Number 2, Fall 2003 Raconter Telling Guest-edited by James Cisneros and Michèle Garneau
Table of contents (13 articles)
Raconter / Telling
-
Présentation — Ce qui reste…
-
La symphonie-histoire d’Alfred Schnittke : intermédialité, cinéma, musique
Johanne Villeneuve
pp. 11–29
AbstractFR:
Cet article propose, dans un premier temps, une définition de l’intermédialité fondée sur les « qualités médiatiques ». Dans un deuxième temps, il prend pour exemple la Symphonie nº 1 d’Alfred Schnittke, composée à partir d’archives cinématographiques du XXe siècle. La complexité archéologique du travail musical de Schnittke tient à deux effets qui ne sont pas étrangers l’un à l’autre : le sens de l’intrigue qui pénètre ces compositions musicales, et la dimension archivistique qui, de la matérialité des films en tant que « documents de travail », passe dans la musicalité. Ce travail s’organise autour de deux axes narratifs : une impossible histoire de la musique en miroir d’une impossible histoire humaine; une mise en intrigue intermédiatique et souterraine dont le pôle d’attraction est l’indescriptible événementialité de la Seconde Guerre mondiale. Le croisement de la narrativité musicale et de la narrativité cinématographique y fait apparaître des « enchantements » qui tiennent aux « traces de l’oralité », soit aux qualités médiatiques du son et à la performance des corps. La narrativité historique se trouve alors critiquée et renversée par la transfiguration vivante de la technique.
EN:
This article first proposes a definition of intermediality based upon the idea of “mediatic qualities”. Secondly, it takes as an example Alfred Schnittke's 1 st Symphony, composed from film archives of the 20th century. The archaeological complexity of Schnittke's musical work rests upon two effects that are not foreign to each other: the sense of plot that penetrates his musical compositions, and the archival dimension that, considering the materiality of films as “work documents” passes into the musicality. This work is organised along two narrative axis: an impossible history of music which mirrors an impossible human history; an intermediatic and underground narrativization who's attractive pole is the indescribable event of the Second World War. The cross-cutting of musical narrativity and cinematographic narrativity produce “enchantments” that depend on “traces of orality”, i.e. the mediatic qualities of sound and the body's performance. Historical narrativity is hence criticized and subverted by the live transfiguration of technique.
-
Telling versus Counting? A Media-Archaelogical Point of View
Wolfgang Ernst
pp. 31–44
AbstractEN:
There is an epistemological tension between the cultural practices of telling and counting; this tension can be seen as a function of mediatic conditions. The thesis of the following essay is a de-mystification of the digital age, a kind of media-archaeological amnesia: the numerical, which is the basis of digital technologies, has always been performed as a cultural practice of mediating reality. While story-telling has been successful on the discursive surface, an alternative way of processing the real has always been at work before it became technically materialized. To tell, after all, does not only mean “to give an account in speech or writing of events or facts”, but as well “to count things”. Rather than attempting a linear chronological trajectory, the historical relation in history between telling and counting might be described as reconfigurations according to different media.
FR:
Il existe une tension épistémologique entre raconter et compter, et cette tension pourrait être perçue comme reposant sur des conditions médiatiques. La thèse que défend cet article est une dé-mystification de l’ère digitale, une sorte d’amnésie média-archéologique : le numérique, qui fonde toute les technologies digitales, a toujours été mis de l’avant comme une pratique culturelle de médiatisation de la réalité. Alors que l’acte de conter a été efficace sur le plan discursif, une autre façon d’aborder et de traiter la réalité a toujours déjà été mise en oeuvre avant d’être techniquement matérialisée. Raconter, après tout, ne veut pas seulement dire « rendre compte oralement ou par écrit d’une série d’événements ou de faits », mais renvoie également au fait de « compter ». Plutôt que de tenter une trajectoire chronologique linéaire, la relation historique qui lie « raconter » et « compter » pourrait être décrite à partir de reconfigurations dépendant de différents médias.
-
Le secret du raconteur
Marie-Pascale Huglo
pp. 45–62
AbstractFR:
À partir d’une interrogation sur le temps du récit raconté, l’article trace les contours de ce que l’on pourrait appeler la présence narrative. Loin d’être une simple question de temps verbal, la présence narrative implique une mémoire complexe que le raconteur tresse sous un mode spécifique, celui du secret. Il s’agit donc d’examiner les liens entre récit, mémoire et secret, pour ensuite proposer une lecture de L’appareil-photo de Jean-Philippe Toussaint. L’hypothèse suivant laquelle la mémoire à l’oeuvre dans le récit de Toussaint est non seulement littéraire mais aussi cinématographique ouvre à l’idée d’une mémoire non seulement intertextuelle mais aussi intermédiale (ce qui veut dire que les qualités propres à un médium donné peuvent se déplacer d’un milieu à un autre); quant au secret, il débouche sur un questionnement des mutations contemporaines du récit dans le milieu hypertextuel en pleine expansion.
EN:
This paper focuses on what we could call narrative presence. Far from being only a matter of verbal tense, narrative presence involves a complex memory that the teller recollects in a specific way: that of the secret. What is at stake, therefore, is the close relationship between story, memory and secret. A reading of Jean-Philippe Toussaint's L’appareil-photo will enable us to explore these relationships. Indeed, L’appareil-photo introduces the idea that narrative memory is not only intertextual but also intermedial (which means that given “medial” qualities can migrate from one medium to another); as far as secret is concerned, it leads us to ponder over recent narrative mutations related to the expansion of hypertext.
-
Raconter : témoigner face au silence de la langue
Esther Cohen
pp. 63–76
AbstractFR:
Cet article aborde le problème de la crise de la narration qui se produit pendant la Première et Seconde Guerres mondiales, en s’appuyant sur les oeuvres de Primo Levi et Paul Celan, afin de déceler la réponse stratégique que l’on peut donner à cette crise. Leur réponse consiste en un « amenuisement de la langue » qui s’oppose à « l’abréviation du langage » propre au totalitarisme nazi.
EN:
This article deals with the problem of the crisis of narration after the First and Second World Wars. The thesis is supported by the reading of Primo Levi's novels and Paul Celan's poetry, in order to see the strategic response they give to this crisis. Their answer consists in a “thinning down” of the language, versus the “abridgement” of the language in totalitarian nazism.
-
Des diables au seuil de la conscience moderne : raconter l’expérience de soi dans un fragment des Mémoires de Retz
Bruno Tribout
pp. 77–99
AbstractFR:
Cet article tente d’éclairer un aspect de l’invention de la conscience moderne à travers l’analyse détaillée d’un fragment des Mémoires de Retz (1613-1679). Parce qu’elle connaît d’importantes mutations à l’époque moderne, l’expérience de soi est médiatisée par d’intéressants dispositifs narratifs : ici, de façon originale, Retz fait entrer les diables dans un processus de figuration de l’espace intérieur. Ainsi, « l’anecdote des capucins noirs » se présente comme le récit allégorique d’une quête initiatique, dont le terme est atteint grâce au dispositif oculaire qui « révulse » le regard et nous fait déboucher dans ce nouveau milieu entre le monde et soi qu’est la conscience. Prisonnière de ses propres images du monde et repliée sur elle-même, la conscience moderne n’apparaît pourtant pas comme une conscience malheureuse, car son isolement lui impose la tâche, infinie mais joyeuse, de se raconter elle-même par le truchement des images.
EN:
Through a detailed analysis of an excerpt taken from Cardinal de Retz's Mémoires (1613-1679), this article attempts to illuminate an aspect of the invention of modern consciousness. As it underwent profound alteration in early modern times, the experience of the self is expressed via interesting narrative devices: in this text, Retz uses the figure of devils to produce a figuration of inner space. Thus, the anecdote of the capucins noirs appears as the allegoric narrative of an initiatory quest. The revelation is finally given by means of an ocular device which turns our glance upside down and shows the consciousness as a new milieu between the world and us. Trapped in its own images and cut off from the outside world, modern consciousness is not yet a “sad consciousness”, because its isolation brings about the task, endless but joyous, to tell oneself in the interplay of images.
-
La technique et son récit. Petite histoire de l’histoire de la photographie
André Gunthert
pp. 101–114
AbstractFR:
Comment s’élabore le récit d’une pratique technique? En analysant l’émergence précoce d’une historiographie de la photographie, l’auteur propose de voir dans la construction du récit l’une des conditions de sa reconnaissance culturelle. Après l’examen des raisons contingentes expliquant la création immédiate d’une légitimité historique, puis du tournant institutionnel des années 1850, cet article met en lumière le rôle joué par la naissance d’un genre, l’histoire des inventions. Grâce au croisement du génie narratif d’un des principaux vulgarisateurs du XIXe siècle, Louis Figuier, avec le succès d’une entreprise éditoriale ponctuelle, la photographie se voit intégrée au corpus des connaissances utiles et dotée d’une légende qui la rapproche des grandes innovations de la période.
EN:
How is the narrative of a technical practice elaborated? By analysing the early emergence of a historiography of photography, the author proposes to see in the construction of this narrative a condition for the cultural recognition of photography. After an examination of the contingent reasons that explain the creation of an immediate historical legitimacy, and of the institutional turn of the 1850's, this article sheds light on the role played, within this process of legitimation, by the birth of a new genre: the history of scientific inventions. Benefiting from the narrative genius of one the major scientific popularizers of the 19th century, Louis Figuier, and the success of a punctual editorial enterprise, photography saw itself incorporated within the corpus of useful knowledge and endowed with a legend that likened it to the great innovations of the period.
-
How to Watch the Story of Film Adaptation. Cortázar, Antonioni, Blow-Up
James Cisneros
pp. 115–131
AbstractEN:
A brief heuristic survey of research on the adaptation of literature to film shows that it has consistently given priority to the narrative of the classical cinema, effacing the media's respective material support as well as its place in a history of visual regimes. Instead of following this institutional comparative paradigm, with its implications for agency and reception, this article develops an approach to adaptation that places the media's technologies at the center of the storytelling process. A case study of Cortázar's short story “Las Babas del Diablo” and Antonioni's film Blow-Up, it focuses on how each of these nearly theoretical texts outlines the kind of story that pushes its own discursive processes into the foreground.
FR:
Un coup d’oeil heuristique sur le champ de l’adaptation de la littérature au cinéma montre qu’un grand nombre d’études donnent la priorité à la narration du cinéma classique, tout en effaçant le support matériel du médium ainsi que sa place dans une histoire des régimes visuels. Plutôt que de suivre ce paradigme comparatif institutionnel, avec ses notions restreintes d’action (agency) et de réception, le présent article élabore une approche de l’adaptation qui situe les techniques des médias au centre de ce qui est raconté. Cette étude de cas se penchera sur « Las Babas del Diablo » de Cortázar et son adaptation cinématographique, Blow-Up d’Antonioni, afin d’ébaucher ce type de récit qui s’attarde à montrer ses propres opérations discursives.
-
L’image du trépas
Michèle Garneau
pp. 133–153
AbstractFR:
Comment la narration de la mort d’un homme au cinéma peut-elle devenir la célébration de l’image elle-même, de sa puissance de résurrection? Cet article propose une lecture du Goût de la cerise du cinéaste iranien Abbas Kiarostami, dont la narration conduit le spectateur au seuil du visible, dans une image qui — telle est l’hypothèse ici proposée — est l’image même du spectateur que souhaite Kiarostami : celui qui, fermant les yeux sur les images qu’on lui propose, se raconterait son propre au-delà à même la finitude de l’image cinématographique.
EN:
How can the filmed story of a man's death become the celebration of the image itself, of its peculiar power of resurrection? This article proposes a reading of Abbas Kiarostami's Taste of Cherry, a film whose narration guides the viewer towards the threshold of the visible which, as we argue, is an image of the filmmaker's own ideal spectator: a spectator who, eyes closed, would use the cinematographic image to tell the story of his or her own beyond.
Artiste invité / Guest Artist
Hors-dossier / Miscellaneous
-
Why Intermediality — if at all?
Hans Ulrich Gumbrecht
pp. 173–178
AbstractEN:
As much as the concept of intertextuality has known a great success within social sciences because it represented the closure of a conception of the world understood as readable, in the same way, intermediality will have a true reach only if it permits us to liberate ourselves from this model and open a new array of problematics. Through this rapid reconstruction of conceptual paradigms, what is at stake is the possibility of rethinking medias outside of the procedures of hermeneutics and the sole universe of significance.
FR:
Autant le concept d’intertextualité avait connu un grand succès dans les sciences humaines parce qu’il constituait le parachèvement d’une conception du monde comme lisible, autant l’intermédialité n’aura vraiment de portée que si elle nous permet de sortir de ce modèle et d’ouvrir des problématiques inédites. En reconstruisant à grands traits ces paradigmes conceptuels, il s’agit de savoir comment repenser les médias hors des procédures herméneutiques et du seul univers de la signification.