Number 56, 2002
Table of contents (12 articles)
L'encadrement religieux et culturel par l'Église catholique
-
Les études classiques au Québec 1760-1840
Claude Galarneau
pp. 19–49
AbstractFR:
En 1763, les Pères jésuites rentrés en France et le Collège de Québec fermé, il n'y a plus d'enseignement classique au Québec. Il fallait trouver une façon de le perpétuer. Le peu de prêtres qui restaient à Québec et à Montréal se sont mis à l'oeuvre. Les curés de paroisse ouvrent des écoles dans leur presbytère pour préparer des élèves et dix de ces écoles deviendront des collèges entre 1765 et 1840. Les professeurs seront d'abord des anciens élèves à peine tonsurés, qui enseigneront pendant leurs études de théologie, venus de Québec et de Montréal dans les autres collèges et quelques prêtres français. Les directeurs et les professeurs conservent le même programme d'études que les jésuites avaient mis au point. Un exemple de matière enseignée sera développé, celui de la rhétorique. Enfin, le sort des anciens élèves de la période, prêtres et laïcs, sera évoqué. En 1840, les études classiques étaient solidement organisées suivant un modèle qui s'est perpétué jusqu'en 1960.
EN:
In 1763, with the Jesuit fathers back in France and the Collège de Québec closed, there is no longer any classical teaching in Québec. A way had to be found to keep it alive. The few remaining priests in Québec and Montréal set to work. Parish priests open schools in their presbyteries to prepare the students and ten of these schools will become colleges between 1765 and 1840. The professors were at first former students from Québec and Montréal barely ordained who taught while pursuing their theological studies in addition to a few French priests. The principals and professors retained the same programme of study that the Jesuits had established. Rhetoric will be examined as an example of one of the subjects taught. Finally, the fate of some former students of the period, both priests and laymen, will be recalled. In 1840, classical studies were solidly organised along a model which lived on right up to 1960.
-
Le diocèse catholique au Québec: un cadre territorial pour l'histoire sociale
Fernand Harvey
pp. 51–124
AbstractFR:
Le diocèse catholique a joué un rôle incontournable dans l'histoire religieuse, économique, sociale et culturelle du Québec et de ses régions avant la Révolution tranquille. Un bilan historiographique permet dans un premier temps de constater qu'il reste beaucoup à faire pour développer l'histoire des diocèses au Québec. L'histoire de la création de nouveaux diocèses au cours des 19e et 20e siècles est particulièrement significative des rapports entre cette structure religieuse et la territorialité, en plus de révéler l'existence de luttes de pouvoir et de conflits idéologiques et linguistiques au sein du clergé; sans compter l'impact socioéconomique lié à la fondation d'un diocèse et à la localisation d'un évêché. Parmi les différentes institutions diocésaines créées au fil des années, le petit séminaire apparaît comme le lieu par excellence de la reproduction du clergé diocésain et des élites régionales. Notre analyse porte par la suite sur le rôle joué par le cadre diocésain pour structurer différentes associations et mouvements sociaux de la société civile tels que les sociétés diocésaines de colonisation, l'Union catholique des cultivateurs (UCC), le Mouvement des caisses populaires Desjardins, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) et la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec (FCSCQ). À partir des années 1960, le cadre diocésain cesse d'être utilisé par une société de plus en plus laïcisée et dominée par l'intervention de l'État. De son côté, le clergé, inspiré par le concile Vatican II, met l'accent sur le renouveau pastoral dans les différents diocèses.
EN:
The Catholic diocese played a major role in the religious, economic, social and cultural history of Québec and its regions before the Quiet Revolution. An initial examination of the historiography shows that much remains to be done to develop the history of the diocese in Québec. The history of the establishment of new dioceses in the course of the nineteenth and twentieth centuries is especially revealing as concerns the relationship between this religious structure and territoriality. Moreover, the history of these dioceses unveils the existence of power struggles and ideological and linguistic conflicts within the clergy as well as the socio-economic impact associated with both the foundation of a diocese and the location of the bishop's palace. Among the various diocesan institutions created over the years, the seminary may be seen as the ultimate place in which diocesan clergy and the regional elite were trained. Our analysis then turns to the role played by the diocesan framework in civilian society in constructing different associations and social movements such as the diocesan colonisation societies, the Union catholique des cultivateurs (UCC), the Movement des caisses populaires Desjardins, the Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) and the Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec (FCSCQ). From the 1960s, the diocesan framework ceases to be utilized by a progressively secular society dominated by state intervention. Inspired by Vatican II, the clergy emphasizes pastoral renewal in their various dioceses.
-
De Toulouse à Limoilou : un itinéraire capucin (1902-1934) : première partie: la conquête de Québec
Gilles Gallichan
pp. 125–165
AbstractFR:
En mai 1902, des capucins originaires de Toulouse, installés à Ottawa depuis 1890, se voient confiés la paroisse Saint-Charles de Limoilou, aux portes de Québec. Cette arrivée est le fruit des efforts obstinés du père Alexis de Barbezieux pour fixer sa communauté au Québec. Une rivalité fraternelle a d'ailleurs opposé pendant 12 ans les capucins et les franciscains dans cette conquête de Québec. Ces congrégations françaises cherchaient au Québec une terre promise pour échapper aux lois laïques de la IIIe République.
Les frères mineurs capucins prenaient en charge Limoilou alors au bord de la banqueroute. L'archevêque Bégin plaçaient sur leurs épaules un imposant défi d'organisation et d'administration que les capucins relevèrent pour enraciner leur communauté au Canada français. Une seconde partie traitera du milieu social et du travail de ces capucins français à Québec.
EN:
In May 1902, some Capuchins from Toulouse, settled in Ottawa since 1890, obtained the parish of Saint-Charles de Limoilou near the city of Québec. This arrival is the result of the obstinate efforts of Father Alexis de Barbezieux in his attempt to establish his order in Québec. Moreover, a 12-year long fraternal rivalry had opposed Franciscans and Capuchins in their endeavours to conquer Québec. These French orders were seeking a promised land in Québec in order to flee the civil laws of the Third Republic.
Limoilou was on the verge of bankruptcy when these Capuchin Brothers took charge of the parish. Archbishop Bégin presented these monks with an important organisational and administrative challenge which the Capuchins met in their attempts to establish their community in French Canada. A second section shall examine the social and working environment of these French Capuchins in Québec City.
Zone libre
-
L'Amérique des prosateurs français de la Renaissance : deuxième partie 1581-1618
Roger Le Moine
pp. 167–191
AbstractFR:
La première partie de cet article est parue dans Les Cahiers des Dix, n° 55 (2001). Le second volet reproduit ici la suite des textes que certains prosateurs de la Renaissance, historiens, chroniqueurs et essayistes, ont rédigés en s'inspirant des relations de voyage, histoires des découvertes comme aussi les dires de voyageurs et Amérindiens. A part ceux de Montaigne, ils sont pratiquement inconnus. Ainsi, je complète une enquête qui m'a jadis mené à publier toute une collection de poèmes exotiques dans un volume intitulé L'Amérique et les Poètes français de la Renaissance (textes présentés et annotés par Roger Le Moine, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1972, 350 p. (Coll. Les Isles fortunées).
Les textes sont, pour la plupart, précédés et suivis de courts commentaires mais sans qu'ils ne soient analysés. Ma démarche n'a consisté qu'à les rendre accessibles.
EN:
The first part of this article appeared in Les Cahiers des Dix, no 55 (2001). This second section reproduces the continuation of the texts that certain prosewriters of the Renaissance, historians, chroniclers and essayists, wrote while inspired by travel diaries, histories of the discoveries as well as the statements of travellers and Amerindians. Other than that of de Montaigne, they are practically unknown. I thus complete an inquiry that long ago led me to publish an entire collection of exotic poems in a volume entitled L'Amérique et les Poètes français de la Renaissance (texts presented and annotated by Roger Le Moine, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1972,350 p. (Coll. Les Isles fortunées).
The texts are for the most part accompanied by brief commentaries without analysis. My goal was merely to render them accessible.
-
Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810), aventurier du livre et de l'estampe : première partie: La lettre de 1785 au comte de Vergennes
Bernard Andrès
pp. 193–215
AbstractFR:
Des Grasset de Saint-Sauveur, on connaît surtout André (1758-1792), martyr de la Révolution française, béatifié en 1926 et dont un collège porte aujourd'hui le nom. Cet article concerne plutôt son frère aîné, personnage à l'antipode: Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810). Successivement diplomate, polygraphe, illustrateur et graveur, il fut aussi aventurier et quelque peu mystificateur. Montréalais de naissance, Jacques Grasset de Saint-Sauveur a connu sa petite gloire littéraire sous la Révolution et le premier Empire. Il publia un nombre considérable d'encyclopédies de voyages et de costumes, de compilations et de récits libertins, mais aussi d'ouvrages de morale d'inspiration philosophique ou républicaine. II nous intéresse du triple point de vue de l'histoire politique et diplomatique du Canada et de la France, de l'histoire littéraire et de l'histoire de l'art. Pour cerner la personnalité de l'individu, on analyse ici une lettre qu'il adressa en mars 1785 à de Charles Gravier, comte de Vergennes, ministre des Affaires étrangères de France. Cette correspondance contient l'autoportrait de l'aventurier à la recherche d'un mécène, avec toutes les marques d'un jeune caractère déjà bien tranché : esprit d'initiative, audace frisant la présomption, détermination, sens politique et curieux mélange de réalisme et d'extravagance dans la vision du monde. En germe dans ce pli que Jacques Grasset de Saint-Sauveur rédige à 27 ans, se lit déjà toute la carrière de celui qui, sous le Directoire, trouvera plus prudent de perdre la particule et de signer « citoyen Saint-Sauveur », avant de s'acoquiner avec les plus ardents républicains de l'époque. À côté d'André, son père, ancien secrétaire de la Nouvelle-France, devenu consul sous Louis XVI, à côté de son frère cadet, lui-même consul et de l'autre frère, prêtre réfractaire fauché par la Terreur, Jacques Grasset fait tache. C'est cette tache qu'on examine ici à partir d'une simple lettre, avant de revenir, dans une prochaine livraison, sur la bibliographie du mouton noir des Grasset de Saint-Sauveur.
EN:
Of the Grasset de Saint-Sauveur family, we know above all André (1758-1792), a martyr of the French Revolution who was beatified in 1926. A college exists to this day which bears his name. This article however is about his older brother, a character at the opposite extreme: Jacques Grasser de Saint-Sauveur (1757-1810). Successively diplomat, polygraph, illustrator and engraver, he was also an adventurer and somewhat of a practical joker. Born in Montreal, Jacques Grasset de Saint-Sauveur knew some literary glory during the Revolution and First Empire. He published a considerable number of travel and costume encyclopaedias, compilations and licentious stories in addition to moral works of philosophical or republican inspiration. He is of interest here from three points of view: the political and diplomatic history of Canada and France, literary history and art history. In order to zero in on this individual's personality, we shall analyse a letter he wrote in March 1785 to de Charles Gravier, comte de Vergennes, France's Minister of Foreign Affairs. This correspondence contains a self-portrait of the adventurer looking for a patron along with all the signs of an already clearcut youthful character: initiative, audacity verging on presumptuousness, determination, a political sense and a strange mix of realism and extravagance in his world view. In this letter that Jacques de Grasset de Saint-Sauveur wrote at the age of 27 are the seeds of the whole career of he who, under the Directory, found it more prudent to leave aside the nobiliary particle and to sign "citizen Saint-Sauveur" before teaming up with the most ardent republicans of his day. Compared to André, his father, former Secretary of New France who become consul under Louis XVI, compared to his younger brother, the non-juring priest struck down by the Terror, Jacques Grasset stuck out like a sore thumb. It is this aspect that we examine here using a simple letter before coming back, in our next, to the bibliography of the black sheep of the Grasset de Saint-Sauveur family.
-
Le Bas-Canada et Le Courrier des États-Unis de New York (1828-1840)
Yvan Lamonde
pp. 217–233
AbstractFR:
Ce premier article sur « Le Bas-Canada et le Courrier des États-Unis de New York (1828-1840) » explore la presse de l'Amérique francophone dans la première moitié du XIXe siècle. Son propos global entend faire voir dans quel contexte s'est formulée l'idéologie d'une « vocation de la race française en Amérique ». Cette importante vision d'avenir du Canada français n'est pas sortie de la cuisse de Jupiter mais fut UN des scénarios possibles élaborés après les rébellions de 1837 et de 1838 et au moment de la crise annexionniste de 1849. Après avoir donné une idée des références faites au CEU dans la presse bas-canadienne avant 1840, le texte analyse la perception des rébellions dans le journal francophone de New York marqué par sa fondation bonapartiste.
EN:
This first article on "Le Bas-Canada et le Courrier des Etats-Unis de New York (1828-1840)" explores the French American press in the first half of the nineteenth century. Its main intention is to demonstrate the context in which the ideology concerning the "vocation of the French race in America" was formulated. This important vision of the future of French Canada did not descend from the heavens but was ONE of the possible scenarios elaborated following the rebellions of 1837 and 1838 and during the annexationist crisis of 1849. After a look at the references made to the CEU in the Lower Canadian press before 1840, the text analyses the perception of the rebellions in the New York–based French paper marked by its Bonapartist beginnings.
-
Les tribulations d'André Dagenais
Pierre Trépanier
pp. 235–295
AbstractFR:
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe et essayiste André Dagenais se révèle un penseur traditionaliste vigoureux et dérangeant. D'inspiration scotiste, il bouscule les habitudes thomistes au sein de sa famille de pensée, la droite catholique et nationaliste. Quant à ses adversaires libéraux et progressistes, ils le tournent en dérision lorsqu'ils daignent s'en occuper. Le mutisme des philosophes et des théologiens à son endroit est rarement rompu. Le professorat dans un collège ou à l'université lui est interdit. Père de famille, il est forcé de se faire journaliste ou libraire, et de s'éloigner des siens. À travers la précarité, il réussit à rester fidèle à sa vocation d'intellectuel : non pas primum vivere, deinde philosophari, mais vivere et simul philosophari. Il mène de front l'offensive antithomiste et le combat national. Ardent promoteur du pluralisme chrétien, il croit que le second concile du Vatican sonne l'heure du triomphe. Mais la Révolution tranquille enclenche une dynamique qui aboutit au pluralisme laïque, soit hostile, soit indifférent à la pensée chrétienne. Paradoxalement il réussit enfin, à ce moment, à intégrer les cadres de l'enseignement collégial. Éternel marginal du monde intellectuel québécois, il cherche à opérer une sorte de dépassement-synthèse de la modernité, à la fois théoriquement, par la triadologie, et pratiquement, par le triadisme. Resplendirait alors une Cité nouvelle, temple de la Trinité, communauté des personnes et maison de Laurentie. Envers et contre tous, André Dagenais a maintenu l'honneur de penser en homme libre.
EN:
Just after the Second World War, the philosopher and essayist André Dagenais shows himself to be a vigorous and disturbing traditionalistic thinker. Scotist-inspired, he disrupts the Thomist customs in his school of thought, the Catholic and nationalist right. As for his liberal and progressist adversaries, they ridicule him when they deign to take notice of him. This silence of philosophers and theologians is but rarely interrupted. A college or university professorship is forbidden him. With a family to support, he is forced into journalism or bookselling and has to travel far from his own. Through precarity, he remains faithful to his vocation as an intellectual: not primum vivere, deinde philosophari, but vivere et simul philosophari. He manages both the anti-Thomist offensive and the national struggle at once. An ardent promoter of Christian pluralism, he believes that Vatican II is a triumph. But the Quiet Revolution unleashes a dynamic that leads to lay pluralism, which is either hostile or indifferent to Christian thought. Paradoxically, it is at this time that he finally succeeds in joining the ranks of college professors. Eternally at the fringes of the Québécois intellectual world, he seeks to implement a kind of redemption synthesis of modernity both theoretically through triadology and practically through triadism. A new civil society would then shine, a temple of the Trinity, a community of persons in the house of Laurentia. In the face of all opposition, André Dagenais maintained the honour of the free thinker.
-
À propos des manières d'habiter : quelques réflexions sur le mobilier et la mentalité des Québécois
Jocelyne Mathieu
pp. 297–315
AbstractFR:
La disponibilité d'espace, la place de l'individu et les valeurs émanant de leurs rapports se matérialisent dans l'univers domestique. L'aménagement de la maison et les caractéristiques de son mobilier incarnent des manières de vivre et de penser. La non-fixité remarquée dans l'espace domestique du XVIIIe siècle a favorisé la polyvalence des meubles. Ces meubles et leur disposition dans l'habitat reflètent un rapport particulier entre les individus et l'environnement domestique. Dans un intérieur domestique à aires ouvertes, où la polyvalence caractérise les composantes, l'usage d'un siège mobile, léger, malléable comme la chaise s'avère d'une commodité incontestable. Le fait de préférer la chaise au banc peut-elle indiquer une tendance vers l'individualisme et la liberté de circulation? De plus, le réaménagement périodique des lieux après un changement de logis ou simplement pour « changer d'air » en allant vivre de façon saisonnière dans la cuisine d'été ou au chalet, par exemple, suggère aussi le goût du mouvement, du changement, voire d'un esprit disponible à la nouveauté.
EN:
The availability of space, the position of the individual within that space and the relationship between the two are materialised in the domestic world. The fitting out of the house and the characteristics of its furniture are the incarnation of lifestyles and modes of thought. The unsettled nature of eighteenth-century domestic space encouraged the versatility of furniture. These pieces of furniture and their arrangement in the home reflect a particular relationship between individuals and their domestic environment. In an open domestic interior in which the components are noted for their versatility, the use of a moveable, light, malleable piece like the chair is of unquestionable convenience. Is a preference for the chair rather than the bench an indication of a tendency towards individualism and freedom of movement? In addition, the periodical rearrangement of furniture after a move or simply for the sake of change by going to live on a seasonal basis in the summer kitchen or at the cottage also suggests a taste for movement, for change, perhaps even a disposition towards the novel.