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À l’instar du xve siècle italien (Quattrocento) et du xvie espagnol (Siglo de Oro), le xviie siècle français constitue sans conteste, tout en étant bien français, un des points forts absolus dans l’Histoire de la Culture Occidentale et de la Culture Universelle. Par sa vigueur extraordinaire (on ne l’appelle pas sans raison le Siècle des Querelles), par la diversité de ses excellences et surtout par la qualité exceptionnelle de ses représentants, le siècle de Louis XIV s’impose naturellement à tout qui se montre intéressé par l’étude diachronique d’un domaine particulier du savoir et du savoir-faire humain. Ce fut le temps où « un duc de la Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, au sortir de la conversation d’un Pascal et d’un Arnauld, allait au Théâtre de Corneille » (Voltaire).
Dans son ouvrage sur la traduction en France à l’époque classique, le professeur C. Balliu poursuit un triple but : étudier la traduction du règne de Louis XIV dans un cadre de globalité politique, économique, religieuse, civile, juridique et artistique ; réfléchir sur la traductologie en tant que dimension et développement linguistiques et littéraires (la traduction comme activité linguistique et littéraire) et, surtout, analyser la spécificité intellectuelle de la traduction (traductologie). En effet, on a pratiquement tout dit sur le xviie siècle, sauf peut-être sur la traduction. Or, dans la réalité, tous les aspects de la traduction y ont été mis à l’honneur, la pratique d’abord, mais aussi l’enseignement, la réflexion et le débat.
Sur le plan théorique, le professeur Balliu, partisan convaincu de Georges Mounin (il lui emprunte notamment l’image de la transparence), considère que le débat littéralité vs fidélité est essentiellement et avant tout un faux débat. Il n’y a pas d’incompatibilité (antinomie) (p. 23) entre beauté et fidélité. Au xviie siècle, écrivains et traducteurs se rencontrent et parlent le même langage. Que se soit à l’Académie ou dans les salons. Même l’opposition entre Académie et Jansénisme n’est qu’un leurre (p. 23-24).
L’approche du professeur Balliu est en même temps chronologique et thématique. En partant de Claude de Seyssel, le grand traducteur de Louis XII, d’Etienne Dolet, le « premier » traductologue français, de l’opposition Marot-du Bellay, du traducteur Vaugelas et de Jacques Amyot (le legs du passé) il débouche finalement sur Antoine Galland, le traducteur des Mille et une Nuits (1704) qui clôture le Grand Siècle. À l’intérieur de celui-ci l’auteur analyse attentivement l’état de la traduction par rapport à la qualité diachronique de la langue française, la préciosité, la réflexion traductologique, la querelle des Anciens et des Modernes, Port-Royal et l’enseignement (l’École des enfants de langues).
Parmi les nombreux axes de réflexion qu’on peut trouver dans ce livre très bien présenté et rédigé, je voudrais en relever trois : le problème de la fidélité, l’importance de Port-Royal et l’amour de l’expérience orientaliste.
En traduction, le seul problème (ou s’agit-il tout simplement d’un élément définitoire ?) est celui du rapport avec l’original (Mounin, 1955 : Tous les arguments contre la traduction se résument en un seul : elle n’est pas l’original) (p. 17). Aussi la fidélité est-elle une des constantes de l’activité traduisante et traductologique de l’époque classique. Un des épisodes-clés de la querelle des Anciens et des Modernes n’est-il pas lié aux traductions d’Homère de Mme Dacier, savante helléniste, et M. Houdart de la Motte, qui ne savait même pas le grec ! De même que le grand Arnauld intervient dans la polémique Boileau-Perrault, c’est Fénelon lui-même qui pacifia les esprits en 1715. Mais ce qui peut-être considéré sans conteste comme la manifestation suprême de la problématique mentionnée est la notion des Belles infidèles (Ménage), basée sur le phénomène de la transposition assortie d’une réflexion méthodologique ponctuelle : « si l’auteur était agréable à lire dans l’original, il doit l’être aussi en français » (p. 89). La fidélité conjuguée à l’esthétique du texte. Aussi les textes de Nicolas Perrot d’Ablancourt (Tacite, Lucien) ressemblent-ils plus à des « localisations » au sens actuel du terme qu’à des traductions.
Un deuxième point concerne l’importance de Port-Royal. À mon sentiment, le professeur Balliu a souligné avec raison le caractère brillant (les Provinciales de Pascal), universaliste (la Grammaire générale et raisonnée de Lancelot et Arnauld) et particulièrement riche (le « littéralisme » de Lemaistre de Sacy et les « infidélités » de Robert Arnauld d’Andilly ; la réflexion traductologique-pédagogique d’Antoine Lemaistre et la pratique traduisante des « Messieurs ») de l’expérience port-royaliste. Elle implique notamment une réflexion traductologique intéressante qui sera exploitée, complétée et améliorée par Gaspard de Tende et Pierre-Daniel Huet à partir de 1660. Le seul problème me semble finalement le fait d’accorder un statut à un ensemble qui, pour Antoine Arnauld, ne dépasse pas le niveau d’un fantôme.
Le troisième point a trait à une thématique qui intéresse plus particulièrement notre auteur : l’Orient et l’Occident. La querelle Galland-Mardrus autour de la traduction française des Mille et une nuits, recueil authentique de contes d’Orient, reflète d’une forme particulièrement explicite l’opposition entre ciblistes et sourciers. Elle clôture aussi le XVIIe. Désormais, « [L]a beauté sera remplacée dans l’ordre de priorités par la spéculation philosophique, qui sacrifiera la délicatesse de l’écriture au maniement de l’idée » (p. 215) ; « le héros […] [renonce] à l’introspection, à la complicité intime et secrète » (p. 216).
En conclusion, le moins que l’on puisse affirmer est que le professeur Balliu a réalisé pleinement ses objectifs. Parmi les grands mérites de son étude nous pouvons mentionner : la définition de la traduction comme produit sociologiquement déterminé d’une époque (p. 170), le lien entre les traducteurs et les gens de lettres (traduction et littérature), la sensibilité linguistique du traducteur (la langue française) et la valeur référentielle de la traductologie.
Mais surtout, notre auteur a réussi à échafauder une compétence référentielle sur l’ensemble du xviie et de la traductologie classique en particulier qui lui a permis de formuler un certain nombre d’hypothèses réussies et intéressantes, et surtout de ne pas tomber dans le piège du catalogue froid et inexpressif et de l’érudition embarrassante (concentrée dans les notes). Le livre de C. Balliu se lit avec le même enthousiasme que celui de l’auteur et nous l’en remercions chaleureusement.