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André Bazin, What is Cinema ?, traduit par Timothy Barnard, Montréal, Caboose, 2009[Record]

  • Jacques Aumont

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  • Jacques Aumont
    Université Sorbonne Nouvelle — Paris 3

Qu’est-ce que le cinéma ? La question, telle quelle, n’est plus d’actualité. En revanche, le recueil d’André Bazin, qui en avait fait son titre, est devenu un classique, lu et relu par des générations de cinéphiles et d’étudiants. Qu’est-ce que le cinéma ?, dans ses diverses éditions et traductions, reste l’un des ouvrages les plus connus sur ce qu’on appelle encore le septième art, et d’ailleurs l’un des ouvrages qui a le plus contribué à établir l’idée qu’il s’agit bien d’un art. En quoi une traduction anglaise, d’ailleurs partielle, de ce recueil est-elle digne d’être signalée ? N’en existe-t-il pas déjà une, plus complète  ? Faut-il vraiment revenir sur Bazin, si souvent commenté ? Le faut-il en anglais, quand une édition française convenable (annotée, avec variantes et prenant la peine de vérifier le texte) n’existe toujours pas ? Or, ce sont précisément ces trois raisons contre une nouvelle édition anglaise de Bazin qui ont déterminé Timothy Barnard à entreprendre la sienne. Un lecteur français, en particulier, ne peut qu’être amèrement sensible à la troisième de ces clauses. Malgré les velléités manifestées ici ou là, malgré les déclarations grandiloquentes de tels érudits baziniens, on n’a toujours pas, cinquante ans après la mort du plus grand critique de cinéma français, une édition correcte de son oeuvre. Pas d’édition complète, cela peut à la rigueur se concevoir ; Bazin, qui multipliait les piges, reprenait souvent sans trop de scrupules des phrases, des paragraphes, quand ce n’était pas des textes presque tels quels, dans divers supports. Plus gênant est le désordre dans lequel ont été édités plusieurs recueils, établis selon des logiques différentes ; le plus courant, celui que j’ai cité, n’existe même plus dans sa première version en quatre volumes, mais dans une version réduite qui a éliminé la moitié des textes. Surtout, toutes ces publications ont été faites sans souci éditorial : ni notes ni établissement des variantes, informations minimales sur la provenance, quasi aucune discussion des idées. Sur les points techniques, l’édition de T. Barnard n’a aucun mal à être infiniment supérieure. À vrai dire, la comparaison est presque insultante pour lui, car il fait, justement, le travail qu’aucun des éditeurs français n’a jugé que Bazin méritait. Outils élémentaires, tels des index. Annotation précise et didactique du texte : tous les noms propres cités sont commentés — ce qui n’est pas inutile un demi-siècle après la parution des articles, certains contemporains de Bazin étant bien oubliés. Les sources des citations (rarement indiquées par l’auteur) sont, chaque fois que possible, identifiées. Les erreurs factuelles sont rectifiées, soit muettement dans le texte lorsqu’elles sont vénielles, soit dans des notes, toujours argumentées. Bref, on a fait le travail d’édition, au vrai sens de ce terme, et par là on témoigne qu’on tient ce texte pour digne de considération. Au reste, l’établissement des sources et des références n’est pas qu’une affaire technique. Au début d’« Ontologie de l’image cinématographique », Bazin donne une citation de Malraux ; après avoir recherché partout où l’on pouvait chercher, Barnard démontre que cette citation est, sous cette forme, inventée et, surtout, que Bazin a lu trop vite et n’a pas vu (ou pas voulu voir) que Malraux défend une idée du cinéma fondée sur le montage, donc bien différente de celle que lui-même prône. Plus remarquable encore est le travail de recherche mené à propos d’une citation de « Théâtre et cinéma ». Bazin cite — en se trompant sur l’orthographe du nom de l’auteur et la date de l’article — un texte d’un M. Rozenkranz paru dans Esprit en 1934. Au terme d’une analyse serrée …

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