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L’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 au poste de secrétaire général du parti communiste d’Union soviétique marque un tournant dans l’évolution de la guerre froide. En effet, Gorbatchev introduira deux types de réformes qualifiées par les termes de glasnost (transparence) et de perestroïka (restructuration). En quelques années à peine, ces deux termes deviendront le symbole d’abord, de la chute des régimes communistes des pays est européens (où Gorbatchev refusera de mettre en application la doctrine Brejnev) puis de l’urss. Les années Gorbatchev, les causes et les conséquences de la fin de l’ère bipolaire et les relations soviéto-américaines tout au long de la guerre froide ont été largement documentées et analysées. Bien que les États-Unis aient été le leader des pays du monde libre, d’autres pays, par le biais de leur politique étrangère, ont joué un rôle important dans l’évolution de la guerre froide, notamment le Canada, qualifié de puissance moyenne. Canadian Policy toward Khrushchev’s Soviet Union avance pour hypothèse que la démocratisation amorcée par Gorbatchev tient ses racines de la déstalinisation de Nikita Khroutchev, représentant le second cycle de réforme soviétique.
L’originalité de l’ouvrage Canadian Policy toward Khrushchev’s Soviet Union de Jamie Glazov réside, comme son titre l’indique, dans l’analyse historique de la diplomatie canadienne à l’égard de l’Union soviétique à l’époque du leadership de Nikita Khroutchev. Étant l’un des premiers ouvrages à traiter de la politique étrangère canadienne à l’époque des gouvernements St-Laurent et Diefenbaker, ce travail, tiré de la thèse de doctorat de l’auteur comble une lacune importante dans l’étude historique et politique de la diplomatie canadienne.
L’ouvrage utilise donc une méthode comparative entre les politiques étrangères des gouvernements St-Laurent et Diefenbaker en parallèle avec la politique étrangère américaine. Son premier chapitre porte sur la politique étrangère du Canada envers l’urss de la révolution bolchevique de 1917 à la mort de Staline en 1953, période où la politique étrangère du Canada est largement influencée par la diplomatie britannique. Ce chapitre vise principalement à mettre les lecteurs en contexte avec le sujet principal de l’ouvrage soit la diplomatie canadienne face à l’Union soviétique de 1953 à 1963 et les principaux événements ayant jalonné le parcours de ce pays entre 1917 et 1953.
L’auteur présente, dans les chapitres deux et trois, la politique étrangère canadienne connue sous la dénomination containment with accomodation. Celle-ci fut introduite par le gouvernement de Louis St-Laurent à la mort de Staline en 1953 sous la direction de Lester B. Pearson, ministre des Affaires extérieures du Canada. L’auteur explique de façon claire la signification de la démarche containment with accomodation en insérant à ses explications de nombreux exemples et une comparaison avec la politique américaine de containment. En effet, l’auteur souligne la différence majeure entre les politiques étrangères canadienne et américaine résidant dans l’accent mis par le Canada sur la communication. Jamie Glazov explique que la diplomatie du containment with accomodation visait à profiter de toutes les occasions possibles pour engager le dialogue avec l’urss et ses satellites et les mettre en contact avec la démocratie tout en demeurant vigilante face aux tentatives de l’urss d’élargir son influence, principalement dans les pays du Tiers-monde.
Paradoxalement et ironiquement, les politiques étrangères canadienne et soviétique avaient un but semblable : tenter de diviser le bloc ennemi ou du moins, miner sa cohésion. En effet, la déstalinisation orchestrée par Nikita Khroutchev visait à convaincre le camp occidental (principalement le Canada) de sa bonne volonté et ainsi l’éloigner des États-Unis. En guise de conclusion pour cette époque, Jamie Glazov qualifie la politique étrangère canadienne du gouvernement St-Laurent envers l’Union soviétique de Khroutchev comme une grande réussite du Canada. Il démontre son affirmation, entre autres, à travers le rôle joué par Lester B. Pearson lors des crises de Suez et de Hongrie, qui lui valut en 1957, le prix Nobel de la paix.
Par la suite, à travers les chapitres quatre, cinq et six, l’auteur montre l’évolution de la politique étrangère canadienne à partir de la prise du pouvoir par le parti conservateur de John Diefenbaker en 1957 jusqu’aux élections de 1963 où le gouvernement de ce dernier fut remplacé par le gouvernement libéral de Lester B. Pearson. En fait, cette période est divisée en trois étapes. Le chapitre quatre traite plus précisément de la première époque du gouvernement de Diefenbaker soit de 1957 à 1961 où la politique étrangère du Canada à l’égard de l’Union soviétique s’est durcie par rapport à l’époque du gouvernement St-Laurent. Cette nouvelle direction obtint tout de même du succès. Jamie Glazov explique que Diefenbaker, un anticommuniste convaincu soucieux de l’opinion et du vote des ethnies originaires du bloc de l’Est, tentera de maintenir un large contrôle sur la conduite de la politique étrangère du Canada ce qui aura pour résultat, à moyen terme, de miner l’image du Canada et de son Premier ministre sur la scène internationale. À partir de 1961, abordé dans les chapitres cinq et six, la politique étrangère du Canada sera marquée par un manque de cohérence clairement démontré par le comportement de Diefenbaker face à l’acquisition d’armes nucléaires mais surtout durant la crise des missiles de Cuba. C’est qu’entre-temps, les relations canado américaines se sont refroidies avec l’arrivée de John Kennedy à la présidence américaine principalement dû à l’antipathie du Premier ministre envers le nouveau Président. À l’anticommunisme de Diefenbaker, s’ajoute son anti-américanisme qui permit à Khroutchev de réussir temporairement son objectif qui était de miner le bloc occidental notamment en affaiblissant la bonne entente entre le Canada et les États-Unis.
Cet ouvrage s’adresse principalement à un public académique, par contre, il est accessible à un public manifestant un intérêt pour l’histoire de la politique étrangère canadienne et du rôle joué par le Canada durant la guerre froide. Cependant, l’énonciation des arguments de l’auteur s’avère souvent redondante apportant ainsi une certaine lourdeur au texte. Le lecteur peut très bien suivre la démonstration de l’auteur sans qu’il n’ait besoin de se répéter aussi souvent. Il est facile de maintenir un intérêt soutenu à la lecture de ce livre étant donné la rédaction simple et l’insertion d’anecdotes instructives sur la personnalité des divers protagonistes et sur le contexte international de l’époque. L’une des anecdotes intéressantes incluses dans cet ouvrage révèle qu’à l’époque de la chasse aux sorcières communistes de McCarthy, Lester B. Pearson lui-même fut soupçonné d’être communiste ! De plus, Canadian Policy toward Khrushchev’s Soviet Union est largement documenté de nombreuses sources primaires agrémentées de sources secondaires donnant lieu à un solide contenu appuyé de nombreuses références. D’ailleurs, il importe de souligner que Glazov a inclus dans sa recherche l’opinion publique canadienne à certaines époques et face aux politiques des gouvernants en matière de diplomatie en prenant soin de mentionner la particularité du Québec, caractérisé par un profond anticommunisme.
À la lecture de la conclusion, on se prend à regretter que l’auteur n’ait pas étendu son travail d’analyse à la diplomatie canadienne des gouvernements subséquents. Finalement, cet ouvrage vaut la peine d’être lu pour quiconque s’intéresse à l’histoire, à la diplomatie du Canada et à son rôle international à l’époque de la guerre froide.