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Dans la première partie de cet article, intitulée « De la filmologie à la sémiologie : les figures de l’alternance au cinéma [2] », nous avons vu comment les propositions théoriques de Christian Metz — notamment son fameux tableau de la « grande syntagmatique » — ont contribué à lever une part importante de l’ambiguïté qui prévalait jusqu’alors dans la définition de certaines figures de montage, et tout particulièrement dans celle de ces deux figures de l’alternance que sont le montage alterné et le montage parallèle (syntagme alterné et syntagme parallèle dans le vocabulaire metzien).

Mais l’établissement d’une distinction claire entre les deux plus importantes figures de l’alternance n’empêche pas Metz, une fois qu’il passe du monde conceptuel de la réflexion théorique au monde bien réel de la pratique filmique (et de son corollaire du côté des études cinématographiques qu’est l’analyse de films), de devoir jongler avec ses propres définitions. Cela apparaît de façon manifeste dans le découpage en « segments autonomes » que Metz propose (en collaboration avec Michèle Lacoste [3]) du film Adieu Philippine (Jacques Rozier, 1962), dont l’étude syntagmatique le met aux prises avec une série de problèmes qui font ressortir les lacunes définitionnelles de la GS ; comme nous le mentionnions à la fin de la première partie de cet article, ces lacunes ne sont nulle part plus sensibles et plus visibles que dans les types syntagmatiques reliés à la configuration de l’alternance, ainsi que le reconnaît d’ailleurs Metz (1968, p. 164, note 9), qui soulève lui-même trois « problèmes posés par le fait de l’alternance ».

Problème no 1

Metz juge que, en l’état, la GS ne permet pas de rendre compte de toutes les figures de « type alternant ». Aussi lui est-il impossible de faire entrer certains segments d’Adieu Philippine dans le tableau de la GS. Tel est le cas, par exemple, du segment no 32, dont voici le descriptif :

Dans la chambre de Liliane, les deux amies se font des confidences. Liliane raconte à Juliette qu’elle est sortie en cachette avec Michel. L’alternance joue ici entre deux séries différentes par leur statut diégétique : l’une est donnée comme actuelle, l’autre comme passée et comme racontée par l’une des héroïnes

Metz 1968, p. 163 ; c’est l’auteur qui souligne

Puisqu’il y a alternance, il devrait s’agir ici (suivant le tableau de la GS) soit d’un syntagme alterné, soit d’un syntagme parallèle. Le problème, c’est que le segment ne répond aux critères ni de l’un ni de l’autre de ces deux types syntagmatiques. En effet, le segment no 32 ne saurait être un syntagme parallèle puisque l’alternance assigne ici un « rapport [temporel] précis entre [des] motifs » qui, au demeurant, n’ont pas « valeur symbolique » (Metz 1968, p. 127) ; d’où « le rattachement provisoire [de ce segment] au syntagme alterné » (p. 163), mais « d’un type “alterné” […] relativement rare » qui, combinant présent et passé, ne peut pas (pas encore, disons) trouver sa place dans le tableau de la GS :

[…] les deux séries, même prises chacune en bloc, ne sont pas simultanées, puisque la série « conversation Liliane-Juliette » est globalement postérieure à la série « rendez-vous Liliane-Michel » (flash-back alterné)

Metz 1968, p. 163

Metz aurait peut-être pu faire un pas de plus en créant une nouvelle catégorie (le syntagme alterné en flash-back, par exemple), mais il laisse le problème en suspens en disant qu’« il faudra sans doute […] redéfinir [ce type] ultérieurement comme un type spécifique, dont la place dans le tableau d’ensemble de la syntagmatique reste à déterminer » (p. 163-164). L’alternance peut donc donner lieu à d’autres figures que les seuls syntagmes alterné et parallèle. Metz dira même en toutes lettres — dans des notes écrites après la publication de son livre [4] et où il fait une critique de son tableau de la GS — qu’il « faudrait au minimum subdiviser le syntagme alterné en plusieurs sous-types [5] ». La fameuse question du segment no 32 d’Adieu Philippine reviendra d’ailleurs le hanter dans ces mêmes notes :

Critique de ce tableau
[…] Même dans des films dont le montage reste assez traditionnel, certaines séquences n’entrent nulle part dans mon tableau.

Ex. le no 32 d’Adieu Philippine (p. 163 dans mon livre)

Problème no 2

Metz admet l’impossibilité où il se trouve, en l’absence d’une « théorie sémiotiquement rigoureuse [6] » susceptible de résoudre le problème, de déterminer si une séquence entrecoupée d’inserts doit être considérée comme un segment autonome à inserts multiples [7] ou comme appartenant à l’un des deux types de syntagme alternant (parallèle et alterné). Dans son travail d’analyse d’Adieu Philippine, Metz rencontre en effet un certain nombre d’exemples de séquences entrecoupées d’inserts [8] qui l’amènent à prendre en compte « le phénomène de […] la transformation de l’insert […] en un segment autonome à inserts multiples, et de là en un type alternant » (Metz 1968, p. 164, note 9 ; souligné dans le texte) et à rechercher des critères qui lui permettraient de déterminer le seuil à partir duquel le sémiologue peut considérer qu’il y a bel et bien alternance. Ces critères seront au nombre de deux.

Premier critère

Celui des deux qui paraît le mieux circonscrit (et qui, donc, se présente de la façon la plus nette) se rapporte au traitement que le cinéaste aura accordé à certains inserts en les déployant sur (au moins) deux plans consécutifs. Dès lors que se trouve, dans une séquence entrecoupée d’inserts, un insert constitué de plus d’un plan, le syntagme d’accueil desdits inserts perd son « statut » de segment autonome à inserts multiples (pour reprendre les termes de Metz). Ainsi du segment no 24, dont l’un des inserts, montrant Michel au téléphone, est un insert composé (ou, encore, pluriponctuel [9]) :

[…] deux d’entre eux [deux des plans montrant Michel] sont groupés en une suite ; ils ne fonctionnent pas comme inserts mais constituent une série

Metz 1968, p. 161 ; c’est nous qui soulignons

En conséquence de quoi Metz qualifie le segment en cause de syntagme alterné.

Metz recourt à deux autres reprises au critère de la « pluriponctualité » : la première fois à propos du segment no 12 et la seconde à propos des segments nos 22 et 23. Le segment no 12 est une séquence entrecoupée d’inserts mais, puisque l’un de ceux-ci est un insert composé, les inserts en question ne peuvent être considérés comme des plans autonomes. Le seul fait de la pluriponctualité de l’un des inserts semble en effet suffire pour qu’une suite d’inserts acquière un statut « supérieur » qui, dans le cas qui nous occupe ici, permet au segment no 12 d’être reconnu comme syntagme alterné (au même titre que le segment no 24) :

Dans le studio de projection, on voit alternativement la salle (où sont réunis les deux filles, Pachala, le client), et l’écran sur lequel défilent les rushes d’un film publicitaire raté. Entre ces rushes, de plus en plus drôles, sont intercalés les plans des spectateurs. […] parmi les évocations des spectateurs, l’une au moins (par ailleurs semblable aux autres) comporte deux plans consécutifs

Metz 1968, p. 157 ; c’est nous qui soulignons

C’est à l’inverse le défaut de pluriponctualité qui est invoqué pour statuer sur la nature des segments nos 22 et 23. Il s’agit bel et bien ici, écrit Metz (1968, p. 160), d’« une scène avec inserts, et non d’un syntagme alterné », l’une des raisons avancées étant que le « visage des jeunes filles […] n’occupe jamais deux plans consécutifs ». Ainsi les deux segments considérés restent-ils autonomes l’un par rapport à l’autre.

Deuxième critère

Le deuxième critère qui se dégage de l’analyse du film de Rozier se décline en deux aspects complémentaires qui, d’une certaine façon, concernent tous deux l’envergure de la suite d’inserts : à savoir le nombre et la durée.

Tournons-nous d’abord du côté du segment no 20, constitué de quatre plans de Michel enchâssés dans le segment no 19, à l’occasion d’un échange téléphonique entre les jeunes filles et Michel. Ici, juge Metz, les inserts montrant Michel ne sont pas en nombre suffisant pour avoir valeur de « série » ; leur fréquence n’est tout simplement pas assez élevée. De plus, l’ensemble qu’ils forment n’est pas d’une durée assez longue pour qu’ils puissent constituer l’un des deux volets d’un syntagme alterné (leur développement étant jugé trop embryonnaire [10]). Ce qui est en jeu, dans le cas du segment no 19, c’est donc non seulement la fréquence des inserts, leur récurrence (= nombre), mais aussi la valeur temporelle de l’ensemble qu’ils constituent, son importance « durative » en quelque sorte (= durée) :

Les épisodes sont vécus du côté des jeunes filles, les plans de Michel n’étant ni assez développés ni assez fréquents pour constituer la deuxième série d’un syntagme alterné

Metz 1968, p. 159 ; c’est nous qui soulignons

Les plans de Michel sont, écrit Metz, des « inserts diégétiques déplacés » (p. 159), qui représentent « 4 occurrences du motif B », « 4 images [considérées comme] 4 apparitions légèrement variantes d’un même insert » (p. 160). Cette séquence entrecoupée d’inserts (ce segment à inserts multiples aurait dit Metz) ne peut ainsi être rangée du côté des syntagmes de « type alternant », d’où sa catégorisation comme séquence par épisodes.

Metz fait intervenir ce deuxième critère dans deux autres cas, où il conjugue les aspects nombre et durée dans des termes qui ne permettent pas toujours de distinguer nettement ce qui revient à l’un de ce qui revient à l’autre. Ainsi des segments nos 22 et 23 (déjà traités plus haut par rapport au critère de la pluriponctualité), qui présentent une alternance à peine esquissée :

L’insistance sur les détails de l’atmosphère du studio (plans sur le chef d’émission, sur la table d’écoute), et l’évocation au contraire très rapide du visage des deux jeunes filles […] montrent qu’il s’agit d’une scène avec inserts, et non d’un syntagme alterné

Metz 1968, p. 160 ; c’est nous qui soulignons

La cause est entendue : une simple évocation ne permet pas, aux yeux de Metz, de tisser des liens assez solides entre deux séries pour qu’on convienne que leur conjugaison donne naissance à un syntagme alterné.

Metz repère en outre un cas où l’alternance est si discrète qu’il ne vaut même pas la peine de traiter les inserts en cause comme des plans autonomes (ainsi vont-ils jusqu’à perdre leur qualité même d’inserts) ; il s’agit du segment no 68 :

La séquence se termine sur une alternance entre des plans d’Horatio abandonné et des autres qui s’éloignent en riant, alternance trop discrètement ébauchée pour donner lieu à un syntagme particulier

Metz 1968, p. 172 ; c’est nous qui soulignons

Les plans qui distillent ce soupçon d’alternance ont si peu d’envergure, ils sont si peu prégnants que Metz ne les juge pas assez développés pour que le rapport qu’ils établissent avec les plans montrant l’action principale puisse engendrer un syntagme alterné.

Dans son analyse du segment no 20, Metz amène par ailleurs une précision intéressante, concernant cette fois la seule durée des inserts — il parle alors de « temps d’occupation de l’image » —, durée qui n’est d’ailleurs pas ici suffisante pour que le segment considéré bascule du côté du syntagme alterné :

Il arrive qu’on trouve en enclave dans un segment autonome A non point 1 insert B, mais 3 ou 4 inserts B reprenant tous le même motif et séparés les uns des autres par des retours au syntagme d’accueil. Lorsque la disproportion quantitative entre le temps d’occupation de l’image par A et le temps d’occupation de l’image par B est trop forte, il est impossible de coder « syntagme alterné »

Metz 1968, p. 159-160

Autrement dit, pour que le segment d’accueil d’une série d’inserts accède au statut de l’alternance, il faut que les inserts aient un minimum de présence écranique.

Autre cas patent de segments qui sont à ranger du côté de l’évocation, et dont Metz ne juge qu’en fonction de l’aspect durée, la conversation téléphonique entre la femme de Pachala et Michel (nos 30 et 31). Du premier de ces segments, le sémiologue dit ce qui suit :

Conversation téléphonique, avec inserts de l’un des correspondants. La femme de Pachala reçoit un appel de Michel ; on ne voit ce dernier que par brefs instants. En revanche le bureau de Pachala, où celui-ci dort sur un divan, est longuement évoqué, la scène se prolongeant après l’appel téléphonique

Metz 1968, p. 163 ; c’est nous qui soulignons

Il est aussi des cas où Metz ne tient compte que du seul aspect nombre du deuxième critère. Ainsi du segment no 24 (répondant en outre, comme on l’a vu, au critère de la pluriponctualité), qui entrelace des plans en provenance de deux « thèmes », sur la base d’une récurrence assez imposante pour que les inserts perdent leur statut d’inserts [11]. D’où la reconnaissance du segment en question comme syntagme alterné (plutôt que comme segment autonome à inserts multiples) :

[…] il n’y a pas d’égalité rigoureuse, à cet égard, entre les deux « thèmes ». Mais les plans de Michel sont nombreux et […] constituent une série, qui alterne avec une série plus longue

Metz 1968, p. 161 ; c’est nous qui soulignons [12]

Problème no 3

Metz concède que sa GS, pour être pleinement opérationnelle, devrait pouvoir se fonder sur cette théorie sémiotiquement rigoureuse qu’il appelle de ses voeux et qui lui permettrait de distinguer les « alternances vraies » des « pseudo-alternances ». Pour Metz (1968, p. 164, note 9), les alternances vraies sont « celles qui installent dans le film une bifidation narrative » ; c’est le cas notamment lorsqu’un segment montre alternativement les séries d’images de deux événements « distincts [13] » : il est alors à ranger du côté du syntagme alterné. Quant aux pseudo-alternances, ce sont celles « qui se réduisent à un va-et-vient visuel au sein d’un espace unitaire, ou bien qui tiennent simplement à ce que le sujet filmé présente par lui-même un aspect vaguement “alternant” sous tel ou tel rapport » (ibid. ; souligné dans le texte). La pseudo-alternance se caractérise ainsi par le fait que, malgré les apparences, l’action montrée forme, au fond, une — et une seule — unité événementielle ; c’est le cas, par exemple, du segment no 3, que ses champs-contrechamps pourraient à première vue faire passer pour un syntagme alterné, mais que Metz range plutôt du côté d’un autre type syntagmatique, celui de la scène :

Pendant […] la conversation […], une série de champs-contrechamps montre alternativement chacun des interlocuteurs au moment où il parle. L’alternance des plans […] ne nuit pas à l’unité de l’action : une conversation au café. […] Pour vérifier qu’il s’agit bien d’une scène et non d’un syntagme alterné, on peut essayer de la commuter mentalement avec un plan autonome : la commutation est tout à fait possible : une prise de vue unique aurait permis de traiter le même sujet sans différence, sinon de connotation. L’alternance, simple va-et-vient de caméra, n’a dans ce passage aucune fonction distinctive

Metz 1968, p. 153 ; souligné dans le texte

Autrement dit, l’un des critères pour séparer l’ivraie (« la pseudo-alternance ») du bon grain (« l’alternance vraie ») pourrait se résumer comme suit : s’il s’avère que l’action aurait pu être filmée en un seul plan (donnant ainsi lieu à un plan-séquence, sous-type pour Metz du plan autonome), il s’agit d’un cas de pseudo-alternance.

On trouve néanmoins dans l’analyse du film de Rozier deux exemples qui semblent contredire ce critère de différenciation : Metz considère en effet les segments nos 12 et 43 comme des occurrences de syntagme alterné, même si ces segments se déroulent dans un seul et même lieu, et auraient pu de ce fait être captés par une seule caméra, en un seul plan-séquence [14].

* * *

Comme on aura pu le constater, c’est plus souvent qu’autrement la compréhension de la diégèse (soit, le signifié), plutôt que la composition formelle (le signifiant), qui l’emporte dans la GS lorsqu’il s’agit de déterminer si on a affaire ou non à une figure de « type alternant [15] ». Martin Lefebvre serait d’accord avec nous, qui écrit :

Ce qui intéresse Metz en définitive, c’est bien ça : le romanesque (c’est-à-dire le diégétique, la construction d’un monde à travers les opérations de la fiction et les opérations langagières, codiques, du cinéma). C’est à ce prix qu’il est prêt à laisser tomber certains « détails » formels. C’est l’intellection du signifié (la diégèse) qui compte en premier lieu [16].

C’est effectivement l’analyse du monde construit par les opérations langagières du cinéma qui, au fond, semble intéresser davantage Metz, et ce, même si sa réflexion sur la GS se déploie en principe au double niveau de la « forme » langagière et du « contenu » diégétique. En effet, selon Metz (1968, p. 143-144), l’analyse complète d’un film ne peut se faire qu’en étudiant à la fois la diégèse (l’univers filmique présenté à l’écran) et le montage (les unités de temps constituant le film) ; autrement, précise-t-il, « cela revient à examiner des signifiés sans tenir compte de leurs signifiants » ou, à l’inverse, à « opérer sur des signifiants sans signifiés ».

Dans le cadre de la réflexion de longue haleine menée par les deux auteurs du présent texte [17], il est plus important encore que dans le cadre de la réflexion metzienne sur la GS de faire une place toute particulière aux préoccupations d’ordre strictement formel (sans pour autant négliger celles qui relèvent plutôt du contenu). En effet, comme notre objectif principal est de produire, in fine, une étude généalogique des figures de l’alternance [18] et de mettre en évidence les paramètres de leur implantation au sein du cinéma institutionnel, nous pensons qu’il nous faut d’abord mettre en lumière les procédés auxquels on a eu recours, sur le plan formel, avant que les pratiques discursives du montage n’aient été « codifiées ». C’est en tout cas ce principe qui nous a guidés dans l’examen systématique des vues de cette époque auquel nous nous sommes livrés au cours des dernières années, et qui nous a amenés à conclure que les figures de montage repérables au cours de la période où règne le paradigme de la cinématographie-attraction [19] n’obéissent (bien entendu, serions-nous tentés d’ajouter) à aucune règle établie et connaissent des variations multiples, parfois fort subtiles. C’est en raison de l’absence de toute normalisation (condition essentielle d’un paradigme comme celui de la cinématographie-attraction) qu’il nous est ainsi apparu crucial d’étudier, au cours de notre recherche, tous les agencements de plans présentant une quelconque forme d’alternance (lesquels sont d’ailleurs particulièrement foisonnants au début des années 1900).

Dans la poursuite de notre recherche, nous tenterons de dépasser les diverses apories dont les textes de Metz font état (et qui sont toujours actuelles, près de cinquante ans plus tard… comme quoi la théorie et l’histoire du cinéma ont encore pas mal de chemin à faire). Il nous faudra d’ailleurs revenir sur les hypothèses du sémiologue français pour tenter notamment de résoudre la question de la place que doit occuper dans l’histoire du montage alterné ce « genre » — particulièrement répandu dans les années 1900 à 1906 — qui regroupe les vues dans lesquelles un personnage (un concierge, le plus souvent) se penche, en toute indiscrétion, pour observer une scène à travers le trou d’une serrure, action normalement présentée par un montage qui fait alterner systématiquement sur l’écran sujet regardant et objet du regard [20]. S’agit-il ou non, en l’occurrence, de véritables cas de montage alterné ?

La question se pose de la même manière pour cet autre genre de vues, lui aussi fondé sur l’acte de regarder, dont l’« argument » de base se réduit à montrer des personnages qui, par le truchement de dispositifs optiques tels que microscopes, télescopes et autres lunettes d’approche, scrutent le monde qui les entoure [21]. Il y a certes, en l’occurrence, alternance systématique entre sujet regardant et objet du regard, mais sommes-nous pour autant en présence de véritables cas de montage alterné ?

On pourra aussi peut-être enfin statuer, de manière aussi « définitive » que possible, sur la place que doit occuper, dans l’histoire des figures de l’alternance, ce film fétiche qu’est Attack on a China Mission (L’attaque d’une mission en Chine, James Williamson, 1900), souvent considéré comme l’exemple le plus précoce de montage alterné, et voir en quoi sa structure « narrative [22] », tout de même fondée sur une forme d’alternance, ne répond pas aux critères minimums de ce qu’est, au fond, la figure du montage alterné.