FR:
Au-delà des typologies et des structures formelles, l'histoire de la famille doit appréhender la dynamique sociale en tant que telle, les relations concrètes entre les acteurs, à partir desquelles on peut reconstruire la vie collective à divers plans, économique, social aussi bien que culturel. A cette fin, le présent article voudrait suggérer quelques lignes directrices, en référence avec la notion de dynamique communautaire. Il est remarquable que celle-ci se manifeste aussi bien à la ville qu'à la campagne, à des périodes et dans des contextes très divers de marginalisation ou de rupture qui sont ici évoqués. Elle imprime à la famille et à la société environnante (rang, paroisse ou quartier) une image de repli qui est l'objet de quelques équivoques et qui appelle une nouvelle réflexion sur le problème du changement social. Pour ce qui concerne en particulier les sociétés rurales mal intégrées aux circuits d'échanges extra-régionaux, on peut faire valoir que :
La vigueur des solidarités communautaires peut être imputée, à tort, à une « dysfonction », une sorte de résistance irrationnelle (sinon déraisonnable) qu'oppose la culture rurale « déphasée » à des formes dominantes à caractère « moderne », alors qu'elle doit être directement rattachée à un contexte de marginalité créé par ailleurs : c'est parce qu'elle est ainsi marginalisée que cette société s'en remet à des réseaux locaux d'échange et d'entraide ; par suite, ces conditions favoriseront l'émergence d'une culture réfractaire, axée sur la survivance et la préservation d'une certaine autonomie.
Loin d'être combattues par l'économie dominante (capitaliste ou autre) comme des survivances nuisibles, ces formes sociales et culturelles sont souvent utilisées à son profit, ce qui contribue à les perpétuer.
Le type d'économie associé à la dynamique communautaire obéit davantage à des impératifs sociaux qu'à la recherche du profit.
Les solidarités de parenté et de voisinage ne sont pas restreintes à des communautés ou populations dites locales ; on peut montrer qu'elles se déploient au contraire à l'échelle nationale et internationale, par le biais de filières migratoires.
Elles ne sont pas non plus synonymes d'enracinement ou de stabilité. Non seulement ces solidarités résistent à la mobilité géographique, mais il arrive qu'elles s'affermissent précisément là où l'instabilité est la plus forte - par exemple dans les régions de colonisation du Québec, au 19e siècle.
Il est nécessaire d'appréhender la culture de ces sociétés rurales de l'intérieur, afin de reconstituer la logique qui lui est propre. Vue sous cet angle, celle-ci paraît se structurer moins comme un refus ou une résistance que comme une culture de la solidarité, pénétrée du respect des hiérarchies internes, des valeurs de réciprocité et de la fidélité au groupe.
Un modèle de ce genre trouve un terrain d'application évident dans le cas des sociétés rurales québécoises. Mais la société urbaine n'y échappe pas non plus tout à fait, dans la mesure où, de diverses façons, la société québécoise dans son ensemble s'est constituée comme marginalité.
EN:
Beyond typologies and structures, family history must apprehend social dynamics, the basic relationships between actors from which one can reconstruct the life of a community at several levels: economic, social, cultural, etc. With this end in view, this paper presents some broad lines describing community dynamics. It is remarkable to see it appear in rural parishes as well as in cities, in varied times and contexts characterized by marginalization, instability or social and political disruption. However, these dynamics are very often confused with conservatism and backwardness, hence this attempt for a more appropriate conceptualization of social change, particularly in those rural societies which are poorly integrated into the market. In this case, the paper argues that:
The strength of the community life must not be attributed to a basic “dysfunction” or any irrational opposition to “modern progress”. Rather, it has to be related to specific historical conditions. As a result of isolation, it happens that a society must draw on local exchange and mutual aid which, in turn, stimulate the rise of a community culture focusing heavily on survival, interdependence, self-identity and autonomy.
Far from being universally destroyed by the dominant or “central” economies (capitalistic or other), these social and cultural “traditional” forms are used by them and, that way, can survive if not expand.
The economy associated with community life is socially governed rather than profit-oriented, as has been now recognized quite widely.
Contrary to a common belief, kinship ties are not restricted to “local” collectivities but stretch across regions and states, through family and parish migration networks.
Kinship ties and family cohesiveness do not mean geographic stability. Not only do they survive mobility but they even get stronger when physical instability increases - as it does in Québec frontier regions during the 19th century.
In order to reconstruct the dynamics of rural societies, it is necessary to investigate them “from within”. Then their basic characteristics may be brought out and analysed in a more positive way.
For reasons that are outlined here, a community life model may prove useful to understand past rural societies in Québec. Actually, even cities do not completely escape this approach, since major segments of the Québec society as a whole developed as margins in a broader social and cultural environment.