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Dans A Philosophical Disease, la question posée est celle de savoir comment nous pouvons penser la complexité des situations éthiques. Pour Elliott, il s’agit de penser la bioéthique en dehors des théories philosophiques systématiques, en dehors de la médecine, en dehors du droit et de la religion. Ces pratiques et le vocabulaire qui s’y rattache fournissent autant des réponses toutes faites que des fausses réponses. Mais ces savoirs ne pensent pas. Pour Elliott, qui s’inspire de Rorty, il faut penser la complexité des questions éthiques sans le recours à l’objectivité, en mettant en évidence le caractère culturel et historique des concepts qu’on utilise pour juger.
S’il faut se méfier du vocabulaire juridique, médical et scientifique, il faut aussi être prudent envers le vocabulaire séculaire du libéralisme démocratique. Il représente le même danger : ne pas penser. Lorsque se crée un consensus sur le fait que nous ne pouvons pas imposer aux autres nos idées touchant le sens de la vie, nous courons le risque d’ignorer les autres. C’est un vocabulaire très pragmatique et fonctionnel, mais c’est aussi un vocabulaire incapable d’exprimer un sens profond de la vie et qui encourage du même coup chacun à demeurer sur ses positions.
Que cela soit en raison du vocabulaire séculier du libéralisme démocratique, du vocabulaire objectif du droit et de la médecine ou encore du vocabulaire abstrait de la philosophie systématique, Elliott, en s’inspirant de Wittgenstein, considère que la bioéthique est une maladie philosophique. Les mots et les concepts de la bioéthique sont devenus inadéquats pour penser notre réalité. Ces mots et ces concepts sont issus d’un contexte singulier, d’une forme de vie bien précise qui n’existe plus. Malheureusement, on continue de les appliquer à d’autres contextes ou à tous les contextes, de sorte que toute la bioéthique est construite sur un malentendu, sur une confusion qui permet à des humains d’agir selon des principes très nobles sans pour autant agir correctement. En séparant ces principes de leur contexte historique et culturel, il devient possible d’instrumentaliser la bioéthique, et dès lors de manipuler et de mentir. Pour guérir de cette maladie philosophique, il ne s’agit pas de chercher l’objectivité, mais la solidarité (Rorty), l’enchevêtrement des perspectives. Il faut multiplier les exemples, les perspectives. Comment penser la pratique de la bioéthique sans la présence d’une théorie éthique ? Autrement dit, est-il possible de penser d’une manière philosophique le sens de la vie de même que la situation de la vie humaine en relation avec les autres vies humaines et en relation avec les institutions de la médecine une fois qu’on a abandonné les « grandes explications » ?
En multipliant les exemples, les formes de vie possibles, l’éthicien déconstruit les concepts, en saisit l’origine et les limites. Il rend explicites et intelligibles nos pratiques, l’usage que nous faisons de nos concepts. Dès lors, l’éthicien n’est pas un fonctionnaire s’assurant qu’un individu obtienne ce qu’il pense être le meilleur pour lui dans un monde où tous et chacun sont des étrangers. Malheureusement, les éthiciens sont justement des fonctionnaires qui, en tentant de fournir une description objective d’un dilemme éthique, reproduisent les conditions qui créent un besoin d’éthique. La question n’est pas tant de savoir ce qu’il est bien ou pas de faire dans une situation donnée, mais de réfléchir sur le sens de la vie, sens qui ne peut être formulé dans une théorie éthique. Ce faisant, l’éthicien n’est pas là pour appuyer la profession médicale et les institutions médicales, mais pour favoriser un récit dans lequel chacun peut prendre la parole et exprimer sa perspective sur le sens de la vie. Ce livre d’Elliott illustre bien à quel point la pensée de Wittgenstein peut nous être utile lorsque vient le temps de réfléchir sur la bioéthique et sur la médecine.