endroit des exclus et alimenté l’intoxication de l’opinion publique.

Le développement spectaculaire du dispositif de sanctions dont témoigne la Loi sur l’assurance-emploi s’explique donc. L’entremêlement plus intime des logiques de solidarité et d’assurance avec la logique de répression répond à un choix politique et social. On peut en dire autant de l’aménagement interne de ce dispositif de sanctions. Conservant à la base le principe du non-cumul des sanctions pénales et des sanctions administratives, le nouveau dispositif le dément ensuite, puisqu’il prolonge l’un et l’autre type de sanction par une sursanction de nature administrative. Au total, par conséquent, les sanctions du type administratif sont largement privilégiées par rapport à la répression classique à travers le droit pénal.

De toute évidence, le Parlement a été sensible aux avantages prêtés au droit administratif répressif : simplicité et rapidité de mise en oeuvre, allégement relatif des exigences de preuve, efficacité dans la répression et la dissuasion individuelles, capacité d’autofinancement au moins partiel, discrétion relative du processus d’imposition, adaptation plus fine aux circonstances des contraventions et aux particularités des contrevenants, intégration au processus courant d’exécution de la loi par l’autorité administrative. Tous ces avantages lui ont paru, sans doute, justifier non seulement le développement considérable des règles de sanction visant les travailleurs et les employeurs relativement aux prestations de chômage, mais encore l’introduction de règles analogues à propos des bénéficiaires de prestations d’emploi[198].

Ce développement remarquable des règles de droit administratif répressif dans la Loi sur l’assurance-emploi soulève la question de la finalité de ces règles. Certains font valoir qu’elle est essentiellement dissuasive et que cette dissuasion opère au niveau individuel. Ainsi, la version 2009 du chapitre 18 du Guide de la détermination de l’admissibilité affirme ceci : « A penalty is not meant to be punishment. A penalty is meant to be a deterrent and to ensure individuals and employers neither benefit from nor repeat actions that risk the illegal payment of benefits[199]. »

La Cour d’appel fédérale accepte parfois cette façon de voir[200], soulignant, comme le font les juridictions pénales, la nécessité de garantir la viabilité du régime contre le risque de voir se multiplier les demandes frauduleuses[201]. En d’autres occasions, cependant, elle s’est montrée plus réaliste et attentive aux répercussions concrètes des sanctions administratives sur la vie du travailleur à qui est reprochée une fausse déclaration. Ainsi, examinant ce qu’il fallait déduire de l’obligation incombant à la Commission d’« agir de façon judiciaire » lorsqu’elle inflige une pénalité, la Cour a estimé qu’il fallait tenir compte notamment de l’impact que la décision est appelée à avoir sur les personnes directement touchées :

La décision […] est, par son genre même ainsi que par sa portée, très spécifique et les retombées éventuelles de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont nettement punitives. De plus, les conséquences pécuniaires découlant d’une décision défavorable prise au titre de cette disposition sont tout à fait dévastatrices. Non seulement un prestataire peut-il être obligé de rembourser à la Commission le trop-perçu, mais la pénalité fixée peut atteindre une telle somme qu’il est peu probable qu’elle soit jamais acquittée, ce qui va en fait avoir pour effet d’interdire au prestataire toute prestation d’assurance-chômage à l’avenir[202].

Avec le même réalisme, la Cour d’appel fédérale a observé que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire reposait en définitive sur l’appréciation personnelle de la situation par l’agent chargé de l’exercer — avec les avantages et les risques que cela comporte :

[S’]il n’est que raisonnable de vouloir laisser à la Commission le soin de décider finalement dans le cas d’une discrétion sous le paragraphe 41(10) [aujourd’hui l’article 50 (10)], il n’en est certes pas ainsi a priori dans le cas d’une décision [imposant une pénalité] qui n’a rien à voir avec l’expertise administrative, une décision de nature punitive qui dépend des réactions subjectives de l’autorité qui la prend, même en présence d’instructions venant d’une politique générale[203].

Ces propos invitent à ne pas réduire l’imposition de sanctions administratives à une fonction de dissuasion, assurée au terme d’un travail de pesée des circonstances lui-même mené avec détachement. Comme la sanction pénale, la sanction administrative se détermine par un processus multifactoriel, dont la volonté de punir n’est pas absente. L’accentuation de la logique répressive et l’aggravation des sanctions par la loi de 1996 ne font que rendre plus pertinentes encore les observations de la Cour d’appel fédérale.

Conclusion

Cet examen des mesures de sanction prévues par la Loi sur l’assurance-emploi conduit à deux ordres de conclusions. D’une part, il montre, à notre avis, la nécessité de revenir sur le dispositif institué en 1996 par cette loi. D’autre part, sur un plan plus large, il invite à une réflexion sur l’encadrement législatif des pouvoirs de sanction attribués à l’administration publique.

En ce qui concerne strictement la Loi sur l’assurance-emploi, une clarification de la base légale des sanctions administratives s’impose, à tout le moins. Le seul fait de réorganiser et de réécrire les dispositions qui les concernent représenterait déjà un progrès appréciable, même s’il ne devait s’agir que d’une refonte du texte, sans modification de substance. Les gains essentiels à rechercher se situeraient alors sur le plan de la visibilité et de l’intelligibilité exacte de l’articulation entre sanction et sursanction. Mais il ne s’agit là que d’un minimum, indispensable pour rétablir un peu de sécurité juridique.

La gravité des questions soulevées par le développement de la logique répressive dans le régime d’assurance-chômage justifie cependant de pousser la réflexion plus loin à propos de cette loi. On peut légitimement s’attendre que les questions suivantes, notamment, reçoivent une réponse. La sursanction instituée en 1996 a-t-elle eu des effets mesurables ? Quels ont été ces effets ? Correspondent-ils aux prévisions ? Rendent-ils souhaitable le maintien de cette partie du dispositif[204] ? Dans l’éventualité où les réponses conduiraient à préconiser le maintien de cette sursanction, il s’imposerait de s’interroger sur son caractère véritable. Si elle doit demeurer ce que, selon l’opinion dominante, elle est déjà, c’est-à-dire le prolongement automatique d’une décision discrétionnaire d’imposer une pénalité ou de la sentence découlant d’un jugement de culpabilité, alors cette liaison automatique doit être rendue beaucoup plus manifeste, non seulement dans la loi, mais dans le processus d’application par les instances administratives et judiciaires. Si, par contre, on devait en venir à la conclusion que sanction et sursanction doivent être découplées et faire l’objet de décisions discrétionnaires distinctes, de sorte que la sursanction soit réservée aux cas les plus graves d’abus du régime, il s’imposera de conférer explicitement le pouvoir nécessaire, d’en choisir le titulaire et d’en encadrer l’exercice.

La question du titulaire du pouvoir d’imposer une sanction administrative mérite d’ailleurs d’être posée plus largement, et pas seulement en ce qui concerne une sursanction éventuellement détachée de la sanction imposée en premier lieu. La logique assurantielle a conduit à confier au personnel de la Commission le pouvoir d’imposer les sanctions administratives, sous réserve de l’encadrement de l’exercice de ce pouvoir au moyen de directives et sous la garantie du contrôle juridictionnel relativement limité qu’exercent, en cas de recours, le conseil arbitral, le juge-arbitre et la Cour d’appel fédérale. Ce pouvoir de sanction s’est considérablement étendu sous l’impulsion de la logique répressive privilégiée en 1996. Il est plus que temps de rééquilibrer le dispositif de sanctions en remettant en lumière la logique de solidarité dont il est censé être aussi porteur. Le déplacement du pouvoir d’imposer des sanctions administratives pourrait y contribuer. L’histoire du régime d’assurance-chômage suggère peut-être une manière de l’effectuer sans bouleversement institutionnel.

Jusqu’en 1971, en effet, la législation canadienne, à l’image des textes britanniques originaires, prévoyait le renvoi au conseil arbitral, par le fonctionnaire de l’assurance saisi d’une demande de prestations, des cas qui lui paraissaient appeler une décision négative. Ne pourrait-on envisager une solution de ce type aujourd’hui, strictement dans les cas où le personnel de la Commission estimerait qu’il y a matière à l’imposition d’une sanction administrative ? Ou encore pourrait-on, dans l’hypothèse où sanction et sursanction resteraient prévues par la loi mais seraient découplées, appliquer cette solution à l’imposition de la seule sursanction, soulignant ainsi une volonté de réserver celle-ci aux cas les plus graves ? Certes, pour trouver véritablement son sens, un tel transfert de compétence devrait s’inscrire dans un renforcement de l’autonomie institutionnelle et fonctionnelle du conseil arbitral par rapport à la Commission.

L’imposition d’une sanction administrative appartiendrait alors, au moins en partie, au conseil arbitral, instance représentative de la collectivité des cotisants et des assurés, sous réserve du contrôle exercé par les instances de recours supérieures selon les voies normales. Le dispositif de sanctions prévu depuis 1996 par la Loi sur l’assurance-emploi, convenablement reformulé et rigoureusement réévalué, pourrait trouver dans un tel réaménagement du pouvoir décisionnel un équilibre plus satisfaisant entre les trois logiques qui le traversent. En particulier, la logique de répression, hypertrophiée depuis la loi de 1996, serait à la fois tempérée et mieux légitimée par une présence plus visible de la logique de solidarité.

En ce qui concerne l’ensemble du droit administratif répressif, cet examen critique des sanctions prévues par la Loi sur l’assurance-emploi aura montré le peu de contraintes qui encadrent son développement. Pour autant que soient respectées les exigences élémentaires découlant du principe de légalité, notamment la détermination par la loi, avec un certain degré de précision, des comportements visés et de la nature des sanctions patrimoniales applicables, le Parlement dispose souverainement en matière de sanctions administratives. La Loi sur l’assurance-emploi ne se singularise à cet égard, en droit fédéral, que par le caractère particulièrement complexe des dispositions décrivant les sanctions, par le caractère discrétionnaire de celles-ci, par leur possibilité d’étalement dans le temps et par la quasi-absence de garanties de procédure. D’où un notable développement de la jurisprudence autour de ces dispositions. Cette jurisprudence, on l’a vu, n’est pas parvenue à dégager nettement le sens et la portée de plusieurs éléments du dispositif global. En revanche, elle a clairement dissocié le régime de la répression administrative — si lacunaire qu’il puisse être — du régime de la répression pénale, se refusant à transposer au bénéfice de l’administré auquel est imputée une contravention les droits et garanties dont jouit l’accusé dans un procès pénal. Ce choix est légitime et cohérent. Il laisse toutefois l’administré à la merci des lois sectorielles instituant des sanctions administratives. Selon ce que ces textes prévoient ou s’abstiennent de prévoir, il sera plus ou moins protégé ou vulnérable. Dans les interstices de ces textes, sa situation dépendra en fait bien souvent des pratiques de l’administration publique, formalisées ou non par des directives. Certes, correctement conseillé, l’administré pourra parfois invoquer l’obligation générale d’un décideur public d’agir équitablement lorsqu’il impose une sanction. Au total, cependant, cet encadrement juridique parcellaire, incomplet et incertain ne semble pas à la hauteur des questions de légitimité, de transparence et de justice soulevées par le développement des sanctions administratives dans le droit public contemporain.

Le cas de la Loi sur l’assurance-emploi permet de comprendre certaines des raisons de ce développement. L’engouement actuel des gouvernants pour les sanctions administratives a vraisemblablement beaucoup à voir avec certaines caractéristiques du droit administratif répressif : rapidité et simplicité de mise en oeuvre, économie de moyens, discrétion relative, efficacité présumée, faiblesse des contrôles externes. Du point de vue de l’État de droit démocratique, ces considérations ne sont pas toutes et à tous égards condamnables. Elles ne sauraient cependant justifier que les données générales de l’action répressive de l’administration publique demeurent aussi imprécises. Au-delà du cas exemplaire de l’assurance-emploi, il faut souhaiter que le Parlement fédéral soit bientôt saisi d’un régime général applicable à l’imposition de sanctions administratives[205]. Ne serait-il pas normal que les parlementaires, qui se sont mobilisés naguère pour se réserver un droit de regard sur le développement des frais d’utilisation perçus par l’administration publique[206], en fassent autant face au développement, plus préoccupant encore, du droit administratif répressif ?