Number 1, May 2019 Castoriadis et les sciences sociales Guest-edited by Geneviève Gendreau and Thibault Tranchant
Table of contents (11 articles)
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Introduction
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Imaginaire instituant versus logique des sciences sociales
Marc Maesschalck
pp. 17–33
AbstractFR:
Alors qu’Habermas choisit de prendre ses distances par rapport aux ressources de la critique psychanalytique du malaise social, Castoriadis persiste dans l’intérêt qu’il porte à cette critique. À la différence d’Habermas, Castoriadis estime en effet qu’une critique de la raison prétendant faire la vérité sur la praxis reste incomplète si elle manque la tendance des représentations théoriques à supposer comme déjà donnée la coupure imaginaire dont elles procèdent. La prétendue « logique des sciences sociales » repose sur le déni du rapport inconscient au signifiant qui constitue le réel.
EN:
Whereas Habermas choses to back off from resources offered by the psychoanalytic critique of social discontent, Castoriadis’ interest in it is enduring. Unlike Habermas, Castoriadis considers that any critique of reason that claims to get to the bottom of praxis remains incomplete if it ignores the tendency of theoretical representations to suppose the imaginary breech that they come from as already given. The so-called “logic of social sciences” relies on a denial of the unconscious relationship to the signifier which constitutes the real.
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L’imaginaire et le symbolique : Castoriadis et le structuralisme de Lévi-Strauss
Stéphane Vibert
pp. 35–61
AbstractFR:
Élaborant une critique interne du marxisme qui le conduit à proposer une pensée de la création radicale et de l’imaginaire instituant, Castoriadis va dès les années 1960 amorcer la critique cinglante d’une mouvance intellectuelle alors en vogue, le structuralisme, considéré comme une exemplification « panlogique » du déterminisme scientiste qu’il honnit. La critique castoriadienne du structuralisme conjoindra dès lors une contestation de ses soubassements épistémologiques à une condamnation de ses implications politiques. Cette contribution se propose d’approfondir la confrontation théorique entre Castoriadis et Lévi-Strauss, l’auteur central de la méthode structuraliste, en identifiant trois lieux spécifiques aptes à mettre en lumière les désaccords ontologiques irréductibles qui semblent ressortir de leurs oeuvres respectives : tout d’abord, la nature et la finalité de l’anthropologie philosophique et sociale postulée à titre de fondement épistémologique ; ensuite, la question nodale du « sens », articulée à l’appréhension des concepts de « code » et de « signification » ; enfin, la conception du social-historique comme totalité ou comme culture qui distingue fortement les deux analyses.
EN:
Elaborating on an internal critique of Marxism that leads him to propose a thought of radical creation and of institutive imaginary, Castoriadis will, right from the 1960s, undertake the scathing critique of a then fashionable intellectual movement, that of structuralism, considered a “panlogical” example of the scientific determinism he loathes. Castoriadian critique of structuralism will henceforth conjoin contestation of the latter’s epistemological foundations with condemnation of its political implications. This article proposes to further the theoretical confrontation between Castoriadis and the key author behind structuralist method, Lévi-Strauss, by identifying three specific sites likely to shed light on the irreducible ontological disagreement seemingly emerging from their respective works: first, the nature and finality of social and philosophical anthropology postulated as epistemological foundation; second, the nodal question of “meaning” articulated within the apprehension of the concepts of “code” and “signification”; finally, the conception of the social-historical as totality or culture that strongly distinguishes both analyses.
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Castoriadis et les trois voies de la socio-ontologie
Danilo Martuccelli
pp. 63–90
AbstractFR:
L’article propose une interprétation de l’oeuvre de Castoriadis à partir de considérations socio-ontologiques. Après une rapide évocation de la principale fonction que l’ontologie a eue à la naissance de la sociologie, l’article se centre sur ce qui est devenu, au moins implicitement, le commun dénominateur des questions ontologiques dans la sociologie – le fait que la réalité est ce que résiste. Cette problématique est au coeur de trois grandes voies socio-ontologiques – la représentation, la production et l’action – qui, en dépit des emprunts réciproques, n’en tracent pas moins des problématisations indépendantes. L’intérêt de l’oeuvre de Castoriadis est d’avoir proposé plus ou moins explicitement une socio-ontologie totale autour de l’imaginaire qui, cependant, comme l’article s’efforce de montrer, n’est finalement qu’une variante de l’ontologie de la représentation.
EN:
The article proposes an interpretation of Castoriadis’ work based on socio-ontological considerations. Following a quick evocation of the main function that ontology had at the birth of sociology, the article focuses on what has become, at least implicitly, the common denominator of ontological issues in sociology –the fact that reality is that which resists. Such a problematic is at the heart of three major socio-ontological paths – representation, production and action –, which, despite reciprocal borrowing, nevertheless constitute independent problematization. The interest Castoriadis’ work is to have more or less explicitly proposed a total socio-ontology around the imaginary which, however, as the article strives to show, is finally only a variant of the ontology of representation.
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Castoriadis et la critique sociologique du sujet transcendantal
Thibault Tranchant
pp. 91–123
AbstractFR:
La théorie castoriadienne de la connaissance prolonge et renouvelle un des gestes philosophiques de la sociologie, remobilisé ensuite notamment par la phénoménologie, à savoir la réinscription critique du sujet de la connaissance, plus particulièrement le sujet transcendantal, à l’intérieur de ses conditions sociales de possibilité. Dans cet article, la variante castoriadienne de la critique sociologique du sujet transcendantal est examinée. Nous commençons par expliciter les liens qu’établit Castoriadis entre la critique de la « pensée héritée » et celle de la raison sociologique. Ceci étant acquis, nous dégageons les axes centraux de sa critique de la sociologie, base sur laquelle il développe sa propre théorie sociale, la théorie de l’institution imaginaire de la société. Enfin, nous nous tournons vers la spécificité de la critique castoriadienne du sujet transcendantal, qui tient, d’une part, à une problématisation aiguë des rapports entre création et vérité et, d’autre part, à son inflexion politique.
EN:
Castoriadis’ theory of knowledge renews one of the most distinctive schemes of sociological theory – extended later by the phenomenological tradition –, that is to say the critical inscription of the subject of knowledge, more particularly the transcendental subject, within its social condition of possibility. In this article, we therefore study the specificity of Castoriadis’ sociological critique of transcendental subject. First, we make explicit the relationship he establishes between the critique of “inherited thought” and the sociological reason. Then, we explain the core of his critique of sociological tradition, which allows him, in return, to build his own sociological theory, his famous theory of social imaginary. Finally, we exhibit the specificity of his critique of the transcendental subject. We argue that it lies, on the one hand, on an acute problematizing of the relationship between creation and truth and, on the other, on its political inflexion.
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La saisie du social-historique : création et méthode chez Castoriadis
Geneviève Gendreau
pp. 125–151
AbstractFR:
Ce texte explore les propositions épistémologiques de Castoriadis, d’abord à partir de sa critique des sciences sociales, qui montre l’occultation systématique dont le social-historique a fait l’objet. Contre cet héritage des sciences sociales seront examinées ses propositions faisant de l’imaginaire social le lieu de l’institution de toute société. Si Castoriadis ne récuse en rien l’apport des méthodes explicatives et compréhensives en sciences sociales, il spécifie toutefois la région de l’être du social-historique qu’elles sont à même d’éclairer : ses éléments ensidiques, dans le cas des premières ; ses significations imaginaires sociales, dans le cas des secondes. Toutefois, son originalité pour les sciences sociales apparaît dans la nécessité d’une élucidation du noyau même des significations sociales, laquelle ne saurait être pensée en dehors de ses liens, politiques, au projet d’autonomie, ni en dehors de son ontologie de la création/destruction radicale.
EN:
This paper examines Castoriadis’ epistemological proposals, starting with the core of his critique of social sciences, namely their systematic ignorance the social-historical. Against this sociological legacy, Castoriadis indeed argues that all societies institute themselves through social imaginary. If Castoriadis never dismissed traditional explicative and comprehensive methods in social sciences, he nevertheless specified their relevance area with regard to the social-historical: explicative methods can only reach the “ensidical” domain of being while the comprehensive ones are well suited for understanding social imaginary significations. However, Castoriadis’ originality in social sciences is tied to the necessary “elucidation” of social significations’ core, an endeavour intimately, indeed politically, connected with the project of autonomy and with its ontology of radical creation and destruction.
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Réalité, strates et chaos : enjeux historiographiques de l’oeuvre de Cornelius Castoriadis
Nicolas Piqué
pp. 153–172
AbstractFR:
L’objet de cet article consiste à lire les historiens contemporains à partir des concepts de Castoriadis. Les notions de chaos et de strate permettent de penser la dynamique fondamentale et ouverte de l’histoire. Les lectures successives de divers paradigmes historiques (F. Braudel, C. Ginzburg, E. P. Thompson, l’histoire connectée) nous permettront d’en préciser la singularité, d’en cerner la portée heuristique, mais aussi d’en discuter les difficultés, qui ont trait à la question du mode de pensée de la création historique, dont Castoriadis souligne la dimension historique essentielle. Lire les historiens à partir de Castoriadis conduit à scruter les conditions d’émergence de nouvelles formes tout en participant à une lecture vivante de son oeuvre.
EN:
The purpose of this article is to read contemporary historians in the light of Castoriadis’ concepts. The notions of chaos and stratum make it possible to think the fundamental and open dynamics of history. Successive readings of various historical paradigms (F. Braudel, C. Ginzburg, E. P. Thompson, connected history) will allow us to specify its singularity, to identify its heuristic scope but also to discuss its difficulties related to the question of how historical creation should be conceived: Castoriadis emphasizes its primordial historical dimension. Reading historians through Castoriadis makes it possible to scrutinize the conditions for the emergence of new forms while participating in a living reading of his work.
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Castoriadis et la critique de l’économie politique
Maxime Ouellet
pp. 173–192
AbstractFR:
Dans le cadre de cet article, nous analyserons le rapport qu’entretient Castoriadis avec la critique de l’économie politique élaborée par Marx et le marxisme. Nous voulons souligner que la théorie critique de la société capitaliste moderne formulée par Castoriadis demeure fortement inspirée par la pensée de Marx, pensée de laquelle il n’a jamais véritablement réussi à se libérer, et ce, en dépit de sa prétention à instituer une rupture définitive avec cette dernière. Cette première trame argumentative servira d’assise pour juger de la postérité de la pensée castoriadienne dans les sciences sociales contemporaines en général, et dans le domaine de l’économie politique et de la sociologie économique en particulier. Nous montrerons que certains éléments de sa pensée nourrissent la réflexion contemporaine en sociologie économique et en économie politique critique. Tant sa critique du marxisme traditionnel que sa réflexion sur le rôle des représentations dans l’orientation de l’agir économique trouvent écho dans certains travaux contemporains en économie politique critique qu’on pourrait qualifier de « post-marxistes ».
EN:
In this paper, we will analyze the relationship between Castoriadis and the critique of political economy developed by Marx and Marxism. We wish to emphasize that the critical theory of the modern capitalist society articulated by Castoriadis remains strongly inspired by Marx’s thought, a thought from which he never really succeeded to free himself, despite his claim to depart radically from the latter. This first argumentative plank will provide a basis for judging the posterity of Castoriadis philosophy in the contemporary social sciences in general, and in the field of political economy and economic sociology in particular. We will show that certain elements of his thought feed contemporary thinking in economic sociology and critical political economy. Both his criticism of traditional Marxism and his reflection on the role of representations in economic practices are echoed in some contemporary works in critical political economy that could be described as “post-Marxist”.
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Idée de révolution et faire révolutionnaire chez Cornelius Castoriadis
Benoît Coutu
pp. 193–205
AbstractFR:
La philosophie politique de Cornelius Castoriadis est aujourd’hui réactualisée par nombre d’auteurs qui s’y réfèrent afin de jeter des bases théoriques à un renouveau des institutions politiques qui seraient plus aptes à faire face aux défis que nous impose le XXIe siècle. C’est dans ce contexte que nous proposons de revisiter sa théorie de la révolution. Pour ce faire, nous commencerons par la présentation de sa conception de la révolution, tant du point de vue historique que conceptuel. Nous exposerons par la suite les conditions objectives de possibilité qu’il met de l’avant, lesquelles sont agencées avec le désir comme conditions subjectives du passage à l’acte révolutionnaire. Nous verrons alors que celui-ci est pensé comme un faire dont le philosophe place en son centre la créativité dans et pour l’histoire.
EN:
The political philosophy of Cornelius Castoriadis has been revived by many authors who refer to it in order to lay the theoretical foundations for a renewal of political institutions more appropriate to face the challenges imposed by the 21st century. It is in this context that we propose to revisit his theory of revolution. To do this, we will begin by presenting his understanding of revolution, both historically and conceptually. We will then expound the objective conditions of possibility he puts forward, which are articulated with desire as the subjective conditions for the passage to the revolutionary act. We will see then that the latter is thought as a doing, at the core of which the philosopher places creativity in and for history.