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Être fédéraliste au Québec est un petit ouvrage très limpide divisé en trois chapitres qui explore les raisons expliquant l’attachement des Québécois à la fédération canadienne. L’auteur, Jean-François Caron, y développe une réflexion éclairante qui s’appuie sur un cadre conceptuel et théorique original. En ce sens, cet ouvrage constitue un effort salutaire de compréhension de l’attachement des Québécois à la fédération canadienne. Caron défend une hypothèse facilement compréhensible : les Québécois affichent un patriotisme fédéral, et ce, pour deux raisons concomitantes. Dans un premier temps, la société politique canadienne respecte leur volonté d’autodétermination et, dans un deuxième temps, elle est en mesure de s’adapter « de manière satisfaisante à leurs revendications politiques » (p. 3). Cette dynamique « institutionnelle » engendre un sentiment d’appartenance.
En s’appuyant sur les réflexions de plusieurs penseurs politiques (Cicéron, Machiavel, Rousseau), Caron élabore dans le premier chapitre un cadre théorique qui permet de penser ce qu’est un patriotisme fédéral (p. 25-27). À la lumière de ce cadre, pour qu’un tel sentiment d’appartenance puisse advenir, deux conditions doivent se retrouver au sein d’une entité politique fédérée ; le respect de l’autonomie communautaire des minorités nationales et une flexibilité à l’égard des demandes de celles-ci. En somme, aux yeux de l’auteur, la pérennité des minorités nationales repose sur leur capacité à modifier les pratiques de gouvernance d’une fédération (p. 32). Pour tout dire, lorsque les minorités nationales sont en mesure d’influer sur le cadre institutionnel d’une fédération, un sentiment d’appartenance à une association politique se développe et complémente l’affiliation ethnoculturelle.
Par conséquent, ces deux conditions réunies sont préalables à l’établissement d’une association politique harmonieuse au sein d’une société multinationale. Dans le deuxième chapitre, Caron soutient son propos en procédant à une analyse comparative de différents fédéralismes : suisse, belge et espagnol. Il voit dans le cas suisse un exemple de fédéralisme réussi. L’État helvétique a toujours été historiquement composé de multiples groupes ethnolinguistiques variés. Au niveau politique, la prise de décisions s’effectue par le biais de mécanismes complexes, mais qui ont le mérite de ne jamais favoriser les intérêts du groupe ethnique majoritaire (p. 44). En effet, ses mécanismes institutionnels sont pensés dans l’optique d’un compromis intercommunautaire qui n’affecte pas négativement « l’autonomie politique et les intérêts des communautés ethnolinguistiques » (p. 45). On ne peut pas en dire autant des deux autres cas. En Belgique, l’histoire trouble des relations entre Flamands et Wallons a contribué en partie à un blocage des institutions fédérales. La « fermeture à l’égard des demandes politiques des Flamands » reste, selon Caron, un facteur décisif qui dans l’histoire récente de ce pays semble avoir eu une influence considérable sur le développement de l’indépendantisme flamand (p. 55). Cette même fermeture serait à l’origine des velléités sécessionnistes des Catalans. Le tribunal constitutionnel espagnol a invalidé en 2010 le statut de relative autonomie dont disposait alors la Catalogne. Selon l’auteur, l’« image d’une Espagne fermée » a transformé de manière fulgurante l’option « historiquement dominante » du nationalisme autonomiste catalan en l’orientant vers un indépendantisme pur et dur (p. 59).
À la lumière de ces différents cas, Caron conclut que l’effritement du patriotisme fédéral en Espagne et en Belgique découle du blocage des institutions fédérales, plus particulièrement de leur incapacité à assurer la pérennité de l’autonomie communautaire de la Flandre et de la Catalogne. Au sein des deux États, l’effritement du patriotisme fédéral favorise l’attrait d’une option indépendantiste. Pour Caron, ces deux cas démontrent bien la solidité de son cadre théorique. Dans le chapitre suivant, il entend l’appliquer au cas canadien.
Dans le troisième chapitre, Caron met en exergue la présence d’un patriotisme fédéral au Québec en rappelant que le gouvernement fédéral n’a jamais véritablement constitué un frein au développement de l’autonomie étatique de la société québécoise. Le cadre fédéral a pu être modifié en fonction de la volonté d’autodétermination du gouvernement du Québec. Ainsi, écrit-il, le fédéralisme canadien n’a nullement empêché la mise en place de différentes institutions importantes qui ont durablement défini l’État québécois durant les années 1960 sous le gouvernement de Jean Lesage (Caisse de dépôt et placement du Québec, Régie des rentes, etc.) (p. 72). Caron croit que si le gouvernement du Québec a pu légiférer dans une telle quantité de domaines, c’est parce que le cadre fédéral tel que défini dans l’Acte de l’Amérique du Nord de 1867 est très décentralisé. Ce cadre a été pensé de manière à assurer l’autonomie des différentes composantes nationales (p. 72). L’entreprise de construction nationale qui a permis d’affirmer au Québec sa spécificité culturelle s’est effectuée non pas à l’encontre du cadre fédéral, mais à partir de celui-ci.
Même dans la période qui a suivi le rapatriement de la Constitution en 1982, le fédéralisme canadien n’a jamais vraiment représenté un obstacle à la volonté d’affirmation nationale des Québécois (p. 71). À cet égard, l’auteur martèle que le nouveau cadre fédéral qu’a implanté en 1982 la Charte des droits et libertés n’a pas empêché l’application de la « loi 101 ». Cette Charte atténue l’autonomie du gouvernement du Québec en matière linguistique, mais elle n’a toutefois pas empêché « la francisation du Québec et de ses immigrants ». Caron illustre pertinemment l’importance de la clause dérogatoire que l’on trouve dans l’article 2 de la Charte : elle rend possible la dérogation aux articles 7 à 15 inclusivement. En ce sens, le gouvernement du Québec peut toujours contester l’application de certaines normes juridiques en s’appuyant sur celle-ci. En résumé, par la clause dérogatoire, le Québec peut affirmer son autonomie (p. 81).
Caron fait également valoir que les pratiques de gouvernance du fédéralisme canadien peuvent également être remises en question par l’intermédiaire d’ententes administratives et bilatérales. Le gouvernement du Québec a pu ainsi obtenir des pouvoirs accrus en matière d’immigration à la suite de nombreuses ententes depuis les années 1970. Par le biais d’ententes bilatérales, il a pu également rapatrier les fonds destinés à la formation de la main-d’oeuvre en 1997 et une fraction du régime fédéral d’assurance-emploi afin de créer son propre programme d’assurance parentale en 2005 (p. 90-91). Tous ces exemples démontrent selon Caron la grande flexibilité du fédéralisme canadien, qui, à défaut d’être un fédéralisme multinational comme le prévoyaient les ententes du lac Meech ou de Charlottetown, incarne plutôt un fédéralisme territorial qui laisse une importante marge de manoeuvre aux provinces (p. 88). Le gouvernement québécois dans une perspective d’affirmation nationale aurait décidé d’occuper pleinement cette marge de manoeuvre. À la lumière de tout cela, Caron conclut que le fédéralisme canadien remplit parfaitement les deux conditions qu’il a préalablement identifiées au premier chapitre. Malgré le manque de reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise, le fédéralisme canadien respecte parfaitement l’autonomie communautaire de celle-ci et témoigne d’une grande souplesse dans l’élaboration de sa gouvernance. Tant et aussi longtemps que la fédération canadienne s’appuie sur les deux principes fondamentaux du patriotisme fédéral, les Québécois manifesteront un sentiment d’appartenance à l’égard du Canada et se délaisseront de l’option indépendantiste (p. 94)
Bien écrit, l’essai de Jean-François Caron a le mérite de présenter une thèse limpide qu’il s’efforce de répéter constamment : le patriotisme fédéral advient lorsque les minorités nationales d’une fédération se reconnaissent dans cette association politique. Le cadre théorique qu’il développe afin de soutenir son argumentaire nous apparaît original ; en s’appuyant sur les réflexions de penseurs politiques (Machiavel par exemple), Caron en vient à conceptualiser ce qu’il nomme un patriotisme fédéral, un sentiment d’appartenance à une association politique libre. C’est à partir de cadre théorique et conceptuel qu’il développe un argumentaire cohérent. Cependant, la conclusion qui en découle nous laisse sur notre faim. Conclure que la flexibilité du fédéralisme canadien engendre la présence d’un patriotisme fédéral auprès de la population québécoise nous semble guère convaincant. Il faut noter que l’accroissement des responsabilités de l’État québécois s’est réalisé par d’incessantes confrontations avec le gouvernement fédéral et non pas par de simples ententes à l’amiable. À notre avis, l’attachement à une communauté politique découle de raisons qui dépassent les simples aménagements institutionnels, notamment de raisons historiques. À cet égard, l’auteur élude le fait que l’autonomie communautaire des francophones fut sévèrement mise à mal dans l’histoire de la Confédération canadienne, comme témoigne la fermeture des écoles bilingues au Manitoba en 1890 et en Ontario en 1912. Ce n’est somme toute qu’assez tardivement que les francophones du Canada ont obtenu des droits linguistiques. Un regard un peu plus nuancé sur le fédéralisme canadien aurait été apprécié. Mis à part ces bémols, il faut saluer l’effort de Jean-François Caron. Il ressort de Être fédéraliste au Québec une argumentation limpide et un excellent effort de vulgarisation qui le rend accessible à tous ceux qui s’intéressent à l’insoluble question nationale. Caron apporte ainsi une contribution intéressante à l’analyse de la vie politique canadienne.