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Les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) constituent un groupe de maladies neurodégénératives qui provoquent inéluctablement la mort après une période d’incubation longue [1]. L’agent pathogène responsable des ESST - tremblante du mouton ou scrapie, ESB ou maladie de la vache folle et maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l’homme - est composé essentiellement, voire exclusivement, d’une protéine nommée PrPSc pour forme scrapie (Sc) de la protéine prion cellulaire ou PrPC. Ces deux isoformes possèdent la même structure primaire mais des conformations différentes. La conversion de la PrPC en sa forme scrapie serait à l’origine de la maladie.

La PrPC est une protéine ubiquitaire, particulièrement abondante dans les neurones qui constituent les cibles des ESST. La fonction de cette protéine reste encore très énigmatique et très difficile à débusquer. Les souris PrP-/- dont le gène codant pour la PrPC a été invalidé sont viables et n’ont pas permis d’élucider le rôle physiologique de la PrPC. Quatre pistes sont actuellement privilégiées pour identifier la fonction de la PrPC [2]: (1) la PrPC participerait au métabolisme du cuivre intracellulaire; (2) la PrPC aurait dans les neurones un rôle protecteur contre les dommages causés par les radicaux libres. Les cellules cérébelleuses issues de souris PrP/- et des cellules de neuroblastome infectées par l’agent pathogène sont en effet plus sensibles à un stress oxydant induit [3]; (3) la PrPC serait impliquée dans les contacts intercellulaires et/ou les phénomènes d’adhérence cellulaire, puisque la PrPC interagit avec la laminine, le récepteur de la laminine [4] et la N-CAM (neural cell adhesion molecule) [5]; enfin (4), notre équipe a mis en évidence une fonction de signalisation de la PrPC [6] dans des neurones sérotoninergiques (1C115-HT) et noradrénergiques (1C11NE) dérivés de la cellule souche neuroépithéliale 1C11 [7] ((→) m/s 2001, n°3, p.402).

Le ligand physiologique susceptible d’activer la PrPC n’est pas connu. Des anticorps anti-PrP ont donc été utilisés pour mimer un signal extracellulaire. Le pontage de la PrPC induit l’activation de Fyn, une enzyme de la famille des Src kinases. Cette voie de signalisation qui implique un complexe PrPC-cavéoline-Fyn, est déclenchée préférentiellement par les molécules de PrPC localisées au niveau des extensions des neurones bioaminergiques 1C115-HT ou 1C11NE.

La NADPH oxydase: une cible intracellulaire de la PrPC

La découverte d’une voie de transduction couplée à la PrPC nous a incités à rechercher les cibles intracellulaires activées en réponse à la ligation de la protéine prion par les anticorps. La stimulation de la PrPC induit l’accumulation transitoire de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS, reactive oxygen species). Ces ROS sont produits à des concentrations semblables non seulement par les cellules neuronales 1C115-HT ou 1C11NE, mais aussi par les cellules indifférenciées 1C11, les cellules hypothalamiques GT1-7 et les lymphocytes T BW5147. Aucune production significative de ROS n’a été observée dans les cellules Thy1-, dérivées de la lignée BW5147 et qui n’expriment pas PrPC à la membrane plasmique. Pour tous les types cellulaires, la production de ROS est abolie par l’ajout dans le milieu de culture d’un inhibiteur sélectif de la NADPH oxydase, enzyme de synthèse d’anions superoxydes (O·̄2) .Nous établissons donc un lien biochimique entre la PrPC et la production de dérivés réactifs de l’oxygène. Le couplage de la PrPC à la production de ROS tel qu’on l’observe dans les neurones, les lymphocytes et les cellules neuroendocrines, pourrait refléter une fonction ubiquitaire de la protéine prion dans le contrôle de l’équilibre redox de la cellule [8].

Les radicaux libres: seconds messagers des voies de signalisation dépendantes de la PrPC

Les ROS sont considérés comme des molécules toxiques à l’origine d’un stress oxydant conduisant à la mort cellulaire. Cependant, diverses données expérimentales montrent une implication des ROS dans la signalisation intracellulaire [9].

Ainsi, dans les cellules neuronales 1C115-HT et 1C11NE, le précurseur 1C11, les cellules neuroendocrines GT1-7 et les lymphocytes BW5147, la stimulation de la PrPC conduit à une phosphorylation transitoire de ERK1/2, une classe de MAPK (mitogen-activated protein kinase) impliquée dans la prolifération, la différenciation et la survie cellulaires [10]. L’activation de ces MAPK par la PrPC renforce l’hypothèse selon laquelle la PrPC contribuerait à l’homéostasie des cellules neuronales et probablement à celle des cellules lymphocytaires. Quelle relation les ROS entretiennent-ils avec ces MAPK ? Dans les cellules 1C11, GT1-7 et BW5147, une inhibition de la NADPH oxydase abolit le recrutement de ERK1/2 dépendant de la PrPC. Ceci démontre que les ROS induits par la stimulation de la PrPC agissent en tant que second messager et contrôlent totalement l’activation de ERK1/2 dans les cellules non neuronales (Figure 1A).

Figure 1

Voies de signalisation dépendantes de la protéine prion cellulaire (PrPC).

Voies de signalisation dépendantes de la protéine prion cellulaire (PrPC).

La PrPC est une protéine ancrée à la surface des cellules. La stimulation de cette protéine par un signal extracellulaire, non encore identifié à ce jour, conduit au recrutement de deux cibles intracellulaires: la NADPH oxydase, une enzyme de synthèse de l’anion superoxyde (O·̄2), et les kinases ERK1/2, des MAPK impliquées dans la prolifération, la différenciation et la survie cellulaires. A. Dans les cellules non neuronales, la voie de signalisation reliant la PrPC à ERK1/2 est linéaire. Les radicaux libres (reactive oxygen species, ROS), produits en réponse à l’activation de la NADPH oxydase par la PrPC, sont des seconds messagers qui contrôlent la phosphorylation de ERK1/2. B. Dans les cellules neuronales, la PrPC interagit avec la cavéoline (Cav-1), une protéine membranaire. La stimulation de la PrPC permet la formation d’un complexe de signalisation associant la PrPC, la cavéoline et Fyn, une enzyme de la famille des Src kinases. La plate-forme PrPC-cavéoline-Fyn gouverne à la fois la production de ROS par la NADPH oxydase et la phosphorylation de ERK1/2. Le couplage PrPC-ERK1/2 implique au moins deux voies de signalisation, dont l’une met en jeu les radicaux libres. C. Dans les neurones, l’infection par la protéine prion pathogène, PrPSc, pourrait entraîner un déséquilibre de la balance redox cellulaire lié à une surstimulation des voies de signalisation normalement couplées à la PrPC, et entraîner un état de stress oxydant chronique. Dans les maladies à prions, les ROS surproduits pourraient ainsi être des acteurs associés à la neurotoxicité et conduire in fine à la destruction des neurones.

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Dans les cellules 1C115-HT et 1C11NE qui possèdent toutes les fonctions des neurones sérotoninergiques ou noradrénergiques, les ROS ne participent que partiellement à l’activation de ERK1/2. Une autre voie de signalisation recrutée par la PrPC, indépendante de la NADPH oxydase, conduit également à la phosphorylation de ces MAPK (Figure 1B). L’une comme l’autre, ces voies sont contrôlées par le couplage de la PrPC à la kinase Fyn. Un inhibiteur de Fyn bloque en effet à la fois la production de ROS et la phosphorylation de ERK1/2. Le complexe de signalisation PrPC-Cavéoline-Fyn confère donc une spécificité à la signalisation dépendante de la PrPC dans les neurones bioaminergiques (Figure 1B) [8].

La PrPSc: une bombe à retardement ?

Démasquer le rôle biologique de la protéine prion est un prérequis pour élucider comment la PrPSc, en interférant avec la fonction «naturelle» de la PrPC, provoque la neurodégénérescence associée aux ESST. Dans les neurones, la PrPSc pourrait séquestrer la PrPC et la détourner de ses partenaires en abolissant sa fonction de signalisation. Inversement, la PrPSc pourrait recruter de façon constitutive les voies de signalisation normalement couplées à la PrPC. Enfin, compte tenu du lien entre la PrPc et la production de ROS, une dérégulation du couplage PrPC-NADPH oxydase par la PrPSc pourrait perturber l’équilibre redox et conduire à un état de stress oxydant chronique (Figure 1C). Vu la latence des maladies à prions, un des enjeux majeurs reste d’élucider la nature et la séquence des événements (neurotoxicité, stress oxydant, perte de fonctions neuronales, apoptose…) qui conduisent in fine à la destruction des neurones.