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Ce livre, publié par un centre privé de recherche bien connu, The Brookings Institution, reflète les préoccupations de bon nombre de think tanks dont la survie et le succès sont fortement conditionnés par les liens de collaboration avec les grandes corporations et le gouvernement américain. Cette dépendance n’annule pas entièrement la divulgation de documents critiques à l’égard de leurs bailleurs de fonds, mais elle semble limiter sérieusement l’identification des problèmes et la gamme de solutions proposées.

Le texte de Bryant illustre parfaitement ce phénomène. L’auteur examine les crises provoquées par la mondialisation en évitant de mettre en cause les principes marchands qui la légitiment et l’encadrent. Il se borne ensuite à recommander la prudence, à nous rappeler qu’il vaut mieux rejeter toute proposition impliquant des changements de fond. Il faut simplement espérer – propose Bryant – qu’un meilleur partage du pouvoir entre les nations rendra possible une surveillance plus efficace des circuits financiers internationaux.

Ces solutions « bon enfant » n’apportent rien de nouveau, mais elles ont l’immense avantage de permettre aux décideurs d’avoir bonne conscience après avoir reçu un très léger coup de semonce. Ainsi, Bryant leur rappelle que ni l’interventionnisme ni la déréglementation tous azimuts, deux solutions qui les ont tour à tour éblouis, supposent des solutions de rechange crédibles. Les responsables politiques doivent maintenant chercher des compromis entre ces deux modèles de gestion de l’économie, de manière à éviter aussi bien les échecs du marché que la multiplication des entraves administratives.

Bryant situe lui-même son livre par rapport aux travaux qui analysent la libéralisation des marchés et la manière d’en contrôler les dérives. Dans ce dessein, il décrit une sorte de continuum, dont les extrêmes sont représentés par les économistes Joseph Stiglitz et Kenneth Rogoff. Le premier critique fortement le rôle joué par le Fonds monétaire international (fmi) dans la gestion des crises financières de ces dernières années, tandis que Rogoff n’hésite pas à défendre les décisions prises par les gestionnaires du Fonds.

Cet exercice comparatif permet à Bryant de mettre en relief le but de son livre : examiner de manière « équilibrée, exempte de toute passion » le système financier mondial, tout en portant une attention particulière à la possibilité de le soumettre à une véritable « gouvernance collective » ou « internationale ». Dans cette perspective, l’auteur abandonne, presque immédiatement, toute prétention à l’objectivité et s’évertue à trouver des recettes qui se veulent aussi modérées que réalistes. Pour accentuer la tournure normative que prend son travail, Bryant élabore une approche, le « gradualisme pragmatique ». En principe, cette approche permet de renforcer la coopération intergouvernementale dans les secteurs clés de l’économie et de la finance internationales, par l’entremise notamment du fmi (la possibilité de créer de nouvelles institutions internationales est écartée, car utopique).

Le livre suit une démarche tout à fait classique. Les premiers chapitres présentent les concepts généraux servant à expliquer la problématique abordée. Cela ne va pas sans surprises. « Pour faciliter l’intelligence » du texte, Bryant explique les notions d’« opérations financières » et de « gouvernance globale » en écartant systématiquement leur dimension transfrontalière. Obligé de les replonger plus tard dans les eaux turbulentes de la politique internationale, il aura cependant réussi à les expurger de toute connotation négative ou conflictuelle. C’est dans une perspective similaire que, dans les chapitres suivants, Bryant explore les outils théoriques issus de l’économie politique, constate l’état « chaotique » de l’économie mondiale et souligne l’importance croissante des échanges financiers et de la libre circulation des capitaux.

Cette analyse conduit logiquement l’auteur à s’interroger sur les institutions qui pourraient « gérer la prospérité » et « prévenir les crises ». La réponse demeure circonspecte : le fmi devrait mettre sur pied un dispositif de surveillance supranationale des politiques macro-économiques, des taux de change et des régulations concernant les opérations financières transfrontalières. Cette proposition est enrobée d’une longue série de précisions, exprimées dans un langage technique. Elles semblent s’adresser simultanément aux partisans de l’ultralibéralisme et aux militants antimondialisation, qui verraient tous d’un mauvais oeil l’attribution de ces nouvelles prérogatives au fmi.

Dans les derniers chapitres, Bryant ne vise plus un public d’experts, mais les citoyens ordinaires. Il allège considérablement son analyse et présente ses recommandations dans une langue facilement accessible. Cet effort de vulgarisation est accompagné de quelques réflexions de nature plus « politique ». Sur le plan de la rhétorique, les pays développés appuient les institutions financières internationales mais, concrètement, ils demeurent méfiants envers tout contrôle externe. Il faut donc démontrer, soutient l’auteur, que la gouvernance internationale, en créant un climat de paix et d’entente mutuelle, profite à toutes les nations. Parallèlement, les « petits pays » doivent accepter le fait que les institutions internationales, même si elles ne sont pas toujours transparentes ni entièrement démocratiques, leur offrent un canal d’expression privilégié. Et il faut, enfin, espérer que l’influence des nations les plus démunies augmentera rapidement dans les enceintes multilatérales. Bryant semble y croire, tout comme à la nécessité de « moduler » le processus de mondialisation au lieu de s’y opposer.

Plus que d’un positivisme malhonnête ou naïf, qui se limite à constater un état de fait et à s’y résigner, cet ouvrage souffre d’un défaut professionnel majeur, celui de vouloir se tailler une place à côté du roi. Et, pour ce faire, rien de plus facile que de lui présenter des analyses rassurantes, même si elles ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Comment expliquer autrement qu’un livre sur le contrôle de la finance mondiale ignore systématiquement les aspects les plus inquiétants de cette dernière (la dématérialisation de l’argent, la prolifération des fonds spéculatifs, l’opacité des circuits extraterritoriaux contrôlés par les pays riches, etc.) ? Cet oubli stratégique laisse profondément insatisfait le lecteur informé.