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Introduction

L’association entre la violence conjugale et la maltraitance envers les enfants est de mieux en mieux documentée. Les études portant sur la concomitance révèlent que la juxtaposition de ces deux problématiques toucherait entre 30 et 60 % des familles (Appel et Holden, 1998 ; Edleson, 2001). La concomitance de ces deux formes de violence est également susceptible d’affecter négativement le développement des enfants qui vivent au sein de ces familles et de faire augmenter les risques qu’ils ne reproduisent eux-mêmes à l’âge adulte des comportements de violence au sein de leurs relations conjugales et parentales (Edleson, 2001 ; Onyski, 2003). De nombreux auteurs ont fait état de l’importance d’améliorer l’aide aux enfants et aux membres de leurs familles qui vivent ces deux problèmes (Carter et Schecter, 1997 ; Echlin et Marshall, 1995 ; Findlater et Kelly, 1999). Étant donné le rôle important qu’ils sont appelés à jouer auprès de ces familles, les services de protection de l’enfance sont tout particulièrement interpellés à cet égard. De fait, ceux-ci constituent, pour certaines familles qui vivent la cooccurrence de ces deux problématiques, une première porte d’entrée pour l’obtention de services, car les parents qui y sont adressés ne vont pas facilement vers les services réguliers (Felck-Henderson, 2000). L’intervention visant à protéger l’enfant peut s’avérer l’occasion pour certaines mères d’aborder pour la première fois leur vécu de violence et d’obtenir des services susceptibles de leur venir en aide. La réponse des services de protection peut donc être déterminante non seulement de la qualité de vie de l’enfant, mais de la sécurité du parent.

Or, la violence conjugale n’a pas toujours été considérée comme un problème relevant de l’intervention des services de protection de l’enfance. La violence conjugale et les mauvais traitements envers les enfants ont longtemps été considérés comme des problèmes distincts et le développement des connaissances de même que des politiques et pratiques d’intervention s’est fait de manière fragmentée dans des contextes institutionnels différents. Au Québec, la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) ne reconnaissait pas jusqu’à tout récemment la violence conjugale comme un motif de compromission, laissant ainsi aux intervenants une marge de manoeuvre importante dans la définition donnée aux situations familiales des enfants signalés vivant dans un contexte de violence conjugale, ainsi que dans la prise de décision dans ce type de cas. Il apparaît donc pertinent d’explorer la manière dont les intervenants traitent et évaluent ces situations ainsi que les éléments qu’ils considèrent dans le choix des mesures de protection. Cela apparaît d’autant plus important que les récents amendements apportés à la LPJ reconnaissant l’exposition des enfants à la violence conjugale comme une forme de mauvais traitement psychologique pouvant justifier l’intervention de l’État dans la vie des enfants sont susceptibles d’influencer grandement la pratique en centre jeunesse.

Cet article rend compte des résultats d’une étude qualitative réalisée auprès de 43 intervenants et intervenantes en centre jeunesse. Après un bref survol des écrits sur les liens entre la violence conjugale et la maltraitance envers les enfants, les aspects méthodologiques de l’étude sont abordés, suivis des résultats sur les pratiques de dépistage et d’évaluation de la cooccurrence.

La violence conjugale et les services de protection de la jeunesse

La cooccurrence de violence conjugale et de maltraitance envers les enfants est un problème répandu parmi la clientèle des services de protection de la jeunesse. Les données disponibles permettent d’estimer qu’elle est présente dans le quart des dossiers de protection. Ainsi, les données de l’enquête d’incidence québécoise sur les signalements d’abus, de négligence et de troubles de comportement (EIQ) indiquent que parmi les enfants dont le signalement a été retenu, un sur quatre vit dans un contexte de violence conjugale et que dans 20 % de ces cas, l’intégrité physique de l’enfant a directement été atteinte par cette violence (Lavergne etal., 2003). Une étude américaine estime ce taux à 42,3 % pour les enfants dont la sécurité ou le développement a été jugé compromis (Jones et al., 2002). Enfin, l’étude de Carlson (1991), menée auprès de jeunes faisant l’objet d’une mesure de placement, montre que 50 % d’entre eux ont à la fois subi des mauvais traitements et été exposés à la violence conjugale. Bien que les taux de cooccurrence demeurent peu comparables d’une étude à l’autre en raison de la diversité des méthodologies utilisées, il n’en demeure pas moins que le niveau de chevauchement de ces deux problématiques est élevé. De tels résultats témoignent donc de l’importance d’en tenir compte dans l’intervention auprès des enfants en difficulté et des membres de leur famille.

Bien que peu nombreuses, les études portant sur la réponse des services de protection aux besoins des enfants qui vivent dans un tel contexte révèlent que les problèmes de violence conjugale ne sont pas toujours dépistés par les intervenants. L’étude menée par Khol etal. (2005a) auprès des intervenants des services de protection et des familles faisant l’objet d’un suivi pour maltraitance montre que dans plus du tiers des cas, les mères ont révélé avoir été victimes d’un épisode de violence conjugale récent, alors que cette problématique n’a été détectée par les intervenants que dans seulement 12 % des cas. Par ailleurs, le dépistage effectué par les intervenants ne rejoint pas nécessairement le témoignage des mères ; dans moins de 10 % des dossiers, il y a concordance entre les mères et les intervenants quant à la présence de violence conjugale. Une explication possible à cela est que les familles aux prises avec la violence conjugale vivent également d’autres difficultés importantes, comme la consommation abusive de drogue ou d’alcool, qui retiennent davantage l’attention des intervenants parce qu’ils les considèrent comme plus menaçantes pour la sécurité ou le développement des enfants. Shepard et Raschick (1999), qui ont mené une étude auprès de 33 intervenants d’une agence de protection à qui ils ont demandé de remplir un questionnaire à propos de 74 dossiers sélectionnés dans leur charge de cas, constatent que la présence de violence conjugale n’a été documentée que dans 45 % des cas. Plus de la moitié des 33 intervenants sociaux impliqués dans la recherche n’ont posé aucune question pour dépister précisément la violence conjugale, bien que 27 d’entre eux avaient suivi une formation en ce sens. L’étude réalisée par Humphreys (1999) sur les pratiques d’intervention des services de protection en Grande-Bretagne à partir d’une analyse de 93 dossiers d’enfants indique que ce sont les situations de violence conjugale les plus extrêmes qui sont dépistées ; celles qui présentent un degré de sévérité moindre sont plutôt définies comme des conflits entre conjoints.

Dans les cas où la violence conjugale est dépistée, celle-ci ne constitue bien souvent que l’un des nombreux facteurs de risque considérés dans la prise de décision. Par exemple, Khol etal. (2005b) ont constaté que les enfants qui présentent un cumul de plusieurs facteurs de risque sont dix fois plus susceptibles que ceux pour lesquels seule la violence conjugale a été dépistée de voir leur situation jugée compromise par les services de protection. La violence conjugale ne constitue donc pas un facteur prééminent dans la prise de décision des intervenants quant au besoin de protection des enfants.

Quelques études fournissent également certaines indications sur les services offerts aux familles signalées qui vivent les deux formes de violence. L’étude de Hazen et al. (2004) révèle que les enfants exposés à la violence conjugale signalés aux services de protection sont plus susceptibles que les autres enfants d’avoir été signalés pour mauvais traitement antérieurement. Par ailleurs, même si la récurrence de signalements touche davantage les familles où il y a cooccurrence de violence conjugale et de mauvais traitements envers les enfants, la présence de ces deux problématiques n’entraîne pas nécessairement une intensité d’intervention plus élevée. Par exemple, l’étude de Beeman et al. (2001) montre que, parmi les cas faisant l’objet de mesures de protection, les familles où les deux situations sont présentes reçoivent moins de services cliniques que les autres, bien qu’elles soient plus souvent adressées au système judiciaire. De plus, la nature des services offerts n’est pas nécessairement adaptée à la résolution des problèmes de violence conjugale. En effet, les intervenants sont peu portés à diriger les familles vers les services spécialisés en violence conjugale, soit par manque de connaissance des ressources existantes ou parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise de collaborer avec les organismes d’aide en violence conjugale, qui ont souvent des valeurs et des façons d’intervenir fort différentes de celles qui ont cours au sein des services de protection (Shepard et Raschick, 1999 ; Beeman etal., 2001 ; Khol et al., 2005a).

Les données dont on dispose actuellement font donc ressortir que la présence de violence conjugale est relativement fréquente dans les situations familiales où les enfants sont victimes de mauvais traitements, mais cette cooccurrence est une problématique peu ou pas prise en considération dans le traitement des cas. Peu d’études cependant documentent les représentations qu’ont les intervenants de ces situations et fournissent des indications sur leurs pratiques d’intervention, de même que sur les enjeux ou les défis auxquels ils doivent faire face dans ce type de cas. Ainsi, la présente recherche s’intéresse au point de vue des travailleurs sociaux qui traitent et évaluent des signalements afin d’explorer le sens qu’ils donnent à leurs actions et les considérations cliniques qui les amènent à prendre telle ou telle action ou décision au regard des situations où il y a présence de violence parentale et conjugale. En ayant recours à la perspective des intervenants, cette recherche veut contribuer à mieux comprendre les pratiques d’intervention par rapport à une problématique dont le processus de construction des représentations sociales est en pleine émergence (Lessard, 2003).

Plus particulièrement, les objectifs de cette recherche consistent à mettre en lumière 1) la manière dont les intervenants identifient les situations de cooccurrence et 2) les facteurs pris en considération dans la décision sur la compromission ainsi que dans le choix des mesures de protection. La perspective privilégiée est celle de l’analyse constructiviste des problèmes sociaux qui s’intéressent au processus de construction des problèmes sociaux ainsi qu’à la manière dont les significations sociales attribuées aux situations-problème influencent les pratiques mises en oeuvre en réponse à ces problèmes (Mayer et Laforest, 1990 ; Pfhol, 1994). Selon cette perspective, la façon dont les intervenants envisagent les situations-problème guident leurs façons d’y réagir (pratiques, actions) et l’inverse s’applique également dans la mesure où représentations sociales et pratiques se développent de manière réciproque (Abric, 1994). Cette construction est influencée par plusieurs facteurs, dont les caractéristiques individuelles (valeurs, croyances, expériences personnelles, formation, etc.), le contexte culturel (représentations collectives de la violence conjugale et de mauvais traitements, etc.) et le contexte organisationnel de pratique (politiques, mandats, philosophies d’intervention, etc.) (Loseke, 2003). Cette approche privilégie le point de vue des acteurs pour explorer leur logique d’action et d’interprétation tout en accordant une importance particulière au contexte plus global, soit celui de la culture, des attentes normatives et des contraintes du milieu de pratique dans lequel ils évoluent.

Méthodologie

Compte tenu de la perspective théorique privilégiée et des objectifs de recherche poursuivis, nous avons opté pour l’entretien semi-directif. Les entretiens ont été réalisés auprès de 43 intervenants provenant de deux centres jeunesse du Québec (centre A et centre B). L’entrevue de recherche, d’une durée moyenne de 60 minutes et effectuée sur le lieu de travail du participant, abordait différents volets de sa pratique. Dans le cadre du présent article, le contenu examiné porte sur les pratiques de dépistage et d’évaluation des situations de cooccurrence. Tous les participants ont pris part à la recherche sur une base volontaire. L’échantillon a été constitué en fonction de quatre critères qui apparaissaient pertinents pour l’objet d’étude, soit les services auxquels les intervenants se rattachent dans la trajectoire d’intervention en protection de la jeunesse, le genre, le nombre d’années d’expérience et la formation. Comme il s’est avéré difficile d’effectuer une sélection « croisée », nous nous sommes inspirés de la stratégie de sélection proposée par Patton (1990), qui vise à atteindre une diversification de l’échantillon sans que les critères soient mutuellement exclusifs.

Sept répondants sur dix sont des femmes (69,8 %). La très grande majorité a étudié dans le domaine du travail social (64,3 %), suivi par la psychologie (16,6 %) et la criminologie (16,6 %). La plupart ont une expérience professionnelle de plus de cinq ans dans le domaine de la protection de la jeunesse. La moitié des participants sont rattachés à l’application des mesures (51,2 %), un peu moins du tiers à l’évaluation/orientation (32,5 %) et environ 15 % à la réception et au traitement des signalements.

Les entrevues ont toutes été enregistrées et transcrites sous forme de fichiers textes formatés de manière à pouvoir être exploités par le logiciel d’analyse qualitative NUD*IST. La méthode utilisée pour l’analyse des entrevues est celle de l’analyse thématique (Mayer et Deslauriers, 2000). Les données ont tout d’abord été soumises à une analyse verticale de manière à faire ressortir les thèmes majeurs et à dégager les logiques internes du discours de chacun des participants. Une analyse transversale a ensuite été réalisée afin de compiler et de comparer les thèmes et les sous-thèmes pour tous les entretiens. Cette procédure a permis d’identifier les dimensions et les contenus marquants et de dégager les logiques sous-jacentes. Les thèmes ainsi identifiés décrivent le processus d’évaluation qui amène les intervenants à décider qu’un enfant vivant dans une famille où il y a cooccurrence est en besoin de protection, soit : les éléments pris en considération dans l’identification de la présence des problèmes en cause ainsi que dans la prise de décision sur la compromission, le placement et la judiciarisation.

Résultats

Le dépistage des situations

Il ressort tout d’abord du discours des intervenants que la violence conjugale est le plus souvent mentionnée par la personne qui fait le signalement à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) : « Les trois quarts du temps, j’ai déjà l’information par le signalant. » (B_13) Ces signalements peuvent provenir des professionnels des services sociaux (CSSS), des policiers ou des personnes travaillant en milieu scolaire.

Selon les intervenants, il arrive parfois que la violence conjugale soit décelée en cours d’intervention, le plus souvent durant l’évaluation du signalement. Conséquemment, au moment où la situation est orientée vers l’application des mesures de protection, règle générale, la présence de violence conjugale est mentionnée dans le dossier.

Les intervenants font état de la façon dont ils dépistent la violence conjugale dans les situations des enfants signalés. Bien qu’ils mentionnent ne pas pouvoir compter sur une grille de dépistage et d’évaluation propre aux situations impliquant de la violence conjugale, ils rapportent néanmoins certains indices qui peuvent les amener à croire en l’existence d’un tel problème au sein de la famille. Il est surtout question des observations qu’ils peuvent faire à l’égard des attitudes ou des comportements des parents et des enfants. Par exemple, une mère qui est silencieuse ou peu affirmative lors des entrevues, qui protège son conjoint en justifiant ou en minimisant ses comportements ou encore qui, par crainte de représailles ou par honte et culpabilité, cherche à nier ou à camoufler la violence. Du côté des enfants, les indices suivants sont examinés : la peur des adultes, et de la figure paternelle en particulier, ainsi que la présence de troubles de comportement ou d’actes de violence ou d’agressivité. Les intervenants s’interrogent aussi sur la présence de violence conjugale lorsqu’ils observent un conjoint qui cherche à contrôler sa conjointe lors des entrevues ou qui tente de répondre à sa place alors que les questions ne lui sont pas adressées :

Dans le sens où j’ai un profil par exemple d’une mère qui est excessivement soumise, qui a beaucoup de difficulté à s’affirmer, à donner son opinion. Une mère qui semble être dans la consigne du silence. (A_19)

Nous on travaille avec des jeunes qui ont des problèmes de comportement. Alors à partir de certains problèmes de comportement, on peut faire une lecture ou du moins avoir des doutes et se poser des questions […] il y a aussi des jeunes qui sont très repliés sur eux-mêmes, très intériorisés et craintifs, qui ont bien peur de dévoiler, de parler et tu sais, tu perçois à un moment la peur chez les jeunes. (A_15)

Un conjoint qui, en entrevue, qui va être très contrôlant avec la mère. On voit le contrôle s’installer. (A_17)

L’observation de certains signes peut les amener à aller plus loin dans le processus de dépistage en posant des questions précises aux parents ainsi qu’aux enfants, en particulier lorsqu’ils parviennent à installer avec eux un climat de confiance :

Quand le lien de confiance est établi, la mère finit par dire : « Ben parfois, il est violent verbalement. » Lorsqu’on pousse un peu plus loin, elle finit par dire : « Mais quand il n’est pas de bonne humeur, puis qu’il est en boisson, il me bouscule ou il va bousculer mon enfant. » Et on finit par voir que madame est victime de violence conjugale. (A_18)

Ça prend un certain temps avant d’entrer en confiance avec les enfants. Parce qu’ils ont très peur, ils ne veulent pas nous le dire. On arrive à amener l’enfant à s’ouvrir, à lui dire : « Écoute, on observe que tu as un tel comportement, ce qui est pas normal, il se passe sûrement quelque chose, je sais que tu ne veux pas en parler, que tu as peur… » Là il finit parfois par en parler ouvertement. (A_16)

Certains intervenants disent toutefois ne pas toujours se sentir à l’aise d’aborder directement la question de la violence entre conjoints lorsque cette situation n’est pas clairement mentionnée dans le signalement, notamment parce qu’ils craignent une réaction négative des parents, ce qui mènerait à une plus grande difficulté à établir une relation de collaboration avec eux :

C’est intimidant de poser des questions sur la violence aux parents. Même pour des gens qui ont de l’expérience d’aller poser la question. Comment on va poser la question aux parents pour s’assurer une collaboration et une ouverture ? Ce n’est pas toujours facile. (B_02)

Les éléments considérés dans l’évaluation des situations

Une fois la situation dépistée, pour justifier l’intervention des services de protection, la violence conjugale doit constituer un risque pour la sécurité ou le développement des enfants. Tous les enfants signalés qui vivent au sein d’une famille où il y a violence conjugale ne voient pas leur signalement retenu après évaluation. Pour qu’un signalement soit jugé recevable, il doit correspondre à l’une des situations visées par la loi. Or, il n’existe pas dans la LPJ d’alinéa se rapportant précisément à l’exposition à la violence conjugale. Pour que le signalement soit retenu, il doit exister d’autres faits correspondant à l’une ou l’autre des situations de compromission définies par la loi :

Souvent, dans le signalement, il n’y pas juste de l’exposition à la violence, il y a autre chose. Les enfants vont avoir des troubles de comportement, la mère va négliger les enfants, etc. C’est par ces biais-là que l’on va retenir le signalement. (A_21)

Cela n’empêche pas les intervenants de considérer la violence conjugale comme un facteur de risque pour l’enfant, facteur dont il s’avère nécessaire de tenir compte dans l’évaluation des situations des enfants signalés :

Moi je pense que ça fait partie intégrante de notre intervention ; il faut savoir s’il y a de la violence entre les parents pour jauger la situation de l’enfant. (A_07)

Et comme l’exposition à la violence n’est pas en soi un motif de protection, les intervenants disent considérer d’autres facteurs pour établir la vulnérabilité de l’enfant et les capacités des parents.

Pour les intervenants, les situations sont particulièrement graves lorsque la violence conjugale est intense et répétitive. L’importance accordée à la récurrence de la violence fait en sorte que les situations qui sont le fait d’un événement isolé ou circonstanciel ne tombent généralement pas dans la catégorie des situations justifiant une mesure de protection. Par contre, si la situation a déjà fait l’objet de signalements antérieurs, ils y voient un indice de gravité. De plus, la présence d’autres problèmes comme l’encadrement erratique exercé par les parents, leur consommation abusive de substances psychotropes ou leurs problèmes de santé mentale, ou encore la présence de troubles de comportement chez l’enfant sont des facteurs de risque pouvant justifier une intervention de la DPJ :

Nous, on intervient dans le cadre de la LPJ donc lorsque les situations de violence familiale sont importantes : menaces, intimidation, des choses graves et répétitives. (A_02)

C’est sûr que s’il y a de la violence conjugale, mais que c’est des épisodes qui se sont passés quand l’enfant n’était pas là, on n’interviendra pas nécessairement, même si on sait qu’il peut en avoir conscience. (B_05)

Les intervenants soulignent également l’importance de documenter les effets de la violence conjugale sur le fonctionnement de l’enfant. Parmi les conséquences qu’ils observent, ils mentionnent les atteintes à la sécurité physique et au développement émotionnel (peurs, détresse psychologique, crainte, etc.), psychosocial (retrait social, difficultés à interagir avec les autres, etc.) et comportemental (agressivité, délinquance, etc.). Ces enfants sont aussi décrits comme à risque d’éprouver des difficultés de fonctionnement sur le plan scolaire. La présence de l’une ou de plusieurs de ces conséquences est prise en considération pour déterminer si l’enfant a besoin de protection :

Il faut vraiment qu’il y ait un impact sur le développement ou la sécurité du jeune. Ça peut être le jeune qui reçoit directement des coups lui aussi. L’autre cas ce serait que le jeune a développé des comportements violents à l’école. Peut-être qu’il consomme des drogues ou qu’il est tellement isolé que ça pose des problèmes ; il n’a pas de vie sociale à l’école et ça inquiète les professeurs. Là, à ce moment-là, le dossier va être ouvert en vertu des problèmes de comportement du jeune. (A_15)

L’exposition à la violence conjugale est, cependant, considérée comme un problème difficile à évaluer et à prouver, tout particulièrement lorsque les parents nient la situation et que l’enfant ne présente pas de problèmes apparents de fonctionnement ou de développement. Même si les intervenants reconnaissent que la violence conjugale ne se résume pas à la violence physique, mais peut englober également la violence psychologique, verbale de même que les actes de contrôle et de domination envers le conjoint, il apparaît que ces formes plus subtiles de violence sont difficiles à documenter. La résistance des enfants et des parents à parler de ces situations vient également limiter la possibilité des intervenants de les évaluer. L’absence de preuve fait en sorte qu’il est plus difficile d’évaluer la dangerosité et conséquemment de décider si l’enfant doit faire l’objet de mesures de protection :

La violence psychologique est plus difficile à déceler et plus difficile à mettre en preuve aussi. Il faut qu’elle soit souvent associée à de la violence physique pour qu’on puisse la faire valoir. (A_12)

Pour porter ce jugement, la vulnérabilité de l’enfant devient alors un élément central. Règle générale, les situations de violence conjugale qui impliquent des enfants en très bas âge suscitent plus d’inquiétude que celles qui concernent des enfants plus âgés :

Il y a différents critères : c’est sûr qu’il y a la vulnérabilité de l’enfant qui joue. Un enfant très jeune, qui n’a vraiment pas beaucoup d’autres ressources, qui n’est pas scolarisé par exemple, pour moi, ça sonne une cloche. (B_03)

Les intervenants considèrent également la capacité des parents à protéger leurs enfants et leur ouverture à recevoir de l’aide comme une dimension importante dans l’appréciation du risque pour l’enfant. Lorsque les parents sont en mesure de faire face à leur problème de violence et d’assurer à l’enfant un environnement sécuritaire, les situations ne sont pas considérées nécessiter l’intervention de la DPJ. Une telle intervention est considérée comme nécessaire lorsque les parents n’ont pas les capacités suffisantes pour protéger l’enfant ou lorsqu’ils refusent d’admettre les problèmes et, conséquemment, de se mobiliser pour corriger la situation. Dans le cas de la violence conjugale, la capacité de protéger l’enfant renvoie principalement à la mère. Sa capacité peut être mise en cause lorsqu’elle vit une relation de dépendance envers l’agresseur ou lorsqu’elle ne demande pas d’aide pour elle-même et pour ses enfants, souvent par peur de représailles. Les intervenants évoquent également le cas des mères qui n’arrivent pas à se positionner par rapport à la violence dont elles sont victimes et qui demeurent avec leur conjoint agresseur, espérant que la situation va se résorber d’elle-même. Dans l’analyse des capacités parentales de la mère, les intervenants disent prendre en considération son cheminement au regard de la dynamique de violence, en particulier ses allers-retours avec le conjoint agresseur :

Nous autres, quand on reçoit un signalement, […] si c’est juste parce que monsieur est violent, on ne retient pas nécessairement. Nous, on retient si madame reste dans la dynamique de violence et ne protège pas ses enfants. (A_01)

Je vais vérifier si la mère est protégeante [sic]. Comment elle se positionne ? Elle est rendue où d’après ce qu’on peut savoir dans ce cheminement de violence ? Y a-t-il eu dans le passé des séparations/retours, séparations/retours, etc. ? Est-ce que c’est cyclique ? (B_01)

Le fait que les mères minimisent ou nient la violence dont elles sont victimes et leur refus de quitter l’agresseur sont considérés par les intervenants comme des obstacles importants à l’intervention. D’autant plus que certaines mères sont aux prises avec d’autres difficultés comme les troubles de santé mentale ou une consommation abusive de drogue ou d’alcool, ce qui contribue à les rendre moins aptes à recevoir de l’aide. Les intervenants soulignent à cet égard l’importance d’adopter des attitudes de respect, d’écoute et de non-confrontation pour éviter de revictimiser la mère :

Il faut les apprivoiser, les sécuriser. Pas les materner, mais plutôt leur dire à quoi s’en tenir, installer un climat de sécurité, faire baisser le stress. (A_07)

Les éléments considérés pour la judiciarisation et le placement

La judiciarisation et le placement constituent deux moyens importants dont disposent les intervenants pour assurer la protection des enfants. Dans le cas de la violence conjugale, les répondants mentionnent que, plus souvent qu’autrement, les perceptions des professionnels et des parents à l’égard du risque pour l’enfant et des solutions à mettre en place ne sont pas les mêmes. Les mesures volontaires s’avèrent souvent inapplicables, et ils doivent alors recourir au tribunal pour faire reconnaître les problèmes en cause. Cette mesure est aussi envisagée lorsque les parents, bien qu’ils reconnaissent les problèmes de violence, ne font pas de gestes concrets pour changer la situation. Par exemple, le fait que le parent victime maintienne sa relation avec l’agresseur ou que le parent agresseur non seulement s’oppose à l’intervention, mais adopte des comportements agressifs à l’endroit des professionnels sont autant de motifs qui amènent les intervenants à porter la situation devant le tribunal de la jeunesse :

Nous on privilégie les mesures volontaires quand les personnes reconnaissent le problème et qu’elles sont prêtes à changer. Dans les cas de violence conjugale, les intervenants de l’évaluation nous disent souvent : « Il n’y a pas de reconnaissance et on ne sent pas le désir de changement. » Alors ils n’ont pas le choix, ils doivent judiciariser. Donc on va judiciariser quand même souvent. (A_17)

Le retrait de l’enfant de son milieu familial est considéré par les répondants comme une mesure extrême appliquée lorsque rien n’a fonctionné pour assurer la sécurité des enfants et que la situation n’évolue pas dans le sens attendu. Cette mesure est parfois utilisée à court terme dans l’espoir de provoquer chez le parent une prise de conscience de la gravité de la situation et dans l’intention de l’inciter à s’impliquer dans l’intervention proposée. Compte tenu de l’incidence de cette mesure sur l’enfant et sur son lien d’attachement avec ses parents, les intervenants disent y recourir en dernier ressort, seulement et lorsqu’ils estiment que l’enfant est très vulnérable, notamment en raison de son âge, et qu’il est incapable de se protéger lui-même contre la violence :

Si c’est un enfant qui est témoin régulièrement de violence conjugale, s’il a de gros problèmes de comportement, si on observe que dans les différentes sphères de sa vie il rencontre de sérieux problèmes d’adaptation et que les parents ne font rien pour protéger l’enfant ou corriger la situation, ça nous amènerait à considérer sérieusement le retrait de l’enfant de son milieu familial. (B_08)

Discussion et conclusion

La présente étude visait à rendre compte des éléments cliniques et légaux pris en considération dans le dépistage, l’évaluation et le choix des mesures de protection dans les situations de cooccurrence de violence conjugale et de maltraitance envers les enfants. Avant de discuter les résultats qui ressortent de l’étude, certaines limites de la recherche doivent être mentionnées. Tout d’abord, le caractère volontaire de la participation à l’étude fait en sorte que ce sont vraisemblablement les intervenants les plus sensibilisés à la problématique de la violence conjugale qui ont accepté de prendre part à la recherche. Aussi, il est possible dans ce contexte que leur discours ne puisse être généralisé à l’ensemble des intervenants issus de ce domaine d’intervention. Cette réserve doit cependant être nuancée par le fait que les participants de l’échantillon sont comparables à l’ensemble des intervenants des deux centres où le recrutement a eu lieu sur plusieurs caractéristiques telles que le genre, le nombre d’années d’expérience et le secteur d’activités. Le fait que les participants soient issus de deux centres couvrant un territoire essentiellement urbain peut aussi contribuer à limiter la généralisation des résultats à tout le moins à ceux qui travaillent dans des environnements ruraux. Enfin, comme il s’agit d’une analyse du discours des intervenants, il faut aussi tenir compte du fait qu’il peut exister un écart entre leurs perceptions et la réalité des pratiques. Malgré ces limites, plusieurs résultats ressortent de la recherche et méritent d’être discutés plus à fond.

Tout d’abord, l’étude montre que les intervenants sont principalement mis au courant de l’existence de la violence conjugale par les personnes qui effectuent le signalement. Ce résultat rejoint ceux d’une autre étude où après analyse de dossiers en protection de la jeunesse, il a été constaté que, dans plus de 80 % des cas, cette problématique est mentionnée par la personne qui signale (Lavergne etal., 2006). Cela révèle donc l’importance du rôle des signalants dans le dépistage et le signalement des situations où les deux problèmes existent. Dans ce sens, une sensibilisation accrue du public et des changements à la législation pour y faire une référence explicite aux enfants exposés à la violence conjugale pourrait inciter un plus grand nombre de professionnels et de citoyens à signaler ces situations aux services de protection. Les résultats de l’étude canadienne d’incidence effectuée en 2003 soutient cette hypothèse (Trocmé et al., 2005). Entre 1998 et 2003, le taux d’enfants signalés aux services de protection pour exposition à la violence familiale a connu une énorme augmentation, passant de 1,72 cas corroborés pour 1000 jeunes à 6,17. Pour les auteurs de l’étude, les facteurs explicatifs de cette forte hausse sont les changements dans les attitudes de la population et des professionnels à l’égard de la violence conjugale, ainsi que les modifications apportées à la législation dans plusieurs provinces. Au Québec, la question du signalement des enfants exposés à la violence conjugale ne fait pas l’unanimité. Certains rapports font état de l’ambiguïté de la loi québécoise sur la protection de la jeunesse concernant cette question ainsi que de la confusion que cela crée chez les professionnels situés en amont de la DPJ (Association des CLSC et des CHLSD du Québec, 1998 ; Harper, 2002). La proposition contenue dans le projet de loi sur la révision de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), qui vise à reconnaître l’exposition à la violence conjugale comme une forme de mauvais traitement psychologique, pourrait contribuer à clarifier la situation.

L’étude a également montré que le dépistage de la violence conjugale est également effectué par les intervenants qui procèdent à l’évaluation des signalements. Toutefois, leurs propos laissent entendre qu’ils ont parfois du mal à dépister les familles où sévit la violence conjugale. Certains intervenants ont aussi mentionné qu’ils ne se sentaient pas toujours à l’aise d’aborder les problèmes de violence conjugale avec les parents parce qu’ils craignaient leurs réactions négatives. La difficulté de dépister ces situations par les services de protection a été relevée dans d’autres recherches (Magen et al., 1995 ; Magen etal., 2000). Pour contrer ce type de difficulté, des protocoles de dépistage ont été mis au point et évalués aux États-Unis (Magen et al. 2000 ; Mills et al., 2000) ainsi qu’en Grande-Bretagne (Hester et Pearson, 1998). Dans l’ensemble, ces études démontrent que le fait de poser des questions clés aux parents et de créer un environnement favorable au dévoilement avait pour effet d’améliorer le dépistage de la violence conjugale (Mills et al., 2000 ; Saunders et Anderson, 2000). La formation qui accompagne ces protocoles permet d’aider les intervenants à mieux comprendre les liens entre la violence conjugale et la maltraitance envers les enfants (Hester et Pearson, 1998). Elle facilite aussi l’acquisition des habiletés nécessaires pour aborder les problèmes de violence conjugale lors des entrevues avec les différents membres de la famille impliqués dans ces situations (femmes, hommes et enfants) en plus d’augmenter leur niveau de connaissances sur les ressources de la communauté susceptibles d’aider les familles (Fleck-Henderson, 2000). Selon nos propres recherches, de tels protocoles sont à peu près inexistants dans les centres jeunesse du Québec. Des intervenants rencontrés dans le cadre de la présente étude ont mentionné que l’existence de tels protocoles pourrait les aider à se sentir plus à l’aise face à la violence conjugale et à en reconnaître plus facilement les indices chez les enfants.

En plus de devoir dépister les problèmes de violence, ce qui constitue un problème en soi, les intervenants doivent aussi évaluer la gravité de la situation et distinguer les cas qui requièrent des mesures de protection de ceux pour qui l’aide des organismes de la communauté sera suffisante. La violence conjugale est considérée comme une problématique difficile à documenter pour les intervenants, et sa seule présence n’est pas un élément suffisant en soi pour établir que l’enfant a besoin de protection. Ce résultat rejoint l’étude de Khol et al. (2005b), qui démontre que la violence conjugale, prise isolément, a peu ou n’a pas d’influence sur le processus décisionnel. Dans la présente étude, les intervenants ont dit considérer d’autres éléments, comme la gravité de la situation et la capacité des parents à y mettre un terme, pour déterminer si une mesure de protection est nécessaire. Il est intéressant de constater que les difficultés dont les intervenants ont fait état au regard de l’évaluation du risque concernent justement les situations dont la gravité apparaît mitigée ou dont la matérialité des faits semble plus difficile à prouver sur le plan légal. Par exemple, ils ont souligné le défi que représentait l’évaluation du risque dans les cas où les enfants ne sont pas directement l’objet de la violence des parents ou lorsqu’ils ne manifestent pas de symptômes. L’évaluation des formes plus subtiles de violence, comme les actes de contrôle ou l’abus psychologique, leur apparaît également comme un problème épineux.

L’évaluation du risque ne se limite pas à l’appréciation des faits. Les intervenants considèrent également la reconnaissance par les parents de leurs problèmes de même que leur volonté de collaborer avec les intervenants pour régler la situation. La capacité parentale est également mentionnée dans les documents de référence touchant l’application de la LPJ comme un élément clé à considérer dans l’évaluation des situations portées à l’attention de la DPJ (Gouvernement du Québec, 1998). Dans le cas précis où il y a violence conjugale, cette notion renvoie d’abord à la mère. Même si un seul des deux parents est responsable de la violence, la réaction de l’autre parent, en l’occurrence de la mère, est considérée comme tout aussi importante au regard de la protection de l’enfant (Waterhouse et Carnie, 1992). De plus en plus de recherches montrent, en effet, que l’adaptation des enfants qui vivent dans un foyer où sévit la violence conjugale est étroitement reliée à la capacité des mères à faire face au contexte d’adversité dans lequel elles se retrouvent (Jaffe et al., 1991 ; Fortin etal., 2002). Les intervenants rencontrés dans le cadre de l’étude ont fait état de l’importance d’adopter avec les mères des attitudes et des comportements positifs afin d’arriver à surmonter leur résistance et à établir avec elles un lien de confiance. Le rôle important attribué à la mère pour la protection des enfants dans les situations de violence conjugale ne doit pas faire oublier la nécessité de mettre en place des moyens pour assurer leur sécurité et leur bien-être, car elles sont également victimes de cette violence. Il s’avère donc important dans ce contexte de renforcer les efforts des intervenants pour établir une relation d’alliance avec les mères, notamment en les aidant à mieux comprendre l’expérience particulière des femmes violentées ainsi que les circonstances qui font que certaines mères victimes de la violence de leur conjoint parviennent à protéger leur enfant alors que d’autres n’y arrivent pas.

Les résultats font en outre ressortir que le retrait des enfants de leur milieu familial est une mesure que les intervenants disent n’utiliser qu’en dernier ressort, seulement et après avoir considéré un ensemble de facteurs tels que la menace imminente à la sécurité de l’enfant, sa vulnérabilité et l’impact du placement sur son lien d’attachement à ses parents. Ce résultat rejoint certaines études qui montrent que le placement n’est pas plus souvent utilisé dans les cas où les deux problèmes existent que dans les cas comportant uniquement une problématique de maltraitance (Lavergne et al., 2003 ; English et al., 2005).

Certains répondants ont toutefois mentionné que le placement pouvait aussi être utilisé pour favoriser une prise de conscience chez les parents, comme un incitatif au changement. Une telle pratique peut avoir des effets négatifs sur le plan émotionnel non seulement pour le parent victime, mais aussi pour les enfants. Certaines recherches montrent en effet que le placement peut être vécu par les mères et leurs enfants comme quelque chose d’atroce et de terrifiant (Cameron et al., 2003). La peur de se voir retirer la garde de l’enfant par les services sociaux est d’ailleurs souvent invoquée par les mères pour se justifier de ne pas chercher d’aide pour elles-mêmes et pour leurs enfants (Devoe et Smith, 2003).

En somme, les résultats de cette étude mettent en évidence la complexité du traitement des situations où il y a violence conjugale et maltraitance des enfants tant sur le plan du dépistage que sur celui de l’évaluation et du choix des mesures de protection. La reconnaissance du fait que les mauvais traitements envers les enfants et la violence conjugale sont souvent enchevêtrés dans les situations familiales des enfants signalés aux services de protection est présente dans le discours des intervenants. L’étude montre que la prise en compte des liens entre les deux problématiques soulève toutefois des enjeux et des dilemmes importants pour l’aide aux familles en contexte de protection. Ceux-ci portent sur le dépistage des situations lorsque les membres de la famille nient ou minimisent la violence, sur l’évaluation du risque encouru par l’enfant dans le cas des formes plus subtiles de violence ou lorsque l’enfant ne présente pas de séquelles apparentes, et sur la création d’un lien de confiance et de collaboration dans un contexte où l’aide n’est pas sollicitée.

Aussi, à l’instar de Fleck-Henderson (2000), nous croyons que pour faire face efficacement aux défis soulevés par l’aide aux familles qui vivent ces situations, il est important d’élaborer des approches d’intervention innovatrices qui font appel aux valeurs et aux connaissances pratiques issues non seulement du domaine de la protection de l’enfance, mais aussi de celui de la violence conjugale. Le développement de telles approches doit également se faire en tenant compte de l’expérience subjective de ceux et de celles qui reçoivent des services. Une telle connaissance s’avère essentielle pour arriver à offrir aux familles des services adéquats et parvenir à créer avec elles un véritable partenariat.