Volume 53, Number 2, 2017 Mettre en livre. Pour une approche de la littérature médiévale Guest-edited by Anne Salamon
Table of contents (8 articles)
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Présentation : mettre en livre. Pour une approche de la littérature médiévale
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La trilogie arthurienne de Robert de Boron et les aléas de la pattern recognition
Patrick Moran
pp. 27–49
AbstractFR:
L’examen de la tradition manuscrite de ce que l’on appelle souvent la « trilogie arthurienne » de Robert de Boron (Joseph d’Arimathie, Merlin et Didot-Perceval) permet de voir comment la critique moderne construit, à partir du donné médiéval, des ensembles signifiants qui courent le risque d’être anachroniques et de ne pas refléter la réalité de la réception médiévale. Dans ses manuscrits, la prétendue trilogie est présentée bien plus souvent comme un binôme Joseph-Merlin, le Perceval n’apparaissant que dans deux témoins fort excentrés ; de plus, ce troisième texte, présenté comme un roman autonome par la critique moderne, ressemble bien plus à une suite du Merlin, annonciatrice peut-être des autres suites que ce roman a reçues dans les années 1230-1250. La différence entre la description trilogique qui est habituellement donnée de cet ensemble romanesque et ses réalisations manuscrites n’est pas qu’une question de chiffrage : elle a un impact important sur la vision que nous avons de l’émergence de la prose autour de 1200, sur le développement de la forme cyclique et sur la postérité littéraire de ces oeuvres. Le but de cet article n’est pas tant de « corriger » la représentation traditionnelle de ces trois textes au profit d’une autre qui serait nécessairement plus correcte, que de mettre en lumière les aléas de la pattern recognition, l’identification de structures, qui est le moyen par lequel le philologue construit son objet, en tamisant des données souvent foisonnantes : le lecteur moderne face à un objet ancien est sans cesse dans un processus de reconstruction et de négociation.
EN:
An examination of the manuscript tradition of what is often called Robert de Boron’s “Arthurian trilogy” (Joseph d’Arimathie, Merlin and Didot-Perceval) helps us see how modern criticism constructs, from medieval data, meaningful structures that run the risk of being anachronistic and not reflecting the reality of medieval reception. In its manuscripts, the so-called trilogy is presented much more often as a binomial Joseph-Merlin, with Perceval appearing in only two very unusual witnessings. Moreover, this third text, presented as an autonomous romance by modern criticism, functions much more like a suite of Merlin, perhaps a forerunner of the other suites this romance received between 1230 and 1250. The difference between the tripartite description usually given and its manuscript realizations is not just a matter of quantification: it has an important impact on our interpretation of the emergence of prose around 1200, of the development of the cyclical form and of the literary posterity of these works. The aim of this article is not so much to “rectify” the traditional representation of these three texts in favour of a more “correct” version, but to highlight the vagaries of pattern recognition, which is the means by which the philologist constructs his object, sifting through a surfeit of data: the modern reader, faced with an ancient object, is in a constant process of reconstruction and negotiation.
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Pour une poétique du blanc : structuration de l’espace textuel et visuel dans la mise en livre médiévale
Anne Rochebouet
pp. 51–75
AbstractFR:
L’espace blanc, envisagé ici comme une surface vide, souvent ignoré, est pourtant un élément essentiel de la structuration et de la mise en texte, en page et en livre à l’époque médiévale. Trois exemples, de la plus petite à la plus grande surface concernée, permettent ici de l’envisager, en présentant des champs de réflexion à développer. Ainsi le blanc entre les mots, réévalué par les linguistes avec notamment les travaux de Nelly Andrieux-Reix et Simone Monsonego, est aujourd’hui considéré comme un outil pour appréhender la conscience linguistique des copistes ; il pourrait ainsi permettre de nouvelles approches dans les manuscrits écrits dans des zones de contact linguistique, comme les manuscrits copiés en Italie. Le trou dans le support manuscrit peut quant à lui être utilisé dans des mises en scène esthétiques et graphiques complexes, qui font écho et dialoguent avec le texte copié autour de lui, comme on le voit dans le Roi Flore et la belle Jeanne, lors de la scène du bain interrompu par Raoul (Paris, BnF, fr. 24430). Enfin, l’utilisation d’espaces blancs et la distribution et l’agencement des éléments sur la page (module des écritures, rubriques, place des illustrations, présence ou non de bouts-de-lignes) dans le Double Lai de fragilité humaine du BnF, fr. 20029 permet à Eustache Deschamps d’infléchir l’un des dispositifs de mise en page utilisés pour les traductions. Il inverse ainsi en partie le statut attendu dans ces mises en page pour les deux textes mis en regard.
EN:
White space, considered here as an empty surface, often ignored, is nevertheless an essential element of structuring and putting into text, page and book in medieval times. Three examples, from the smallest to the largest surface, allow us to understand this, by opening avenues of research to be developed. Thus the white between words, re-evaluated by linguists, particularly through the works of Nelly Andrieux-Reix and Simone Monsonego, is today considered as a tool to apprehend the linguistic consciousness of the scribes. It could permit new approaches to study manuscripts written in areas of linguistic contact, such as manuscripts copied in Italy. The blank in the manuscript material can be used in complex aesthetic and graphic representations, echoing and interacting with the text copied around it, as can be seen in Le Roi Flore et la belle Jeanne, during the scene of the bath interrupted by Raoul (Paris, BnF, fr. 24430). Finally, the use of white spaces and the distribution and arrangement of elements on the page (script sizes, rubrics, placement of illustrations, presence or absence of line-fillers) in the Double Lai de fragilité humaine of manuscript BnF, fr. 20029 allows Eustache Deschamps to reorient one of the layout devices used for translations. It thus reverses in part the expected status for the two texts presented together.
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Perceforest ou cent inscriptions à ponctuer : des manuscrits à l’imprimé de 1528 (Galliot du Pré, Nicolas Cousteau)
Sandrine Hériché-Pradeau
pp. 77–101
AbstractFR:
L’auteur du Perceforest, le plus vaste roman de la littérature médiévale, évoque au cours de la narration des inscriptions qui sont présentées comme des objets épigraphiques retranscrits, ainsi qu’un grand nombre de pièces lyriques prises en charge par des personnages. L’article s’attache à analyser et à comparer, à partir d’exemples précis, le traitement matériel qui est réservé à ces deux catégories d’insertions, en prose comme en vers, dans les manuscrits (Paris, BnF, fr. 345-348, A ; Paris, BnF, fr. 106-109, B ; Paris, Arsenal 3483-3494, C) et dans l’imprimé de 1528 (Galliot du Pré, Nicolas Cousteau). Il démontre que les inscriptions en prose font l’objet d’une présentation plus variée et souple dans les manuscrits grâce au recours à un plus large éventail de ponctèmes. Il met aussi en évidence le fait que les copistes n’ont pas l’habitude de souligner avec les mêmes indices matériels les insertions versifiées selon qu’il s’agit d’une inscription ou d’une pièce lyrique, même si la présentation des inscriptions en vers dans certains manuscrits tels que celui de Jacques d’Armagnac (Paris, BnF, fr. 107) confirme l’idée que la ponctuation peut être conditionnée par un facteur décoratif. Les inscriptions en vers et les lais lyriques font en revanche l’objet d’une mise en page et en espace strictement identique dans l’imprimé. Cette égalité nouvelle de traitement peut être l’indice que prime désormais, au début du xvie siècle, le caractère formel, et non sémantique, des inscriptions en vers qui sont perçues comme des monuments pérennes.
EN:
The author of Perceforest, the longest romance of medieval literature, evokes throughout the narrative inscriptions which are presented as transcribed epigraphic objects, along with numerous lyrical interludes assumed by the characters. Drawing on specific examples, this article analyzes and compares the material treatment given these two categories of insertions, in prose as in verse, in the manuscripts (Paris, BnF, fr. 345-348, A; Paris, BnF, fr. 106-109, B; Paris, Arsenal 3483-3494, C) and in the printed book from 1528 (Galliot du Pré, Nicolas Cousteau). It demonstrates that prose inscriptions are the subject of a more varied and flexible presentation in the manuscripts through the use of a wider range of punctuations. It also highlights the fact that scribes are not in the habit of emphasizing versified inscriptions with the same material indications when dealing with an inscription or a lyrical piece, even if the visual presentation of the inscriptions in verse in some manuscripts, such as that of Jacques d’Armagnac (Paris, BnF, fr. 107), confirms the idea that punctuation can be conditioned by decorative purposes. On the other hand, inscriptions in verse and lyrical lays receive exactly the same special attention and layout in manuscripts and in the printed book. This new equality of treatment suggests that in the early 16th century the formal character of verse inscriptions, perceived as perennial monuments, took precedence over their semantic aspects.
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Lire, écrire et transcrire en strophe d’Hélinand : un art poétique visuel dans le manuscrit BnF, fr. 2199
Ariane Bottex-Ferragne
pp. 103–130
AbstractFR:
Cet article poursuit le double objectif de fournir une analyse du manuscrit BnF, fr. 2199 et de poser certains fondements à une poétique de la réception des littératures médiévales en strophe hélinandienne (8aabaabbbabba). Exclusivement composé de poèmes adoptant ce modèle strophique (Miserere et Carité du Reclus de Molliens, Vers de la mort d’Hélinand de Froidmont), ce recueil de la fin du xiiie siècle présente une diversité d’interventions graphiques qui tendent à rehausser, chacune à leur manière, les caractéristiques formelles des textes qu’il contient. À ce titre, il fournit une occasion privilégiée d’interroger la réception du corpus hélinandien à la lumière des éléments de forme qui ont pu attirer l’attention du lectorat médiéval. Il s’agira dès lors d’aborder la mise en livre singulière de cet ouvrage comme une sorte d’« art poétique visuel » qui permettra, à terme, de pallier certaines lacunes de la documentation textuelle consacrée à ce corpus.
EN:
The aim of this article is to provide an analysis of codex BnF, fr. 2199, while also laying the ground for a poetics of reception focused on medieval literary works that were written in helinandian stanzas (8aabaabbbabba). Dated from the end of the 13th century, and entirely composed of poems following this specific stanzaic formula (Reclus de Molliens’ Miserere and Carité, Helinand de Froidmont’s Vers de la mort), this manuscript is filled with a variety of graphic interventions which tend, each in their own way, to enhance the formal features of the texts copied in the codex. As such, this book offers us the rare opportunity to learn about the reception of helinandian poems by using the formal elements that might have been of some importance for the medieval readership. The intent of this study is therefore to interpret this unique codex as a kind of “visual ars poetica,” which will eventually allow us to remedy some of the deficiencies of the textual sources that mention these specific poems.
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Un roman dont il n’y a rien à dire : la mise en livre de Méraugis de Portlesguez dans le manuscrit de Vienne ÖN 2599
Isabelle Arseneau
pp. 131–151
AbstractFR:
L’examen comparé des manuscrits qui ont conservé le roman de Méraugis de Portlesguez de Raoul de Houdenc (v. 1225-1235) tend à suggérer qu’il y aurait autant de versions de cette oeuvre qu’il y a de copies. Dans le manuscrit de Vienne ÖN 2599 – un livre du second quart du xive siècle qui se distingue fortement de la tradition manuscrite des romans arthuriens en vers par sa facture (un luxe rare) et sa composition (une oeuvre unique) –, les variantes sont à ce point nombreuses que leur collationnement semble témoigner de la volonté de proposer un roman différent de celui conservé dans les recueils du Vatican (Reg. Lat. 1725) et de Turin (BUN, L.IV 33). Les interventions du scribe visent autant le texte que le péritexte : s’il corrige le style, la thématique et le dispositif narratologique disloqués que l’on associe à l’écriture de Raoul de Houdenc, il propose également un prologue et un programme iconographique qui réorientent le roman vers le didactisme plutôt que vers le divertissement, visée qui était classiquement la sienne. Dépouillé de sa dimension contestataire (antiromanesque), le roman obtenu à force d’ajustements qui trahissent l’oeuvre telle qu’elle a été conservée dans les autres codices semble fournir un exemple de rupture entre la sphère du roman critique (destiné au plaisir intellectuel des clercs) et celle du roman « plaisant » (destiné plutôt à l’usage de la cour).
EN:
A comparative examination of the manuscripts which have preserved the romance of Méraugis de Portlesguez by Raoul de Houdenc (ca. 1225-1235) suggests there are as many versions of this work as there are copies. In the manuscript now stored at the Austrian National Library in Vienna (ÖN 2599)—a book (“livre,” l. 5893) from the second quarter of the 14th century that departs notably from the manuscript tradition of Arthurian verse romances in its construction (of rare luxury) and composition (a single work)—the collation of the substantial amount of textual variants seems to demonstrate the desire to present a different romance from the one preserved in the Vatican (Reg. Lat. 1725) and the Torino (BUN, L.IV 33) collections (“recueils”). The scribe’s interventions affect both the text and the peritext. On the one hand, he corrects the “disjointed” style, themes and narrative devices we associate with Raoul de Houdenc’s writing; on the other hand, he proposes a prologue and an iconographic program that both reorient the romance towards didacticism rather than towards entertainment, a goal more commonly and traditionally associated with verse romance. The resultant work appears to be an example of rupture between the sphere of the “critical romance” (intended for scholars and clerics) and the entertaining romance (mostly enjoyed at court).
Exercices de lecture
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Les enfants terribles de Cocteau et l’Ancien Testament
Johanne Bénard
pp. 155–169
AbstractFR:
Je propose dans cet article de relire une scène canonique des Enfants terribles de Jean Cocteau, un roman au riche réseau intertextuel dont on a reconnu déjà (depuis sa parution, chez Grasset, en 1929) les nombreux emprunts au mythe, à la tragédie et à la poésie. Je montre ainsi que la scène où Élisabeth gave son frère endormi avec des écrevisses n’est pas à interpréter seulement par rapport à une symbolique du rêve, mais également par rapport aux interdictions du Lévitique, qui circonscrivent de manière très imagée les oppositions du pur et de l’impur. En faisant intervenir la théorie de Julia Kristeva sur l’abject, qui se réfère aux travaux anthropologiques de Mary Douglas sur la souillure, je suggère que cette scène centrale des Enfants terribles plonge au coeur de l’inceste dans sa version la plus archaïque. L’intertexte biblique de l’Ancien Testament révélerait donc chez Cocteau le sens caché de l’inceste, qui concerne tout autant la relation impure du frère et de la soeur que l’inceste avec la mère, « mythème originaire du texte biblique » selon Kristeva. De même, l’interdit alimentaire biblique mis au premier plan dans cette scène ne serait pas là seulement pour signaler l’inceste, mais la différenciation même du pur et de l’impur à la base de la « cohérence de la structure culturelle », qui a été démontrée par Mary Douglas. Alors que dans l’édition critique de ce roman dans la Pléiade (en 2006), Serge Linares cherche à atténuer le rapport du roman à la perversion (qui serait selon lui contrebalancé par son rapport à la poésie), je montre quant à moi que si nous sommes dans l’impur chez Cocteau, c’est d’abord parce que nous sommes dans l’ordre de l’hybride, de l’inclassable, de l’indifférencié.
EN:
In this article I propose to do a close reading of a canonical scene of Les enfants terribles, by Jean Cocteau, a novel with a rich intertextual network that has been already recognized (since its publication by Grasset, in 1929) for its numerous borrowings to myth, tragedy and poetry. I show that the scene where Elisabeth force-feeds her sleepy brother with crawfish could not only be interpreted in relation to the dream symbolism, but also in relation to the prohibitions in Leviticus, which imaginatively define the opposition between purity and impurity. Drawing from Julia Kristeva’s theory of abject, which refers to Mary Douglas’s anthropological essay on defilement, I suggest that this central scene in Les enfants terribles gets us to the heart of incest in its more archaic version. Therefore, the biblical intertext of the Old Testament could illustrate in Cocteau the hidden meaning of incest, which concerns the impure relationship between the brother and the sister as much as the incest with the mother, an original mytheme of the biblical text according to Kristeva. Also, the dietary laws of the Bible featured in that scene would not only highlight the incest, but the difference between purity and impurity, which is the basis of the cultural structure’s coherence, as shown by Mary Douglas. While Serge Linares, in his scholarly edition of the novel in Pléiade (2006), seeks to diminish the novel’s relationship with perversion (which would be for him counterbalanced by its relationship with poetry), I would like to argue that if we are in the domain of the impurity in Cocteau, it is mostly because we are in the domain of the hybridity, the unclassifiable, the undifferentiated.
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Esquives, pièges et désaveux : les « Anti-confessions » de Nelly Arcan et d’Anne Garréta
Marie-Chantal Killeen
pp. 171–187
AbstractFR:
« [O]n va leur montrer nos sextes ! » Depuis quarante ans déjà, les écrivaines et réalisatrices de langue française ont répondu en grand nombre à ce cri de ralliement lancé naguère par Hélène Cixous dans son essai « Le rire de la Méduse ». Dans des oeuvres bien souvent provocatrices – où il est question, entre autres, de pratiques sadomasochistes, d’échangisme, de prostitution, de viol, d’inceste –, il importe manifestement d’arracher au silence les expériences les plus diverses de la sexualité féminine. Malgré les accusations de nombrilisme et d’exhibitionnisme que la critique dirige parfois contre ces récits d’aveu, il est d’usage d’interpréter ceux-ci comme signes d’une audacieuse expression de soi et d’une émancipation collective toujours croissante. C’est dans la transgression des tabous, aussi bien que dans l’affranchissement des carcans patriarcaux et hétéronormatifs, que cette entreprise puiserait à la fois sa force personnelle et sa légitimité politique. Les deux oeuvres autofictionnelles sur lesquelles je me concentre ici s’inscrivent toutefois en faux contre cette tendance dominante. Car si Nelly Arcan et Anne F. Garréta se prêtent à des confidences intimes dans Putain (2001) et Pas un jour (2002), c’est pour mieux désavouer la littérature d’aveu. Toutes deux reprennent à leur compte la thèse de Michel Foucault selon laquelle la sexualité, loin d’être sujette à la répression et à la censure, représente à l’âge moderne une source intarissable du discours. Nous serions en définitive constamment adjurés de parler du désir et du plaisir sexuels, l’« ironie de ce dispositif », notait Foucault, étant de « nous fai[re] croire qu’il y va de notre “libération” ». Arcan et Garréta engagent dès lors à se demander si l’injonction actuelle au dévoilement ne relève pas d’une forme insoupçonnée de coercition. En traquant deux des motifs qui animent leurs textes – le scandale dans Putain, la déprise dans Pas un jour –, cette étude s’attache à montrer comment ces oeuvres se constituent en anti-confessions.
EN:
“We will show them our sexts!” Ever since Hélène Cixous’s battle cry in “The Laugh of the Medusa” (1975), female writers and filmmakers have set about doing just that. Dealing with such subversive and sexually explicit topics as sadomasochistic practices, partner-swapping, prostitution, rape and incest, they have tended to emphasize first and foremost the importance of self-expression and the need to break the silence surrounding women’s most diverse sexual experiences. Despite accusations of narcissism and exhibitionism which are sometimes levelled against them, these works are commonly hailed as bold signs of women’s coming to voice and of their collective emancipation from heteronormative patriarchy. The works discussed in this article, Nelly Arcan’s Putain and Anne F. Garréta’s Pas un jour, take issue with these assumptions. Whilst initially masquerading as “confessional” works, these texts seek to challenge the premises of the confessional genre. Their position chimes with Michel Foucault’s claim in The History of Sexuality, namely that sexuality in the modern age, rather than being subject to censorship and repression, has in fact produced a “veritable discursive explosion.” We are, it would seem, constantly compelled to speak about sex, the irony of such an imperative being that we conceive of it as a form of liberation. Arcan and Garréta call on us to question whether the current trend of confessional writing by women and its emphasis on disclosure does not constitute yet another form of coercion. Focusing here on two central motifs—scandalous repetition in Arcan, ironic detachment in Garréta—I examine some of the key strategies mobilized in their “anti-confessions.”