Dalhousie French Studies
Revue d'études littéraires du Canada atlantique
Number 119, 2021 La vengeance dans le roman francophone Guest-edited by Adama Togola
Table of contents (28 articles)
Articles
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Introduction : Formes et significations de la vengeance dans le roman francophone
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Chair Piment de Gisèle Pineau : au-delà de la vengeance, surmonter l’impardonnable
Christiane Ndiaye
pp. 9–18
AbstractFR:
La question de la vengeance est posée de manière particulièrement percutante dans un des nombreux romans de Gisèle Pineau, Chair Piment, paru en 2002. Au centre de l’intrigue s’agite Mina, une jeune Guadeloupéenne exilée à Paris et hantée par le fantôme de sa sœur Rosalia, morte dans un incendie 20 ans plus tôt. Dans les coulisses, se tient Suzon dont le lecteur découvre peu à peu la passion vengeresse qui la pousse à exercer des « représailles surnaturelles » sur toute la famille de Melchior, père de Mina, pour avoir été abandonnée jadis, par Melchior. S’appuyant de façon générale sur la sociocritique et la poétique des genres, notre analyse du roman s’intéresse aux langages et discours déployés dans ce traitement quelque peu fantastique du thème de la vengeance. Derrière ce mélodrame passionnel se profilent plusieurs questionnements aboutissant à un discours aux accents didactiques qui suggère une bonne et une mauvaise voie à suivre, à la manière des contes. Ce ne sera donc pas la vengeance qui guérira le mal subi mais bien plutôt la magie de la parole.
EN:
The question of vengeance appears in a particularly striking fashion in one of Gisèle Pineau’s many novels, Chair Piment, published in 2002. At the centre of the story is Mina, a young Guadeloupan woman living in exile in Paris and haunted by the ghost of her sister Rosalia who was killed in a fire 20 years earlier. Waiting in the wings is Suzon, whom the reader slowly discovers is harbouring a vengeful passion that will push her to exert a “supernatural retaliation”on the entire family of Mina’s father Melchior for his having abandoned her years earlier. Drawing from sociocriticism and the poetics of genre, this analysis will look at the language and discourse used in this somewhat fantastic treatment of the theme of vengeance. Amid this passionate melodrama lurk questions that provoke a discourse that is at times didactic, suggesting, as in fairy tales, that there is a right and a wrong path to follow. It is not vengeance that will cure the evils of the past but the magic of the spoken word.
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L’enfant dans les récits de vengeance pour la jeunesse en Afrique francophone
Kodjo Attikpoé
pp. 19–31
AbstractFR:
La vengeance, constante anthropologique, affecte tous les âges. Si, dans la réalité, on observe des formes de méchanceté ordinaire dans l’univers enfantin, les récits de vengeance laissent apparaitre l’enfant sous un jour beaucoup plus complexe. Cet article étudie la figure de l’enfant dans les récits pour la jeunesse en Afrique francophone, et ce, essentiellement sous deux aspects : l’enfant vengeur et celui victime de vengeance. Même l’enfant est sensible aux injustices et aux humiliations : les torts subis provoquent chez lui la mémoire de la douleur qui rend inaltérable sa soif de vengeance. Selon le contexte et les circonstances, l’enfant peut apparaître comme vengeur noble ou tragique. Mais, il arrive qu’il soit lui-même victime d’une vengeance collective. Dans ce cas, l’œuvre pose particulièrement la question complexe du pardon.
EN:
Vengeance, a permanent feature of anthropology, affects all ages. If in real life we observe ordinary forms of meanness among children, narratives of vengeance portray the child in a much more complex light. This article studies two sides of the figure of the child in Francophone African children’s literature: the vengeful child and the child who is a victim of vengeance. Even children are sensitive to injustice and humiliation: the wrongs they experience provoke in them the memory of a suffering that renders their thirst for vengeance unchanging. Depending on the context or circumstances, the vengeful child can appear either noble or tragic. Yet, sometimes the child himself becomes the victim of a collective vengeance. In this case, the work poses the complex question of forgiveness.
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« Assouvir sa rancoeur » : le vengeur désenchanté chez Bokar N’Diaye et Patrick Serge Boutsindi
Adama Togola
pp. 33–42
AbstractFR:
Cet article analyse les mécanismes d’organisation et de fonctionnement de l’écriture de la vengeance dans le roman d’Afrique francophone, à travers La Mort des fétiches de Sénédougou de Bokar N’Diaye et L’heure de la vengeance à Quenzé de Patrick Serge Boutsindi. Du vengeur « malgré lui » au vengeur désenchanté, l’on découvre une écriture qui explore les complexités humaines comme la colère, la rancune, l’orgueil, l’honneur, la jalousie, la rage et la haine. En posant l’hypothèse que ces deux textes jouent sur une ambivalence fondamentale, renforcée par une sémiotique du mépris, l’article vise à étudier les modalités par lesquelles l’écriture relie la vengeance à des enjeux sociaux et culturels.
EN:
This article analyses mechanisms of the organisation and the functioning of the discourse of vengeance in the francophone African novel through an examination of Bokar N’Diaye’s La Mort des fétiches de Sénédougou and Patrick Serge Boutsindi’s L’heure de la vengeance à Quenzé. From the avenger malgré lui to the disenchanted avenger, we discover a writing that explores the complexity of human emotions, such as anger, rancour, pride, honour, jealousy, rage and hate. In hypothesising that these two texts play with a fundamental ambivalence, reinforced by the semiotics of contempt, this article aims to study the methods through which writing links vengeance to social and cultural issues.
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Au-delà de la réciprocité négative : la femme-gangster Madame St-Clair, reine de Harlem de Raphaël Confiant
Suzanne Crosta
pp. 43–55
AbstractFR:
Cet article se propose d’examiner la représentation d’une femme-gangster, familièrement connue comme « Madame Queen » ou tout simplement « Queenie », une figure redoutable et ingénieuse du New York des années 1920-40. Confiant rappelle l’enracinement curieusement éthique et trouble de cette Antillaise, militante et « miraculée », qui subvertit les ordres du pouvoir en reproduisant le désordre plus souvent sous forme de réciprocité négative, c’est-à-dire de vengeance. Son monde sera déterminé par la Première Guerre mondiale, le début du Mouvement des droits civiques, la Grande Dépression de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale. L’agentivité (agency) de Queenie, son « engagement social » dirait-on avec un sourire, va s’exercer dans la projection d’une vie pleinement pensée et qui, obscurément ou instinctivement, rejoint l’un ou l’autre pôle ou d’une vengeance calculée ou d’une revanche indéfinie et radicale. Dans ce champ au départ miné, elle en arrive presque à la conciliation des contraires en ravivant le champ des possibles pour des générations futures. Ainsi, cette femme gangster s’offre l’occasion de revoir, à partir de son vécu, les manifestations de la violence et les nœuds de l’oppression omniprésente. Aux points de vue politique, économique, juridique et culturel, les communautés marginalisées sont en proie à la loi du plus fort. Mais, qui pourrait porter l’étendard de la liberté, de la paix et de la dignité sans une conscience avivée qui permette de définir ces valeurs humaines ? C’est une contribution à l’examen critique du regard que Raphaël Confiant porte sur un monde en effervescence, sur des forces qui ne se sont guère alliées ni vraiment confrontées dans le passé. De la revanche du rire au questionnement d’une alliance entre la réciprocité positive et négative, la recherche d’une voie libératrice par l’imaginaire chez Confiant est inébranlable et à la fois inépuisable, car l’avenir et la cartographie des possibles pour « les damnés de la terre » en découlent.
EN:
This article seeks to examine representations of the female gangster commonly known as “Madame Queen,” or simply “Queenie,” who was a formidable and ingenious figure in 1920s-40s New York. Confiant calls to mind the curiously ethical and troubled roots of this Antillaise activist and “miraculous survivor” who subverts the order of power by, more often than not, producing disorder in the form of negative reciprocity, that is to say vengeance. Her story will be determined by the First World War, the start of the Civil Rights Movement, the Great Depression and the Second World War. Queenie’s agency, or shall we say, with a knowing smile, her “social engagement,” will manifest itself in the projection of a life that is fully-thought out and which, mysteriously or instinctively, unites itself to one pole or another of calculated vengeance or indefinite and radical revenge. Out of what begins as a minefield, she very nearly reconciles these opposites by opening up a field of possibilities for future generations. Thus, this woman gangster gives herself the chance to consider anew the manifestations of violence and the knots of oppression that have been omnipresent in her life. From a political, economic, judicial and cultural perspective, marginalised communities live according to the survival of the fittest. Yet who can carry the standard of liberty, of peace and of dignity without a heightened awareness that allows us to define those human values? Raphael Confiant brings a critical examination of the gaze to a world of effervescence, to forces which have barely been linked let alone brought head to head in the past. From the revenge of laughter to the questioning of the link between positive and negative reciprocity, Confiant’s search for a path to liberation by means of creation is unwavering and also inexhaustible, for from it flows the future and the map of possibilities for “the damned of the earth.”
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Revenge, Coloniality, and Hegelian Justice: Experiencing Geopolitics in Sub-Saharan Fiction
Christian Uwe
pp. 57–68
AbstractEN:
In his Outlines of a Philosophy of Right, Hegel contends that revenge is just in its content but wrong in its form. In other words, it is justified in its pursuit of recognition but wrong in resorting to acts of subjective will instead of mediation through state justice, which, he argues, is founded in a rational and objective expression of collective will. While Hegel’s argument may hold in cases of conflicts between individual subjects, it is harder to sustain when the wrong is committed by supra-individual entities (States, financial institutions) particularly in (neo)colonial contexts. In light of this asymmetrical complication, I seek to revisit the conception of justice associated with the Hegelian idea of the State. I do so by looking at four contemporary francophone novels in which episodes of individual revenge are construed as provocative indices that allow me to uncover the wrong in its asymmetrical setting, that is, to see and analyze offense as the personal, individual and intimately lived effect of a (geo)political wrong inflicted by (neo)colonialism. Ultimately, the assumption of State rationality is significantly qualified due to the influence of capitalist market forces and national sentiment.
FR:
Dans ses Principes d’une philosophie du droit, Hegel affirme que la vengeance est juste dans son contenu mais injuste dans ses formes. En d’autres termes, elle se justifie dans sa poursuite de la reconnaissance mais elle a tort de recourir à des actes de la volonté subjective plutôt qu’à une médiation par la justice d’Etat, qui, il l’affirme, se fonde dans une expression rationnelle et objective de la volonté rationnelle. L’argument de Hegel pourrait s’appliquer à raison dans des cas de conflit interpersonnel mais il ne fonctionne pas dans le cas de conflits opposant des entités supra-individuelles (états, institutions financières), surtout dans un contexte (néo-)colonial. A la lumière de cette complication asymétrique, je me propose de revisiter la conception de la justice associée à l’idée hégélienne de l’Etat. Je le fais en examinant quatre romans francophones contemporains où l’on retrouve des épisodes de vengeance individuelle qui doivent être conçus comme des indices provocateurs permettant de découvrir le mal précisément dans son contexte asymétrique, c’est-à-dire de voir et d’analyser l’offense comme l’effet personnel, individuel, intimement vécu, d’un tort (géo)politique causé par le (néo-) colonialisme. Dans le fond, la présomption d’une rationalité étatique doit être révisée de manière significative à la lumière de l’influence des forces capitalistes du marché et celle du sentiment national.
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La vengeance chez Frédéric Marcelin et Sony Labou Tansi : La vengeance de Mama (1902, 1974) et La Vie et demie (1979)
Joubert Satyre
pp. 69–84
AbstractFR:
Avec près de soixante-quinze ans d’écart, deux romanciers francophones, le Haïtien Frédéric Marcelin (1848-1917) et le Congolais Sony Labou Tansi (1947-1995) ont publié deux romans dont l’intrigue développe entièrement ou partiellement le thème de la vengeance, avec pour principaux actants : des femmes, des dictateurs, le champagne, le poison, la séduction et le sexe. Dans La vengeance de Mama (1902, 1974) de Marcelin, Zulma Corneille, surnommée Mama, se venge du meurtre de son fiancé, Épaminondas Labasterre, en faisant boire du champagne empoisonné à Télémaque, son meurtrier, au cours d’un rendez-vous galant; dans La Vie et demie (1979) de Sony Labou Tansi, après l’assassinat de sa famille entière par le Guide Providentiel de la Katamalanasie, Chaïdana, fille de l’opposant Martial, fait périr également avec du champagne empoisonné un grand nombre d’officiels de ce pays totalitaire, auxquels elle s’offre comme amante dans l’hôtel éponyme du roman.Le but de cet article est d’interroger les ressemblances somme toute fortuites entre les deux romans, car il est peu probable que Labou Tansi ait lu Marcelin. Il vise à analyser les modalités de l’exercice de la vengeance dans les romans, notamment l’utilisation de la ruse et de la séduction pour appâter les victimes.
EN:
Nearly 70 years apart, two francophone authors, the Haitian Frédéric Marcelin (1848-1917) and the Congolese Sony Labou Tansi (1947-1995), published novels whose plot either entirely or partially calls upon the theme of vengeance, each featuring the same principal elements: women, dictators, champagne, poison, seduction and sex. In Marcelin’s La vengeance de Mama (1902, 1974), Zulma Corneille, nicknamed Mama, avenges the death of her fiancé, Épaminondas Labasterre, by making his murderer Télémaque drink poisoned champagne during an amourous rendez-vous; in Sony Labou Tansi’s La Vie et demie (1979), after seeing her entire family murdered by the Guide Providientiel de la Katamalanasie, Chaïdana, the daughter of the antagonist Martial, likewise uses poisoned champagne to kill off a number of the totalitarian country’s officials after having offered herself to them in the novel’s eponymous hotel. The goal of this article is to investigate what must be fortuitous similarities between these two novels, as it is unlikely that Labou Tansi would have read Marcelin. It aims to analyse the way in which vengeance is employed in the novels, notably the use of ruses and seduction as a means of enticing the victims.
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La langue francophone : d’une passion vindicative sur l’autorité coloniale du discours chez J.-L. Raharimanana
Hassan Moustir
pp. 85–92
AbstractFR:
Écrire en langue française cristallise chez l’écrivain francophone une passion double, celle d’un viatique de représentation de soi, mais aussi d’un retour de violence, de nature vindicative, marquant le refus d’assimilation sous l’autorité coloniale du discours (Mignolo). Dans le sillage d’une approche de décolonisation de l’imaginaire et du langage, l’œuvre francophone affirme dès son émergence soit une contre-narration qui révise les archives de l’histoire officielle, et impose une restitution sans compromis de la mémoire, en répondant souvent à la violence de domination effective par une violence symbolique, portée par la langue. Soit un effort d’édification d’une culture autre dans les décombres de l’effacement subséquent à l’hégémonie impériale. Si ce dernier mouvement a été en réalité l’acte de naissance décoloniale de la littérature francophone, confondu dans une volonté d’édification nationaliste, le premier émane d’une conscience aiguë sur le rôle de la langue dans le façonnement de l’imaginaire et la formation de l’autorité symbolique impériale. C’est sans doute chez Jean-Luc Raharimanana que s’incarnent à la fois la conscience de restauration des archives historiques (Madagascar 1947 et 2011) et le recours à la langue comme site symbolique ou la violence extérieurement subie se transpose à l’échelle de l’usage dysfonctionnel de la langue (Za 2008). Cette étude se veut donc une exploration aussi large que possible de l’œuvre de l’auteur malgache sous l’optique d’une vengeance voulue comme retour de violence (Fanon) qu’elle soit réelle (la torture politique), historique (la colonisation française) ou encore symbolique (l’autorité du système de la langue).
EN:
For the francophone writer, to write in French brings a twofold passion into focus. On the one hand, it is an aid to self-representation, but on the other, it represents the return of violence of a vindictive nature, signifying the rejection of assimilation to discourse under colonialism’s authority (Mignolo). In the wake of approaches to the decolonisation of creation and language, the francophone oeuvre maintains one of two possibilities. Either it is a counter-narration, which revises the official historical archives and imposes an uncompromising restitution of memory, all the while frequently responding to the violence of domination, effectively a symbolic violence, borne by language, or it maintains an attempt to build up a different culture amidst the ruins of erasure subsequent to the imperial hegemony. If the more recent movement was in reality the birth certificate of the decolonisation of francophone literature, wrapped up in a desire for nationalistic edification, the first movement emanated from a keen awareness of the role of language in the shaping of the imagination and the creation of symbolic imperial authority.It is very likely in Jean-Luc Raharimanana’s work that that we see the crystallization of both a conscientiousness in the restoration of historical archives (Madagascar 1947 and 2011) and a recourse to language as the symbolic site where an externally subjected violence gets transposed upon the range of dysfunctional language usage (Za 2008). This study hopes to explore as much of the work of this Madagascan author as possible from the perspective of a vengeance that seeks to be a return to violence (Fanon), whether such violence is real (political torture), historical (French colonisation) or even symbolic (the authority of a system of language).
Varia
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Human Violence and Eating Animals: Reading Gaétan Soucy through the lenses of Animal and Vegan Studies
Scott Powers
pp. 93–109
AbstractEN:
This essay examines vegetarianism and the treatment of animals in Gaétan Soucy’s L’Immaculée Conception and Music-Hall! as part of an innovative commentary on violence among humans. The novels’ unconventional use of zoomorphism and anthropomorphism in establishing animal sentience and agency places the animal at the center of moral inquiry in order to denounce violent anthropocentrism. By drawing from leading theorists of animal and vegan studies, this essay demonstrates that in Soucy’s works, animals and minority human groups are depicted as sharing a common aggressor: patriarchy and its numerous avatars. By highlighting a number of parallels in the narratives between animals and human victims of male aggression, this study brings to light the novels’ denunciation of the meat processing industry and the consumption of meat as perpetuating a divisive social order that victimizes not only animals, but also women, children, and the poor. In contrast, the narratives proffer respect for animals as the ultimate anti-violent gesture. By extension, vegetarianism presents as a critical, self-reflexive consciousness and a deep ethical awareness that breaks with patterns of violent behavior at the foundation of Western civilization.
FR:
Cet essai examine le végétarisme et le traitement des animaux dans L’Immaculée Conception et Music-Hall! de Gaétan Soucy comme faisant partie d’une réflexion innovatrice sur la violence entre humains. Dans ces romans, l’emploi peu conventionnel du zoomorphisme et de l’anthropomorphisme qui établit la sentience et l’agentivité des animaux place ceux-ci au centre de la réflexion morale en vue de dénoncer les violences de l’anthropocentrisme. En s’appuyant sur des théoriciens des études animales et véganes, cet essai se propose de montrer que les ouvrages de Soucy présentent les animaux et les groupes minoritaires humains comme ayant un agresseur commun: le patriarcat et ses nombreux avatars. Par une mise en exergue de nombreux rapprochements dans les récits des victimes animales et humaines de l’agression masculine, cette étude met au jour une dénonciation de l’industrie et de la consommation de la viande, lesquelles perpétuent un ordre social hiérarchique qui prend pour victimes les animaux, les femmes, les enfants et les pauvres. À l’inverse, les récits prônent le respect des animaux comme le geste suprême de non-violence, et le végétarisme comme une conscience autocritique et foncièrement éthique qui rompt avec les comportements violents au fondement de la civilisation occidentale.
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La puissante écriture intertextuelle de Marie Darrieussecq dans Il faut beaucoup aimer les hommes
Catherine Rodgers
pp. 111–123
AbstractFR:
En 2010 Marie Darrieussecq publiait Rapport de Police, Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction comme réponse aux accusations de plagiat portées contre elle par Camille Laurens et Marie NDiaye. Dans cet essai elle se réclamait d’une écriture franchement intertextuelle. Il faut beaucoup aimer les hommes appartient à ce modèle d’écriture : Darrieussecq puise dans d’autres textes des images fortes pour les renouveler et les prolonger. En particulier, elle y retravaille certains topoï, tels le coup de foudre, la passion hétérosexuelle et les relations Blancs-Noirs. Ses principaux intertextes sont Passion simple d’Annie Ernaux, Heart of Darkness de Joseph Conrad ainsi qu’Apocalypse Now, le film qu’en a tiré Francis Ford Coppola. Elle met aussi à son service plusieurs textes de Marguerite Duras, ainsi que des chansons, des proverbes, des phrases clés et des anecdotes. Elle explore ainsi de nombreux clichés, entre autres ceux qui concernent deux lieux mythiques, Hollywood et l’Afrique.Cette riche intertextualité aurait pu amener la dilution de sa propre voix si elle n’avait pas aussi ancré son texte dans sa propre expérience, en incluant la présence discrète d’un je auctorial et en s’assurant par un épitexte extensif que les rapprochements autobiographiques avec sa protagoniste Solange soient connus ainsi que le fait que son texte est aussi né de recherches personnelles sur l’Afrique et Hollywood. Avec Il faut beaucoup aimer les hommes, Darrieussecq a ainsi écrit un texte puissant et personnel malgré, ou plutôt grâce à, sa vaste intertextualité.
EN:
In 2010 Marie Darrieussecq published Rapport de Police, Accusations de plagiat et autres modes de surveillance de la fiction as a response to the accusations of plagiarism brought against her by Camille Laurens and Marie NDiaye. In this essay she claims her right to an openly intertextual writing. Il faut beaucoup aimer les hommes belongs to this type of writing: Darrieussecq draws strong images from other texts to renew and extend them. In particular, she reworks certain topoi, such as love at first sight, heterosexual passion, and White-Black relations. Her main intertexts are Passion simple by Annie Ernaux, Heart of Darkness by Joseph Conrad and Apocalypse Now, the film that Francis Ford Coppola made from it. She also uses several texts by Marguerite Duras, as well as songs, proverbs, key sentences, and anecdotes. She thus explores many clichés, including those relating to two legendary places, Hollywood and Africa. This rich intertextuality could have led to the dilution of her own voice if she had not also anchored her text in her own experience, by including the discreet presence of an auctorial I, and by ensuring through a large epitext that the autobiographical comparisons with its protagonist Solange are known as well as the fact that her text was also born from personal research on Africa and Hollywood. With Il faut beaucoup aimer les hommes, Darrieussecq has written a powerful and personal text despite, or rather thanks to, its vast intertextuality.
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La biographie comme atelier commun. À propos d’Être ici est une splendeur de Marie Darrieussecq
Olivier Hambursin
pp. 125–139
AbstractFR:
Oeuvre à part dans la production de Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur (paru en 2016) constitue, à ce jour, la seule « biographie » écrite par l’auteur. Elle retrace la courte vie d’une peintre, Paula M. Becker, qui vécut en Allemagne de 1876 à 1907 et dont l’œuvre, à l’époque de la parution du livre, était encore largement méconnue en France. Si ce texte s’inscrit bien entendu dans un vaste et large mouvement de la littérature contemporaine – on le sait, « nombre de romanciers actuels s’affrontent à cet objet précaire qu’est le récit de vie » et en font un genre littéraire « majeur dans le paysage éditorial » (Tadié & Cerquiglini, 339-340) –, il se démarque, nous semble-t-il, par les différents niveaux de lecture qu’il propose. L’examen des éléments retenus de la vie de Paula Becker, des mots choisis, de la construction du texte permet de montrer qu’Être ici est une splendeur constitue aussi, pour l’écrivaine, une occasion de creuser certains des sillons tracés dans ses œuvres romanesques antérieures, comme l’engagement féministe, l’importance des voyages et de la géographie, la question de la mort et de la trace, faisant ainsi de certains aspects de la biographie des miroirs. Mais ce récit se révèle aussi, et peut-être surtout, un passionnant atelier où se travaillent les grandes questions de ce genre polymorphe qu’est la biographie à l’époque contemporaine. Telles sont les voies que cet article entend explorer.
EN:
Standing apart from the rest of Marie Darrieussecq’s work, Being Here is Everything (2016) is, to date, the only ‘biography’ written by this author. It recounts the short life of a German painter, Paula M. Becker (1876 - 1907), whose work was largely unknown in France when this book was published. This text takes its place within a very broad contemporary literary movement – as everyone knows, ‘a fair number of today’s novelists grapple with that uncertain and unstable construct which is the story of a life’ and make it into a major ‘literary genre in the publishing landscape’ (Tadié & Cerquiglini, 339-340). Yet it stands out, in our view, thanks to the different possible levels of reading that it offers. Studying the details of Paula Becker’s life that are selected here, the words chosen and the construction of the text, makes it possible to show that Being Here is Everything also constitutes for the author an opportunity to dig down into themes and topics previously addressed in her fiction, such as feminism, the importance of travelling and of geography, the question of death and what remains after death, thus, as it were, turning certain features of this biography into mirrors. But this story also turns out to be - perhaps more than anything else - a fascinating locus of interrogation and reflection where the great questions arising in the polymorphous genre that is contemporary biography are worked through. It is such avenues that this article sets out to explore.
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Mené, Mené, Thecel, Upharsin : textes, images et énigmes chez Rembrandt et Butor
Rebecca Josephy
pp. 141–156
AbstractFR:
Dans un épisode saisissant du Livre de Daniel mieux connu sous le titre Le Festin de Balthazar, une main se met à écrire des mots cryptiques sur le mur d’un palais babylonien. Cet article compare deux reprises de cette scène biblique : Le Festin de Balthazar de Rembrandt et L’Emploi du temps de Michel Butor.Dans un premier temps, nous proposerons une analyse du tableau de Rembrandt que nous compléterons par celle de Michel Butor, qui pose de façon judicieuse le paradoxe entre le regard et l’aveuglement dans l’œuvre du peintre. Puis, dans un second temps, nous verrons comment l’épisode du Festin de Balthazar se déploie dans L’Emploi du temps, car si la présence de certains épisodes de l’intertexte biblique – Caïn et Abel, le mythe de Babel, l’Apocalypse – a déjà été amplement explorée dans ce roman, l’attention des chercheurs s’est peu portée sur le Festin de Balthazar, épisode pourtant central, selon nous. En faisant donc une analyse détaillée de ces deux reprises du Festin de Balthazar, nous verrons que les frontières entre texte et image se brouillent lorsque les lettres divines dans ces oeuvres ne forment plus nécessairement des mots. In a gripping biblical episode in the Book of Daniel known as Belshazzar’s Feast, a hand begins to write a cryptic message on the wall of a Babylonian palace. This article compares two reworkings of this biblical scene: Rembrandt’s Belshazzar’s Feast and Michel Butor’s L’Emploi du temps.
EN:
In the first part of the article, I examine Rembrandt’s Belshazzar’s Feast in light of Butor’s interpretation of Rembrandt’s sight/blindness paradox. In the second part of the article, I then outline the numerous ways in which Belshazzar’s Feast flourishes in Butor’s own L’Emploi du temps. While numerous researchers have highlighted the importance of biblical intertextualities in this novel – Cain and Abel, Babel, the Apocalypse – Belshazzar’s Feast has been largely overlooked, despite being central to the text. Through a detailed analysis of both Rembrandt and Butor’s representations of Belshazzar’s Feast, I argue that, for both artists, the traditional distinctions between text and image blur when the mysterious and divine letters in this biblical scene cease to necessarily form words.
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IN MEMORIAM : Philippe Jaccottet (1925-2021)
Comptes rendus / Book Reviews
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Kaplan, Marijn S. Marie Jeanne Riccoboni’s Epistolary Feminism: Fact, Fiction, and Voice
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Lewis, Philippa. Intimacy and Distance: Conflicting Cultures in Nineteenth-Century France
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Girard, André. Dictionnaire de l’anarchie. Réuni et présenté par François Gaudin et Françoise Guerard
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Touya de Marenne, Éric. Simone de Beauvoir. Que sais-je ?
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Grumberg, Jean-Claude. La plus précieuse des marchandises. Un conte
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Fourcaut, Laurent, Laure Michel et Michel Murat (dir.). Dominique Fourcade. Lyriques déclics
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Bizub, Edward. Faux pas sur les pavés. Proust controversé suivi de Beckett et Quignard à contrepied
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Auroy, Carole, Olivier Gallet, Denis Labouret et Aude Préta-de Beaufort (dir.). La Plume et le Goupillon. L’écrivain catholique en question aux XXe et XXIe siècles
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Henri Droguet. Grandeur nature
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Anselmini, Julie, et Fabienne Bercegol, éd. Portraits dans la littérature : De Gustave Flaubert à Marcel Proust
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Mark D. Lee, Ana de Medeiros, Identité, Mémoire, Lieux : le Passé, le Présent et l’Avenir d’Amélie Nothomb