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Le droit de l’exécution forcée regroupe l’ensemble des moyens légaux dont dispose un créancier, porteur d’un titre exécutoire, qui souhaite obtenir l’exécution des obligations dont il est créancier. Il s’agit des voies de droit, le plus souvent des saisies, qu’un créancier confronté à la résistance de son débiteur peut mettre en oeuvre. Que l’engagement pris par le débiteur ne soit pas tenu ou que la condamnation prononcée contre lui ne soit pas exécutée, le créancier doit pouvoir réagir, au besoin par la contrainte légale, pour obtenir ce qui lui est dû. L’accomplissement de l’obligation peut, au demeurant, être spontané ; c’est d’ailleurs assez souvent le cas. Mais face à la mauvaise volonté des débiteurs, l’exécution doit pouvoir être forcée : il en va de la sécurité juridique.

Jusqu’au milieu du xxe siècle, la matière n’avait pas fait l’objet d’une réflexion d’ensemble et, même si la doctrine s’accordait pour dire que le nombre réduit d’interventions législatives sur environ deux siècles était preuve de stabilité et d’équilibre, ce droit souffrait de cette absence de réflexion : il apparaissait complexe et fragmentaire et était perçu comme conflictuel à l’excès. Cette branche du droit privé était en outre caractérisée par le manque d’humanité dont elle faisait preuve vis-à-vis des débiteurs défaillants[1] et, dans le même temps, les créanciers se plaignaient de son peu d’efficacité lorsqu’ils se heurtaient à des débiteurs habiles à dissimuler les éléments composant leur patrimoine.

Pour tenter de remédier à ces défauts, une commission de réforme fut instituée par la Chancellerie au début des années 80. Elle a eu pour mission de travailler, en priorité, sur les procédures d’exécution mobilière et, dans un second temps, de moderniser la procédure de saisie immobilière. Ses membres ont cherché à rassurer les créanciers, sans décourager les débiteurs ; pour cela, il fallait instaurer un équilibre, le plus satisfaisant possible, entre les droits de chacun et introduire une éthique dans un domaine que le législateur avait négligé pendant longtemps. Cela a donné la loi no 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution[2], puis l’ordonnance no 2006-460 du 21 avril 2006, réformant la saisie immobilière[3]. En 2012[4], ces règles ont été codifiées dans le Code des procédures civiles d’exécution. Pour l’essentiel, il s’agit d’un code à droit constant.

L’article premier de la loi de 1991, devenu l’article L111-1 du Code des procédures civiles d’exécution, commence par affirmer que « tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard[5] ». Pour que ce droit de contrainte soit effectif, il fallait d’abord que le créancier puisse aisément localiser son débiteur, connaître la composition de son patrimoine, identifier son employeur et trouver ses comptes bancaires. Comment procéder ? Pouvait-on compter sur le débiteur pour désigner les biens sur lesquels le créancier allait pouvoir faire porter ses droits ? Si ce système de déclaration existe dans certains États européens, il semblait peu conforme à la mentalité française. Par ailleurs, une fois la mesure d’exécution engagée, devait-on attendre du saisi qu’il collabore à l’exécution, voire qu’il participe à la procédure d’exécution ? Cela n’était pas inenvisageable, notamment lorsque la mesure consiste à saisir puis à vendre un bien, car le débiteur peut toujours craindre que celui-ci ne soit bradé par un créancier peu scrupuleux alors qu’il pourrait lui-même trouver à le vendre à meilleur prix. Toutefois, parce que les procédures civiles d’exécution visent à surmonter légalement l’inertie, voire la résistance d’un débiteur défaillant qui peut se traduire simplement par son silence, il valait mieux ne rien attendre de celui-ci, tout en lui permettant de collaborer aux mesures diligentées sur ses biens, s’il le souhaitait.

La recherche d’une plus grande effectivité du droit de l’exécution forcée est donc passée par l’organisation d’une certaine transparence des patrimoines. Les auteurs de la réforme ont choisi d’ignorer l’absence de collaboration du débiteur en organisant, au profit des créanciers titrés, un accès direct aux informations recensées sur des fichiers et aussi en invitant les tiers à collaborer à l’exécution forcée. Qu’ils soient détenteurs d’informations utiles au créancier, ou que la mesure d’exécution se réalise entre leurs mains, il fallait que ces tiers ne puissent faire obstacle au droit du créancier et qu’ils apportent leur concours aux mesures d’exécution entreprises. C’était organiser un véritable changement de culture, là où jusqu’alors des secrets, secret des affaires et secret de la vie privée, étaient efficacement opposés aux créanciers. Et parce qu’une chose est de souhaiter une collaboration active des tiers, et une autre est de l’obtenir, les auteurs de la réforme ont assorti ce devoir de collaboration de sanctions sévères, destinées à vaincre les résistances, notamment celle des administrations et des établissements bancaires.

Ainsi, si le silence du débiteur a été considéré comme relativement indifférent par les auteurs de la réforme (1), c’est parce que, parallèlement, le créancier a été mis en mesure d’exiger des tiers qu’ils collaborent activement à l’exécution forcée (2).

1 La relative indifférence du silence du débiteur

Pour user des différentes procédures légales mises à sa disposition, le créancier doit d’abord être confronté à un débiteur défaillant. Cette défaillance peut-elle résulter d’un silence du débiteur ? C’est une première question (1.1). Une deuxième est de savoir si le débiteur doit des informations sur la composition de son patrimoine (1.2), et une troisième, si une fois la mesure engagée, le débiteur devra collaborer ou pourra rester silencieux sans que cela ait des conséquences fâcheuses pour le créancier (1.3).

1.1 Le silence comme preuve de la défaillance

Le débiteur est tenu en vertu d’un contrat ou d’une obligation légale, ou parce qu’il a été condamné à payer ou à faire quelque chose. Mais ce qui distingue le droit de l’exécution du droit des obligations, des sûretés, des contrats spéciaux ou du droit de la responsabilité civile, c’est que cette branche du droit ne s’intéresse au débiteur qu’une fois établie sa défaillance. Ainsi, préalablement à la mise en oeuvre de toute mesure d’exécution, le créancier doit s’assurer que son débiteur est défaillant.

Comment procéder pour établir cette défaillance avec certitude ? Le législateur n’a pas répondu explicitement à cette interrogation. Le premier article du Code des procédures civiles d’exécution se contente de faire référence à la défaillance du débiteur et ensuite expose les étapes procédurales que le créancier doit suivre pour chacune des saisies réglementées.

Pour certaines d’entre elles, le législateur impose au créancier de délivrer un commandement, préalablement au procès-verbal de saisie[6]. L’absence de réaction du débiteur à ce commandement manifeste alors clairement sa défaillance. Mais ce préalable n’ayant pas été généralisé à toutes les saisies, pour les autres mesures, il incombe au créancier d’être certain que son débiteur est défaillant ; à défaut, il pourrait se voir reprocher une exécution abusive, car le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages et intérêts[7].

La meilleure technique consiste alors à mettre le débiteur en demeure de remplir ses obligations, qu’il s’agisse d’une obligation de payer, de donner ou de faire. La mise en demeure est un préalable nécessaire[8], car elle informe officiellement le débiteur de la volonté du créancier de recouvrer sa créance[9], l’invite une dernière fois à s’exécuter volontairement et, à défaut, établit la preuve de la nécessité de recourir aux voies d’exécution[10]. Au demeurant, lorsque le créancier tirera son droit d’une décision de justice, la mise en demeure empruntera la forme de la signification de cette décision, en vertu des dispositions de l’article 503 C. pr. civ. qui imposent la notification du jugement avant toute mise à exécution. Mais d’une manière plus générale, la mise en demeure est l’acte par lequel le créancier d’une obligation demande au débiteur de remplir son engagement, le plus souvent par exploit d’huissier, même si l’histoire du formalisme de la mise en demeure est celle d’un allégement croissant[11]. Au mieux, cette mise en demeure officielle incitera ledit débiteur à s’exécuter volontairement et, au pire, elle établira la preuve de son inexécution, justifiant ainsi le recours du créancier à l’exécution forcée. À l’occasion de la réforme des procédures civiles d’exécution, les articles 1139 et 1146 du Code civil, qui font référence à la mise en demeure d’un débiteur d’une obligation contractuelle, ont d’ailleurs fait l’objet d’une modification rédactionnelle. Aujourd’hui, cette mise en demeure peut être réalisée, outre par sommation ou acte équivalent, « par lettre missive s’il en ressort de ses termes une interpellation suffisante[12] ».

Ainsi, le défaut de réaction à cette mise en demeure pourra caractériser la défaillance du débiteur ; son silence sera l’aveu de son impuissance à s’exécuter, voire la manifestation de son refus de s’exécuter. À l’inverse, il a été jugé que la mise en demeure était inutile lorsque le débiteur avait pris l’initiative de déclarer à son créancier qu’il refusait d’exécuter son obligation[13]. Dans d’autres cas, les circonstances de la cause pourront révéler une renonciation tacite des parties à l’exigence d’une mise en demeure[14], par exemple, parce qu’elles auront convenu que le débiteur de l’obligation sera mis en demeure par la seule échéance du terme[15].

En définitive, silence comme parole peuvent tout aussi bien être des indices caractérisant la défaillance du débiteur puisque, a priori, la défaillance sera un fait matériel pouvant se manifester par une attitude passive, ou plus active, allant jusqu’à la résistance. Un créancier prudent mettra donc son débiteur en demeure afin de ne pas se voir reprocher un recours hâtif et donc abusif aux mesures d’exécution et le silence éventuel dudit débiteur rendra son action légitime.

1.2 L’absence de déclaration de patrimoine

Pour que le créancier, qui a le libre choix des mesures à entreprendre, puisse décider, en opportunité, de la mesure à engager, encore faut-il qu’il soit en possession d’un certain nombre d’informations sur le patrimoine de son débiteur. Or, en France, le débiteur n’est pas tenu de fournir des informations sur son patrimoine, à la différence des législations de certains pays voisins[16], et toutes les informations qui seraient utiles au créancier ne sont pas nécessairement accessibles.

Certaines informations patrimoniales peuvent être connues sans difficulté, car elles figurent dans des fichiers ou sont répertoriées dans des registres accessibles au public, par exemple au Service de la publicité foncière. D’autres sont plus difficiles à trouver soit que le débiteur cherche à les dissimuler, soit parce qu’elles sont protégées par le secret des affaires. Or, certains organismes détiennent des informations très utiles pour le créancier telles que l’identité et l’adresse de l’employeur du débiteur, et celles de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles à son profit.

La question de l’accès aux informations relatives au débiteur et à ses biens est une préoccupation de l’Europe. Deux systèmes existent dans les États membres de l’Union européenne, soit celui de la déclaration du débiteur relative à son patrimoine et celui de l’accès à des registres par les agents de l’exécution[17]. Si l’idée d’une déclaration de patrimoine européenne uniforme, sur un formulaire standardisé, chemine[18], elle rencontre encore assez peu d’adhésion en France. Pour l’heure, le débiteur peut encore rester silencieux sur la composition de son patrimoine et le créancier doit se procurer seul ces informations.

1.3 Le silence à l’occasion de la mise en oeuvre d’une mesure d’exécution forcée

Lorsque le créancier se résout à recourir à une procédure d’exécution forcée, peut-il espérer la collaboration du débiteur, ou ce dernier peut-il rester totalement passif ? On va le voir, si les obligations légales du débiteur sont extrêmement réduites, sa collaboration semble cependant attendue dans certaines saisies, notamment sous forme d’informations à donner à l’huissier de justice ou de propositions à faire au créancier. Mais en définitive, son silence ne portera préjudice qu’à lui-même.

1.3.1 Les réponses aux interrogations de l’huissier de justice

Une obligation positive, exprimée en termes généraux à l’article R141-4 C. pr. exéc., est mise à la charge du débiteur. Il s’agit, pour le débiteur dont les biens ont déjà été saisis, de faire connaître à tout nouveau créancier qui saisit les mêmes biens l’existence d’une précédente saisie et l’identité de celui qui y a procédé. En outre, le débiteur doit produire l’acte de saisie. On retrouve cette obligation déclinée dans différentes saisies mobilières[19]. En outre, des questions plus précises peuvent lui être posées selon la procédure d’exécution engagée.

Ainsi, pour le recouvrement de créances inférieures à 535 euros, autres qu’alimentaires, le créancier qui envisage une saisie-vente dans le local d’habitation de son débiteur doit délivrer un commandement qui contient à peine de nullité une injonction de communiquer à l’huissier de justice du poursuivant, dans un délai de huit jours, les nom et adresse de son employeur et les références de ses comptes bancaires ou l’un de ces deux éléments seulement[20]. Les auteurs de la réforme ont souhaité que, pour des créances minimes, la saisie des meubles au domicile du saisi ne soit que subsidiaire. Ces dispositions ont été édictées dans l’intérêt du débiteur afin de lui éviter une saisie mobilière traumatisante. Toutefois, il peut rester muet. Quelles pouvaient être les conséquences de ce silence pour le créancier ? Ce dernier pouvait-il en tirer argument pour faire procéder directement à la saisie-vente ?

Saisie pour avis en 1995, la Cour de cassation a estimé que l’absence de réponse du débiteur à l’injonction qui lui est faite dans le commandement de saisie-vente, de communiquer les renseignements utiles à une saisie sur un compte de dépôt ou une saisie des rémunérations, ne fait pas échec au principe de subsidiarité et n’avait pour effet que de dispenser l’huissier de justice de justifier de recherches infructueuses[21]. Le créancier porteur d’une créance inférieure à 535 euros, autre qu’alimentaire, ne peut donc, en cas de défaut de réponse du débiteur, recourir à la saisie-vente d’emblée, sous peine de nullité de sa saisie. Seule l’impossibilité de procéder par voie de saisie-attribution ou de saisie des rémunérations, impossibilité dont le créancier devra justifier, lui permettra d’utiliser la procédure de saisie-vente[22].

À défaut de collaboration du débiteur, l’huissier de justice devra chercher à obtenir des informations sur l’employeur ou les comptes bancaires, conformément aux dispositions des articles L152-1 à L152-3 C. pr. exéc. Le silence du débiteur n’ouvre donc aucun droit au créancier.

Il en est de même en matière de saisie immobilière, où l’article R321-3 fixe le contenu du commandement qui doit comporter un certain nombre de mentions qui peuvent être regroupées en fonction de leur objet : mentions d’ordre procédural (constitution d’avocat, indication du tribunal compétent, faculté de vendre à l’amiable, information sur le bénéfice d’une procédure de surendettement et sur l’aide juridictionnelle), mentions relatives à la poursuite en exécution proprement dite (titre, état de la dette, description des biens menacés, effets de la saisie sur le bien et les fruits) et sommation éventuelle, lorsque le bien fait l’objet d’un bail, de l’obligation d’indiquer à l’huissier de justice les nom, prénom et adresse du preneur (laquelle sera, a priori, celle de l’immeuble) ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social[23]. On notera incidemment que les auteurs de la réforme n’ont pas envisagé de mettre à la charge du bailleur une obligation d’information sur les conditions du bail (nature, date d’effet, durée, montant du loyer, incidents éventuels), même si toute information que l’huissier pourrait recueillir sera utile, notamment parce que le commandement vaut saisie des fruits civils et que le bail sera opposable aux créanciers tout autant qu’il aura été conclu avant l’engagement de la saisie. C’est donc seulement l’identité du preneur à bail qui doit être fournie par le saisi. Le débiteur pourra toutefois rester silencieux soit par mauvaise volonté, soit parce que la sommation n’aura pu lui être remise à personne. Cela ne voudra pas nécessairement dire que l’immeuble ne sera pas loué ; il appartiendra seulement au créancier de rechercher cette information, utile pour lui, par d’autres voies (légales).

Ainsi, le Code n’impose (résignation ou bon sens ?) quasiment aucune obligation de collaboration au débiteur, à l’occasion de la mise en oeuvre d’une mesure d’exécution. Est-ce à dire que le silence du débiteur sera sans conséquence ? En fait, seul un abus sera sanctionné sur le fondement de l’article L121-3 C. pr. exéc. qui prévoit que le juge de l’exécution a le pouvoir de condamner un débiteur à des dommages et intérêts en cas de résistance abusive. Mais, d’une part, si l’hypothèse de l’abus du débiteur a été envisagée par les auteurs de la réforme, sa sanction est plutôt illusoire lorsque ce débiteur sera insolvable et, d’autre part, l’examen de la jurisprudence révèle que l’abus est très difficile à prouver[24], car il supposera la démonstration d’une faute, distincte de la seule résistance du débiteur à la mesure prise contre lui, laquelle peut très bien être irrégulière et donc contestée.

1.3.2 Les propositions du débiteur

D’une manière générale, s’agissant des saisies aux fins de vente, force est de constater qu’elles ne permettent pas toujours d’obtenir le meilleur prix, et donc d’apurer la dette dans les meilleures conditions. De surcroît, bien souvent, les débiteurs se sentaient frustrés en constatant la faiblesse de la valeur que les créanciers affirmaient avoir tiré de la vente aux enchères de leurs biens. En 1991, il a donc été prévu que, à certaines conditions, chaque fois que la réalisation des droits du créancier passerait par la vente d’un bien meuble du saisi, celui-ci serait autorisé à tenter de retirer le meilleur prix de son bien. De cette façon, le débiteur pourra constater lui-même le peu de prix des biens d’occasion ou être assez dégourdi pour en retirer un bon prix. En pratique, le débiteur va rechercher un acheteur et transmettre au créancier les propositions qui lui ont été faites. Si le créancier établit qu’elles sont insuffisantes, l’agent de l’exécution procède à l’enlèvement des biens pour qu’ils soient vendus aux enchères. Ainsi, le saisi est libre de rechercher un acheteur et de faire des propositions et le créancier est libre de refuser ces offres de prix, sous réserve que son attitude ne soit pas inspirée par l’intention de nuire[25].

Quant aux saisies de créances, elles s’effectuent entre les mains d’un tiers saisi, par exemple l’établissement bancaire auprès duquel le débiteur a un compte ouvert. La saisie est dénoncée au débiteur et le paiement des sommes saisies n’intervient qu’à l’expiration d’un délai d’un mois offert au saisi pour contester la mesure, ou après que la contestation a été tranchée. Mais le saisi peut déclarer qu’il accepte la saisie, ce qui permettra le paiement du créancier avant l’expiration du délai[26]. Là encore, rien n’oblige le saisi à faire une telle déclaration, même s’il n’envisage pas de former une contestation.

On le voit, les auteurs de la réforme ont été pragmatiques : le débiteur est incité à collaborer à l’exécution forcée, mais son silence ne pénalisera pas le créancier. Tout autre est l’approche relative aux tiers.

2 La collaboration active des tiers

Lors des travaux de la Commission de réforme, un constat s’était imposé. Les créanciers rencontraient de réelles difficultés à obtenir des informations indispensables à la mise en oeuvre d’une mesure d’exécution[27]. Ainsi, lorsqu’un employeur était sollicité pour donner l’adresse de son employé, il n’était jamais certain qu’il collabore et même lorsque le juge avait délivré une autorisation, les réticences demeuraient fortes[28]. Le secret des affaires était souvent mis en avant pour justifier d’un refus de délivrer des informations qui auraient pourtant été fort utiles aux créanciers[29] et l’huissier de justice qui entreprenait une exécution devait se transformer en détective ou demander à son client de le faire. Il fallait remonter la piste du débiteur parti « à la cloche de bois », et celle-ci croisait souvent celle de secrets légalement protégés, invoqués parfois abusivement par les banques et les administrations. Les auteurs de la réforme ont donc mis à la charge de certains organismes une obligation d’information au bénéfice du créancier titré, par l’intermédiaire de l’huissier de justice chargé de l’exécution (2.1).

La Commission de réforme est allée plus loin encore en formulant, à la charge de tous les tiers, une obligation de concours lorsqu’ils en sont légalement requis et en sanctionnant ceux qui, sans motif légitime, se soustraient à ces obligations. Et le concours passe, notamment, par des réponses à des questions posées par l’agent en charge de l’exécution forcée (2.2).

2.1 L’obligation d’information des administrations

En cherchant à connaître l’adresse du débiteur ou celle de son employeur, le créancier porte une atteinte à sa vie privée. Or, aujourd’hui, le respect des droits et libertés fondamentaux est un principe opposé avec efficacité devant les tribunaux. Cependant, le droit d’obtenir ces informations est capital pour le titulaire du droit à l’exécution forcée. Ainsi, parce que les créanciers rencontraient de réelles difficultés à obtenir des informations indispensables à la mise en oeuvre d’une mesure d’exécution[30], les juges vérifiaient si les droits fondamentaux n’étaient invoqués par les débiteurs que pour se soustraire à leurs obligations[31]. Il avait été ainsi jugé que, « si toute personne est en droit de refuser de faire connaître le lieu de son domicile pour échapper à des indiscrétions ou à la malveillance, il en va autrement lorsque cette dissimulation lui est dictée par le seul dessein illégitime de se dérober à ses obligations et de faire échec aux droits de ses créanciers[32] ». L’atteinte à la vie privée était donc admise, sous contrôle du juge qui autorisait la divulgation. Une telle jurisprudence revenait déjà à introduire une éthique dans l’exécution en stigmatisant le mauvais débiteur, mais rien n’imposait aux tiers de communiquer les informations qu’ils détenaient.

Aussi, en 1991, les auteurs de la réforme ont réglementé l’accès aux informations, en passant, en cas de recherches infructueuses, par le filtre du parquet. Ce système a été amélioré par la loi no 2004-130 du 11 février 2004[33] qui a accru les pouvoirs de l’huissier de justice chargé de l’exécution et donc porteur d’un titre exécutoire, afin qu’il puisse obtenir directement de l’administration fiscale l’adresse des organismes auprès desquels un compte est ouvert au nom du débiteur, sans que cette dernière puisse opposer le secret professionnel. Cependant, lorsque l’administration fiscale ne disposait pas de cette information, l’huissier de justice en était réduit, comme antérieurement, à saisir le procureur de la République afin qu’il entreprenne les diligences nécessaires pour connaître l’adresse de ces organismes[34]. Et, pour connaître l’adresse du débiteur et celle de l’employeur, l’huissier de justice, sur présentation d’un relevé certifié sincère des recherches infructueuses qu’il avait tentées, devait s’adresser au parquet[35]. La loi no 2010-1609 du 22 décembre 2010[36] a finalement permis à l’huissier de justice, porteur d’un titre exécutoire, d’obtenir directement des renseignements auprès des administrations publiques, sans passer par le parquet. La recherche de ces informations fait aujourd’hui l’objet d’un chapitre propre, dans le Code des procédures civiles :

[Les] administrations de l’État, des régions, des départements et des communes, les entreprises concédées ou contrôlées par l’État, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou les organismes contrôlés par l’autorité administrative doivent communiquer à l’huissier de justice chargé de l’exécution les renseignements qu’ils détiennent permettant de déterminer l’adresse du débiteur, l’identité et l’adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides et exigibles et la composition de son patrimoine immobilier à l’exclusion de toute autre renseignement, sans pouvoir opposer le secret professionnel[37].

Ainsi, les collectivités territoriales, les entreprises publiques, les banques, les services financiers de la Poste et de la Banque de France, les commissions de surendettement, les différentes caisses d’assurance maladie ou chômage, vieillesse et allocations familiales, les sociétés de distribution d’énergie, les services de distribution d’eau, les opérateurs de téléphonie, tous les organismes qui vont détenir l’adresse du débiteur et éventuellement de son employeur devront la communiquer à l’huissier de justice. Ces organismes restent en droit d’opposer le secret professionnel au particulier qui les solliciterait, mais ils doivent répondre à la demande de l’huissier de justice porteur d’un titre exécutoire qui les interroge dans les intérêts du créancier qui l’a mandaté. Les renseignements obtenus ne peuvent être utilisés que dans la seule mesure nécessaire à l’exécution des titres pour lesquels ils ont été demandés ; ils ne peuvent, en aucun cas, être communiqués à des tiers ni faire l’objet d’un fichier d’informations nominatives[38]. Il est clair que ce dispositif d’accès aux informations contribue à rendre effectif le droit à l’exécution forcée des créanciers.

2.2 Les obligations déclaratives des tiers

Sont ici visés non seulement les tiers entre les mains desquels une mesure d’exécution est pratiquée mais encore toute personne tiers à la mesure. En d’autres termes, l’effectivité du droit à l’exécution des créanciers ne concerne pas seulement l’État et ses agents, mais également tout citoyen. Le devoir de collaboration des tiers peut être vu comme une sorte de prolongement de l’obligation de chacun, dans le procès civil, d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité[39].

2.2.1 Tout tiers

Selon l’article L123-1, al. 1 C. pr. exéc., les tiers « ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis[40] ». L’alinéa 2 complète le dispositif en prévoyant une sanction : « Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts[41]. »

La généralité des termes employés, « les tiers » (al. 1), « celui qui » (al. 2), permet de conclure que chaque individu peut se trouver concerné. Le législateur a entendu viser toute personne qui, à l’occasion d’une mesure d’exécution, pourrait être en relation avec le créancier ou le débiteur[42]. Et le concours des tiers peut prendre la forme d’obligations déclaratives.

Ainsi en est-il de l’article R223-1 C. pr. exéc. : en cas de mesure d’exécution sur les véhicules terrestres à moteur, le préfet du département doit communiquer à l’huissier de justice qui en fait la demande les mentions portées sur le registre prévu à l’article 2 du décret du 30 septembre 1953 relatif à la vente à crédit des véhicules automobiles[43] ainsi que tous renseignements relatifs aux droits du débiteur sur ce véhicule.

Le tiers qui ne répond pas pourra être condamné à donner le renseignement sous astreinte mais encore à des dommages et intérêts, si son comportement fautif a causé un préjudice au créancier. Dans ce cas, la responsabilité du tiers pourra être retenue à titre personnel. Il appartiendra au créancier d’établir le manquement fautif et le préjudice. Lorsque le comportement attendu est actif, l’inexécution suffit à établir la faute, ainsi un défaut de réponse à une demande de renseignement. Certes, un motif légitime permettra au tiers de s’exonérer de sa responsabilité, mais le respect de la vie privée du débiteur ne pourra, en revanche, être légitimement invoqué par le tiers pour refuser d’apporter son concours.

2.2.2 Les tiers saisis

L’alinéa 3 de l’article L123-1 C. pr. exéc. distingue le sort des tiers saisis, c’est-à-dire des tiers entre les mains desquels une mesure d’exécution est pratiquée. Ces tiers particuliers sont tenus d’apporter leur concours au créancier. L’obligation est affirmée de manière générale à l’article L123-1, al. 3, l’objet de ce concours étant ensuite explicité par le législateur pour chacune des saisies mettant en cause un tiers. Afin de vaincre la résistance des tiers saisis et notamment des établissements bancaires, les auteurs de la réforme ont imaginé une sanction très dissuasive lorsque ce tiers saisi se soustrait à ses obligations, qui sont principalement déclaratives. On l’a vu, au titre des dispositions générales, l’article L123-1 prévoit déjà des sanctions à l’encontre du tiers saisi qui se soustrait à ses obligations sans motif légitime. Il peut être contraint d’y satisfaire, au besoin sous peine d’astreinte, sans préjudice de dommages et intérêts, mais, et c’est une innovation de la réforme, le tiers saisi pourra aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur.

C’est principalement en matière de saisie-attribution et de saisie des valeurs mobilières que des obligations ont été mises à la charge des tiers saisis.

2.2.2.1 La saisie-attribution

L’article L211-3 C. pr. exéc. dispose que « le tiers saisi est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures[44] ». En ce domaine, la jurisprudence est très riche. En pratique, il est attendu du tiers saisi qu’il fournisse une information effective, c’est-à-dire qu’il donne des renseignements précis. Seront écartées les simples réponses de principe puisque, de surcroît, doivent être joints les documents qui établissent les réponses apportées. Ainsi, lorsque la déclaration est contestée, le juge de l’exécution pourra ordonner au tiers saisi de communiquer au créancier saisissant les documents non confidentiels qu’il réclame[45], tout autant qu’il s’en tiendra à ce qui est prévu par la loi[46]. Les renseignements attendus doivent être des renseignements utiles pour réaliser la mesure en cause : ainsi, dans le cadre d’une saisie-attribution réalisée auprès d’une société civile professionnelle à l’encontre de l’un de ses membres, le tiers saisi devra donc communiquer ses statuts et les accords entre ses membres pour connaître leur rémunération[47].

Il est encore attendu du tiers saisi des déclarations sincères et spontanées[48].

L’article R211-4, al. 1 C. pr. exéc. ajoute que le tiers saisi est tenu de fournir sur-le-champ les renseignements prévus dans l’article L211-3 et de lui communiquer les pièces justificatives.

L’article R211-5 reproduit ensuite, de manière presque identique, les dispositions de principe de l’article L211-3. Aux termes de l’alinéa 1, « [l]e tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus est condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier, sans préjudice de son recours contre le débiteur[49] ». L’alinéa 2 ajoutent que le tiers saisi peut « être condamné à des dommages et intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère[50] ». Comment articuler ces sanctions entre elles ? Et comment comprendre l’adverbe « aussi » qui peut exprimer une alternative comme un cumul de sanctions ? Après quelques tâtonnements, la jurisprudence a posé une distinction en fonction du manquement reproché au tiers saisi.

Instaurant une lecture rigoureuse de ces deux alinéas, la Cour de cassation décide depuis juillet 2000[51] que seul le défaut de renseignement autorise le juge à appliquer la sanction de l’alinéa 1er, à savoir la condamnation aux causes de la saisie. Une déclaration incomplète, inexacte ou mensongère ne peut que donner lieu à la condamnation à dommages et intérêts prévus dans l’alinéa 2[52]. Cette distinction respecte l’esprit de la nouvelle procédure de saisie-attribution, qui impose aux tiers saisis un concours (et notamment aux établissements bancaires s’abritant jusqu’alors derrière le secret bancaire), sans toutefois mettre à leur charge le paiement des dettes du débiteur. En effet, les premières années d’application de la réforme avaient révélé que, très souvent, les créanciers espéraient obtenir, grâce à la condamnation du tiers au paiement des causes de la saisie, un garant solvable remplaçant avantageusement leur débiteur. De là, la recherche par ces créanciers de la moindre défaillance du tiers saisi et les limites apportées à cette stratégie par les magistrats de la deuxième chambre civile. Ainsi, seule l’absence de déclaration conduit à appliquer au tiers saisi la lourde sanction de la condamnation au paiement des causes de la saisie, alors qu’une déclaration incomplète[53], inexacte[54] ou mensongère donnera seulement lieu à la condamnation aux dommages et intérêts prévus dans l’alinéa 2 de l’article R211-5 C. pr. exéc.[55]. Les alinéas 1 et 2 ne sont donc pas interdépendants, de sorte que le tiers saisi qui ne s’abstient pas de procéder à la déclaration, même s’il ne fournit que des renseignements inexacts ou mensongers, n’encourt qu’une condamnation au paiement de dommages et intérêts[56], ce qui suppose de caractériser le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice allégué[57].

Ainsi, dans cette saisie, le tiers a tout intérêt à dire quelque chose. Son silence est gravement sanctionné, mais pas son erreur. Par ailleurs, dès lors qu’il est imposé au tiers saisi de fournir sur-le-champ les renseignements attendus, la jurisprudence en a déduit que, en l’absence de respect de cette exigence, le retard dans la déclaration équivaudrait à un défaut de déclaration, emportant condamnation du tiers saisi au paiement des causes de la saisie[58].

2.2.2.2 La saisie de valeurs mobilières

Des mesures d’exécution et conservatoires peuvent aussi être pratiquées sur des valeurs mobilières. Ces mesures ressemblent à une saisie-vente puisque le créancier doit procéder en deux temps, saisir puis vendre les valeurs mobilières, mais ces meubles sont incorporels, à la différence de la saisie-vente proprement dite. Par ailleurs, la procédure ressemble également à une saisie de créance, car le saisi est titulaire de droits à l’encontre d’une société ou de la personne morale émettrice. Sont visés les droits d’associés dans des sociétés civiles comme commerciales et les valeurs mobilières, c’est-à-dire les actions et obligations. Aux termes de l’article R232-5, 5, le tiers saisi doit deux informations.

Le tiers saisi a d’abord comme première obligation de faire connaître au créancier l’existence d’éventuels nantissements ou saisies. Ces renseignements sont très utiles pour le créancier, car ils lui permettront de savoir s’il est en concurrence avec d’autres créanciers et s’il risque d’être primé[59].

Pouvait-on attendre du tiers saisi, établissement bancaire, qu’il fournisse d’autres informations, par analogie avec les obligations du tiers saisi en saisie-attribution, tenu, on l’a vu, de déclarer l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter[60] ? La Cour de cassation ne l’a pas admis, ce qui a ainsi exclu que le créancier puisse exiger de la société qu’elle fournisse des informations sur la consistance et la valeur des droits d’associés, à moins d’avoir reçu injonction du juge de l’exécution à cet effet[61].

En cette matière, il faut signaler une curiosité : l’article R232-5 ne prévoit pas de sanction en cas de défaut de réponse du tiers, sommé de faire connaître l’existence d’éventuels nantissements ou saisies. Le silence du Code sur ce point est difficilement explicable, sinon par un oubli qui n’a pas été rattrapé lors de la codification. La pratique avait donc imaginé se fonder sur les dispositions de l’article L123-1, qui pose le principe général du concours des tiers saisis et prévoit leur condamnation au paiement des causes de la saisie en cas d’inexécution de leurs obligations légales. Les juridictions du fond l’avaient admis, mais la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne les a pas suivies, jugeant que le tiers qui ne satisfait pas à son obligation ne s’expose, s’il y a lieu, qu’à une condamnation à des dommages et intérêts[62]. Le raisonnement ne convainc ni en droit ni en opportunité.

La seconde information que le tiers saisi doit communiquer à l’huissier de justice qui vient saisir des valeurs mobilières concerne le nom du mandataire chargé de tenir les comptes. L’article R232-2, al. 2 C. pr. exéc. met à la charge de la société l’obligation de faire connaître le nom de ce mandataire à l’huissier de justice. Ici encore, aucune sanction n’est envisagée dans les dispositions spéciales applicables à la saisie des valeurs mobilières. Faut-il alors en déduire que seule une condamnation du tiers saisi à des dommages et intérêts pourrait être prononcée ? On ne peut s’empêcher de penser qu’il n’y a pas de raison pour que le créancier qui opte pour une saisie des droits d’associés et des valeurs mobilières soit moins protégé, en cas de défaut de concours du tiers saisi, que celui qui choisit d’entreprendre une saisie-attribution ou une saisie-vente.

Ce rapide panorama du droit français des voies d’exécution forcée permet de conclure que le silence n’est pas un obstacle à l’effectivité du droit des créanciers. Le silence du débiteur s’avère indifférent, car la loi est justement faite pour offrir au créancier des moyens de contrainte portant directement sur les biens qui composent son patrimoine. Et le silence du tiers, et principalement du tiers saisi, est sanctionné lorsqu’il n’est pas justifié par un motif légitime. Le changement de culture souhaité par la Commission de réforme s’est globalement produit, même si l’examen de la jurisprudence de la Cour de cassation donne une idée des résistances rencontrées sur le terrain.