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Le 18 mars 2002, à Avranches, Jacques Chirac, alors président de la République française, affirmait que « [l]’environnement est l’une des grandes exigences de notre temps[1] ». Il poursuivait en faisant le voeu d’une écologie ouverte, qui inspirerait des règles rigoureuses, lorsque cela serait nécessaire, dans le respect des libertés individuelles. Ce discours politique devait trouver, trois ans plus tard, une traduction juridique dans un acte solennel. S’inscrivant dans un mouvement général de constitutionnalisation des diverses branches du droit, l’environnement faisait une entrée, historique et symbolique, dans le bloc de constitutionnalité. Un texte entier, la Charte de l’environnement[2] de 2004, proclamait une nouvelle génération de droits de l’homme en France.

La Charte de l’environnement constitue ainsi un instrument juridique nouveau au service de la défense de l’environnement[3]. Désormais, en vertu de l’article premier de cette charte, « [c]hacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et corrélativement, selon l’article 2, « [t]oute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». L’inscription de l’environnement parmi les normes à valeur constitutionnelle manifeste la volonté de garantir plus efficacement le respect des règles assurant la protection de l’environnement. Les droits et devoirs en matière d’environnement sont désormais hissés au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, ce qui appelle, de ce fait, une protection renforcée. L’environnement devient un intérêt supérieur, qui doit être assorti de toutes les garanties juridiques relevant de son rang[4].

Or, la proclamation de droits et devoirs ne saurait avoir une réelle portée juridique sans être assortie de sanction effective. Chacun sait que l’application et le respect des normes juridiques sont subordonnés à l’existence de sanctions suffisamment dissuasives, c’est-à-dire pénales. La fonction préventive du droit pénal vient alors renforcer l’objectif de protection de l’environnement, en instillant la crainte d’une répression en cas de transgression. Une telle nécessité de réprimer sévèrement les atteintes à l’environnement a été affirmée avec force à plusieurs reprises dans les discours politiques annonçant l’avènement de la Charte de l’environnement. Aussi bien le président de la République (dans son discours prononcé à Avranches le 18 mars 2002) que le garde des Sceaux de l’époque (discours tenu par Dominique Perben le 13 mars 2003[5]) ont souligné la responsabilité de chacun dans cette nouvelle « écologie humaniste » annoncée, affirmant qu’il ne fallait « pas hésiter à sanctionner les délits, parce que ce sont des délits contre les hommes[6] ». Et dès avant l’idée même d’une charte constitutionnelle de l’environnement, M. Lecanuet, garde des Sceaux, avait affirmé la nécessité de mécanismes répressifs en matière environnementale. Ainsi concluait-il un discours en déclarant que « [l]e non-respect des règles protectrices de l’environnement constitue aujourd’hui un comportement socialement dangereux au même titre que certains actes qui depuis longtemps tombent sous le coup de la loi pénale[7] ».

La Charte de l’environnement consacre donc l’affirmation positive de nouvelles valeurs, celles de droits et devoirs à l’égard de l’environnement, envers l’humanité tout entière, présente et à venir. Il en va de « l’avenir et [de] l’existence même de l’humanité », de « l’épanouissement de la personne » et du « progrès des sociétés humaines », et cela, à la fois pour « [l]es générations futures » et « [l]es autres peuples »[8]. Les enjeux environnementaux font désormais partie des droits de l’homme. En tant que tels, ils appellent un renforcement de la répression des atteintes qui leur seraient portées, car c’est bien là l’un des rôles fondamentaux du droit pénal que de révéler l’importance accordée par le législateur au respect des dispositions qu’il édicte. Le droit pénal est ainsi amené à remplir à la fois une fonction expressive, c’est-à-dire qu’il exprime les valeurs sociales essentielles de notre temps, et une fonction protectrice des intérêts fondamentaux de la société, de l’intérêt général dont le ministère public est le défenseur institutionnel devant les juridictions répressives.

Malheureusement, cette volonté de réprimer sévèrement toute atteinte à l’environnement désormais hissé au plus haut rang des normes n’a pas été transcrite dans le texte constitutionnel. À la lecture de la Charte de l’environnement, le pénaliste ne peut s’empêcher de constater avec dépit l’absence de toute disposition répressive, de référence quelconque à la responsabilité pénale. Alors même que les droits et devoirs en matière d’environnement sont hissés au sommet de la hiérarchie des normes, la répression de leurs atteintes éventuelles n’est pas même évoquée en termes généraux. Or, sur ce point, le constituant français aurait pu utilement s’inspirer de la Constitution espagnole[9] qui, dans le paragraphe 3 de son article 45, prévoit des sanctions pénales ou administratives à l’encontre de ceux qui méconnaîtront les principes généraux du droit constitutionnel de l’environnement posés au paragraphe 2. De même, la Constitution grecque contient une disposition expresse enjoignant à l’État de prendre des « mesures spéciales, préventives ou répressives[10] », en vue de la sauvegarde de l’environnement.

Le texte adopté en France laisse par conséquent un sentiment d’insatisfaction et d’inquiétude. Aucun système particulier de responsabilité écologique n’est instauré en matière pénale, alors même que la problématique environnementale, avec ses multiples enjeux et les conséquences des atteintes portées au patrimoine écologique de l’humanité, à court et à plus long terme, appelle des sanctions spécifiques. L’importance du droit pénal en tant que protecteur des droits fondamentaux proclamés méritait de se voir consacrer une place, aussi minime soit-elle, au sein des principes généraux de l’action publique. D’autant que l’innovation majeure de la Charte de l’environnement consiste à proclamer des devoirs, notamment celui de prévenir les atteintes à l’environnement ou, à défaut, d’en limiter les conséquences (art. 4)[11]. Or la présence de devoirs ne renvoie-t-elle pas à une forme de responsabilité de leurs débiteurs, ayant sa traduction sur le plan pénal ?

Pourtant, aucune sanction spécifique n’est prévue en cas de non-respect des droits et devoirs généraux énoncés dans la Charte de l’environnement. Aucune infraction écologique ne figure dans cette charte, qui est donc dépourvue de portée directe sur le plan de la responsabilité pénale. C’est par conséquent dans d’autres textes, au sein des normes pénales préexistantes, applicables en matière d’environnement, qu’il convient de rechercher les instruments de protection des nouveaux droits fondamentaux. Cependant, l’actuel droit pénal offre-t-il une protection efficace, une garantie qui soit à la hauteur du rang désormais attribué aux exigences environnementales[12] ?

La codification du droit de l’environnement français, opérée par une ordonnance du 18 septembre 2000[13], a achevé de mettre en place un dispositif pénal a priori complet quant aux actes de délinquance écologique incriminés, le législateur français ayant prévu un large éventail d’infractions dans ce domaine. De manière générale, l’arsenal répressif qui en ressort fait état d’un certain nombre de particularités très marquées : certaines dénotent un souci d’adaptation des réponses répressives à la spécificité des atteintes à l’environnement, voire un caractère novateur dans les sanctions encourues, tandis que d’autres mettent en lumière les nombreuses imperfections et les incohérences dont souffre le droit de l’environnement dans son ensemble[14].

Empreint d’une forte spécificité par rapport aux autres branches spéciales du droit répressif, le droit pénal de l’environnement présente un particularisme dans ses incriminations (1) qui n’est pas étranger aux difficultés d’application qui demeurent à l’heure actuelle (2).

1 Le particularisme marqué des incriminations du droit pénal de l’environnement français

Deux particularités majeures peuvent être relevées à ce stade. Pris dans sa globalité, le droit pénal de l’environnement français se caractérise, en premier lieu, par un foisonnement de textes en constante évolution (1.1). Après analyse plus approfondie, la richesse des incriminations, aussi multiples et variées soient-elles, se distingue néanmoins, en second lieu, par un trait commun réducteur : le caractère majoritairement administratif des infractions (1.2). Ces deux aspects spécifiques présentent à la fois des avantages et des inconvénients pour une protection efficace de l’environnement.

1.1 Un foisonnement de textes en constante évolution

Le droit pénal de l’environnement se caractérise par une grande dispersion des textes, une multiplicité d’incriminations spéciales qui ne se trouvent pas regroupées de manière claire et ordonnée dans le Code pénal, mais qui sont éparpillées dans des lois spéciales ou dans divers codes, tels que le Code rural, le Code de la santé publique, le Code de l’urbanisme ou encore, dernier code en date, le Code de l’environnement. Le travail normatif en ce domaine a été tel au cours des dernières années qu’il est permis aujourd’hui d’affirmer qu’il n’existe pas de vide juridique, le droit pénal de l’environnement permettant de sanctionner l’ensemble des comportements de délinquance écologique (1.1.1).

Malheureusement, la quantité ainsi produite ne s’accompagne pas forcément de la qualité, ce droit souffrant d’un manque certain de lisibilité et d’harmonisation (1.1.2) qui hypothèque sérieusement la défense de l’environnement.

1.1.1 Un droit pénal quantitativement complet : l’absence de vide juridique

Il est une idée très ancienne selon laquelle le droit pénal est l’expression des valeurs essentielles de la société. Au-delà du simple rôle de sanction, la nécessité d’un droit pénal de l’environnement n’est plus à démontrer compte tenu de la fonction expressive qu’il se doit de remplir en la matière et qui vient d’être proclamée solennellement par la Charte de l’environnement de 2004. L’arsenal répressif mis en place par le législateur français révèle cette importance : l’environnement est bien désormais une valeur sociale essentielle, méritant à ce titre protection pénale. La multiplicité des infractions d’atteinte à l’environnement exprime pleinement cette dimension éthique de l’environnement et la reconnaissance de biens écologiques juridiquement protégés, que sont les espèces animales et végétales, ou encore les milieux naturels avec toutes leurs composantes (par exemple, eau, air, sols)[15].

Le droit pénal de la nature[16] en est un exemple éloquent, qui pourra ensuite être décliné dans les autres secteurs de l’environnement juridiquement pris en considération, à savoir la lutte contre les pollutions, la lutte contre les nuisances et la prévention des risques technologiques et naturels. En effet, quantitativement, la protection pénale de la nature se caractérise par l’abondance de ses incriminations. Multiples et variées, ces infractions ont été créées et complétées par des lois successives, telles que notamment la Loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature dite « loi Nature »[17], doyenne des grandes lois environnementales, et la Loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement dite « loi Barnier »[18], pour finalement trouver leur assise dans le Code de l’environnement.

Il existe ainsi des dispositions répressives concernant les espèces protégées, relatives aux milieux et aux habitats des espèces protégées de même que relatives aux parcs nationaux et aux réserves naturelles. Un dispositif de sanctions pénales est attaché à tous les comportements de nature à porter atteinte, d’une part, à certaines espèces animales et végétales particulièrement menacées (appelées « espèces protégées[19] ») et, d’autre part, aux milieux biologiques nécessaires à la vie desdites espèces.

Sur le plan de la répression, un texte unique, soit l’article L. 415-3 du Code de l’environnement, fixe les peines principales venant sanctionner les infractions à la loi Nature. Tous les comportements illicites sont constitutifs de délits, passibles de six mois d’emprisonnement et de 9 000 euros d’amende. À la lecture du Code de l’environnement, qui désormais regroupe les dispositions de la loi Nature, il est possible d’avancer que toutes les activités propres à porter atteinte aux espèces animales ou végétales visées sont prises en considération par le législateur. Il n’y a pas de vide juridique en la matière.

Pour les animaux sauvages ayant le statut d’espèce protégée, sont prohibés la destruction ou l’enlèvement des spécimens, des oeufs ou des nids, la mutilation, la capture, la naturalisation d’animaux de ces espèces, leur transport, colportage, utilisation, mise en vente, vente ou achat, qu’ils soient vivants ou morts (article L. 411-1 (I) (1) du Code de l’environnement). La loi Barnier a complété la liste originelle de 1976 en rajoutant la perturbation intentionnelle et la détention de tels spécimens. Certes, la cession à titre gratuit de l’animal, vivant ou mort, n’est pas incriminée, mais l’interdiction de son transport, de son utilisation et de sa détention constitue un « délit obstacle » à une telle activité.

Les activités interdites à l’encontre de la flore sauvage protégée sont « [l]a destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement des végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat » (article L. 411-1 (I) (2) du Code de l’environnement). La loi Barnier renforce le dispositif en y ajoutant « la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ». Là encore, aucun acte ne semble échapper à la machine répressive, qui pourtant ne produit guère de contentieux en la matière, comme nous le verrons dans la seconde partie du texte.

Parce que la protection directe des espèces serait réduite à néant si les milieux nécessaires à leur survie disparaissaient, le législateur français a prévu dans le même temps des mesures tendant à prévenir la dégradation de leurs habitats. En 1995, le dispositif a été enrichi d’une réglementation sur l’introduction d’espèces concurrentes exogènes (devenu l’article L. 411-3 du Code de l’environnement), permettant de lutter contre la prolifération d’espèces « invasives », telles que les ragondins, l’algue « tueuse » en mer Méditerranée (Caulerpa taxifolia) ou les écrevisses de Louisiane. Sont ainsi pénalement sanctionnées, des mêmes peines que celles qui sont prévues pour la protection directe des espèces, « [l]a destruction, l’altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales » (article L. 411-1 (I) (3) du Code de l’environnement). La distinction entre « altération » et « dégradation » étant d’une nuance subtile — non précisée par ailleurs —, elle pourrait servir à une application large du texte d’incrimination pour toutes les activités destructrices de ces milieux naturels, ce que la jurisprudence pénale quasi inexistante en la matière ne révèle malheureusement pas en pratique, comme nous le verrons également dans la seconde partie du texte.

Ces milieux naturels peuvent bénéficier d’une protection supplémentaire lorsqu’ils constituent une réserve naturelle. Le législateur a prévu, en effet, de nombreux délits commis dans le périmètre des réserves naturelles, tels que la modification apportée à l’état des lieux ou de leur aspect sans autorisation ou le non-respect des prescriptions imposées à l’intérieur des périmètres de protection (article L. 332-25 du Code de l’environnement).

Enfin, pour une protection partielle, l’article L. 412-1 du Code de l’environnement soumet à autorisation certaines activités humaines concernant les espèces sauvages ou leurs produits. Sont visés la production, la détention, la cession à titre gratuit ou onéreux, l’utilisation, le transport, l’introduction, l’importation, l’exportation et la réexportation de spécimens d’espèces désignées par arrêtés ou de leurs produits. L’absence d’autorisation, lorsqu’elle est exigée, et la transgression des conditions de l’autorisation constituent là encore des délits punis des peines prévues par l’article L. 415-3 du Code de l’environnement.

Les autres secteurs de l’environnement bénéficient d’une même protection pénale en terme de quantité d’incriminations de nature à réprimer l’ensemble des atteintes portées à l’environnement au sens large. Le Code de l’environnement français offre ainsi un large éventail d’infractions assurant en théorie la protection pénale des espaces et des espèces menacées et permettant de lutter contre tous types de pollutions (de l’eau, de l’air, des déchets), de nuisances (sonores, olfactives, lumineuses) et de risques (explosions, incendies, émanations de gaz, etc.).

Le dispositif répressif semble donc a priori complet quant aux actes incriminés, mais sa codification dite à droit constant n’en a pas gommé les malfaçons à la fois originelles et plus récentes qui caractérisent le système répressif du droit de l’environnement français. Revers de la médaille, la variété des infractions rend l’ensemble difficilement lisible et n’a toujours pas fait l’objet d’une harmonisation des mécanismes de répression presque tout aussi nombreux que les lois environnementales existantes.

1.1.2 Un manque de lisibilité et d’harmonisation : l’acte manqué de la codification

Le Code de l’environnement, publié en 2000, est devenu le réceptacle de l’actuel dispositif répressif du droit de l’environnement. Il n’a toutefois pas créé de rupture par rapport au droit antérieur. S’inscrivant dans la pratique française actuelle, le droit de l’environnement a été confié à une commission supérieure opérant une codification à droit constant, avec toutes les limites qu’une telle technique comporte. Aussi, point de codification au sens entier du terme, mais uniquement ce que l’historien du droit italien Mario Viora qualifiait de « consolidation ». Le Code de l’environnement est ce qu’il est permis d’appeler un « code-compilation », qui ne fait que consolider, sous une autre forme, un droit préexistant que le pouvoir exécutif se contente de recopier sans modifications majeures, au sein d’un instrument unique et structuré. En cela, il est un acte manqué parce qu’il reprend un droit originellement imparfait, rempli de contradictions et d’incohérences[20].

La codification ayant été faite « à droit constant », c’est-à-dire par acte du pouvoir exécutif, aucune modification législative majeure n’est intervenue lors de l’opération de « recopiage » des dispositions des lois environnementales préexistantes. Or, la plupart de ces textes comportent un dispositif répressif spécifique (cela dans chaque loi spéciale, sectorielle (par exemple, la Loi relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, la Loi relative à l’élimination des déchets, la Loi sur l’eau)), ce qui entraîne de nombreuses disparités et des incertitudes quant au choix du texte applicable. La qualification pénale des comportements d’atteinte à l’environnement se heurte à de nombreux obstacles, à tel point que la qualité des normes se trouve véritablement en cause.

Tout d’abord, s’agissant des sources mêmes du droit répressif de l’environnement, la codification consacre une technique législative hautement critiquable au regard du principe de légalité[21], clef de voûte de l’ensemble du droit pénal français. Ce principe fondamental, à valeur constitutionnelle, opère un partage clair des compétences : la loi (pouvoir législatif) crée les crimes et les délits ; le règlement (pouvoir exécutif), les contraventions. Or, la technique d’incrimination utilisée en matière environnementale consiste à créer des « incriminations en cascade », le législateur décrivant de manière imprécise les éléments constitutifs des délits et laissant le soin au pouvoir exécutif d’en préciser les contours. Une telle technique, largement employée par le législateur français en matière de protection de la nature ou d’installations classées, aboutit à des sources à plusieurs étages, ce qui nécessite, dans un dédale de dispositions disparates, la recherche de plusieurs textes, à la fois législatifs et réglementaires, qui constitue l’élément légal de ces délits. Ainsi, quoi de plus complexe qu’un élément légal à trois ou quatre niveaux, où l’existence de l’infraction est conditionnée par un texte législatif, un décret d’application, auxquels s’ajoutent un ou plusieurs arrêtés nationaux voire simplement préfectoraux !

Par exemple, en droit pénal de la nature pour les espèces végétales protégées, la loi offre un élément légal à quatre niveaux, mettant à rude épreuve les exigences de clarté et de précision imposées au législateur par le principe de légalité. L’existence de l’infraction sera conditionnée par le texte législatif incriminant les comportements et activités interdits à l’égard de ces végétaux (article L. 411-1 du Code de l’environnement), par le décret d’application de la loi venant définir la notion d’« espèce protégée » et par les arrêtés, l’un national, les autres régionaux, fixant la liste de ces espèces protégées par la loi[22].

Ensuite, par ce jeu complexe des renvois à plusieurs textes, le même comportement sera susceptible de constituer un délit en application de la loi et de revêtir une qualification contraventionnelle en vertu du pouvoir réglementaire. Un acte unique tombe ainsi sous le coup de plusieurs qualifications pénales, constituant deux infractions : à la fois un délit et une contravention ! De tels « concours idéaux de qualifications », nombreux en droit pénal de l’environnement, laisseront le juge dans l’incertitude quant à l’incrimination à retenir et le justiciable à la merci de l’appréciation de ce dernier. À titre d’exemple, pour les arrêtés de biotopes en vue de protéger le milieu d’une ou plusieurs espèces protégées, la qualification est délictuelle au sens de la loi Nature, mais le décret d’application de cette loi en fait une simple contravention. Il en est de même pour les prises de son et les chasses photographiques qui constituent à la fois des délits selon la loi et des contraventions dans le décret d’application. Alors que choisir ? Le délit ou la contravention ? Devant de telles incohérences, les juges répressifs ont tranché en faveur de la qualification la plus haute, c’est-à-dire la plus sévèrement sanctionnée, requalifiant en délit l’infraction de non-respect d’un arrêté de biotope[23].

Dans un même ordre d’idées, mais de manière plus large, que dire des nombreuses interférences entre le Code de l’environnement et les infractions du Code pénal ou encore du Code des douanes, qui conduisent à l’épineuse question du choix du texte applicable et à une insécurité juridique regrettable[24].

De même, la qualification juridique des faits apparaît particulièrement délicate en matière de pollution, compte tenu de la coexistence de multiples règles qui régissent les mêmes activités en se plaçant à des points de vue différents. Le droit de l’environnement français, construit par strates successives et en évolution constante, pose concrètement des problèmes d’articulation des différentes lois destinées à réglementer les activités humaines et à protéger autant que faire se peut l’environnement dans lequel elles se produisent. La superposition et l’imbrication des lois environnementales (par exemple, la Loi relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, la Loi sur l’eau, la Loi relative à l’élimination des déchets, le droit de l’urbanisme) créent des concours de qualifications pénales, lorsque l’acte de pollution — acte matériel unique — réalise les éléments constitutifs de plusieurs infractions et tombe ainsi sous le coup de plusieurs lois pénales.

Ainsi, un abandon de déchets au bord d’un ruisseau est susceptible d’entrer dans les prévisions de plusieurs textes. Selon les circonstances de l’espèce, il pourrait être sanctionné au titre de la Loi relative à l’élimination des déchets[25], pour dépôt illicite de déchets, ou au titre de la Loi relative aux installations classées pour la protection de l’environnement[26], si les déchets proviennent d’une installation soumise à autorisation et que les prescriptions de l’arrêté d’autorisation relatives au stockage provisoire des déchets n’ont pas été respectées, ou au titre de la Loi sur l’eau[27] pour délit général de pollution de l’eau, s’il y a eu écoulement polluant dans le ruisseau (article L. 216-6 du Code de l’environnement) ou enfin au titre de l’article L. 432-2 du Code de l’environnement pour délit de pollution des eaux douces de surface, s’il y a eu un dommage causé à la population piscicole.

Dans de tels cas, quel texte faut-il appliquer ? Ne serait-il pas pertinent de ne choisir qu’une seule incrimination ou plusieurs infractions pourraient-elles fonder les poursuites pénales pour un acte unique perpétré par le délinquant écologique ? La réponse définitive appartiendra au juge répressif qui, embarrassé par un tel dilemme, ne fait pas toujours preuve de clarté dans la rédaction de ses jugements…

À cela s’ajoute, enfin, un manque d’harmonisation caractérisé entre les multiples dispositifs répressifs qui utilisent des mécanismes différents. Depuis 1981, des commissions sont formées périodiquement en vue de se pencher sur le droit pénal de l’environnement et de proposer des remèdes, car le constat est unanime : il existe bien trop de textes, d’incriminations, remplis de contradictions. Une simplification accompagnée d’une harmonisation de ce droit s’impose, d’autant que ces règles disparates masquent la dimension éthique du droit de l’environnement.

En toute logique, le Code pénal français devrait contenir des infractions écologiques, qui seraient la reconnaissance de cette dimension éthique de l’environnement. Le mouvement avait d’ailleurs été lancé dès 1977, à l’aune d’une recommandation du Conseil de l’Europe selon laquelle l’environnement en tant que valeur sociale essentielle doit être protégé par le droit pénal de chaque État. Dans cette optique, il était souhaitable d’introduire dans le Code pénal français des délits d’atteinte à l’environnement. La réécriture d’un nouveau code, commencée en 1992, en constituait l’occasion rêvée. Et, de fait, la Commission de réforme du Code pénal avait prévu d’intégrer un livre entier réservé aux infractions contre l’environnement.

Or, le nouveau Code pénal français, entré en vigueur le 1er mars 1994, se contente de placer parmi les intérêts fondamentaux de la nation « l’intégrité […] de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement » (art. 410-1), sans pour autant en tirer les conséquences textuelles et incriminer les atteintes à l’environnement. En tout et pour tout, la réforme du Code pénal français n’a abouti qu’à la création de deux incriminations écologiques : celle de terrorisme écologique, qui constitue l’unique infraction criminelle en matière d’environnement (art. 421-2), et le délit d’agressions sonores en vue de troubler la tranquillité publique, qui vient compléter utilement la traditionnelle contravention de tapage nocturne (art. 222-16). Maigre bilan qui permet d’affirmer que la réécriture du Code pénal français a été un acte manqué du point de vue de la défense de l’environnement. Le législateur pénal n’a pas rempli, dans ce domaine, son double rôle, d’une part, d’affirmation positive de valeurs sociales essentielles et, d’autre part, surtout, de réprobation de leur transgression.

Aussi, en dépit de la richesse des incriminations formant le droit pénal de l’environnement français, ce dernier ne constitue le plus souvent qu’une menace virtuelle tant le manque de lisibilité et les disparités posent des difficultés quasi inextricables de qualification pénale des atteintes à l’environnement. Un tel état de fait trouve son explication en partie dans la typologie spécifique des infractions en droit de l’environnement qui reste essentiellement un droit réglementaire, technique et d’une extrême complexité.

1.2 Un droit pénal de réglementation technique et complexe

La seconde caractéristique du droit pénal de l’environnement réside dans le fait qu’il est encore pour l’essentiel un droit pénal de réglementation, se contentant de fulminer des sanctions pénales en cas de non-respect des prescriptions imposées par l’administration aux activités potentiellement polluantes ou nuisibles (1.2.1). Les infractions autonomes, c’est-à-dire celles dont l’intégralité des éléments constitutifs est définie par le législateur et qui permettent de sanctionner directement un dommage causé à l’environnement, sont donc rares (1.2.2).

1.2.1 De nombreuses infractions administratives

Dans la majeure partie des cas, le droit pénal de l’environnement fait office de « gendarme » de l’Administration impuissante à faire respecter ses propres prescriptions, rôle réducteur et purement subsidiaire qui ampute considérablement les possibilités de poursuites pénales.

La police des installations classées (loi du 19 juillet 1976) et la police de l’eau (loi du 3 janvier 1992), pierres angulaires de la lutte contre les pollutions et nuisances, sont très représentatives de cet état de fait. La ligne directrice de ces deux lois consiste à réglementer les activités humaines pouvant porter atteinte aux intérêts qu’elles protègent, par exemple la qualité de l’eau et des milieux aquatiques pour la police de l’eau. À cette fin a été mise en place une réglementation constituée de textes de prévention ou d’interdiction qu’il faut respecter, à savoir des décrets d’application ainsi que des arrêtés ministériels et préfectoraux. Partant de cette réglementation, ont été prévues des infractions, selon une typologie propre au droit pénal de l’environnement. Ainsi, sont invariablement retenues l’incrimination de l’activité soumise à autorisation exercée sans cette autorisation, l’incrimination de l’activité soumise à déclaration exercée sans la déclaration, l’incrimination du non-respect des prescriptions administratives et techniques, l’incrimination du non-respect d’un arrêté de mise en demeure et, enfin, l’incrimination de l’obstacle au contrôle des agents habilités.

Trait marquant de ce droit pénal de réglementation, les infractions sont commises indépendamment de tout résultat dommageable, puisque le seul manquement à la réglementation réalise l’infraction punissable. Par conséquent, nul besoin d’attendre ou de constater une atteinte effective à l’environnement pour mettre en marche la machine répressive. Il y aura infraction pénale, et donc responsabilité pénale et sanction en principe, dès lors que la réglementation n’aura pas été respectée, et cela, même s’il n’en est résulté aucun dommage.

S’il est intéressant de relever que, dans de telles hypothèses de manquement à la réglementation, il n’y a pas à se soucier de la réalité du dommage, puisque c’est le risque environnemental qui est pris en considération en tant que tel, ce dernier n’est toutefois pas le risque zéro. C’est un risque calculé à un niveau « satisfaisant » pour tout le monde, puisque la réglementation ne va pas empêcher toutes les pollutions. L’objectif est de fixer un niveau acceptable pour tous, en conciliant les intérêts socioéconomiques et les intérêts environnementaux. Ainsi, la Loi relative aux installations classées pour la protection de l’environnement permet un droit négocié entre le pétitionnaire (lorsque l’installation est soumise au régime de l’autorisation) et l’autorité préfectorale par l’intermédiaire de la Direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE).

Cette réglementation apparaît dès lors comme un « permis de polluer », puisqu’elle fixe des seuils de pollution licite. Elle traduit également les limites des pouvoirs du juge pénal qui se trouve sous la dépendance des normes fixées par l’Administration, car, s’il n’est pas démontré que les prescriptions administratives sont transgressées alors même qu’il y a eu pollution du site, le juge répressif ne pourra pas engager la responsabilité pénale de l’auteur de la pollution en l’absence de manquement à une prescription administrative.

L’affaire Péchiney nous en fournit un exemple éloquent : au cours des années 70, l’usine Péchiney était à l’origine de rejets de fluor dans la nature, qui avaient entraîné une désertification du site. Or la voie pénale constituait une impasse pour les paysans victimes de la pollution, car le pollueur respectait les normes préfectorales concernant les rejets de fluor. La pollution était licite à cette époque. En l’absence d’infraction, fait générateur de la responsabilité pénale, le juge pénal ne pouvait donc intervenir.

Ainsi, dans toutes les hypothèses de polices spéciales (eau, air, déchets, installations classées), les plus fréquentes en droit de l’environnement, le support de la poursuite pénale est la norme administrative. Lorsque celle-ci est respectée, le juge répressif ne peut pas sanctionner. Si le juge pénal estime les normes administratives insuffisantes, il n’a pas le pouvoir d’en ordonner de plus sévères, en raison du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. La mise en jeu de la responsabilité pénale des pollueurs apparaît alors compromise sur le fondement de telles lois.

C’est donc vers les infractions de pollution autonomes, infractions de résultat ne renvoyant pas au respect de normes administratives, qu’il faudra se tourner pour rechercher la responsabilité des pollueurs. Malheureusement, ces infractions sont nettement plus rares en droit de l’environnement français.

1.2.2 De rares infractions autonomes

Dans les cas de sites ou de milieux pollués, il n’existe guère que le délit de pollution des eaux douces de surface réprimé par l’article L. 432-2 du Code de l’environnement qui soit véritablement une infraction autonome, c’est-à-dire dont les éléments constitutifs sont entièrement prévus par la loi, sans aucune dépendance à des prescriptions administratives.

Texte le plus connu de l’administration et des magistrats, il punit « [l]e fait de jeter, déverser ou laisser écouler dans les eaux mentionnées à l’article L. 431-3, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire », de deux ans d’emprisonnement et de 18 000 euros d’amende. En dépit d’une histoire on ne peut plus mouvementée et ancienne, cette infraction trouvant son origine dans la Loi du 15 avril 1829 relative à la pêche fluviale[28] et ayant changé de numéro d’article pas moins de six fois, les éléments constitutifs du délit n’ont pas été modifiés, d’où la grande stabilité de la jurisprudence et son ancrage, solide et ancien. Ainsi, dès 1859, les juges ont utilisé ce texte pour réprimer de manière générale la pollution industrielle des cours d’eau[29].

Présenté par M. Despax comme « l’arme la plus […] redoutée[30] » par les pollueurs des cours d’eau français, comme « l’une des dispositions phares du droit de l’environnement au niveau national, de renommée internationale » lors de la discussion du projet de loi relatif à la pêche en eau douce[31], ce délit est toujours utilisé et donc les jugements le concernant restent d’actualité. En effet, comparée au maigre contentieux lié aux infractions relatives à l’environnement, la jurisprudence fondée sur l’article L. 432-2 du Code de l’environnement semble relativement abondante, d’autant que ce bilan doit intégrer le nombre élevé de transactions accordées aux pollueurs, ce traitement de l’infraction étant la solution la plus fréquente[32]. Ainsi, pour l’année 1994, 136 poursuites judiciaires ont été engagées pour transgression de ce texte, 382 procès-verbaux ont fait l’objet d’une transaction et 73 dossiers ont été classés sans suite[33].

L’article L. 432-2 permet de sanctionner toutes les pollutions susceptibles d’avoir un effet dommageable pour les populations piscicoles vivant dans des eaux douces de surface. Sont ainsi compris de manière très générale tous les déversements, qu’ils soient opérés par une action (« [l]e fait de jeter [ou] déverser »), ou par une abstention (« le fait de […] laisser écouler »), de « substances quelconques », notion là encore très large puisqu’elle vise aussi bien des produits chimiques (par exemple, cyanure, herbicides), que des produits d’origine naturelle (par exemple, petits pois, lisiers, mélasse, sable, limon, sciure de bois), que la pollution mécanique (vidanges de barrage) ou encore thermique avec le rejet d’eau très chaude entraînant une raréfaction de l’oxygène dans l’eau et donc la destruction de poissons.

L’application de ce texte l’emporte sur d’autres dispositions répressives dont l’objectif spécifique est pourtant la protection de l’eau. Il s’agit là d’une constante dans la pratique jurisprudentielle[34]. Le recours prépondérant à l’article L. 432-2 du Code de l’environnement s’expliquerait à la fois par l’autonomie de ce délit et par la souplesse des éléments constitutifs le réalisant. En outre, la réelle efficacité de cette incrimination réside dans le fait que, contrairement aux infractions ressortant du droit pénal de réglementation, une autorisation administrative de rejet dans l’eau ne constitue pas un fait justificatif dans le cadre de l’article L. 432-2, ce qui permet d’atteindre pénalement les pollueurs en règle avec les prescriptions administratives. Ce principe, rappelé à plusieurs reprises par la Chambre criminelle de la Cour de cassation[35], permet de contrecarrer, au niveau répressif, les véritables « permis de polluer » délivrés par les arrêtés préfectoraux qui autorisent certains rejets polluants dans l’eau.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a très tôt encouragé une interprétation laxiste du texte de l’article L. 432-2, arme de prédilection des juges contre les pollueurs, qui est devenu un délit de pollution des eaux douces de surface[36], applicable alors même qu’aucun dommage au poisson n’était constaté. En effet, les juges se contentent d’un dommage potentiel ou même hypothétique[37], alors que, textuellement, il faudrait démontrer que le poisson a effectivement souffert. Cette jurisprudence, contestable au point de vue du respect du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, permet la répression des pollueurs et une protection plus efficace des eaux douces de surface[38]. En revanche, s’agissant des milieux aquatiques protégés, son domaine d’application reste relativement restreint, car le texte est inapplicable aux eaux souterraines de même qu’aux eaux closes et salées. C’est pourquoi le législateur est intervenu et a créé un nouveau délit à l’article 22 de la Loi sur l’eau[39], devenu l’article L. 216-6 du Code de l’environnement, afin de compléter l’article L. 432-2.

La pratique jurisprudentielle le démontre : une protection pénale efficace ne peut se faire que par l’entremise de telles infractions autonomes, dont l’actuel droit de l’environnement français manque pourtant cruellement. Il s’agit, en effet, d’écarter les inconvénients et obstacles dirimants d’un droit pénal de réglementation purement subsidiaire et soumis à une administration trop timorée. Tel n’est cependant pas l’état actuel du droit pénal de l’environnement français.

D’une part, le droit pénal de l’environnement se présente comme un droit essentiellement réglementaire, disposant de peu d’infractions autonomes et soumis aux normes administratives qui, dans la plupart des cas, sont insuffisantes pour lutter contre les pollutions et nuisances de même que pour prévenir les atteintes à l’environnement. Le respect des prescriptions réglementaires, dont chacun sait qu’elles ne garantissent pas de manière certaine et absolue le nouveau droit constitutionnel de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, empêchera toute intervention pénale. « Gendarme » de l’Administration, le droit pénal ne peut ainsi garantir efficacement cet intérêt supérieur qu’est devenue la protection de l’environnement.

D’autre part, le droit pénal de l’environnement est un droit d’ingénieur fort complexe. Les incriminations techniques et sectorielles rendent très difficile la répression, d’autant qu’en pratique les infractions les plus fréquentes ne constituent que des contraventions punies de peines d’amende souvent dérisoires. La codification à droit constant, opérée en 2000, n’a pas permis l’organisation d’un véritable droit pénal de l’environnement, composé d’un ensemble harmonieux d’incriminations correctionnelles assorties de mécanismes répressifs dissuasifs. La mise en oeuvre de ces derniers dénote de réels problèmes d’application de ce droit aux prises avec bien des obstacles en pratique.

2 Les difficultés d’application du droit pénal de l’environnement français

Le particularisme relevé dans les incriminations du droit pénal de l’environnement se trouve au stade suivant de la protection pénale, à savoir dans la poursuite et la répression des infractions. D’emblée, nous constatons que la pratique judiciaire en matière d’environnement offre peu de condamnations pénales au regard du nombre d’actes de délinquance écologique effectivement perpétrés. Les particularités procédurales que requiert le droit de l’environnement (2.2), alliées à la spécificité des sanctions pénales prévues par le législateur français en ce domaine (2.1), présentent un tableau mitigé, dans le prolongement des incriminations proposées.

2.1 Le particularisme des sanctions du droit pénal de l’environnement français

L’arsenal répressif mis en place nous conduit à jeter un double regard sur le droit pénal de l’environnement. D’un côté, celui-ci propose des mécanismes répressifs tout à fait novateurs, particulièrement adaptés à la problématique environnementale (2.1.1). D’un autre côté, nous ne pouvons nous empêcher de poser un regard bien plus critique sur l’état actuel du dispositif des peines qui révèle de nombreuses faiblesses dans son élaboration et sa mise en oeuvre (2.1.2).

2.1.1 Des mécanismes répressifs novateurs

Le droit de l’environnement est porteur de plusieurs innovations en terme de mécanismes répressifs. Parce que les atteintes à l’environnement présentent dans la majeure partie des cas un caractère d’irréversibilité, la répression paraît privilégier en ce domaine la régularisation de la situation à laquelle l’acte délictueux a apporté un dommage.

Dans cette optique, une loi de 1985 a introduit pour la première fois dans la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (loi du 19 juillet 1976) une mesure à la fois pédagogique et réparatrice : la procédure de l’ajournement de peine avec injonction de faire[40]. Alors que le tribunal saisi déclare le délinquant coupable, dans le même temps, il peut décider d’ajourner le prononcé de la peine en ordonnant au prévenu de remettre en état les lieux dégradés, de restaurer le milieu aquatique ou encore de se conformer à la réglementation environnementale, au besoin sous astreinte, mesure comminatoire par excellence dont le but est de contraindre l’agent à s’exécuter. Ce système, jugé d’une telle efficacité en théorie, a été repris ultérieurement dans la Loi sur l’eau du 3 janvier 1992 et dans la Loi du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit[41], pour finalement être intégré dans une disposition générale du Code pénal de 1992 (art. 132-66).

Par ailleurs, le Code de l’environnement offre un certain nombre de mesures et de peines complémentaires très innovantes dans certains secteurs environnementaux, tels que le domaine de l’eau, de la pêche en eau douce, des installations classées ou de l’urbanisme. Dépassant la fonction primaire du droit pénal général qui est de réprimer, elles poursuivent un but utilitaire sur le plan écologique : celui de permettre que l’infraction cesse, ou d’en éviter un renouvellement, ou encore de restaurer les milieux dégradés[42]. À titre d’exemple, le Code de l’urbanisme prévoit la remise en état des lieux par la démolition des constructions irrégulières[43].

Plus significative encore est la possibilité de transaction pénale[44] qui concerne les délits à la Loi du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles[45] et à la Loi sur l’eau. C’est là un moyen privilégié de faire obstacle aux poursuites pénales et de transiger avec le pollueur pour mettre un terme à la pollution ou en éviter le renouvellement. Selon une réponse ministérielle[46], cette procédure aurait été utilisée dans près de 65 p. 100 des cas en 1994 pour le délit de pollution des eaux douces de surface. Proposée par l’Administration, la transaction est subordonnée à l’indemnisation des parties lésées par l’infraction et à l’exécution par le pollueur de travaux nécessaires en vue de faire cesser la pollution ou d’éviter son renouvellement.

Enfin, nouvelle perspective pour le droit de l’environnement, la Loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance[47] — loi générale et non pas spécifiquement environnementale — donne désormais la possibilité au juge répressif de condamner le délinquant écologique à une réparation en nature, et ce, de manière générale, grâce à la création d’une nouvelle peine, alternative à l’emprisonnement et à l’amende : la peine de sanction-réparation prévue par l’article 131-8-1 du Code pénal. Ce texte permet aux juridictions répressives d’enjoindre à l’auteur d’un délit de réparer en nature le dommage qu’il a causé à sa victime sous peine d’une sanction pénale. À noter d’emblée qu’une telle peine présente un intérêt particulier en cas d’atteintes à l’environnement, puisqu’elle permet au juge d’ordonner au délinquant de faire remettre le milieu naturel en l’état par un professionnel[48].

L’aspect tout à fait novateur et, semble-t-il, adapté de ces différents dispositifs répressifs ne doit cependant pas occulter les faiblesses qui prédominent en l’état actuel de l’arsenal répressif caractérisé par un système de sanctions à la fois pauvre et incohérent.

2.1.2 L’inadaptation des sanctions pénales

Alors que l’objectif de tout code est la hiérarchisation des règles, expression des valeurs sociales essentielles, là encore le Code de l’environnement se distingue par une incohérence totale dans la hiérarchie des sanctions qu’il propose, censées protéger efficacement lesdites valeurs reconnues. Quant à la nature même des sanctions prévues par le législateur, l’inadéquation de certaines des peines proposées aux atteintes environnementales — à savoir les peines classiques d’amende et d’emprisonnement — est flagrante.

Ainsi, en matière de protection de la nature, un seul texte prévoit des sanctions identiques pour l’ensemble des délits à la loi Nature. L’article L. 415-3 du Code de l’environnement fulmine à leur encontre des peines de six mois d’emprisonnement et de 9 000 euros d’amende. Cependant, ces peines classiques, adaptées aux infractions de droit commun, ne le sont guère aux atteintes portées à la nature. À elles seules, et dans la mesure où le juge pénal demeure toujours réticent à s’approcher des maximums encourus dans les condamnations qu’il prononce, elles ne sauraient être dissuasives ni révélatrices de la valeur accordée à la disparition d’espèces protégées. À cela s’ajoute, depuis la codification, l’absence d’aggravation de la sanction dans les hypothèses de récidive. Alors que les peines encourues étaient à l’origine portées au double en cas de récidive, le Code de l’environnement n’a pas repris cette circonstance aggravante. Erreur matérielle de recopiage ou volonté du codificateur ? La question reste posée.

Alors que le nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, offre au juge répressif une riche palette de peines et de mesures alternatives et complémentaires, le choix des sanctions offertes par la loi Nature se révèle d’une pauvreté affligeante eu égard aux intérêts environnementaux à protéger[49]. Certes, l’article L. 415-4 du Code de l’environnement permet au juge de prononcer les sanctions du droit de la chasse prévues par les articles L. 428-9 et L. 428-11, à savoir la confiscation et la destruction des objets utilisés pour commettre l’infraction. Toutefois, le législateur n’a prévu ni mesure conservatoire ni remise en état, pourtant indispensables dans le cas des activités altérant ou dégradant des milieux qui abritent les espèces protégées. La procédure de l’ajournement de peine avec injonction de faire, à la fois pédagogique et réparatrice, ne profite pas aux espaces protégés par la loi Nature qui nécessiteraient une restauration. La loi Barnier de 1995 a manqué l’occasion de pallier ces lacunes et la codification de 2000, parce qu’elle a été effectuée à droit constant, a été impuissante à apporter des réponses à ce manque.

L’inadéquation des peines proposées se double aussi d’une incohérence dans la hiérarchie des sanctions. Comment justifier que le fait de porter atteinte à la conservation d’espèces animales ou végétales menacées d’extinction soit puni au maximum de six mois d’emprisonnement et de 9 000 euros d’amende, alors que le vol simple d’un objet quelconque est sanctionné d’un emprisonnement de trois ans et d’une peine d’amende de 45 000 euros ? Comment expliquer que celui qui cueille un edelweiss encourt six mois d’emprisonnement et 9 000 euros d’amende, alors que la perturbation intentionnelle d’un faucon pèlerin en train de couver ne constituera au mieux qu’une contravention de cinquième classe punie de 1 500 euros d’amende ? L’avant-projet de loi relatif à l’harmonisation et à la simplification du droit de l’environnement devant accompagner le projet de Code de l’environnement se proposait de remédier à ces incohérences. Le choix d’une codification par voie réglementaire a fait échec à cette volonté.

Le droit pénal de l’environnement dans son ensemble souffre d’un manque d’harmonisation, tant dans les incriminations qu’il présente, par l’intermédiaire de règles disparates, que dans les sanctions et les mécanismes de répression variant d’un texte à l’autre. Les disparités et les contradictions existantes reflètent l’état général du droit de l’environnement et en masquent la dimension éthique, ce qui porte atteinte à sa crédibilité et à son efficacité devant les enjeux cruciaux qu’il recèle. De par sa spécificité, ce droit cumule les entraves. Soumis à l’influence de nombreux lobbies et placés au centre d’arbitrages interministériels, les textes rédigés par des techniciens, et non par des juristes, se superposent et se contredisent, faute d’une maîtrise d’ensemble de la matière. Ce défaut de maîtrise et d’efficacité dans la conception même du dispositif juridique se retrouve en toute logique à l’étape de la mise en oeuvre de ce droit, tant au stade préliminaire de la procédure pénale, au moment des contrôles et des constats d’infraction, qu’à l’issue du procès, à l’occasion du prononcé de la sanction par le juge.

2.2 Les particularités procédurales du droit pénal de l’environnement français

Dans tous les cas, l’efficacité d’un dispositif répressif se mesure lors de sa mise en oeuvre qui s’apprécie à deux niveaux. Dans un premier temps, se pose la question de la constatation des infractions en pratique. Comment les agents habilités utilisent-ils leurs prérogatives et interviennent-ils sur le terrain (2.2.1) ? Selon le fondement légal invoqué, les pouvoirs du juge pénal saisi ensuite de cette infraction peuvent aussi être plus ou moins importants. La répression dépend, par conséquent, de l’utilisation qu’en fera le juge. Se pose ainsi, dans un second temps, la question de la poursuite et de la répression des infractions, décidées par les magistrats (2.2.2). À ces deux stades, la pratique judiciaire présente un fort particularisme découlant directement de la problématique environnementale.

2.2.1 La constatation des infractions : entre police classique et polices spéciales

Les politiques de défense de l’environnement, les lois et règlements existant en la matière — dont nous avons vu qu’ils sont nombreux et évolutifs — nécessitent un contrôle et une surveillance, gages de leur application. Sur le terrain, les autorités investies de cette mission de contrôle, et le cas échéant de constat des infractions, sont multiples. Toutefois, le cloisonnement rigide qui les caractérise fait obstacle à l’indispensable collaboration imposée par la constatation des nombreuses infractions contenues dans les différents textes. La coexistence de toutes les incriminations pénales accompagnées de leurs mécanismes répressifs propres rend nécessaire une délimitation des pouvoirs exercés par les autorités compétentes et qui vont varier selon l’infraction en cause. Dans la mesure où un même agent pourra être appelé à intervenir au titre de polices différentes (par exemple, police de l’eau, des déchets, des installations classées), les autorités habilitées à rechercher et à constater les infractions auront recours à des procédés propres à chaque fondement légal invoqué.

Textuellement, la recherche des infractions dépend, d’une part, des officiers et des agents de police judiciaire, agissant conformément aux dispositions générales du Code de procédure pénale et, d’autre part, des agents des polices spéciales de l’environnement[50]. Cette seconde catégorie d’« agents spécialisés », à côté de la police judiciaire traditionnelle, s’explique de par le caractère sectoriel et technique que présente le droit de l’environnement dans la majorité de ses dispositions. La constatation des infractions requiert très souvent des connaissances et des moyens spéciaux qui sont du ressort de ces spécialistes, techniciens, scientifiques et autres ingénieurs. Chaque loi environnementale, adoptée dans un secteur de l’environnement (par exemple, eau, air, déchet, bruit, organisme génétiquement modifié (OGM)), confie ainsi des attributions spécifiques à des agents spécialisés. C’est là l’une des spécificités du droit de l’environnement français : chacune de ses lois spéciales comporte une énumération des fonctionnaires et des agents habilités à constater les infractions, ainsi que des compétences qui leur sont attribuées. Par ce système de listes nominatives et exhaustives, leur identification ne pose théoriquement pas de problème[51].

En théorie donc, la pluralité des autorités compétentes devrait permettre d’assurer un contrôle effectif et permanent du respect de la législation environnementale. Dans la pratique, il convient de se demander si ce nombre ne constitue pas, contre toute attente, un inconvénient. Paradoxalement se pose la question de l’insuffisance des agents intervenant effectivement sur le terrain. La police judiciaire, qui n’est pas spécialisée dans les infractions d’environnement, souffre à la fois d’une surcharge de travail compte tenu de la variété des affaires pénales dont elle a à s’occuper par ailleurs et d’un manque de connaissances sur l’aspect technique des incriminations de nature écologique. Ainsi, s’agissant de la protection pénale de la nature, le système de mise en fiches de la nature, avec des listes exhaustives désignant en latin et en français les différentes espèces protégées, présente des difficultés procédurales inextricables. L’officier de police judiciaire est-il capable d’identifier une plante, un insecte, un oiseau, pour verbaliser ? Il est légitimement permis d’en douter alors que des professionnels comme les gardes-chasses ou gardes-pêches ne peuvent pas eux-mêmes connaître toutes les espèces figurant sur les listes ! Aussi, en réalité, les fonctionnaires « habilités » à constater les infractions se contentent-ils de réprimer surtout les braconniers et les taxidermistes dont les congélateurs regorgent d’espèces protégées facilement identifiables.

La déficience de moyens et de connaissances de la police classique contraint cette dernière à se décharger sur les agents spécialisés en matière environnementale qui, eux, sont en nombre nettement insuffisant pour remplir leur mission de contrôle et de surveillance. Le constat des infractions est d’autant plus malaisé qu’il soulève un problème de combinaison des différentes polices environnementales et de respect des attributions respectives et propres à chaque fondement légal en vertu duquel les agents agissent. Là encore le manque d’harmonisation est prégnant, car, pour chaque loi, il y aura des agents différents habilités à constater les infractions, avec des pouvoirs spécifiques qu’ils ne pourront pas utiliser pour rechercher une infraction au titre d’une autre loi[52]. Cet état de droit a amené le professeur Robert à parler d’« un extrême désordre car les réglementations spéciales ne sont pas accordées entre elles et varient grandement sur des procédures aussi importantes que la visite de lieux privés, les saisies ou la transmission des procès-verbaux au procureur de la République[53] ». En effet, certains agents, tels que les inspecteurs des installations classées ou les inspecteurs de salubrité, sont polyvalents puisqu’ils sont habilités au titre de plusieurs lois. La difficulté majeure est, par conséquent, de démêler sur le terrain ce système complexe d’articulation des polices et d’en coordonner l’action pour une collaboration efficace, dont la finalité sera la répression par le juge pénal.

2.2.2 La répression des infractions par le juge pénal français

L’action publique qui saisit le juge pénal a pour objet de réprimer le trouble social provoqué par l’infraction, en l’occurrence les atteintes graves portées aux biens collectifs appartenant au patrimoine commun de la nation que constitue l’environnement. La finalité d’une telle action est donc le prononcé d’une peine à l’encontre du délinquant écologique. L’aspect d’exemplarité de la sanction pénale doit ici être relevé. Au-delà des caractères vindicatif et strictement répressif, c’est également l’objectif de dissuasion et de prévention qui est recherché. Il en va de l’avenir de notre planète et des générations futures ! Le juge pénal, gardien de la loi, a un rôle fondamental à jouer sur ce point. La manière dont il utilise son pouvoir de sanction déterminera l’étendue et l’efficacité du contrôle de l’application de la loi et, de là, la défense de l’environnement. Or, le contentieux pénal de l’environnement remplit-il aujourd’hui ces fonctions tout à la fois de répression, de prévention et de réparation ?

L’étude des décisions portant condamnation pour infractions d’atteinte à l’environnement révèle une répression judiciaire qui contraste fortement avec les enjeux cruciaux que recèle la sauvegarde de la planète. Force est de constater que le peu de condamnations pénales prononcées ne présentent pas l’efficacité que la population serait en droit d’attendre devant un droit désormais reconnu de valeur constitutionnelle. Dans sa globalité, le contentieux répressif de l’environnement se révèle encore insuffisant de par le nombre limité de décisions rendues par rapport aux infractions effectivement commises et de par la nature des peines prononcées bien peu dissuasives (notamment au regard de la modicité des amendes) et inadaptées, le juge ayant rarement recours aux peines ou aux mesures de remise en état[54].

Le bilan présenté par le contentieux pénal de l’environnement reste donc très mitigé et met en lumière l’urgence à réformer la justice pénale quant à la délinquance écologique. La mise en oeuvre de l’appareil répressif en ce domaine paraît extrêmement complexe, chaque étape de la procédure révélant ses difficultés et limites particulières. Cependant, c’est le problème global du respect de la législation et des moyens concédés et utilisés qui se trouve au centre du débat. Qu’il s’agisse de la constatation matérielle des infractions par les agents habilités, du déclenchement des poursuites pénales contre les délinquants écologiques ou du prononcé de la peine par le juge répressif, des efforts importants doivent être consentis pour que, à chacune de ces phases, les opérations effectuées et les actes accomplis le soient le plus rapidement et efficacement possible, avec toute la coordination et la volonté requises.

Tel n’est pas le cas pour l’instant. Un certain désintérêt de la part des autorités judiciaires chargées de la répression semble encore marquer les infractions écologiques. Il caractérise tous les niveaux d’intervention, aussi bien celui des agents de contrôle et de surveillance que celui de l’autorité légale de poursuite, à savoir le ministère public, et des juridictions répressives. Les infractions d’atteinte à l’environnement doivent être appréhendées et traitées par des autorités sensibilisées à la problématique environnementale et formées à ses différents aspects et manifestations. Les procureurs de la République, chefs de parquet, sont personnellement invités à mesurer toute l’importance attachée désormais à la défense de l’environnement et à engager des poursuites pénales qui, pour l’heure, sont surtout déclenchées grâce aux associations de protection de l’environnement. Quant aux décisions de condamnation, l’évolution nécessaire de la répression doit conduire les magistrats, conscients de la dimension sociale prise par l’enjeu écologique, à remplacer les peines classiques d’amende, mal adaptées et trop légères, par des peines dont la vocation dépasse la répression stricte pour assurer pleinement leurs fonctions tout à la fois de prévention, de dissuasion et de réparation.

Ce sont donc les méthodes de travail de la justice qui sont à revoir et à adapter à la nature particulière des incriminations écologiques et aux enjeux qu’elles présentent. L’évolution est en cours certes, mais elle demande du temps parce qu’elle repose avant tout sur un changement des mentalités et des habitudes de la part des autorités judiciaires intervenant dans le processus répressif. Il est à espérer que la Charte de l’environnement récemment adoptée entraînera une prise de conscience écologique de la part du juge répressif, qui sera plus fortement marquée dans ses décisions. L’impulsion pourrait ainsi venir du juge chargé d’affirmer la valeur supérieure des intérêts consacrés et d’en garantir le respect par l’entremise de condamnations appropriées en cas de transgression…

Dans Du contrat social, Jean-Jacques Rousseau a écrit que « [l]es lois criminelles […] sont moins une espèce particulière de lois, que la sanction de toutes les autres[55] ». Cette affirmation appliquée au droit pénal de l’environnement français signifie qu’en théorie la population française devrait être bien protégée compte tenu du nombre de textes en France qui traitent les différents secteurs environnementaux. En fait, la multiplicité de ces textes, et surtout leur manque d’harmonisation général, constitue un obstacle dirimant quant à leur application sur le terrain et donc quant à leur respect.

En définitive, si, à première vue, l’arsenal pénal mis au service de la protection de l’environnement apparaît complet de par la multitude des infractions qu’il présente, à y regarder de plus près, nombre de lacunes et de faiblesses surgissent au moment crucial de la mise en oeuvre de l’appareil répressif. La diversité des incriminations ne parvient pas à effacer la pauvreté du système de sanctions qu’une justice pénale déficiente en la matière aggrave encore.

Le dispositif répressif existant présente ainsi de nombreuses défectuosités, tant dans sa conception que dans sa mise en oeuvre, qui ne sont néanmoins pas irrémédiables. Le droit, tout comme les sciences et techniques, est évolutif et perfectible. Dans le domaine de l’environnement, nombre d’améliorations peuvent être apportées. Harmonisation et simplification des normes et procédures sont, en premier lieu, les maîtres mots en vue de conférer une cohérence et une unité d’ensemble au droit pénal de l’environnement français. Ce dernier nécessite donc d’être entièrement repensé, et dans sa présentation matérielle et sur le fond. Sa compréhension et sa mise en oeuvre en seraient grandement facilitées. C’est alors et, en second lieu, sur la mobilisation et la formation des diverses autorités judiciaires de poursuite et de répression qu’il conviendra de se pencher. Aujourd’hui encore, la volonté des instances publiques de participer activement à la lutte contre la criminalité écologique a pour le moins besoin d’être galvanisée et coordonnée. Les magistrats ont l’obligation, légale et morale, de montrer l’exemple et d’intervenir de manière bien plus dynamique et concrète qu’ils ne le font à l’heure actuelle. Il leur appartient ainsi de prononcer des sanctions dignes de la valeur désormais conférée aux préoccupations environnementales.