Volume 40, Number 1, 2004 Réécrire au féminin : pratiques, modalités, enjeux Guest-edited by Lise Gauvin and Andrea Oberhuber
Table of contents (11 articles)
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Note de la rédaction
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Présentation. Réécrire au féminin : pratiques, modalités, enjeux
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Écrire/Réécrire le/au féminin : notes sur une pratique
Lise Gauvin
pp. 11–28
AbstractFR:
S’appuyant sur le fait que le phénomène de la réécriture est un effet de lecture lié à la reconnaissance du modèle d’une part et, d’autre part, à la complicité créée par la double conscience — celle de l’auteur et du lecteur — de son détournement, l’article propose quelques pistes en vue d’une configuration possible de la réécriture au féminin. Les figures du palimpseste ainsi examinées s’articulent autour de trois axes principaux : le contre-discours ou la contre-diction, la co-scénarisation ou l’adaptation, le déplacement ou la reprise. Des exemples tirés des oeuvres de diverses écrivaines, de Louky Bersianik à Nicole Brossard, de Pierrette Fleutiaux à Maryse Condé, Muriel Spark et Assia Djebar, sont convoqués pour illustrer les modalités de ces fictions « au second degré ». Ainsi envisagée sous l’angle de sa fonctionnalité et de sa visée pragmatique, la réécriture permet de déployer autrement la cartographie de l’écriture au féminin et d’en explorer les enjeux.
EN:
Based on the fact that the phenomenon of rewriting is an outcome of reading linked to acknowledgement of the model, on the one hand, and, on the other hand, to the complicity, or subversion, engendered by this dual consciousness of author and reader, this article proposes some directions towards a possible configuration of rewriting in the feminine. The figures of the palimpsest thus examined revolve around three principal axes: counter-discourse or counter-diction, co-writing or adaptation, displacement or resumption. Examples from various women’s works, from Louky Bersianik to Nicole Brossard, from Pierrette Fleutiaux to Maryse Condé, and from Muriel Spark and Assia Djebar are analyzed to illustrate the modalities of “second degree” fictions. From the perspective of its functionality and pragmatic purpose, rewriting can deploy the cartography of feminine writing in a different way and therein explore the inherent issues.
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L’essai comme forme de réécriture : Cixous à Montaigne
Mireille Calle-Gruber
pp. 29–42
AbstractFR:
Où l’on considère, exemplaire dans les livres d’Hélène Cixous, la réécriture comme le processus génésique par excellence, et le lieu d’une exigeante réflexion théorique. Pas de genèse du texte littéraire sans une mise en oeuvre de ses généalogies. Mais aussi l’affirmation d’une réécriture qui procède sans (se) couper le nez, c’est-à-dire en revendiquant sa singularité. Où l’on voit comment Hélène Cixous défaçonne la langue de Montaigne pour en tirer un alphabet cixousien. Comment elle pratique la réécriture plutôt en tiers qu’en double mimétique. Comment la forme de l’essai se trouve reprise dans la poétique cixousienne. Comment, enfin, c’est à la cuisine du texte que nous sommes conviés.
EN:
Hélène Cixous’ books serve as sophisticated examples of rewriting, wherein an elaborated process challenging theoretical reflections is applied. No literary text emerges without revealing its genealogies. Yet the integrity of the rewriting staunchly affirms its own singularity. We observe how Hélène Cixous dismantles Montaigne’s language and from it draws out a Cixousian alphabet; we see how she rewrites more in triple than double mimetic; how the form of the essay resumes in Cixous’ poetics. And how we are ultimately invited to sample the cuisine that is the text.
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Récits des origines chez quelques écrivaines de la francophonie
Christiane Ndiaye
pp. 43–62
AbstractFR:
Se situant à la croisée du mythe, du conte, de l’histoire et du romanesque, plusieurs des écrivaines de la francophonie procèdent à une réécriture des récits d’origine pour inventer un nouvel imaginaire où la femme est à la source du renouveau social plutôt que de porter le poids du péché originel. Ainsi, chez Calixthe Beyala, la femme, ayant pour ancêtre l’étoile qui s’efforce en vain de sauver l’homme de l’autodestruction, se tient désormais à distance de ce « soleil » par trop ardent. De la même manière, les personnages féminins du roman de Simone Schwarz-Bart s’écartent du chemin de l’homme, pour ne pas être entraînés dans sa course folle sur la voie des malheurs sans fin. Constatant que la « guerre des sexes » s’est ainsi inscrite dans les récits les plus anciens comme dans le langage du quotidien, Assia Djebar remonte à l’époque des anciens empires des Berbères, des Phéniciens et des Romains en quête de la langue perdue du dialogue entre « ennemis ». De manière analogue, le roman de Marie-Célie Agnant interroge l’histoire (dans ce cas celle de l’esclavage) afin de déceler le point de rupture et pour renouer le dialogue avec un Autre qui inspire méfiance depuis « l’origine ». À travers ces diverses réécritures s’esquisse alors un imaginaire de la (re)naissance où la langue perdue du coeur émerge du langage non verbal du corps.
EN:
Poised at the intersection of myth, folktales, history and novels, several francophone women writers proceed to rewrite narratives on the origins of humanity or certain communities thereby inventing a new world of imagination where woman is the source of social renewal rather than original sin. Thus, in the novel of Calixthe Beyala, the woman, whose ancestor is the star that strives in vain to save man from self-destruction, prefers to remain aloof from a too intense “sun.” Likewise, the women characters created by Simone Schwarz-Bart sidestep the path of man to avoid being pulled along on his endless route of misery. Observing that the “war of the sexes” inhabits the most ancient narratives as well as everyday discourse, Djebar’s novel returns to the ancient empires of the Berbers, the Phoenicians and the Romans in search of the lost language of dialogue between “enemies.” In a similar manner, Marie-Célie Agnant questions history (in this case that of slavery) to locate the point of rupture and to renew the dialogue with the Other who has inspired mistrust since the very beginning. These rewritings trace out an imaginary world of re(birth) where the lost language of the heart emerges from the non-verbal language of the body.
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Femmes d’Alger dans leur appartement d’Assia Djebar : une rencontre entre la peinture et l’écriture
Farah Aïcha Gharbi
pp. 63–80
AbstractFR:
Femmes d’Alger dans leur appartement d’Assia Djebar est un recueil de nouvelles qui entretient un rapport dialogique avec la peinture puisqu’il emprunte son titre aux tableaux de Delacroix et de Picasso et qu’il s’en inspire pour élaborer un parcours narratif racontant l’histoire des femmes d’Alger. C’est la rencontre entre la peinture et l’écriture, la nature, le fonctionnement et les conséquences d’un tel échange qu’analyse cet article, et ce, plus précisément à travers la première longue nouvelle du recueil, récit éponyme composé en 1978 qui présente une réécriture au féminin des Femmes d’Alger romantiques et cubistes de l’histoire de l’art. En lisant les tableaux et en déchiffrant les codes picturaux qu’ils mettent en oeuvre, Djebar se les approprie et les médiatise dans le cadre de sa nouvelle à même deux espaces diégétiques, celui du rêve et celui de la mémoire, au sein desquels les Femmes d’Alger prennent vie, parole et se dévoilent. Ce projet entraîne, de ce fait, l’exercice et le déploiement de procédés d’écriture particuliers, à la croisée du texte et de l’image.
EN:
Femmes d’Alger dans leur appartement by Assia Djebar is a collection of short stories which maintains a verbal rapport with art since it borrows its title from paintings by Delacroix and Picasso, works that inspire an elaborate narrative recounting of the history of Algerian women. It is through the derived account written in 1978, which is a rewriting of the Romantic and Cubist Femmes d’Alger in the history of art, from women’s perspective, that this article offers an analysis between art, writing, nature, and the function and results of such an exchange. By reading these paintings and deciphering their visual secrets, Djebar adapts and infuses them into the setting of her novel in two equal stages: the dream stage and the memory stage, in the midst of which the women of Algiers open up and come to life in words. This literary work brings about the practice and display of certain processes, allowing text and images to intersect.
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Voix et présences de femmes : la relecture de l’histoire par Andrée Chedid
Jean-Philippe Beaulieu
pp. 81–93
AbstractFR:
Dans plusieurs de ses récits, Andrée Chedid procède à une réécriture de l’histoire de façon à donner voix et existence à ces figures le plus souvent laissées dans les marges du discours historiographique que sont les femmes. Une telle réécriture, qui cherche à combler les silences de la mémoire collective, combine des données mythiques, factuelles et fictives de manière à conférer un relief marqué à des profils féminins avérés (Nefertiti) ou hypothétiques (la femme de Job).
EN:
In several of her numerous novels and narratives, Andrée Chedid rewrites history so as to give a prominent position to women, in order to compensate for the marginal status traditionally attributed to them in historiographical discourse. Mingling facts, myths, and fiction, the author fills the blanks of the collective memory pertaining to women’s participation in world history. Under Chedid’s pen, Nefertiti and Job’s wife therefore become vivid characters whose presence and voice can be strongly felt.
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L’entendu et l’autrement : aspects du métissage dans Rouge, mère et fils de Suzanne Jacob
Doris G. Eibl
pp. 95–110
AbstractFR:
Questionnant la réécriture du métissage dans Rouge, mère et fils, cette lecture d’un récent roman de Suzanne Jacob se propose de retracer la part d’inquiétante étrangeté qui opère dans l’histoire d’une mère, d’un père et d’un fils ou, plus globalement, dans celle d’une communauté, toutes deux régies par des histoires muettes. En tissant une fiction où de nombreuses histoires individuelles se superposent et se nouent de façon tout à fait étonnante, Suzanne Jacob fait du métissage la trame même de son texte et révèle sans pardon l’impuissance existentielle de ceux qui refusent à la fois les histoires et l’Histoire qui les relieraient au passé et leur permettraient d’envisager l’avenir dans une reconnaissance mutuelle. C’est grâce au personnage du Trickster, figure mythologique fort ambiguë des légendes amérindiennes et dotée, dans Rouge, mère et fils, d’un certain pouvoir de guérisseur, que cette reconnaissance, qui est toujours celle du métissage, devient possible.
EN:
Questioning aspects of rewriting métissage in Rouge, mère et fils, this reading of Suzanne Jacob’s latest novel proposes to retrace the troubling strangeness (the uncanny) that operates in the story of a mother, a father and a son or, more generally, the story of a community, both governed by silent stories. Superimposing several individual stories and combining them in astonishing ways, Suzanne Jacob turns métissage into the storyline itself and relentlessly reveals the existential powerlessness of those who, at the same time, refuse to accept the stories and the history that would connect them with the past and allow them to face the future in mutual recognition. The character of the Trickster, a very ambivalent figure in Native American tales, who, in Rouge, mère et fils is given a certain healing power, makes this recognition possible, a recognition which also remains a recognition of métissage.
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Réécrire à l’ère du soupçon insidieux : Amélie Nothomb et le récit postmoderne
Andrea Oberhuber
pp. 111–128
AbstractFR:
L’article se veut une défense et illustration du phénomène de la réécriture au féminin comme stratégie discursive telle qu’elle se manifeste dans les pratiques palimpsestes à l’ère « postmoderne ». Il propose une réflexion sur le comment et le pourquoi des relectures qu’effectuent bon nombre d’auteures du xxe siècle dans le dessein de réécrire un texte antérieur, d’écrire autrement cet hypotexte, de le « traduire » en un nouvel hypertexte. Car le choix d’un modèle générateur-« géniteur » influe sur la stratégie et l’objectif de sa réécriture. L’oeuvre romanesque d’Amélie Nothomb — plus particulièrement les romans Mercure et Métaphysique des tubes — sert d’exemple pour étudier la réécriture à la fois au féminin et selon le paradigme du récit postmoderne. L’analyse révèle que le recours aux mythes fondateurs, aux « grands » mais aussi aux « petits » récits est au coeur du réécrire au féminin ; les auteures réécrivent, le plus souvent sur un ton ironique, en repensant la matière littéraire canonique.
EN:
This article is a defence and an illustration of the phenomenon of rewriting “in the feminine” as a discursive strategy that manifests itself in the palimpsestual practices of “postmodern” times. It is a reflection on the why and the how of the re-readings in which a large number of 20th century women writers have engaged in order to then re-write an earlier text, or to write this hypo-text differently, or to translate it into a new hyper-text. After all, the choice of “pro-generating” a text always influences the strategy and purpose of writing. The fiction of Amelie Nothomb, more specifically the novels Mercure and Métaphysique de tubes, serve as examples of both rewriting in the feminine and of paradigmatic postmodern writing. My analysis shows that the recourse to foundational myths, to the “great” as well as the “lesser” stories of history, is at the heart of the project of rewriting in the feminine, with the authors most often adopting an ironic tone in the work that rethinks the literary canon.
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La voix du paradis. La québécitude de Jack Kerouac
Carole Allamand
pp. 131–148
AbstractFR:
Après avoir examiné la querelle qui suivit la revendication, par certains, de Jack Kerouac comme auteur québécois, notre article propose une relecture de deux de ses romans — Sur la route (1957) et Visions de Gérard (1958) — qui rattache au mysticisme catholique et au messianisme du « Québec d’en bas », aussi bien qu’à la perte précoce d’un frère, des faits textuels communément imputés à l’idéologie naissante de la « Beat Generation ». C’est le sens du plus célèbre road trip des lettres du xxe siècle que nous voudrions en effet revoir ici, afin de montrer que la trajectoire de l’écriture de Sur la route n’est pas tant le Sud-Ouest que le Nord-Est, c’est-à-dire le Petit Canada de l’enfance de Kerouac et surtout de Gérard, dont la voix française (Gérard ne parlait pas l’anglais !) semble avoir guidé Jack le long de sa route poétique.
EN:
Starting from the much disputed “Quebecois identity” of Jack Kerouac, our article focuses on two of this author’s novels—On the Road (1957) and Visions of Gerard (1958)—in order to reveal a dimension other than, and apparently contradictory to, that of the Beat Generation: the Catholic mysticism and messianism that once characterized the French-Canadian communities of New England. We would like to read the twentieth century’s most famous literary road trip... backwards, to understand it from its point of departure. We argue that the Northeast, and the need to turn one’s back on it, but also the impossibility of leaving it for good, are to be understood in the light of the “Petit-Canada” of Kerouac’s childhood and that of Gerard, Kerouac’s lost older brother whose French words (Gerard died before he could learn English) seem to have guided Jack along his poetic road.
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Laissez-passer pour Le désert de Loti : de la relecture aux frontières de l’altérité et de l’illisible
Rachel Bouvet
pp. 149–168
AbstractFR:
Cet article se propose d’envisager le récit de voyage de Pierre Loti à travers le Sinaï intitulé Le désert dans la perspective de la lecture et de l’altérité. Trois étapes sont distinguées dans ce voyage, au cours desquelles la tension entre soi et l’autre se transforme considérablement. Loin de s’engager tout de suite sur la voie de l’altérité, le périple est tout d’abord ponctué par des références à l’univers judéo-chrétien. Voyager consiste dans un premier temps à relire la Bible, l’Exode en particulier, puis dans un deuxième temps, lors de l’escale au monastère Sainte-Catherine, à voir surgir des images du Christ. La troisième étape occasionne quant à elle une confrontation avec l’altérité. Territoire inaccessible, à la fois physiquement et intellectuellement, la terre musulmane de Pétra ne s’appréhende qu’à travers une gamme d’émotions qui vont de la fascination à l’angoisse « charmante », de la sensation d’oppression à la nostalgie. Le voyageur se heurte aux frontières de l’altérité, au seuil des écritures illisibles. L’examen du laissez-passer révèle en effet la présence d’un malentendu, qui a pour effet d’inscrire l’altérité au coeur même de la lecture du récit. L’espace traversé, le désert, constitue quant à lui une altérité radicale, au même titre que la mort. Si on peut le parcourir, admirer les formes surprenantes dont il se pare, méditer sur le temps des origines auquel renvoie cette écriture de la pierre, du minéral, le désert n’en suscite pas moins une expérience des limites pour l’humain qui, confronté à un espace sans vie, ne peut s’empêcher d’y lire les signes avant-coureurs de sa propre mort.
EN:
This article considers Pierre Loti’s Sinai travel narrative, Le désert, in the light of theories of reading and alterity. Three stages mark an evolution in which the tension between the self and the other changes significantly. Far from being immediately engaged in a dynamics of alterity, the journey is first marked by Judeo-Christian references, the voyage beginning by a rereading of the Bible, especially Exodus. The journey is then marked by a stay at the Ste-Catherine monastery where emerge a number of Christ images. It is in the third stage, beside the Muslim territory of Petra, that a confrontation occurs with alterity. Perceived as an inaccessible territory, Petra is perceived through a full range of emotions ranging from fascination to ‘angoisse charmante’, from the feeling of oppression to nostalgia. The traveller collides with boundaries of alterity, at the threshold of unreadable writing. The study of the ‘laissez-passer’ reveals a misunderstanding that inscribes alterity inside the reading itself. As for the desert, this space crossed, it constitutes a radical alterity, like death. We can cross it, admire its amazing forms, even meditate on the origin and time of the stone writing, but at the same time we can’t escape the foreshadowing signs of death when confronted with this lifeless space. The desert arouses a sense of human limits.