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Comme l’indique son titre, l’ouvrage de Cynthia Weber est un manuel d’introduction critique aux théories des Relations internationales (ri). En raison de la nature de l’ouvrage, notre recension n’abordera pas la façon dont est traitée chacune de ces théories, c’est-à-dire le réalisme, l’idéalisme, le constructivisme, le féminisme, la théorie de la globalisation, le néomarxisme, la théorie de la modernisation, l’environnementalisme et l’anarchisme. Nous axerons plutôt notre compte rendu sur la problématique générale du texte ainsi que sur la méthode par laquelle l’auteure interroge la discipline des RI en général ainsi que ses différentes approches.

Tout l’ouvrage est centré sur la notion de « mythe » ou de « fonction mythologisante » du discours associé à la discipline des ri. L’importance accordée à ce concept tient au fait que Weber conçoit les théories des ri comme des pratiques culturelles et des idéologies, c’est-à-dire des ensembles d’interprétations et de significations permettant de donner sens au monde et à notre relation avec ce monde. Suivant cette logique, la « fonction mythologisante » est ce qui permet aux théories de ri de passer d’une interprétation à ce qui apparaît comme une vérité naturelle et universelle. Pour prendre un exemple tiré de l’ouvrage, Weber s’intéresse au processus par lequel le réalisme parvient à présenter son interprétation des ri, soit « l’anarchie explique la guerre », comme un fait naturel et immuable.

Ainsi, toute la structure de l’ouvrage est construite autour de cette notion de mythe. Dans chaque chapitre, l’auteure procède d’une même façon en identifiant d’abord le contenu d’un mythe. Elle sélectionne un texte classique des ri, le situe par rapport aux grandes traditions théoriques, le résume brièvement, puis démontre comment ce texte fait appel à un mythe des ri. Par exemple, dans la section sur le constructivisme, C. Weber sélectionne le texte « Anarchy Is What States Make of It » d’Alexander Wendt pour démontrer comment celui-ci véhicule le mythe que l’anarchie est ce que les États en font.

L’analyse passe ensuite à la question « Comment ce mythe fonctionne-t-il ? ». Cette étape représente le point central de l’ouvrage de Weber. Toutefois, le dévoilement de ces mythes est problématique, puisque leur efficacité dépend justement de leur capacité à ne pas apparaître comme des mythes, mais plutôt comme des vérités. C’est ici que l’originalité de l’ouvrage de Weber se fait sentir. S’il nous est très difficile de porter un regard critique sur les mythes qui régissent le monde dans lequel nous vivons, Weber nous propose de nous tourner vers d’« autres mondes » pour y repérer des mythes similaires. Les « autres mondes » auxquels Weber fait référence peuvent se trouver dans les films populaires. Ainsi, en constatant la différence entre notre monde et les mondes dépeints par le cinéma populaire, nous pouvons atteindre la distance critique nécessaire afin de déchiffrer le fonctionnement des mythes en question.

De cette manière, pour chaque théorie analysée, Weber sélectionne un film permettant de mettre en évidence le fonctionnement du mythe présenté dans la section précédente. Par exemple, dans la discussion de la tradition idéaliste, Weber utilise le film Independence Day afin de traiter du mythe selon lequel « il existe une communauté internationale capable de se substituer à la logique de l’anarchie ». La morale de ce film est qu’il est possible pour les humains de s’unir en paix en présence d’une juste cause, démontrant ainsi la capacité de la coopération internationale à contrer la logique anarchique. Toutefois, l’analyse du film fait ressortir deux facteurs qui ne sont pas présents dans le mythe idéaliste : la peur et le leadership américain. La coopération internationale réussit à atténuer le caractère anarchique du système international grâce au facteur rassembleur généré par la menace d’extinction et grâce à la direction exercée par les États-Unis. Si on élimine ces deux facteurs, le mythe idéaliste de la société internationale apparaît comme vrai.

Enfin, l’ouvrage nous offre une réflexion sur les conséquences d’une analyse critique de la « fonction mythologisante » des ri. La mise en lumière du caractère culturel et idéologique des théories des ri demande-t-elle que l’on abandonne les mythes fondateurs des ri ? Non, puisque les pratiques culturelles et les idéologies vont toujours médiatiser notre relation avec les « faits » de la politique internationale. Ce que l’approche critique de Weber vise est de rejeter les revendications des théories à se présenter comme empiriques et naturelles et de les voir pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des interprétations. Weber vise ainsi une (re)politisation de la discipline des RI où le contenu et la fonction des mythes peuvent être analysés et débattus.

L’ouvrage de Weber n’est absolument pas une introduction orthodoxe aux théories des ri. En proposant une méthode permettant d’interroger ces théories, il constitue plutôt une introduction à la critique des ri. C. Weber passe d’ailleurs très peu de temps sur la présentation des théories elles-mêmes et se limite à l’analyse d’un seul texte. Ainsi, ce manuel ne s’adresse pas au lecteur qui recherche une introduction générale à la discipline, mais à celui qui a déjà des connaissances sur les principales traditions théoriques. En ce qui a trait à la méthode s’appuyant sur l’utilisation des films populaires dans la déconstruction des mythes (ajout qui s’est fait à la troisième édition de l’ouvrage), celle-ci pourrait profiter d’allègements et de clarifications. Si cette méthode est employée pour simplifier la compréhension des mythes, dans quelques cas elle semble plutôt la complexifier.