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Les écrits dans le champ de la gouvernance mondiale se sont intéressés ces dernières décennies à la question de la justice globale, entendue comme la redistribution des richesses et des responsabilités entre les pays du Nord et les pays du Sud sur les problématiques planétaires de sécurité humaine, d’environnement et de développement. Global Political Justice, ouvrage collectif qui réunit près d’une douzaine de chercheurs en science politique, relations internationales et éthique politique, vient combler le vide que constitue l’absence de fondements politiques à la théorie de la justice globale. D’emblée, le premier des neuf chapitres, que signent les directeurs de l’ouvrage, explicite brillamment la problématique. L’idée de départ est que les structures de pouvoir à l’échelon transnational soit manquent de légitimité, soit ne sont pas justifiables (idée de justice). Partant de la théorie rawlsienne selon laquelle la justice est politique par essence, les auteurs estiment qu’on ne saurait présumer ces qualités aux institutions internationales. L’originalité de l’ouvrage repose, contrairement à la littérature sur la démocratie mondiale à l’égard de laquelle il prend ses distances, sur la récusation de la transférabilité mécanique à l’échelon international des modalités de construction de la légitimité et de la justice des institutions politiques qui doivent assurer la justice distributive. À ce titre, son apport est à situer sur un double plan substantiel et méthodologique.

Au regard du premier axe, dans lequel s’inscrivent les contributions portant sur la constitution de l’ordre politique mondial, un constat se dégage : l’importance de l’État dans le projet des institutions cosmopolites ne décroît pas. Il était pourtant aisé de le concevoir, comme le font bien de réflexions cosmopolites, comme une structure de pouvoir dépassée, un obstacle plutôt que la voie vers le cosmopolitisme parfait. Sous la plume de la majorité des contributeurs, la figure de l’État est réhabilitée, presque idéalisée, quoiqu’une volonté de la faire coexister avec des structures supranationales, plus aptes à relever les défis mondiaux, soit constante chez l’ensemble des auteurs. Ainsi, pour Paul Muldoon (chapitre 7), l’égalité des individus comme base du pouvoir politique mondial est un leurre, puisque la permanence de ce principe est loin d’être assurée. Miriam Ronzoni (chapitre 4) conteste qu’on doive reconnaître aux structures supranationales des pouvoirs illimités. Elle invite à inscrire leur rôle dans la construction de la souveraineté positive des États, comprise comme leur capacité à résoudre les problèmes qui se posent dans leur ordre interne. Étonnamment, chez Barbara Buckinx la capacité des ong à assumer les fonctions de la gouvernance mondiale est contestée, les acteurs publics étant les seuls susceptibles, selon cette auteure, de responsabilisation. De fait, Avia Pasternak ne concède qu’une fonction de légitimation aux acteurs non étatiques dans son idée de ligue des États démocratiques, structure supranationale à laquelle il confierait la réalisation de la justice mondiale, cela en raison du devoir moral qui est le leur au regard des enjeux planétaires.

Les contributions de Hurrell et Macdonald ainsi que de Lenard établissent les ponts avec le second axe de l’ouvrage qui répond à la préoccupation méthodologique d’arriver à concevoir et à justifier les formes de pouvoir qui existent dans l’ordre international. Les premiers n’entendent exclure aucun acteur de l’arène du pouvoir mondial. Il serait selon eux plus important de localiser ce pouvoir, qu’il soit étatique, non étatique ou supranational, afin de lui appliquer les principes de justice politique que sont la légitimité et la justifiabilité. L’intérêt de l’approche est d’unifier les principes au sein des multiples sous-disciplines. Lenard formule pour sa part une proposition fort remarquable sur la construction de la légitimité des institutions internationales qui passe par l’enracinement des objectifs cosmopolites chez les individus. Pour elle, la réalisation de la justice globale par le haut est un échec. Elle en appelle à la mise en place d’institutions qui, sur le long terme, susciteront l’adhésion aux idées cosmopolites. Sous ce regard, l’individu apparaît à la fois comme source de légitimité des formes de pouvoir mondial et constitutif, lui-même, de pouvoir. Plus au coeur du second axe, la contribution de Valentini offre une réflexion affinée qui ferme les écarts entre légitimité et justice. Prenant appui sur les théories libérales, elle soutient que justice et légitimité tendent vers une même valeur : le respect des droits fondamentaux et la participation démocratique. Écartant l’idée d’un État mondial ou encore d’un ordre politique formé d’états démocratiques indépendants et distincts, elle suggère comme modèle d’organisation du pouvoir politique mondial, auquel appliquer ces principes, un monde d’États à souveraineté limitée auxquels seraient associées des institutions supranationales possédant des mandats déterminés, mais en mesure de prendre des décisions essentielles pour l’ensemble de la planète.

En somme, s’il y a une critique à adresser à cet ouvrage, ce serait à un double titre. D’une part, il manque une structuration thématique qui en faciliterait la lecture, de même qu’une conclusion générale qui permettrait d’évaluer plus aisément dans quelle mesure les objectifs initiaux des éditeurs ont été atteints. D’autre part, sur un sujet aussi crucial que le pouvoir cosmopolite, l’absence des perspectives non occidentales est à regretter. Par ailleurs, l’ouvrage saura intéresser ceux qui, dans le champ de l’éthique politique, se préoccupent, au-delà de la redistribution équitable des richesses, de la justice et de la légitimité des structures de la gouvernance mondiale. Son ancrage dans la pensée des philosophes cosmopolites de la modernité, dont John Rawls, Hannah Arendt et Nancy Fraser, rehausse sa qualité scientifique. Global Political Justice apporte une contribution intéressante aux débats anciens et actuels sur les institutions internationales. Il paraît à point nommé et saura, alors que l’inefficacité de ces dernières face aux problèmes mondiaux est de plus en plus pointée du doigt avec virulence, contribuer à nourrir la réflexion sur la possibilité d’accroître leur légitimité et leur justification.